LIVRES CINEMA-DAVID LYNCH
https://www.livres-cinema.info/recherche/?req=DAVID+LYNCH
né en 1946 | ||
10 films | ||
1 | ||
3 | ||
5 | ||
Histoire du cinéma : naturalisme |
Etudiant en beaux-arts, il réalise très jeune deux courts métrages, The Alphabet (1967) et The Grandmother (1969), qu'il qualifie lui-même de "tableaux animés. Ils n'avaient pas d'intrigue, seulement des atmosphères".
Dans des conditions artisanales, avec des comédiens inconnus, et selon les mêmes principes, il réussit à achever un premier long métrage d'une totale originalité, Eraserhead, véritable cauchemar éveillé, qui ne sera distribué qu'en 1978.
Eraserhead attire l'attention de Mel Brooks qui cherchait un réalisateur pour un de ses projets les plus ambitieux, The Elephant man (1980). Dino de Laurentis l'entraîne ensuite dans l'aventure de Dune (1984) d'après la somme de Frank Herbert. David Lynch retrouve sa personnalité dans un thriller violent et original, Blue Velvet (1986), remporte une palme d'or contestée au Festival de Cannes 1990 pour Sailor et Lula. Avec Twin peaks (1992) Lynch revisite la série télévisée avant de réaliser Lost Higway (1996), une histoire vraie (1999), Mulholland drive (2001) et Inland empire (2006).
Dandy, volontiers misanthrope, il a fondé sa propre maison de production, "Assymetrical Productions". Mel Brooks a pu dire de lui qu'il était "le James Stewart de la planète mars " et Dennis Hopper pouvait s'étonner : "il est tellement droit (straight) qu'il est difficile d'imaginer qu'il a un esprit si tordu".
L'écrivain David Foster Wallace a donné une définition de l'adjectif lynchien : "Fait référence à une forme particulière d'ironie qui combine le très macabre au très ordinaire de manière à révéler la présence permanente de l'un (le macabre) dans l'autre (l'ordinaire)."
Friand d'intrigues policières ou de science fiction, le cinéma de Lynch est une invitation au déchiffrement. Par ses multiples pistes enchevêtrées, Twin Peaks pouvait, à bien des égards, apparaître comme un point d'aboutissement. Avec une bonne dose d'humour, Lynch semblait, dès le début du film, nous inviter à l'interprétation. Travesti en Gordon Cole, chef du FBI à Philadelphie, il présentait, sur l'aéroport privé de Portland, Lil, la fille de la sœur de sa mère, qui interprétait un étrange ballait. Plus tard Chester Desmond nous livrera les clés de ces gestes :
Lil faisait la tête, elle avait la mine renfrognée (problèmes avec les autorités locales, elles feront mauvais accueil au FBI) Des yeux qui clignent( des ennuis en haut lieu), les yeux de l'autorité locale(le shérif et son adjoint à mon avis), elle avait une main dans sa poche (ils cachent quelque chose), et l'autre main formait un poing (ils vont être agressifs), Lil faisait du sur place (il y aura des recherches en profondeur) Cole a dit que Lil était la fille de la sœur de sa mère. Que manque-t-il dans la phrase ? L'oncle ( l'oncle du shérif doit être en prison) La robe était retouchée d'un fil d'une autre couleur là où elle a été reprise (La retouche est notre code pour la drogue), une rose bleue était épinglée ( …interprétation en attente)
Avec Twin Peaks, Lynch semble avoir totalement exploité la structure de récit linéaire lardé de déchirures fantasmées. Peut-être a-t-il trouvé cette narration trop dépendante des parties réelles, les parties rêvées n'occupant qu'une portion réduite du film. De plus, ce flux narratif linéaire est presque toujours conduit par un héros positif avec lequel le spectateur s'identifie, Kyle MacLachlan jouant successivement dans Dune, Blue velvet et Twin Peaks.
Avec Lost Highway , Mulholland Drive et Inland Empire, Lynch opte pour une structure en deux parties où rêve et réalité, même s'ils vivent l'un par rapport à l'autre, ont chacun leur autonomie et où la béquille fictionnelle du héros positif disparaît.
Mulholland drive reprend ainsi une grande partie des ingrédients utilisés dans Lost Highway. En premier lieu cette structure en deux parties, classique dans Lost Highway, le cauchemar suivant la partie réelle, plus retorse dans Mulholland Drive ou le rêve est présenté avant son explication. Point d'aboutissement à ce jour, Inland Empire offre une place encore plus importante au rêve et au cauchemar. Seul le tout début et la toute fin sont réels ainsi que les brèves situations où la jeune fille perdue est devant son poste de télévision.
Dans les trois films, la scène initiale signale l'enchevêtrement du rêve et de la réalité. Pour le début de Lost Highway, quand Pete, personnage du rêve, vient annoncer à Fred que Dick Laurent est mort, il s'agit d'une intervention démiurgique de Lynch qui s'arroge le droit de dupliquer le hors champ de l'avant-dernière scène comme scène initiale. Le début de Mulholland Drive est moins artificiel, les séquences du swing sur fond violet et celle du drap rouge-orangé évoquent le demi-sommeil entrecoupé de rêves dans lequel s'enfonce le personnage principal. Le début de Inland Empire évoque lui clairement la situation de prostitution occasionnelle à laquelle se livre la jeune filel perdue et qui la hante tout le temps du film avant le retour de son mari et de son fils.
Dans les trois films aussi l'immersion dans le rêve ne se fait pas sans difficultés et approximations. On peut imaginer que la scène initiale de Lost Highway est un rêve éveillé fugace et alors dépourvu de sens de Fred qui ne trouvera un sens que dans le sommeil profond du rêve qui suivra. Tout comme la scène de la cabane en feu dans la prison signale le début de l'embrasement de l'imaginaire de Fred : flash mental qui là aussi sera utilisé avec plus de consistance dans le rêve. De même, dans Mulholland drive, le personnage de Rita avec lequel Diane s'identifie d'abord n'a qu'une pauvre consistance, s'endormant trois fois avant, qu'au moment du sommeil profond, l'identification se porte sur le personnage de Betty dans un récit cette fois ininterrompu. Dans Inland Empire, le rêve est interrompu par les retours au réel de la jeune fille perdue, pleurant devant son poste, sans que ses larmes ne puissent avoir un rapport avec le programme projetté sauf si l'on veut bien y voir le travail de sa mauvaise conscience.
Enfin, dans les trois films, la transition entre les parties du réel et du rêve se fait au moyen de plans immanquables : celui dans lequel la caméra s'engouffre par le plancher de la prison dans Lost Highway ou par le fond de la boite bleue dans Mulholland Drive suivi d'un fondu au noir. Dans Inland Empire ce sont ceux où la jeune fille perdue pleure devant son poste de télévision.
Des portes et des couloirs
Cette caméra qui traverse un no man's land pour aller au-delà des apparences est une figure récurrente du cinéma de Lynch. La porte qui ouvre ce lieu de transition informe peut être une partie du corps. Dans le cauchemar de John Merrick, celui-ci s'imagine transporté dans un monde infernal par l'œil de son père éléphant. Dans Blue Velvet, la caméra passe par l'oreille, rêvée en gros plan, lorsque Jeffrey décide de mener lui-même l'enquête. Depuis Twin Peaks, Lynch utilise aussi les couloirs. C'est par un tableau accroché au mur et figurant un couloir que Laura Palmer s'échappait dans le monde du rêve. C'est en s'immergeant puis en ressortant du couloir menant du salon à la chambre que Fred se transforme en assassin. De même, dans Mulholland Drive, les couloirs de la maison de la tante de Betty sont filmés avec une étrange insistance. Il semble dorénavant que le sol même s'ouvre et se dérobe devant les pieds des héros qu'il s'agisse du plancher de la prison pour Fred Madison ou du fond de la boite bleue pour Rita-Camilla. Dans Inland Empire, le couloir mystérieux est toujours celui qui conduit à la chambre de l'adultère. C'est d'abord celui du début du film en noir et blanc puis celui par lequel entre le mari, surprenant Nikki et Devon sous l'édredon. C'est celui qui, dans la maison de Smithy dans laquelle pénètre Nikki conduit à la chambre. C'est celui qui, dans le studio de cinéma, conduit encore à la chambre fatidique.
Des téléphones aux deux bouts de la ligne
Lynch utilise aussi beaucoup les récepteurs téléphoniques ou de télévision pour suggérer ce no man's land empêchant la connexion directe entre deux lieux. C'est le responsable de la CIA (Lynch lui-même) parlant toujours trop fort au début de Twin Peaks ou Jeffries s'échappant par les fils téléphoniques. C'est Fred Madison appelant chez lui sans trouver sa femme d'abord et n'y trouvant que l'homme mystère ensuite. Ce sont les téléphones, supposés être ceux des mafieux commanditant le crime dans la première partie de Mulholland drive et qui se révéleront être ceux des décors du film ou celui de Betty. C'est celui, rouge dont se sert Nikki, une fois transporté dans sa maison de Smithy en Pologne et qui sonne chez les lapins ou celui auquel répond le mystérieux détective Hutchinson dans Inland Empire.
La scène et la salle
Un monde séparé en deux espaces non raccordés, voilà bien la structure du monde lynchien dont la structure même de Lost Highway et de Mulholland drive rend parfaitement compte. Ils sont, en ce sens, un aboutissement après les histoires enchevêtrées mais finalement en un seul bloc narratif de Blue velvet et Twin Peaks.
Si le monde est séparé en deux espaces, la salle de spectacle est le lieu privilégié où ils peuvent être réunis : le Bang-Bang Bar dans Twin Peaks, le Slow Club dans Blue Velvet, Le Luna Lounge dans Lost Highway , le Silencio dans Mulholland Drive et le plateau n°4 et surtout la télévision elle-même dans Inland Empire. L'art est ainsi le lieu de connaissance et d'initiation privilégié, là où l'on peut percevoir les deux faces du monde.
Le mystère comme vraie dimension du monde
On ne peut en effet connaître la vraie vie qu'en allant en deçà des images de surface, colorées et stéréotypées, celles du tout début ou de la toute fin de Blue Velvet, ou celles du poste de télévision dans Inland Empire. Il n'est pourtant pas question non plus de s'enfoncer jusqu'à la mort dans la matrice initiale comme le désire Frank Booth, le truand névrotique, dans Blue velvet ni de faire revenir le fantôme de Inland Empire qui cherche lui "un moyen d'entrer" de nouveau dans la vie de la jeune fille perdue. C'est dans l'entre-deux, celui qui permet de percevoir les musiques les plus douces et les cris les plus effroyables, que se tiennent le sexe et le sang, l'amour et la peur, la honte et le pardon.
Il importe donc pour Lynch d'avoir les yeux toujours bien écarquillés (plan récurrent, ceux du docteur d'Elephant Man de la princesse lors de l'ouverture de Dune ou de la jeune fille perdue devant son poste dans Inland Empire) voire les oreilles grandes ouvertes et de comprendre que la plus grande beauté est toujours moins fascinante que la plus grande laideur (voir les plans d'Eléphant man où l'instinct sexuel est stimulé par la laideur ou la façon dont le fantome de Inland Empire, incarnation d'une intense relation sexuelle passée se décompose quand Nikki lui tire dessus.) qu'on ne peut aimer la blonde sans la brune, la gloire sans la défaite, le désir sans la honte, le pardon sans la faute.
Dans son premier film, Eraserhead, Lynch avait choisit son camp dans l'opposition tant de fois jouée par le grand Fritz Lang en préférant le mal au bien, les ténèbres à la lumière et le monde d'en bas à celui d'en haut.
Depuis Elephant man, il cherche à rapprocher ces deux dimensions du monde en recourant, jusqu'à twin peaks, au processus initiatique où la recherche de la dimension mystérieuse du monde en présente la seule voie d'accès.
Avec Lost Highway et Mulholland Drive, il n'y a plus de personnage positif initié au monde. Le spectateur doit trouver lui-même son chemin entre le monde diurne et apollinien de l'explicatif et celui plus obscur et dionysiaque des pulsions où le sens ne se laisse pas enfermer. Rester en équilibre sur ces deux faces du monde est un exercice périlleux et exaltant pourvu que le cinéaste ait su donner suffisamment d'indices pour ne pas perdre son spectateur ni trop non plus pour lui donner toujours envie d'interpréter.
Sandrine Marques a par ailleurs mis en évidence la proximité des univers de David Lynch et de Jérôme Bosch tel qu'il se représente dans le Jardin des délices : même mélange de réel et d'imaginaire, même univers corrompu. On y trouve aussi les motifs de l'oreille coupée et de l'oiseau monstrueux (Blue velvet) et de la maison en feu (Lost Highway).
En 2017, David Lynch propose sa série évènement Twin Peaks - The return. Il n'avait réalisé lui-même que deux épisodes : le1er, pilote et le 3e des huit épisodes de la saison 1 de Twin peaks. Sur les vingt-deux épisodes de la saison 2, il en avait réalisé quatre : les deux premiers, le 7e et le dernier. Tout le mystère, délayé dans ces deux séries diffusées en 1990-1991 à la télévision française, avait ensuite été transformé dans Twin Peaks : Fire Walk with Me (1992). Les dix-huit épisodes de la saison 3 de Twin peaks sont tous réalisés par David Lynch qui les voit comme un long film de dix-huit heures.
Jean-Luc Lacuve le 07/02/2007 (précédente version le 02/05/2002)
Bibliographie : Eclipses n°34, mai 2002
Filmographie :
1976 | Eraserhead |
(Tête à effacer). Avec : John Nance (Henry), Charlotte Stewart (Mary X), Judith Anna Roberts (la belle fille du couloir). 1h30. Dans un univers glauque de sinistres terrains vagues, un homme, Henry Spencer, les cheveux dressés, le regard illuminé rentre chez lui et échange quelques propos avec "la belle fille de l'autre côté du couloir". Puis il va dîner chez les parents de son amie Mary X, où il apprend que celle-ci, enceinte de lui, vient de donner naissance à un étrange bébé prématuré... | |
1980 | Elephant Man |
Avec : John Hurt (John Merrick) Anthony Hopkins (Frederick Treves), John Gilgud (Carr Gomm) Anne Bancroft (Madge Kendal). 2h05. Londres, 1884. Le chirurgien Frederick Treves découvre dans une baraque foraine un jeune homme, John Merrick, hideusement déformé par une étrange maladie, la neurofibromatose, exhibé comme un homme éléphant... | |
1984 | Dune |
Avec : Kyle MacLachlan (Paul Atreides), Francesca Annis (Lady Jessica), Sean Young (Chani), Sting (Feyd-Rautha). 2h17. L'an 10991. L'empereur Shaddam IV gouverne l'Univers. Avec l'aide des Harkonnen, de la planète Geidi Prime, il conçoit un plan pour éliminer le peuple des Atréïdes, qui habite Caladan, et son chef le duc Leto. Il les envoie sur la planète Arrakis, plus connue sous le nom de Dune ; une terre désertique où est extraite l'Épice miraculeuse qui donne longévité et pouvoir. Sur Dune, cachés dans les grottes, les Fremen attendent la venue du messie qui leur donnera la liberté. ... | |
1986 | Blue velvet |
Avec : Kyle MacLachlan (Jeffrey Beaumont), Isabella Rossellini (Dorothy Vellens), Denis Hopper (Frank Booth). 2h00. Lumberton, Caroline-du-Nord. La ville se voudrait symbolique du rêve américain mais cache aussi des cauchemars. Son père étant hospitalisé après une crise cardiaque, Jeffrey Beaumont trouve une oreille humaine dans un terrain vague. Il l'apporte à l'inspecteur Williams, père de Sandy qui va devenir sa petite amie. Par goût du mystère, Jeffrey mène sa propre enquête en fouillant l'appartement de Dorothy Vallens, une chanteuse de cabaret. Celle-ci le surprend, puis Jeffrey assiste à ses étranges rapports sado-masochistes avec le truand Frank Booth... | |
1990 | Sailor et Lula |
Avec : Nicolas Cage (Sailor), Laura Dern (Lula), Diane Ladd (Marietta, sa mère). 2h07. Dès leur première rencontre, Sailor et Lula tombent follement amoureux l'un et l'autre. Cette passion dévorante n'est pas du goût de Marietta, la mère de Lula, une sorcière patibulaire, entend saigner le loubard et faire rentrer sa fille au bercail. .. | |
1992 | Twin Peaks |
Avec : Sheryl Lee (Laura Palmer), Ray Wise (Leland Palmer), Kyle MacLachlan (FBI Agent Dale Cooper). 2h15. A Deer Meadow, petite ville du nord des Etats-Unis près de Portland, on a découvert, flottant dans la Wild river, le cadavre d'une jeune fille de 17 ans, Teresa Banks. Gordon Cole, chef régional du FBI à Philadelphie, envoie sur place les agents Chester Desmond et Sam Stanley alors en mission à Fargo. Ceux-ci mènent une enquête minutieuse sur les lieux fréquentés par la victime, en particulier le terrain de camping, tenu par Carl Rodd, où elle habitait. Stanley découvre un "T" imprimé sous l'ongle de Teresa et emporte le cadavre à Portland à des fins d'expertise. Desmond soupçonne les mystérieux habitants d'une caravane, les Chalfont. Il découvre, sous la caravane de Teresa, une étrange bague et, soudain, disparaît. Au même moment au siège du FBI de Philadelphie ce 16 février à 10h10, Philipp Jeffries, un agent du FBI disparu, réapparaît devant Gordon et Dale Cooper puis s'échappe par les fils téléphoniques. Dale Cooper, qui a repris l'enquête de Chester Desmond, affirme dans un dictaphone près de la Wild river que le tueur frappera encore. Un an plus tard, dans la tranquille bourgade de Twin Peaks, Laura Palmer mène une double vie : en apparence étudiante rangée, en réalité, adolescente débauchée. Elle est à la fois courtisée par l'honnête James Hurley et par Bobby Briggs, qui lui fournit de la drogue. Pendant que Donna, sa meilleure amie, lui sert d'alibi, elle se livre, dans les bars louches, à d'immondes orgies, en compagnie de sa copine Ronette Pulaski et des trafiquants Leo Johnson et Jacques Renault. Peu à peu, elle devient la proie d'hallucinations et de cauchemars peuplés d'êtres étranges et d'un certain Bob, véritable génie du mal qui, la nuit, vient la violer. Au terme d'une longue descente aux enfers, Laura se rend compte que Bob n'est autre que Leland, son père incestueux, ancien amant et meurtrier de Teresa, qui voulait le faire chanter. Après une ultime nuit d'orgie, Laura mourra, assassinée par Leland. | |
1996 | Lost highway |
Avec : Bill Pullman (Fred Madison), Patricia Arquette (Renee Madison/Alice Wakefield), Balthazar Getty (Pete Dayton). 2h15. Fred Madison, joueur de jazz célèbre, est atteint de jalousie paranoïaque. Il croit que sa femme, Renee, le trompe lorsqu'il joue la nuit. Il lui adresse deux inquiétantes K7. Au cours d'une soirée chez celui qu'il pressent être un des amants de sa femme ou, pire, un partenaire de partouze et commanditaire de film porno, il disjoncte définitivement... | |
1999 | Une histoire vraie |
(The straight story). Richard Farnsworth (Alvin Straight), Sissy Spacek (Rose), Harry Dean Stanton (Lyle Straight). 1h51. Dans la petite bourgade de Laurens, Iowa, Alvin Straight, soixante-treize ans, se remet à peine d'une chute lorsqu'il apprend que son frère aîné vient d'être victime d'une attaque. Les deux hommes ne se sont pas parlé depuis dix ans. Alvin décide d'entreprendre le voyage de la réconciliation, seul, et par ses propres moyens. Sa mauvaise vue ne lui permettant pas de conduire, il parcourra les 507 kilomètres qui le séparent de Mount Zion, Wisconsin, sur le petit tracteur qu'il utilise pour tondre sa pelouse et auquel il aura accroché une remorque en bois... | |
2001 | Mulholland drive |
Avec : Naomi Watts (Betty-Diane), Laura Elena Harring (Rita-Camilla), Justin Theroux (Adam). 2h26. Une limousine noire roule sur les hauteurs de Los Angeles, sur Mulholland drive. La voiture s'arrête. Le chauffeur se retourne vers la jeune femme brune, assise à l'arrière et la menace d'un pistolet. Un choc. Une voiture venant en sens inverse s'encastre avec fracas dans la limousine. La belle inconnue en robe du soir s'en extirpe, visiblement sonnée, et se met à errer dans la campagne... | |
2006 | Inland Empire |
Avec : Laura Dern (Nikki Grace/Susan Blue), Justin Theroux (Devon Berk/Billy Side), Jeremy Irons (Kingsley Stewart) Karolina Gruszka (la fille devant la télévision). 2h52. Un homme et une femme devant une chambre d'hôtel. Leurs visages sont floutés. Ils disparaissent. Dans la chambre, l'homme demande à la femme de se déshabiller comme le ferait une putain. Ils disparaissent. En gros plan, un tourne-disque égrène une chanson nostalgique... | |
2017 | Twin Peaks - The return |
Avec : Kyle MacLachlan (Dale Cooper, son double maléfique, Dougie Jones), Sheryl Lee (Laura Palmer), Brent Briscoe (Détective Dave Macklay), Matthew Lillard (William Hastings), George Griffith (Ray Monroe), Nicole LaLiberte (Darya). 18h00. 25 ans après la saison 2, l'agent du FBI Dale Cooper est toujours prisonnier de la Loge noire.Dans un immeuble à New York, un jeune homme, Sam Colby, est payé pour ne pas quitter des yeux une gigantesque boîte de verre transparente et pour changer les cartes mémoires de plusieurs caméras chargées de filmer la boîte transparente. Un soir, alors qu'il est en train de faire l'amour à une fille devant la boîte, une entité surnaturelle se forme à l'intérieur, la brise, et les massacre tous les deux. |
David Lynch
Cinéaste américain (Missoula, Montana, 1946).
Peintre venu au cinéma, il en explore tous les pouvoirs afin de révéler la profondeur et la vérité de nos fantasmes (Eraserhead, 1977 ; Elephant Man, 1980 ; Dune, 1984 ; Une histoire vraie, 1999 ; Mulholland Drive, 2001). Ses films sont souvent très violents (Blue Velvet, 1986 ; Sailor et Lula, 1990 ; Twin Peaks, 1992 ; Lost Highway, 1996).
==========================================
ANALYSE ET CRITIQUE
En 1994, Roland Kermarec est étudiant en lettres à l’université de Brest. Passionné par le septième art, il oriente ses recherches sur l’art de David Lynch. Ses travaux de maîtrise se concentrent sur Eraserhead (1977) et les premiers courts métrages du cinéaste. L’année suivante, il rédige un mémoire de DEA autour d’Elephant Man (le film, les textes consacrés à John Merrick …etc).. Afin de compléter son étude, Kermarec remet ses travaux à un ami du cinéaste qu’il rêve d’interviewer.
A partir de cette date, le destin de Roland Kermarec bascule et le fantasme devient réalité. Lynch, séduit par ses recherches et ses analyses, l’invite sur le tournage de son nouveau film : Lost Highway !
Le jeune étudiant réunit alors des fonds pour financer le voyage et retrouve Lynch dans sa demeure de Los Angeles. Armé de son carnet de notes et d’un caméscope, il reste à ses côtés pendant les trois mois du tournage, et mémorise chaque détail de son séjour.
Depuis cette rencontre, Roland Kermarec continue d’étudier l’œuvre de David Lynch (films, sculptures, multimédia …) et s’investit activement sur le site www.lynchland.net. Collaborateur d’Objectif Cinéma, Kermarec s’associe à l’équipe du site afin d’éditer une série d’ouvrages consacrés à David Lynch dont le premier tome est Lynchland # 1. Ce livre inaugure la branche édition d’Objectif Cinéma qui devrait produire d’autres ouvrages consacrés au septième art avec notamment un travail sur La nuit du chasseur de Laughton…
Dans la première partie (Roland Kermarec on the Lost Highway) de Lynchland #1, l’auteur témoigne de sa rencontre avec celui qu’il appelle désormais ‘David’ et évoque sa passion pour le cinéaste. Par la suite, Kermarec parle avec tendresse et nostalgie de tous les comédiens disparus qui ont donné vie aux personnages inventés par Lynch. Il revient notamment sur la longue carrière de Richard Farnworth, de ses débuts en tant que cascadeur dans les westerns de la Paramount (1937) jusqu’à son rôle, oh combien sublime, de A Straight Story où il interprète ce personnage qui traverse les USA sur une tondeuse à gazon pour rejoindre son frère.
Le troisième chapitre est consacré à une comparaison des carrières respectives de David Lynch et John Waters. Kermarec souligne les nombreux points communs entre les deux cinéastes : leur attachement aux années 50 (The Pretty Fifties), leur goût pour les héros excentriques ou encore le regard acide qu’ils posent sur la ‘middle class’ américaine.
La quatrième partie (la plus courte) se focalise sur le rapport que David Lynch entretient avec les nouvelles technologies (caméras numériques, internet, effets spéciaux …) tandis que l’avant dernier chapitre détaille la genèse et le développement de la fameuse ‘vache folle’ de Lynch (sculpture ‘sanglante’ qu’il réalisa pour la cow parade de NY en 2000).
Enfin, l’ouvrage se clôt sur un article intitulé ‘David on the road again’ qui décrit lui aussi la naissance et l’aboutissement d’une œuvre du cinéaste : Mullholand Drive. On y apprend notamment comment les rapports que le cinéaste entretenaient avec la télévision (à l’origine le film devait prendre la forme d’une série TV) se sont dégradés et ont abouti à une aversion totale de l’artiste pour ce média.
Ces six chapitres se présentent finalement comme autant de façon d’aborder le cinéma de David Lynch. Kermarec nous prouve ainsi que David Lynch n’est pas qu’un réalisateur de talent mais également un vidéaste, sculpteur, peintre, bref un artiste à part entière.
Notons aussi que l’auteur, dont on attend avec impatience le prochain opus (Lynchland #2 devrait être consacré à la période Eraserhead), ne se pose jamais comme un analyste intellectualisant l’œuvre de Lynch. Son travail est davantage celui d’un scientifique recueillant précieusement chaque information pour en témoigner avec simplicité. D’un tel ouvrage on aurait pu craindre une certaine ‘froideur’, mais il n’en est rien : au-delà du témoignage unique qu’il nous offre, l’émotion liée à son admiration pour Lynch transparaît à chaque page. Kermarec laisse une impression de passion, Lynchland #1 est un ouvrage remarquable !
=========================================================
L'HISTOIRE
Dans une ville industrielle, Henry Spencer mène une vie sans histoires, jusqu'au jour où sa fiancée, Mary, lui dit qu'elle a eu un bébé de lui et qu’il s’agit d’un monstre. Il se marie donc avec elle, mais ne supportant pas les hurlements incessants du bébé, Mary s'en va et laisse Henry seul avec l'enfant. Pendant les moments de répit que lui laisse son fils, Henry se met à rêver, notamment d'une dame cachée derrière le radiateur chantant une mélancolique rengaine...
ANALYSE ET CRITIQUE
Il est courant de parler d'OVNI cinématographique pour chaque film de David Lynch. Pourtant, le désastreux Dune mis à part, un seul répond vraiment à cette qualification : Eraserhead.
Eraserhead entre dans la famille restreinte des films expérimentaux aboutis, aux côtés de, par exemple, 2001 : l'Odyssée de l'espace, La Nuit du chasseur ou Persona. Et curieusement, bien qu'étant le premier film de son auteur, il s'agit du plus définitif de sa carrière. En effet, jamais Lynch ne sera aussi radical, jamais il n'expérimentera autant du point de vue des effets spéciaux (qui n'ont pas pris une ride) et de la bande-son, et jamais il n'atteindra encore un tel degré de perfection. Mais maintenant, en tant que spectateur, que penser de cette œuvre ?
En effet, ce film venu d'ailleurs est bien difficile à aborder. D'ailleurs, qu'est-ce que Eraserhead ? Un film d'horreur ? Une comédie noire ? Une fable surréaliste ? Un peu tout cela à la fois, mais pas seulement. Le premier film du grand cinéaste qu'est aujourd'hui David Lynch n'est pas du genre à se révéler à la première vision. La première fois, on est un peu dérouté par cet univers absurde, pervers et quelque peu repoussant. Et l'histoire, y en a-t-il une ? Bref, on ne sait qu'en penser... Lynch voit son film comme le bilan des années passées à Philadelphie. Et bien figurez-vous qu'en y regardant de plus près, c'est peut-être l'interprétation la plus juste. A la seconde vision, fait étrange, le film devient merveilleux. Ce qui nous paraissait repoussant la première fois dégage à présent une grande poésie et une douce mélancolie. Et cette fois, on pense à un film précis : 2001 de Stanley Kubrick. En effet, sur plusieurs points, les deux films se font écho, notamment sur leur premier et dernier plan (pour l'anecdote, Kubrick affirmera que Eraserhead est le seul film qu'il aurait aimé réaliser). 2001 s'ouvrait sur une spectaculaire levée de planètes dans un ciel en Cinérama sur le grandiloquent Ainsi parlait Zarathoustra de Richard Strauss. Cette ouverture nous indiquait que nous allions assister à un voyage à travers l'infiniment grand.
Eraserhead a lui aussi droit à une ouverture cosmique, sauf qu'ici le ciel est en 4/3, nous n'avons droit qu'à une unique et minuscule planète, et qu'un visage, celui du personnage principal, apparaît en surimpression pour remplir tout l'écran. Ce plan nous dit que nous allons voyager à l'intérieur de l'esprit du personnage, à travers l'infiniment petit, soit une odyssée intérieure, jusque dans les tréfonds de son âme. Et ce voyage, comme celui de Dave Bowman, le héros de 2001, aboutira à une sorte de pureté astrale.
Donc après une seconde vision, on est enfin capable de voir en Eraserhead une autre histoire que celle "marquée au dos de la jaquette". Eraserhead, c'est le récit d'un homme prisonnier de son quotidien morne et sans issue, qui dans son appartement délabré trouvera un échappatoire temporaire par le rêve. En rêvant d'une voisine affriolante, d'une dame dans un radiateur, sorte de grand-mère fantasmée, qui lui sourit et lui chante dans sa rengaine, "In heaven, everything is fine...", un paradis qui n'existe certainement pas dans ce monde, et dont il ne peut que rêver. C'est l'une des bases du cauchemar lynchien, qu'on retrouvera dans presque tous ses films futurs : l'être humain est prisonnier de sa condition et cherche en vain une porte de sortie. Cette porte de sortie, cela peut être la mort (Twin Peaks, Mulholland Drive...), une route (Sailor et Lula) ou la folie (Lost Highway, Mulholland Drive). Mais la plupart du temps, les personnages sont rattrapés par leur cauchemar. Finalement, le cauchemar lynchien, ce n'est rien d'autre que la condition humaine.
Pour conclure, Eraserhead est loin d'être ce petit film méchant et bêtement provocateur dont on l'a trop souvent qualifié. Il s'agit en fait d'une oeuvre intime, tragique et désespérée, d'un poème cosmique aux multiples facettes. Tout simplement, un beau film.
===============
ANALYSE ET CRITIQUE
Tiré d’un roman de Barry Gifford (qui, par la suite, a écrit avec David Lynch Lost Highway et deux épisodes de Hotel Room), Sailor et Lula est le film le plus sulfureux, le plus rock’n'roll du maître. Sur la trame d’un conte de fée (sorcière maléfique, autre côté du miroir, pied de l’arc en ciel, gentille marraine…) Lynch livre une œuvre hystérique, extrême, qui s’embrase dès les premières images. Fracas d’une tête qu’on écrase, démembrements, rites vaudou côtoient la romance fleur bleue de deux tourtereaux qui tracent la route pour échapper à leur famille et à leur passé. Road movie extrêmement classique dans le fond, Sailor et Lula n’étant qu’une énième variation sur Romeo et Juliette, le film frappe par le lyrisme qui accompagne la fuite des deux amants. C’est lorsque Lynch se laisse complètement aller à son poème d’amour fou que Sailor et Lula prend toute sa dimension. Les scènes chocs, les personnages hauts en couleur portés par des acteurs qui visiblement s’éclatent dans l’excès (Willem Dafoe, Grace Zabriskie ou Isabella Rossellini) passent alors en second plan, comme des artefacts un peu vidés de sens de l’univers immédiatement identifiable de Lynch.
Bien sûr on prend un énorme plaisir à voir Nicolas Cage écraser une tête sur du marbre alors que la BO passe brutalement d’un jazz entraînant aux riffs de Slaughterhouse, ou encore à l’entendre chanter Love Me Tender après avoir mis une raclée à un jeune présomptueux, on jubile lorsque Bobby Peru (Willem Dafoe) se lance dans une étonnante scène de séduction / répulsion avec Lula. Lynch a le génie des images chocs, des confrontations violentes, des irruptions incongrues, mais le vertige de la griserie est là et il s’en faut de peu que le cinéaste ne se livre à un grand huit tournant rapidement à vide. Heureusement dans Sailor et Lula, dans Twin Peaks, dans Mulholland Drive, Lynch se repose sur autre chose qu’il sait tout aussi bien faire : rendre palpable l’amour fou et ses dérives, donner à ressentir les lambeaux déchirés de rêves qui se heurtent à la réalité. Alors Sailor et Lula peut décevoir certains, le film penchant plus vers cet aspect "classique" que vers celui de ce cinéma de la pure sensorialité érigé en horizon indépassable d’une nouvelle forme de septième art. Mais qu’il soit permis à l’auteur de ses lignes de préférer cette formule aux dérives autistes d’INLAND EMPIRE et d’opiner du chef quand David Lynch déclarait à la sortie de Sailor et Lula : « Les surréalistes ne s’intéressaient qu’au support, à sa texture. Au cinéma, j’ai appris en plus à raconter une histoire, une vraie continuité… du cinéma sans narration, ce n’est pas ce qui m’intéresse. » Dont acte.
=========================================
L'HISTOIRE
Dans la belle petite ville américaine de Lumberton, en Caroline du Nord, M. Beaumont est victime d'une crise cardiaque en arrosant son gazon. Son fils Jeffrey, rentrant chez lui après une visite à son père malade, découvre une oreille humaine dans un champ. Cette oreille, en décomposition, est couverte d'insectes. Jeffrey apporte immédiatement sa trouvaille à l’inspecteur Williams et fait ainsi la connaissance de sa fille, la jolie Sandy. Poussé par la curiosité et un certain goût pour le mystère, Jeffrey va mener l'enquête avec elle pour découvrir à qui appartient cette oreille et ce que cache cette histoire macabre, derrière la façade apparemment innocente de Lumberton. Cette investigation va le plonger dans le monde étrange et sordide où évoluent, entre autres, Dorothy Vallens, une chanteuse de cabaret psychologiquement fragile, et Frank Booth, un psychopathe dangereux et pervers.
ANALYSE ET CRITIQUE
Quatrième film de David Lynch, Blue Velvet est l'œuvre qui établit les canons de son style tel qu'on l'identifie aujourd'hui et surtout celle où le réalisateur se trouve enfin. Le cauchemardesque Eraserhead (1976) avait inauguré la veine étrange et surréaliste du cinéaste, celle-ci allait s'estomper (sorti de quelques scènes et du physique de son héros) dans le plus classique Elephant Man. Cette belle ode humaniste semblait avoir noyé toute la bizarrerie de Lynch, les fans de la première heure et certains critiques hurlèrent à la trahison malgré l'accueil globalement positif et les nominations aux Oscars. Le malentendu se poursuivra avec Dune (et son refus de diriger Le Retour du Jedi) avec un déséquilibre constant entre la fresque épique spatiale attendue et les aspérités surprenantes qu'y apportera le réalisateur et qui déconcerteront le public venu voir le nouveau Star Wars. Après cet échec retentissant, David Lynch se recentre et surtout décide d'arrêter de choisir. La dichotomie entre expérimental (Eraserhead) et classicisme (Elephant Man) n'a plus lieu d'être, Lynch réalise désormais des films schizophrènes en les croisant constamment. Toutes les œuvres à suivre iront ainsi par deux : tonalité trash et histoire d'amour naïve tout en candeur (Sailor & Lula), différents niveaux de réalité schizophrènes (Lost Highway) ou fantasmés (Mulholland Drive) dans une esthétique mêlant élégance et fulgurances inédites. Fort de cette maîtrise, il se montrera bien plus convaincant en penchant ouvertement vers la simplicité (Une histoire vraie) que vers l'expérimentation pénible (Inland Empire de sinistre mémoire et son seul vrai ratage à ce jour).
Tout cela prend racine avec Blue Velvet, projet voulu plus modeste et personnel par Lynch. Le film est produit par Dino de Laurentiis qui lui mena pourtant la vie dure sur Dune, mais ce dernier toujours partant pour les tentatives aventureuses sera le seul à accepter de financer un script dont les excès effrayèrent tous les autres producteurs. Lynch instaure dès l'ouverture cette notion de dualité qui courra tout au long du film. La bande-son lance le suave Blue Velvet de Bobby Vinton tandis que défilent des chromos d'une Amérique provinciale idéalisée, la photo immaculée de Frederick Elmes et l'usage du ralenti donnant de son côté une tonalité rêvée onirique mais aussi de spot publicitaire à l'ensemble. Un incident domestique va pourtant ternir ce beau tableau avec un Lynch quittant la réalité de la scène pour enfoncer sa caméra dans le sous-sol où fourmillent les insectes. Du scintillement de ce cadre trop parfait il visitera les profondeurs plus désagréables, semble-t-il nous dire. C'est dans ce même sol que Jeffrey (Kyle MacLachlan) va trouver une oreille coupée qui, il ne le sait pas encore, sera sa porte d'entrée vers un monde de cauchemars.
L'intrigue de film noir est assez classique et attendue, et seuls les archétypes hypertrophiés qui en surgissent font l'intérêt de l'ensemble. A nouveau tout est affaire de dualité. La jeune et blonde Sandy (Laura Dern) qui va aider Jeffrey dans son enquête et nouer une touchante et innocente romance avec lui ; la chanteuse brune Dorothy (Isabella Rossellini) entourée d'un parfum de stupre est mêlée au crime qu'essaie d'élucider notre héros. Sandy reflète la part lumineuse de Jeffrey à travers la candeur dont se noue progressivement leur lien, Lynch touchant à la grâce pure à deux reprises lors d'un dialogue sur les rouges-gorges, puis plus tard lors d'une danse muette où à chaque fois se fait entendre la mélopée instrumentale puis chantée (par Julee Cruise) de Mysteries of Love sur le magnifique score d'Angelo Badalamenti (pour sa première collaboration avec Lynch). Dorothy réveille, quant à elle, les bas instincts de Jeffrey qui, prétextant son enquête, révèle sa nature de voyeur et son attrait pour le sadomasochisme. Voguant ainsi entre l'envers et l'endroit, l'ombre et la lumière, Jeffrey descendu suffisamment loin dans les ténèbres va y croiser la route de vrais monstres.
Dennis Hopper relançait sa carrière et créait un incroyable personnage de méchant avec Frank Booth. Toute la folie et cette fameuse dualité de Blue Velvet s'expriment à travers ses excès. Violemment dominateur mais en quête d'affection maternelle, d’une brutalité physique et verbale inouïe mais capable de révéler une étonnante fragilité (l'incroyable séquence où Dean Stockwell mime le In Dreams de Roy Orbison), Frank exprime une virilité exacerbée dissimulant une possible homosexualité (le rapport étrange à Dean Stockwell qu'il ne rudoie pas, la scène où il se met du rouge à lèvres) et traverse le film de manière imprévisible, à coups de poings et de shoots d'oxygène. C'est lors de la cauchemardesque odyssée nocturne avec lui que Jeffrey comprendra que ce monde n'est pas pour lui. Si la résolution s'avère un poil décevante après tout ce qui a précédé, le résultat est là. David Lynch a inventé un monde sans âge, contemporain et rétro (les voitures des années 50 côtoyant les modèles récents, la photo de Montgomery Clift dans la chambre de Laura Dern, les coiffures typiquement fifties des personnages féminins), où la fascination pour le passé s'accompagne de l'anxiété et de la menace du présent dans un mélange unique. Il trouve ici la formule magique qu'il triturera jusqu'à l'aboutissement de Mulholland Drive en forme de quasi-chant du cygne (?).
============================================================================
Niciun comentariu:
Trimiteți un comentariu