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duminică, 24 mai 2020

STALKER / CALAUZA / andrei tarkovski / 1979

Stalker - d'Andrei Tarkovsky - 1979

Publié le  par Z
La Zone, endroit désert qui a été créé suite à une chute de météorite, est interdite. Un Stalker, sorte de guide illégal de la zone, y accompagne un Professeur et un Écrivain. Ils y découvrent un univers hostile et étrange, mais au bout les attend la Chambre.

Les premières sont splendides, les secondes magnifiques.


Stalker est présenté par beaucoup comme le chef-d’œuvre de Tarkovsky. Il s'agit du deuxième film que je vois du Soviétique, après le soporifique Solaris, mais je pense pouvoir l'affirmer : Stalker EST le chef-d’œuvre de Tarkovsky.
Certains pisse-froid (et mes compagnons de visionnage du film) pourraient reprocher au film ses dialogues "poético-philosophiques" (je cite), alors qu'il s'agit d'une analyse de la condition humaine profonde mais directe. Et ces divagations avancent parfaitement au rythme de l'action.
Ce rythme est, il faut l'avouer, lent. Très lent. Et il déroutera bon nombre de spectateurs. Pourtant, cette lenteur comme ces dialogues passent ici avec un plaisir infini. Mais pourquoi ?
Car Tarkovsky est un sacré réalisateur. Il faut d'ailleurs saluer le travail de Aleksandr Kniajinski à la photographie, remarquable ! Chaque plan de Stalker est un pur bonheur pour les yeux. Rarement un tel travail sur les aspérités aura été aussi plaisant aux retines, grâce aux contrastes obtenus par le réalisateur.
Les compositions, les (très lents) mouvements de caméra, et même le hors champ, tout cela est maitrisé avec maestria. Le film enchaine les scènes dans un pseudo noir et blanc sépia et les scènes en couleurs. Les premières sont splendides, les secondes magnifiques. Est cela est encore renforcé par le contraste entre les deux. Notons que le visionnage a profité de la splendide restauration du film, disponible en HD sur la Cinetek (encore une fois...).
Reste le thème du film dont je n'est pas parlé. La Zone est une allégorie. De la dépression ? De la condition humaine ? Les possibilités sont trop nombreuses pour qu'une réponse puisse être définitive. Tarkovsky va chercher dans ses personnages tantôt le meilleur, tantôt le pire. Mais jamais pour les rabaisser. Plutôt pour les plaindre.
Un fond fascinant, une forme touchant la perfection, Stalker est un bonheur de seulement 2h40, qui passeront en un clin d’œil si l'on arrive à entrer en résonance avec le rythme sénatoriale du film. A recommander à tous ceux qui se sentent de tenter un Tarkovsky. Et à tous les autres aussi...

sâmbătă, 23 mai 2020

Sacrificiul de Andrei Tarkovski:o perspectiva critica


L'HISTOIRE

Sur une île suédoise, Alexander (Erland Josephson), lettré à la retraite, vit retiré avec son épouse anglaise (Susan Fletwood) et un enfant que tous appellent Petit Garçon. A l’occasion de son anniversaire, sa fille, un ami de la famille et Otto, le facteur de l’île (Allan Edwall) les retrouvent dans la spacieuse demeure du couple. Ce jour-là, une guerre mondiale éclate, plongeant ce petit groupe dans la panique. Alexander apprend d’Otto, un ancien instituteur qui ne livre désormais le courrier que pour financer ses recherches sur le paranormal, qu’il y a sur l’île une sorcière, à même de réaliser les désirs purs de chacun. Si Alexander, au fond de lui, vraiment, veut la paix, il l’obtiendra pour le monde entier. Cette sorcière n’est autre que Maria, la bonne de cette famille bourgeoise.

ANALYSE ET CRITIQUE

« Words, words, words. » Hamlet
« Au commencement était le Verbe. Pourquoi Papa ? »
 
En cette moitié de décennie des années 80, le divorce d'Andrei Tarkovski d’avec sa patrie natale est entièrement consommé. De ce malaise du déracinement, il a tiré Nostalghia. Il a déjà quitté l’Italie pour rejoindre la Suède. Si d’autres cinéastes slaves plus jet-setteurs (Polanski, par exemple) ont bon an mal an su s’accommoder de la vie d’exil, il va de soi que cette expérience traumatise Tarkovski et que ses derniers films (on serait tenté de parler de seconde manière) s’en ressentent fortement. Il collabore pour ce qui se sera son dernier film avec la Svenska-Filminstitutet, dans une production franco-suédoise (une certaine Claire Denis est créditée au générique). C’est donc sur les terres de Bergman (qui n’aimait guère Le Sacrifice) qu’il vient tourner… avec des collaborateurs réguliers du maître suédois. Erland Josephson, encore une fois, Allan Edwall (le père de Fanny et Alexandre), Sven Nykvist, son chef opérateur attitré, le plus grand de tous dans son métier. De fait, si le film n’est pas à l’abri de plusieurs reproches, ce n’est pas sa splendeur visuelle de tous les instants qui saurait être remise en question. Tarkovski sort son film à Cannes, où il est couronné d’un nouveau Grand Prix. La scission de son public se radicalise encore, entre ceux qui voient dans le film la preuve du gâtisme d’un mystique de plus en plus proche de la réaction et une frange catholique de la critique qui n’a plus assez de superlatifs et d’expressions béates pour le porter aux nues.
 
Le reproche qu'Ingmar Bergman fait au Sacrifice, n’est pas motivé que par la défense de son pré carré, il accuse Andréi arkovski de ce que lui-même craignait tant dans son propre travail : l’enfermement dans un système. La question se pose ainsi : Tarkovski a-t-il commencé, ici, à faire du Tarkovski ? Le cloisonnement dans un système est le danger que court tout grand metteur en scène, le moment où, entièrement sûr de sa méthode, il la retourne en procédé, aboutissant à un résultat arrogant, dénué de l’inquiétude et du labeur qui marquaient la création des chefs-d’œuvre précédents, aboutissant à une œuvre forclose, qui a les apparats de la puissance mais est incapable, comme on le demande d’un grand film, de capter la vie. Le Sacrifice est intéressant de ce point de vue car, encourant toujours ce risque, il en fait une question majeure que le film se pose à lui-même. Tarkovski doute encore et il laissera après sa disparition trop rapide le soin à d’autres qui n'ont pas compris son refus du "cinéma poétique" de faire à sa place "du Tarkovski" (nous serons forts, nous ne citerons pas Carlos Reygadas…). Ce film testamentaire questionne violemment la validité de son œuvre, de son entreprise. Elle est marquée par une peur authentique de l’échec, de la vacuité de l’engagement. Elle révèle un homme torturé, qui peu après mourra du cancer qui le rongeait, à Neuilly-sur-Seine.
 
Dès la première scène, Alexander, le protagoniste, se demande ce qu’il adviendrait du monde si nous commencions à gérer nos vies de manière entièrement systématique, répétitive, disciplinée (« Le monde en serait probablement changé »). Cet écrivain isolé sur une île, ce vieillard qui arrose sans plus savoir pourquoi un arbre, face à un enfant, c’est encore une fois le double de Tarkovski à ce moment présent de sa vie : isolé, vieillissant, las de son savoir humaniste. Il n’a pour vis-à-vis qu’un enfant mutique, une innocence qui n’a plus le don de la parole. Sa première confrontation, à Otto le Facteur, sorte de philosophe du dimanche, est un gentil échec. Alexander est un homme qui, comme Tarkovski, en luttant contre le conformisme, a oublié un autre combat, celui contre son propre snobisme. Ce qu’on comprend être un grand homme (on l’invite pour des conférences sur l’esthétique à l’Université) rit sous cape de ce personnage maladroit (il chute à vélo suite à une farce du gamin), de ses propos sur l’Eternel Retour nietzschéen (et on sait quelle place de choix occupe l’Eternel Retour dans les obsessions tarkovskiennes). Nous apprendrons plus tard qu’Alexander fut comédien, qu’il renonça aux planches par sentiment d’inauthenticité, de honte de cette exhibition, ce que ne manque pas de lui reprocher sa femme, habituée aux mondanités et qui ne cache pas son besoin de reconnaissance sociale. Renoncer au théâtre, c’est sous une forme métaphorique renoncer à la représentation de soi, à un rôle, à la vie en société. Ce faisant, Alexander a renoncé au monde (auquel nous n’avons pas accès seul, mais dans une communauté de culture), il s’est insularisé. Il pérore, seul, dans une forêt (sur le cours désastreux du monde, l’échec du progrès, l’absence de haute conscience en l’homme), sans interlocuteur. Son monologue, qui laisse le spectateur dans un certain agacement, est interrompu par l’enfant, lui sautant au cou et qu’il blesse involontairement.
 
Les (longs) monologues philosophiques parsemant le film plongent le spectateur dans une sensation de malaise. On peut admirer le brio de Tarkovski à les mettre en scène dans une langue (le suédois) qui n’est pas la sienne. On peut aussi soupçonner dans cette distance linguistique le fait que Tarkovski ne fait plus siennes ces paroles. « Words, words, words… », comme dit Alexander, citant le Hamlet qu’il jouait. Le seul personnage innocent du film, l’enfant, est celui qui ne parle pas. Ce qui pointe dans Le Sacrifice, c’est l’angoisse bien présente que ce que Tarkovski n’a cessé de dire (sur la quête de sens, les fourvoiements de la modernité) ne soit que du radotage. L’humaniste est devenu misanthrope, celui qui cherche la beauté dans les toiles médiévales est incapable d’en mettre dans sa vie. Et entre la sympathique vacuité de Victor, son ami qui s’apprête à fonder une clinique (un matérialiste, donc, dans la logique du film) en Australie (pays se caractérisant par une absence revendiquée d’Histoire), et sa vie de reclus, le spectateur est bien en peine de décider qui vraiment se fourvoie.
 
Cette petite compagnie (Alexander, son épouse, sa fille, l’ami, qui est aussi ancien amant de la femme, l’enfant, dit « Petit Garçon », Otto le Facteur, la bonne) est réunie pour l’anniversaire du patriarche. Nous découvrons en son épouse une quinquagénaire aux comportements de diva, une sorte de marâtre acariâtre incapable d’écoute ou d’une quelconque empathie (le portrait fait plus que friser la misogynie), en sa fille et en l’ami des bourgeois assez quelconques et en Otto, un idiot du village comme l’œuvre de Tarkovski en est pleine, qui dans sa passion du paranormal révèle une sagesse insoupçonnée. Son travail de facteur ne lui sert qu’à financer des excursions servant à rencontrer des personnes qui ont été témoins de phénomènes inexplicables. Ainsi de cette femme, dont le fils mort à la guerre serait apparu sur une photo, le genre d’histoires étranges convoquant le mystère qui fascinait Tarkovski. C’est après avoir raconté cet épisode qu’il est pris d’un malaise et chute. La guerre commence alors, des avions survolent la maison. Nous ne verrons nulle trace de la lutte, tout au plus un commentaire télévisé sans que nous ne voyions ce qui est montré à l’écran. Cette guerre qui se déclare, on le comprend, n’a rien d’un commentaire sociopolitique ; elle sert, comme La Honte de Bergman l’utilisait à l’époque du conflit vietnamien, à exacerber les tensions entre les personnages. La panique les prend, la mère est prise d’hystérie, ne contient plus sa rage alors que dehors il tonne.
 
Adelaide (Susan Fletwood), cette épouse haineuse, est celle par qui la guerre se déclare. Elle réagissait très vivement à l’histoire d’Otto, ne le laissant pas finir, l’assaillant de remarques au bord de la stupidité (en réponse par exemple au fait que la mère n’était pas tout de suite allée chercher ses photos après avoir appris le décès de son fils, qu’elle, y aurait couru immédiatement). Elle représente l’idée schématique que se fait Tarkovski de l’individu moderne : frivole, égocentrique, obsédée par la dimension sociale des choses, incapable d’accepter ce qu’on ne peut pas expliquer. Elle est celle qui, la guerre faisant rage au dehors, voudra, par perversité, réveiller Petit Garçon qui dort, donnant ainsi lieu au premier sacrifice du film : la bonne qui s’interpose, et déclare être prête à subir elle-même un châtiment pour qu’on ne vole pas à un enfant son dernier moment d’innocence. Pas foncièrement mauvaise, l’épouse fondra en larmes devant cette manifestation d’altruisme, cette prise en compte de l’autre (c’est bien cela, le sacrifice que prône Tarkovski), dont elle est incapable. Adelaïde est un être malade, car elle ne peut pas aimer les autres. « J’en ai aimé un et j’ai marié l’autre » dit-elle à propos de Victor et d’Alexander. Elle refuse d’aimer car l’amour, explique-t-elle, implique toujours l’acceptation d’une position de vulnérabilité et que la faiblesse est intolérable à cette femme obsédée par l’emprise sociale. Cette observation est juste pour elle-même, mais elle est égoïste. Cette épouse a accompli un sacrifice aux yeux des autres (elle a quitté sa belle vie londonienne pour vivre en recluse sur une île suédoise), mais pour des raisons hétéronomes, une forme triviale d’opportunisme. Le sacrifice implique au contraire de placer le souci de soi après celui des siens. Pour Tarkovski, il ne peut y avoir de salut face à la capacité d’autodestruction de l’homme et de la planète qu’indique sa dernière guerre, de maturité humaine que dans un monde peuplé d’êtres humains qui, face à la catastrophe, pensent à la vie de leurs proches avant la leur. (Il est certes hautement discutable que le film demande des comptes de ce sacrifice à la mère en particulier, et non à sa fille ou à son mari. Nos jugements nous jugent et ce personnage déplaisant de mère folle éclaire sous un jour peu avantageux les précédentes femmes à fort caractère de l’œuvre d’un cinéaste aux relations difficiles avec l’autre sexe.)
 
Cette guerre qui fait rage au dehors, c’est aussi pour Tarkovski (nous sommes en 86, avant la chute du Mur) la crainte, encore présente pour tous alors, du cataclysme nucléaire. (Risque existant toujours, si l’on en croit l’avancée annuelle de l’horloge atomique). Face au chaos, la première impulsion d’Alexander est de se préparer à abattre l’enfant qui dort, à tuer, devant l’horreur du monde, la dernière innocence. Ce sacrifice (rappelant Abraham prêt à sacrifier son fils), il y renonce. Il apprend alors, de la bouche d’Otto, qu’un miracle est possible : il lui faut passer une nuit chez la deuxième de ses bonnes, Maria, qui est une sorcière « mais dans le bon sens du terme. » S’il peut l’aimer, son vœu le plus cher se réalisera. Cette configuration rappelle la planète des vœux accomplis de Solaris (qui virait au cauchemar, l’Humanité n’étant pas prête pour vouloir ce qui lui est bon) ou la chambre des désirs de Stalker (qui interrogeait aussi notre capacité à assumer nos désirs les plus enfouis). Alexander doit éprouver sa propre capacité à désirer le bien. Se rendant à vélo chez la bonne en pleine nuit, il se confie à elle, révèle sans fard son amertume, sa déception face au monde (en l’image d’un jardin d’enfance magnifique qui lui était devenu horriblement indifférent), son désenchantement. Il l’émeut, puis l’effraie en lui révélant ses pulsions suicidaires, elle se dénude, prend le vieil homme comme un enfant. Ils lévitent, dans une image à la sensualité inattendue du besoin humain de se réconforter dans l’intimité face à la douleur de l’existence. Il y a chez Tarkovski la conviction (présente aussi chez Bergman) que la capacité à créer une collectivité juste, une société acceptable, passe par la possibilité de réaliser le bonheur dans un cadre conjugal, familial. Le rapport de l’homme à la femme devient un enjeu de première nécessité : si je ne peux rejoindre cette autre, quel espoir ai-je de rejoindre une communauté humaine abstraite ?
 
Le miracle advient, dans un calme paradoxal, une indifférence de ceux qui quelques heures avant craignaient encore pour leur vie. On prend le petit-déjeuner dans le jardin, dans une ambiance tchekhovienne. Petit Garçon a disparu, personne ne s’en incommode trop. Alexander lui, fuit la maison où il est rentré dès son réveil, ne laissant qu’une lettre dans laquelle il demande pardon d’avance pour ce qu’il va faire. On part sans hâte à sa recherche. La suite, le sacrifice final, justifie à lui seul ce film dont nous ne savons nous-mêmes pour le reste quoi penser exactement. Le Sacrifice, quoiqu’impressionnant, ne nous envoûte pas comme les œuvres précédentes du réalisateur. La narration, bien que totalement linéaire, n’a pas la rigueur de ses précédents scripts. Sa lenteur nous apparaît, pour la première fois chez Tarkovski, injustifiée par rapport à ce que disent les plans, ses ruptures chromatiques ne nous semblent pas tenir d’une nécessité telle que nous la sentions dans l’évidence des changements de ton du Miroir ou de ses œuvres suivantes, ses inserts apocalyptiques dans des escaliers suédois sur une modernité en désarroi nous sortent de l’histoire plus qu’elles ne nous y ancrent, ses allusions picturales nous semblent pour la seule fois de sa carrière remplir un rôle élitiste. Lui qui a tant insisté sur l’autonomie du cinéma par rapport au théâtre et à la peinture verse ici dans le picturalisme et une gênante théâtralité. Nous suivons cet état de crise et d’isolement dans une certaine torpeur et sommes embarrassés de ne pas discerner si celle-ci nous fait dévier du film ou si elle en constitue au contraire le propos dans les deux premiers tiers. Toujours est-il qu’ils nous mènent quelque part, vers ce final, parmi les plus poignants qu’ait tournés Tarkovski.
 
Alexander, vêtu d’une robe de chambre surmontée du Yin et du Yang (nous avons appris par ses proches qu’il est, comme Tarkovski, un fervent asianophile), revient dans la maison vide, enclenche une musique sacrée asiatique sur son installation audio, remplit la pièce centrale des meubles de la maison, y met le feu, dans l’esprit d’un sage zen renonçant au confort, à la façon aussi d’un autel de l’Ancien Testament. Cela étant fait, il sort. S’ensuit un plan-séquence où ses proches reviennent tous contemplant le désastre, dans l’hystérie pour son épouse, l’exaltation pour Alexander qui se jette aux pieds de Maria et lui déclare tout son amour avant qu’une ambulance ne vienne chercher celui qu’on va placer dans un asile d’aliénés, laissant les autres face à la désagrégation de la bâtisse en flammes. Seule Maria s’éloigne, à bicyclette, libre comme ne le sont aucuns des autres personnages. Ce plan-séquence à l’exécution parfaite (du moins dans sa seconde version, la pellicule ayant cessé de filmer lors de la première mise à feu du bâtiment, ce qui  a nécessité de le reconstruire pour tourner à nouveau) exprime le point de crise irrésoluble où se trouve Tarkovski : son projet sublime le met au ban de la communauté des hommes, celui qui a retrouvé un cœur pur est écarté de la vie civile. En réalisant une utopie que l’on n’ose même pas rêver (celle d’une classe dominante renonçant d’elle-même à ses privilèges), il se fait paria, dans un sacrifice quasi-christique, mais qui a tout d’un échec. Le projet transcendant d'Andrei Tarkovski s’accomplit dans une impasse sociale.
 
Tarkovski semble nous dire ici que non seulement il n’aura jamais parlé à sa classe d’accueil (la bourgeoisie "éclairée" européenne), mais que de plus il n’aura pas su s’allier à d’autres. Alexander n’aura été proche de réaliser un accord humain qu’avec Maria, fille du peuple, mais celle-ci retourne à sa vie et lui à une aliénation totale. D’un point de vue strictement individuel, son projet a échoué. Mais le regard de Tarkovski dépasse toujours l’individu. Et c’est pourquoi il termine, non pas sur son double, mais sur son enfant, la génération future, qui parle soudain, nous plus pour affirmer comme dans les monologues du père mais pour interroger (« Au commencement était le Verbe. Pourquoi Papa ? »), alors que la présence non loin de Maria se fait amicale. La parole est redonnée au fils, la caméra monte de l’arbre qu’il vient d’arroser en prenant exemple sur Alexander (l’enracinement dans une tradition humaniste) jusqu'à son sommet qui nous révèle non pas un ciel mais une mer brillante, image de la liberté fondamentale de l’homme, appelant sans cesse à un dépassement de l’Humanité, un défi de transcendance pour la génération nouvelle (le XXIème siècle qui contemple le chaos du XXème par les films de Tarkovski). Tarkovski dédie par un carton le film à son fils laissé en Russie (que, selon son souhait, il reverra bientôt), « avec espoir et confiance ». Cet arbre de la vie culturelle, l’artiste ne l’arrose pas pour soi (il n’en verra pas les fruits) mais pour des fils qui prendront la relève, avec la même aspiration à un accomplissement de la liberté humaine, dans la capacité à aimer l’autre.
 
« Je vois comme ma tâche particulière de stimuler réflexion sur ce qu’il y a d’éternel et de spécifiquement humain, qui vit dans l’âme de chacun, mais que l’homme ignore le plus souvent, bien qu’il ait là son destin entre les mains : il poursuit à la place des chimères. En fin de compte, pourtant, tout s’épure jusqu’à ce simple élément, le seul sur lequel l’homme puisse compter dans son existence : la capacité d’aimer. Cet élément peut se développer à l’intérieur de l’âme de chacun, jusqu’à devenir le principe directeur capable de donner un sens à sa vie. Mon devoir est de faire en sorte que celui qui voit mes films ressente le besoin d’aimer, et qu’il perçoive l’appel de la beauté. » Andréi Tarkovski (Le Temps Scellé, Andrei Tarkovski, 2004, Petite Bibliothèque des Cahiers).

DANS LES SALLES

DISTRIBUTEUR : TAMASA
DATE DE SORTIE : 27 JUIN 2018

EN SAVOIR PLUS

La fiche IMDb du film
http://www.dvdclassik.com/critique/le-sacrifice-tarkovski


Par Jean Gavril Sluka - le 23 mars 2012
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Le sacrifice

 
   
 
1986
Genre : fantastique
(Offret). Avec : Erland Josephson (Alexandre), Susan Fleetwood (Adélaïde), Valérie Mairesse (Julia), Allan Edwall (Otto), Gudrun S. Gisladottir (Marie). 2h22. 117 plans.
 

Voir : édition DVD
 
Sur l’île où il réside, Alexandre est au bord du chemin avec son jeune fils, Petit Garçon, qui vient d'être opéré des cordes vocales et ne peut parler. Tout en plantant un arbre mort, il lui raconte une légende japonaise : en arrosant régulièrement le pied de l'arbre et en y croyant, il reprendra vie.
La saison du soleil de minuit approche sur cet endroit calme de l'île de Gotland où Alexandre, écrivain et ancien comédien, s'est retiré avec sa famille. Ce soir, Alexandre célèbre son anniversaire entouré de quelques proches ; Otto, le facteur philosophe qui fait souvent référence à Nietszche, Adélaïde, l'épouse, Marta, la fille aînée, Victor, l'ami, Julia la gouvernante. La famille semble traverser une grave crise. Adélaïdeaime le médecin-ami de la famille qui excédé de tout est sur le point d’émigrer en Australie Au cours de cette nuit d'été, soudain : une forte secousse, les couleurs disparaissent, la télévision annonce qu'un conflit nucléaire vient d'éclater, puis l'émission est arrêtée...
Alexandre, en quête de vie spirituelle, sombre peu à peu dans le désespoir. Il songe même à se suicider, mais une visite, dès l'aube, à Maria, la jeune servante islandaise, dotée de pouvoirs bénéfiques, lui montre le chemin. Au matin, il constate que tout est redevenu comme avant. En communion avec Dieu, il accepte de se sacrifier pour sauver les siens, son fils, l'humanité. Il renonce aux biens matériels en mettant le feu à sa datcha et perd la raison. Il est interné. Sous l'arbre mort qu'il continue d'arroser, Petit Garçon rêve, il prononce d’une voix enrouée : « au commencement était le verbe. Pourquoi Papa ? ».
 
Plan séquence de 5'50 de la destruction de la maison par le feu et de l'ambulance emportant Alexandre. Le dernier plan de son dernier film, reprend le premier plan de son premier, L'enfance d'Ivan (1962). C'est un panoramique ascendant sur un arbre qui révèle une nature magnifique.
Test du DVD
Editions Potemkine et Agnès B. Novembre 2011. Coffret 8 DVD: L'intégrale des courts et longs métrages d'Andrei Tarkovski.
Suppléments :
  • Présentation de chacun des films par Pierre Murat
  • Entretiens avec les proches collaborateurs du cinéaste
  • Meeting Andrei Tarkovski de Dmitry Trakovsky (2008 – 90 min).

vineri, 22 mai 2020

Tombeau de Tarkovski


Andrei Tarkovski est inhumé en France au cimetière russe de Sainte-Geneviève-des-Bois.

Le blog de David Sanson

Tombeau de Tarkovski


L’entretien que l’on va lire avec le pianiste François Couturier a été réalisé pour le quatrième numéro de la revue Questions d’artistes, éditée par le Collège des Bernardins. Je le publie ici à la veille du tout premier concert parisien (le 13 septembre aux Bernardins, donc) du Tarkovsky Quartet, la formation à la tête de laquelle François Couturier poursuit son compagnonnage spirituel avec l’œuvre du cinéaste. Compagnonnage qui a donné lieu à trois magnifiques disques parus chez ECM.
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Comment est né ce projet autour d’Andrei Tarkovski(1), et cette trilogie de disques ?
François Couturier : « Tout est parti de la relation que j’ai développée avec Manfred Eicher, le fondateur du label ECM, grâce aux deux disques d’Anouar Brahem auxquels j’ai participé. Or, Manfred Eicher fonctionne beaucoup au “feeling” pour choisir les gens avec lesquels il travaille. Mon jeu dans Le Pas du chat noir, ma façon d’appréhender cette musique lui avaient beaucoup plu, et il m’a proposé de faire un disque solo. J’ai tout de suite pensé à un hommage à Tarkovski, tout simplement parce que toutes disciplines confondues, c’est l’un des artistes qui m’a le plus marqué. À partir d’Andrei Roublev, j’ai vu tous ses films au fur et à mesure qu’ils sortaient en salles, je me suis intéressé à tout ce qui avait trait à ce cinéaste. Aujourd’hui encore, il m’arrive régulièrement de mettre un DVD et de regarder dix minutes d’un film… Le propre des films de Tarkovski est d’être à la fois immédiatement reconnaissables – avec cet univers particulier, ces images, cette façon de filmer unique – et très différents les uns des autres. Comme des espèces de bulles…
Lorsque je lui ai soumis cette idée, Manfred Eicher a tout de suite été enchanté, parce qu’il adore l’univers de Tarkovski. Il connaissait son épouse Larissa, et lui-même est non seulement cinéphile, mais aussi cinéaste, puisqu’il a réalisé un film avec Erland Josephson(2)… Les choses ont un peu traîné, car c’était le premier disque sous mon nom que je faisais depuis des années : après avoir beaucoup partagé le leadership, je me retrouvais en position de “kapellmeister”… Je suis fidèle en amitié et en musique, j’aime bien travailler avec les mêmes personnes – ce qui, soit dit en passant, est souvent considéré négativement en France, alors pourtant que plus on joue avec les gens, mieux on les connaît, et plus la musique est profonde… J’ai voulu travailler avec l’accordéoniste Jean-Louis Matinier – que Manfred connaissait parce qu’il avait lui aussi participé aux disques d’Anouar – et le saxophoniste Jean-Marc Larché, avec lesquels j’avais un trio. Mais je cherchais en plus un instrument grave, clarinette basse ou autre. C’est alors que j’ai entendu Anja Lechner, et j’ai vraiment aimé la façon qu’elle avait d’aborder le violoncelle… C’est donc avec ce quartet que j’ai enregistré Nostalghia – Song for Andrei Tarkovsky, dont je n’imaginais pas du tout qu’il aurait une suite. Et puis j’ai poursuivi ma relation avec ECM avec un disque en solo, Un jour si blanc – le titre que Tarkovski avait à l’origine donné au Miroir, et qui est aussi celui d’un très beau poème de son père, Arseniy Tarkovski. Et puis Manfred, qui lui aussi est quelqu’un de très fidèle, m’a proposé de faire un troisième disque, cette fois sous le nom de Tarkovsky Quartet, car il aime bien les entités. De fait, même si c’est moi qui propose les structures musicales et les thèmes, le Tarkovsky Quartet est vraiment devenu un groupe. Dans Nostalghia, il y avait plus de duos que de véritables passages en quatuor. C’est en cela que ce dernier disque est vraiment l’œuvre d’un quartet. On joue beaucoup ensemble, en fait ; il y a évidemment quelques solos, mais j’ai beaucoup orchestré pour quatuor, et il y a beaucoup d’improvisations, aussi, ensemble. Manfred comme moi aimons bien ces moments d’improvisation totale, en studio ou en concert.
En 2010, dans un entretien avec le site Citizenjazz.com, vous disiez envisager la composition avant tout comme une espèce de cadre à l’intérieur duquel vous pouvez improviser. Vous disiez aussi composer la plupart du temps en vue d’un projet discographique…
« C’est surtout que je ne me sens pas compositeur du tout, je me sens davantage improvisateur. De fait, si je n’ai pas un projet de groupe, de concert ou de disque, je ne compose pas. Alors, je me fais presque violence, et j’accouche dans la douleur (parce que ça ne vient pas automatiquement)… Mais bizarrement, même des gens très musiciens ne savent pas toujours distinguer les passages improvisés des passages composés. J’en suis évidemment très content, puisque c’est ce que je cherchais. Il y en a même qui croient que tout est écrit. Tout est très structuré, mais suivant des structures évolutives, très différentes du jazz traditionnel. On ne s’interdit rien, de toutes façons il y a des passages modaux, d’autres mélodiques, d’autres encore atonaux… C’est ce que je revendique : quelque chose qui mélange des éléments de la musique contemporaine et des choses plus proches d’Anouar Brahem, c’est-à-dire très mélodiques. Ce qui correspond d’ailleurs au cinéma de Tarkovski, à la fois très lent et à d’autres moments excessivement violent. Cette opposition entre le silence et la violence…
Quels sont les liens entre la musique et les films de Tarkovski ? Avez-vous eu besoin du support des images pour composer ?
« Le premier CD, c’était plutôt des atmosphères, des impressions que je ressentais face à certains films, des hommages à des acteurs, etc. Avec ce nouvel enregistrement en quatuor, j’ai surtout voulu rendre hommage à l’univers de Tarkovski. Dans son Journal(3), par exemple, il écrit que son roman russe préféré est L’Idiot, c’est pourquoi j’ai donné le titre Mychkine à un morceau, après l’avoir composé…
Excepté dans ses deux premiers films, il n’y a pas du tout de musique dans le cinéma de Tarkovski. Lui-même disait qu’un film n’avait pas besoin de musique. Les bandes-son sont extrêmement intéressantes : c’est souvent de la musique électronique d’Edouard Artemiev mêlée à des sons environnementaux mixés de façon tout à fait particulière – un verre d’eau qui se brise, dont le volume est démultiplié et retravaillé, par exemple. On peut reconnaître les films de Tarkovski rien qu’au son, à l’espace sonore. Mettre un film et faire de la musique dessus aurait donc été non seulement complètement idiot, mais surtout contraire à l’intention même du réalisateur… En revanche, à côté de cette musique électroacoustique, Tarkovski insérait aussi des extraits des compositeurs qu’il adorait, au premier rang desquels Bach, qui était de loin son compositeur préféré – et le mien aussi. Ainsi, le dénominateur commun de ces trois disques est de faire intervenir des musiques que Tarkovski a lui-même utilisées. On retrouve des citations de Bach dans mes trois disques : un choral dans le solo, ou encore, sur le CD du Tarkovsky Quartet, dans le morceau qui s’appelle La Passion selon Andrei (qui était l’un des premiers titres de travail d’Andrei Roublev), un extrait de la Passion selon saint Jean, qu’il utilise dans Le Sacrifice ; là, j’ai simplement pris les deux parties vocales de soprano et d’alto, je les ai distendues un peu en les attribuant au soprano et au violoncelle, et puis j’ai composé tout un environnement sonore complètement différent, avec une espèce de boucle… J’ai aussi utilisé du Pergolèse – le Quis est homo du Stabat Mater –, autre compositeur qu’il adorait… et puis des compositeurs russes dont le climat musical me paraissait proche de l’univers de Tarkovski – Schnittke dans le premier disque, Chostakovitch dans le dernier.
Ce projet discographique a donné lieu à une déclinaison scénique, avec des images conçues par Andrei Tarkovski Jr. Comment s’est passée votre rencontre avec le fils du cinéaste(4) ?
« Ce qu’il faut dire d’abord, c’est que ce projet du Tarkovsky Quartet, que nous avons joué des dizaines de fois dans des endroits prestigieux, à l’étranger, n’a encore jamais été présenté à Paris. Nous avons eu du mal à trouver un endroit assez “ouvert”… Parallèlement, donc, à notre concert aux Bernardins, trois jours après, nous donnons un concert à Royaumont, mais dans une formule complètement différente, puisqu’il s’agira là d’une création audiovisuelle avec le fils de Tarkovski.
L’histoire est très simple. Lorsque Nostalghia est sorti, nous l’avons bien entendu envoyé à Andrei – puisque pour le livret, Manfred lui avait demandé l’autorisation d’utiliser des photos de films. Il nous a fait venir chez lui, à Florence, où il vit dans l’appartement qu’habitait son père avant de venir en France. Nous avons décidé de travailler ensemble sur un projet commun. Un projet assez singulier, parce que justement, il ne s’agit pas de faire de la musique de film muet – ce serait, comme je vous le disais, une hérésie –, mais plutôt d’installer une relation très particulière entre l’image et la musique.
À la limite, nous pourrions ne pas regarder l’image, en fait. Durant une semaine de résidence à Royaumont, Jean-Marc Larché, Andrei et moi avons choisi des choses parmi les archives de son père, ses Polaroïds, et des extraits de films retravaillés par Andrei. Tout un matériau qu’il utilisera pour nous suivre, réagissant en fonction de nous – avec deux moments où nous arrêtons de jouer, et où l’on entend la voix de Tarkovski dire des poèmes d’Arseniy Tarkovski, son père, avec juste un instrument qui ponctue. Comme une méditation autour du personnage de Tarkovski.
Vous qui avez dit adorer le pianiste Paul Bley parce qu’il avait introduit le silence dans la musique, que vous inspire le terme de « minimalisme » ?
« Je m’y retrouve tout à fait. Certains critiques de jazz me le reprochent même parfois. La plupart du temps notre musique n’est pas démonstrative du tout – mais plutôt lente, avec des improvisations où il y a assez peu de notes, pas du tout virtuoses, qui sont plutôt sur le son et sur le silence. »
Notes :
1. Le nom du cinéaste est orthographié à la française, en revanche, le nom du Tarkovsky Quartet respecte la graphie anglo-saxonne.
2. Holozan, en 1992 ; comédien fétiche de Bergman, le Suédois Erland Josephson (disparu le 25 février dernier) a joué dans les deux derniers longs métrages de Tarkovski.
3. Andrei Tarkovski, Journal 1970-1986, trad. Anne Kichilov et Charles H. de Brantes, Paris, Cahiers du Cinéma, 2004.
4. Une discussion avec François Couturier et Andrei A. Tarkovski suivra le concert de demain aux Bernardins.

miercuri, 20 mai 2020

Solaris, 1972; r. Andrei Tarkovski



Solaris, 1972
r. Andrei Tarkovski
sc. Fridrih Gorenstein, Andrei Tarkovski
cu Danatas Dabiotis (Kris Kelvin)
Natalia Bondarciuk (Hari)
Anatoli Solonitin (dr. Sartorius)
Juri Jarvet (dr. Snout)



Stanislaw Lem, Solaris Dacia, 1974, traducere din poloneza Adrian Rogoz și Teofil Roll
Stanislaw Lem, Solaris, Nemira, 2014,2018 ( tr.Adrian Rogoz și Teofil Roll)