L'HISTOIRE
S’il est désormais difficilement contestable que Ridley Scott a alterné durant sa carrière le bon et le franchement moins, on en oublie parfois à quel point ses débuts avaient été fulgurants, lorsque, jeune réalisateur de télé anglais approchant la quarantaine, il avait adapté Joseph Conrad avec ces Duellistes (enchaînant ensuite sur Alien puis Blade Runner, mais ceci est une autre histoire...). L’histoire donc de deux hussards de l’armée napoléonienne, D’Hubert et Féraud, engagés dans une absurde rivalité à mort pour des raisons qu’eux-mêmes finiront par ignorer. En effet, en plaçant comme préalable à toute leur relation l’indéfectible question de l’honneur, le film ne se concentre jamais sur le "pourquoi" de leur antagonisme, mais sur le "comment" et, en exposant les subtilités du règlement interne de l’armée impériale (interdisant par exemple les duels entre officiers de grades différents), pousse la logique de leur opposition jusqu’à l’absurde (les prouesses militaires de Féraud ne se justifiant ainsi probablement que par son avidité de revanche). Il y a quelque chose de sublimement pathétique dans l’orgueil de ces hommes qui, non seulement voient leur destin modifié par l’ampleur de cette rivalité, mais en viennent même à ne vivre leur existence que par le prisme d’icelle - le destin des femmes les fréquentant étant d’ailleurs un cruel révélateur à leur aveuglement. Il y a également presque quelque chose de mystique dans leur inappréhensible quête, en tout cas une tragédie qui dépasse l’entendement, et par l’insaisissabilité même de son postulat, Les Duellistes atteint ainsi une étonnante force dramatique, constamment renforcée par l’incroyable inspiration de la mise en scène de Ridley Scott.
Le film étant rythmé par ses duels, Scott confère à chacun d’entre eux une intensité spécifique, que ce soit par son mode opératoire (à l’épée, à cheval, au pistolet...), par des jeux de cadrage ou de montage propres, ou par une gestion bien particulière de l’espace. On peut ainsi constater que, tout en se déroulant presqu’exclusivement en extérieurs (naturels, précisons-le, ce qui explique le faible budget d’un film semblant avoir coûté cent fois plus), Les Duellistes dégage un sentiment presque oppressant de cloisonnement, insistant sur la grande solitude de ses protagonistes, la brume quasi-spectrale les enveloppant ne faisant que les emmurer d’avantage dans leur obstination, que les confronter encore plus à leurs fantômes intérieurs. D’ailleurs, si Michael Moriarty et Michael York étaient au départ pressentis pour incarner Féraud et D’Hubert, on ne peut que saluer les performances de leurs remplaçants : Keith Carradine apporte à D’Hubert une secrète élégance qui ne fait que renforcer le mystère du personnage. Quant à Harvey Keitel, dans le rôle de Féraud, il est absolument tétanisant, évoluant constamment sur le fil de la folie sans jamais basculer d’un côté ou de l’autre, et joue de l’absence concrète de motivations du personnage pour en renforcer l’inquiétante imprévisibilité (illustrée à merveille par sa fascinante dernière apparition). Mais, incontestablement, la plus grande qualité des Duellistes, la raison qui suffirait, indépendamment de tout ce qui vient d’être évoqué et qui ne fait qu’en renforcer la réussite, à en recommander urgemment la découverte, c’est sa magnificence visuelle. La picturalité des cadres et la richesse des atmosphères - convoquant aussi bien Vermeer que Turner - composées par Frank Tidy (dont c’était le premier travail au cinéma !), loin de ne composer qu’un livre d’images désincarné, ne font que renforcer la trouble atypicité d’un film à la splendeur rare, en tout état de cause - et selon nos critères - l’un des plus "beaux" de toute l’histoire du cinéma.
Les Duellistes
Les Duellistes
Titre original | The Duellists |
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Réalisation | Ridley Scott |
Scénario | Gerald Vaughan-Hughes (Scénario) Joseph Conrad (livre) |
Acteurs principaux | |
Pays d’origine | Royaume-Uni |
Genre | Histoire, drame, aventure |
Durée | 95 minutes |
Les Duellistes (The Duellists) est un film britannique de Ridley Scott, sorti en 1977. Le film met en scène Keith Carradine et Harvey Keitel.
Prix de la première œuvre à Cannes en 1977, le scénario est tiré de la nouvelle Le Duel de Joseph Conrad, parue en 1908.
Synopsis
En 1800 à Strasbourg, le lieutenant Gabriel Féraud du 7e Régiment de Hussards blesse grièvement le neveu du maire durant un duel à l'épée. Le brigadier-général Treillard ordonne alors au lieutenant Armand d'Hubert du 3e Régiment de Hussards de le trouver pour le mettre aux arrêts. D'Hubert retrouve Féraud dans le salon d'une dame, et ce dernier prend l'ordre d'arrêt pour un affront et incite Hubert à un duel au sabre, qui s'achève à l'avantage de d'Hubert.
Devant l'attitude vengeresse et déraisonnable de Féraud, un ami de d'Hubert l'informe des moyens d'éviter un prochain duel ; s'ils ne se retrouvent pas physiquement au même lieu, s'ils sont d'un différent grade dans l'armée, et si la nation est en guerre, ce qui devient le cas. Six mois plus tard en 1801 suit une courte période de paix où Féraud et d'Hubert se recroisent à Augsbourg. Lors de leur nouveau duel à l'épée, d'Hubert est sérieusement blessé. Recouvrant ses forces, il s'entraîne aux armes pour se préparer pour le prochain combat où les deux officiers combattent au sabre jusqu'à l'épuisement mutuel. Peu après, d'Hubert est promu capitaine.
En 1806 à Lübeck, d'Hubert est reconnu dans une brasserie par Féraud, qui a également été promu capitaine et qui le provoque à un nouveau duel. Le duel a lieu à cheval, et d'Hubert réussit à blesser Féraud au sommet du front. Féraud est ensuite transféré en Espagne, ainsi les deux officiers ne se rencontrent plus jusqu'à ce que la Grande Armée soit réunie en 1812 durant la campagne de Russie. Les deux hommes se retrouvent seuls et combattent un petit groupe de cosaques, après quoi d'Hubert propose à Féraud que leur prochain duel se fasse au pistolet.
Deux années passent, et durant l'exil de Napoléon à l'île d'Elbe, d'Hubert, désormais général de brigade, guérit paisiblement d'une blessure à la jambe dans son domaine de Tours avec sa sœur. Cette dernière lui présente Adèle, et le couple se marie. Peu après, un agent bonapartiste retrouve d'Hubert afin qu'il rejoigne l'Empereur qui vient de s'échapper de son exil, mais d'Hubert refuse. En apprenant les nouvelles, Féraud, également général de brigade, accuse d'Hubert d'avoir toujours manqué de loyauté envers l'Empereur. Après les Cent-Jours, Napoléon est finalement défait et d'Hubert rejoint les armées de Louis XVIII. Il apprend que Féraud a été arrêté et sera exécuté pour son ralliement à Napoléon, et convainc le ministre de la police Joseph Fouché d'épargner Féraud, mais souhaite que son intervention en sa faveur reste secrète.
Peu après, Féraud retrouve d'Hubert et le provoque en duel aux pistolets. Mais pendant le duel, Féraud tire ses deux pistolets sans toucher d'Hubert, il est donc à sa merci. D'Hubert choisit d'épargner Féraud, mais l'informe que sa vie désormais lui appartient et qu'il devra se soumettre à sa volonté en agissant comme mort dans le cas d'une éventuelle prochaine rencontre.
Fiche technique
- Titre : Les Duellistes
- Titre original : The Duellists
- Réalisation : Ridley Scott
- Scénario : Gérald Vaughn-Hughes d'après The Duel de Joseph Conrad
- Musique : Howard Blake
- Photographie : Frank Tidy
- Montage : Pamela Power
- Direction artistique : Bryan Graves
- Décors : Peter J. Hampton
- Costumes : Tom Rand
- Production : David Puttnam
- Sociétés de production : Paramount Pictures, Enigma Productions et Scott Free Enterprises
- Sociétés de distribution : Paramount Pictures (USA) et Cinema International Corporation (UK)
- Pays d'origine : Royaume-Uni
Distribution
- Harvey Keitel (VF : Pierre Trabaud) : Gabriel Féraud
- Keith Carradine (VF : Bernard Murat) : Armand d'Hubert
- Albert Finney (VF : Pierre Garin) : Joseph Fouché
- Edward Fox : le colonel bonapartiste
- Cristina Raines (VF : Béatrice Delfe1) : Adèle
- Robert Stephens (VF : William Sabatier) : le général Treillard
- Tom Conti (VF : Jacques Thébault) : le docteur Jacquin
- John McEnery (VF : Roger Crouzet): le témoin de Féraud lors du duel final
- Arthur Dignam : le témoin borgne de d'Hubert lors du duel final
- Diana Quick : Laura
- Alun Armstrong : le lieutenant Lacourbe
- Maurice Colbourne : un témoin de Féraud
- Gay Hamilton : la maîtresse de Féraud
- Meg Wynn Owen : Léonie
- Jenny Runacre : Mme de Lionne
- Alan Webb (VF : Claude D'Yd) : le chevalier de Rivarol
- Matthew Guinness : le neveu du maire de Strasbourg
- William Morgan Sheppard : le maître d'armes
- Liz Smith : la diseuse de bonne aventure
- Hugh Fraser : un officier
- Luke Scott : un fils de Léonie
- Pete Postlethwaite : l'ordonnance rasant le général Treillard
- Stacy Keach : le narrateur (voix)
Inspirations
Le modèle du personnage de Gabriel Féraud
À l'issue de repérages dans le sud-ouest de la France, Ridley Scott choisit Sarlat et ses alentours (le château de Commarque) comme décor pour son film. Il a également choisi le château du Repaire (entre St Martial de Nabirat et Salviac). Le pays sarladais est une région humide et aussi verte (selon lui) que l'Irlande ; elle correspond à l'esthétique qu'il veut donner à son film (une « stratosphère fine comme un drap de soie »2). C'est le maire de Sarlat qui lui révéla la coïncidence que la nouvelle de Conrad, dont s'inspire le scénario du film, est en fait fondée sur une histoire locale : la Grande Armée a bien eu deux officiers qui étaient convenus de se battre en duel chaque fois qu'ils se rencontreraient, dont l'un, François Fournier-Sarlovèze (qui deviendra général et comte d'Empire) est originaire de Sarlat (d'où l'extension de Sarlovèze à son nom). Le second est Pierre Dupont de l'Étang, aide de camp du général Moreau.
Fournier, que l'on surnommait « le plus mauvais sujet de l'armée », a inspiré le personnage de Gabriel Féraud, incarné par Harvey Keitel. Querelleur et duelliste, Fournier provoqua et tua lors d'un duel en 1794 un jeune Strasbourgeois du nom de Blumm. Le capitaine Dupont fut chargé par le général Moreau d'empêcher Fournier de se rendre au bal qu'il donnait le soir-même. Ce fut l'origine du premier duel entre les deux hommes, à l'épée, que Dupont emporta. Les deux hommes s'affrontèrent à une vingtaine d'autres occasions pendant près de vingt ans, au moyen de toutes sortes d'armes. Fournier rédigea même une charte, qui scellait l'accord entre les duellistes de la manière suivante :
« Article 1er. Chaque fois que MM. Dupont et Fournier se trouveront à trente lieues de distance l'un de l'autre, ils franchiront chacun la moitié du chemin pour se rencontrer l'épée à la main ;Article 2. Si l'un des deux contractants se trouve empêché par son service, celui qui sera libre devra parcourir la distance entière, afin de concilier les devoirs du service et les exigences du présent traité ;Article 3. Aucune excuse autre que celles résultant des obligations militaires ne sera admise ;Article 4. Le traité étant fait de bonne foi, il ne pourra être dérogé aux conditions arrêtées du consentement des parties. »
Ces faits3,4 inspirent largement la scène de la première rencontre des personnages principaux du film et une partie des rencontres ultérieures. Le reste de l'histoire réelle entre Fournier et Dupont a été romancé pour les besoins de la fiction de Conrad, et à nouveau pour celle de Scott.
Ressemblances avec Barry Lyndon
La photographie, le rythme ou encore le narrateur ponctuel qui amorce certaines séquences, sont des éléments rappellant le film Barry Lyndon (1975) de Stanley Kubrick. Ridley Scott assume ces similitudes :
« Ce film s'inspire beaucoup de Barry Lyndon. Mais qui n'aurait pas été influencé ? [...] J'admirais beaucoup Barry Lyndon. Ce film m'a réellement influencé. Cela vient du fait que nous avons les mêmes références (sources) : celles de Kubrick sont les peintres, par conséquent ce sont devenues aussi les miennes. »
Pendant le tournage, Ridley Scott a eu l'idée d'utiliser certains plans fixes inspirés de tableaux comme autant de transitions entre les scènes. Il a relevé que certains critiques de l'époque avaient trouvé le film « trop beau », ce qui l'a conduit par la suite à ne plus prendre les critiques, bonnes ou mauvaises, trop au sérieux2.
Tournage
Le film a été tourné principalement en Dordogne, du 1e novembre au 24 décembre 1976, puis à Londres pour quelques intérieurs pour se terminer en Ecosse (près d'Aviemore au pied des monts Cairngorms) le 15 janvier 1977. En Dordogne, l'équipe s'est rendue dans les lieux suivants (voir https://duellistesendordogne.jimdofree.com )
Distinctions
- Festival de Cannes 1977 : sélection officiel en compétition pour la Palme d'or ; lauréat du prix de la première œuvre
- Prix David di Donatello 1978 : meilleur réalisateur étranger
- Prix 1978 de la British Society of Cinematographers : nomination comme meilleure photographie
- BAFTA Awards 1979 : nominations comme meilleure photographie et meilleurs costumes
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An exciting, swashbuckling thriller based on a true story about two of Napoleon’s soldiers.
Conrad’s brilliantly ironic tale about two officers in Napoleon’s Grand Army who, under a futile pretext, fought an on-going series of duels throughout the Napoleanic Wars. Over decades, on every occasion they chanced to meet, they fought. Both satiric and deeply sad, this masterful tale treats both the futility of war and the absurdity of false honor, war’s necessary accessory.