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duminică, 12 octombrie 2025

Sternberg / Dietrich - Imparateasa rosie

 

  Duminică, 7 martie 2021

Sternberg / Dietrich - Imparateasa rosie

 https://www.dvdclassik.com/critique/l-imperatrice-rouge-von-sternberg

L'HISTOIRe

Russie, 1744. Quand Sophie Frédérique se marie à Son Altesse Sérénissime Pierre III Fiodorovitch, grand-duc de Russie et neveu de l'impératrice, la jeune Prussienne se retrouve prisonnière d'une union sans amour. Ambitieuse et séductrice, elle se lasse vite du manque de panache de son mari, d'autant que le comte Alexeï puis le capitaine Orlov tombent sous son charme. Mais lorsqu'un enfant naît, les complots qui se trament en coulisses vont éclater au grand jour.

ANALYSE ET CRITIQUE

L’Impératrice rouge est la sixième et avant-dernière collaboration du mythique duo Marlene Dietrich / Josef Von Sternberg. Les précédents films s’articulaient à la fois sur une dimension dépaysante où une contrée, un contexte historique et/ou dramatique servait d’écrin à une Marlene Dietrich endossant une pure présence romanesque tour à tour maîtresse ou jouet du destin. Cette facette en partie vulnérable de Dietrich s’estompe dans L’Impératrice rouge où Sternberg vise à en faire une pure figure mythologique. Il y a cependant au départ un contraste entre le mythe de Catherine II et l’incarnation de Dietrich à l’écran, tout comme il y en a un entre la grandeur associée à la cour impériale russe et l’image qui nous en est donnée. Depuis l’enfance, Sophie Frédérique (incarnée enfant par Maria Riva, la fille de Marlene Dietrich) est nourrie du doux rêve d’être l’impératrice de Russie par sa mère, ce qui façonne pour la fillette un présent contraignant et un futur rêveur. Parallèlement les domestiques lui narrent pourtant l’historique sanglant de la noblesse russe, l’occasion pour Von Sternberg de déployer un livre d’images totalement décadent où défilent massacres et tortures sadiques sur de jeunes femmes dénudées.

 

On se souvient alors que L’Impératrice rouge fut un des derniers films sortis avant l’application stricte du Code Hays en cette année 1934. Ce fossé entre le fantasme et le réel a également cours lorsque la beauté sauvage et la présence virile du messager, le Comte Alexei (John Lodge), donnent un aperçu de la cour séduisant qui trouble la jeune femme, d’autant plus avec la description mensongère et avantageuse qui lui est faite de son futur époux Pierre III (Sam Jaffe). L’envers monstrueux nous apparaît ainsi avec la laideur et les attitudes dégénérées de Pierre III. Catherine pense alors reporter ses élans romantiques sur le Comte Alexei mais celui-ci n’est qu’un pion dépravé de plus, amant secret de la tyrannique et vieillissante impératrice Elisabeth (Louise Dresser). Josef Von Sternberg articule bien sûr formellement cette bascule. L’atmosphère claustrophobe de la cour se ressent par l’imagerie expressionniste et dans un premier temps oppressante pour Catherine, où le gigantisme rime constamment avec la monstruosité tel ce mouvement de caméra révélant le trône de l’impératrice Elisabeth. Les portes immenses arborent une iconographie inquiétante, les sculptures de créatures monstrueuses ornent le palais, tout cela reflétant finalement la dépravation de la cour.

 
 

La facette mythologique de Catherine II passe uniquement par les intertitres grandiloquents durant la première partie. Elle existe à l’écran au fur et à mesure de l’assurance prise par notre héroïne, qui passe de femme-enfant soumise à séductrice vénéneuse. Le contraste est d’ailleurs assez grand si l’on compare L’Impératrice rouge à Catherine de Russie de Paul Czinner (et produit par Alexander Korda) sorti la même année. Korda joue la carte morale et romanesque : Catherine II (jouée par Elisabeth Bergner) accède au trône par sa pureté morale, sa conscience du destin russe et son empathie pour le peuple. Ce peuple est quasiment absent chez Von Sternberg qui développe, lui, un pur destin individuel voire individualiste où la quête du pouvoir passe par la séduction, l’émancipation devant tout d’abord être sexuelle. C’est donc en ayant perdu ses ultimes illusions romantiques que Catherine fait de sa beauté non plus un objet d’oppression, mais une arme de conquête. La bascule se fait ainsi lors de la saisissante scène de séduction d’un garde militaire qui ignore son statut, le jeu de Dietrich et la mise en scène de Von Sternberg montre ainsi la mue se faire de la proie au chasseur.

 

Au centre de l’image et objet de tous les regards dans des tenues de plus en plus sophistiquées, c’est désormais du haut de cette nouvelle assurance qu’elle toise ses interlocuteurs. Le ton et la construction du film évitent tout modèle de narration classique. Pas de tension dramatique ou de suspense quant à l’ascension de Catherine, mais simplement une attente dans l’approche de Von Sternberg. Les événements de sa victoire s’articulent dans les seules dix dernières minutes, multipliant les visions grandiloquentes en fondus enchaînés dans lesquelles Marlene Dietrich incarne le pouvoir ET la séduction dans cet uniforme qui lui sied si bien. Ce mélange de faste et de profonde noirceur déplaira pourtant fortement au public américain qui boudera le film. Celui-ci est désormais considéré comme un classique et pour beaucoup comme le sommet de l’association entre Dietrich et Von Sternberg.

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L'Impératrice rouge

Réalisation: Josef von Sternberg

Scénario:  Manuel Komroff

Acteurs principaux: Marlène Dietrich,John Lodge

 

Sociétés de production   Paramount Pictures

Pays d’origine   Drapeau des États-Unis États-Unis

Genre   Drame historique

Durée   104 minutes

Sortie   1934

L'Impératrice rouge (The Scarlet Empress) est un film américain réalisé par Josef von Sternberg, sorti en 1934. Le film est le sixième du couple Marlene Dietrich - Josef von Sternberg, après L'Ange bleu et Cœurs brûlés en 1930, Agent X 27 (1931), Shanghaï Express (1932) et Blonde Vénus (1933).

Synopsis

En 1744, en Russie, la princesse allemande Sophia Frederica doit épouser le grand-duc Pierre III de Russie, neveu de l'impératrice Élisabeth Ire. Frustrée par le manque d'envergure de son mari, elle séduit le comte Alexei, puis le capitaine Orlov. À la mort de l'impératrice, elle fait assassiner son époux, et devient ainsi Catherine II, impératrice de toutes les Russies.

Commentaire

Le film, sorti en pleine dépression aux États-Unis, connut un échec commercial et critique, sans doute à cause de sa dureté et de son côté noir, en totale opposition avec le faste des décors et des costumes.[réf. nécessaire] Il a depuis été classé au rang des chefs-d'œuvre du cinéma.

 

Fiche technique

Titre : L'Impératrice rouge

Titre original : The Scarlet Empress

Réalisation : Josef von Sternberg

Scénario : Manuel Komroff, d'après le journal de Catherine II

Photographie : Bert Glennon

Montage : Sam Winston, Josef von Sternberg (non crédités)

Direction artistique : Hans Dreier (non crédité)

Costumes : Travis Banton (non crédité)

Musique (arrangements) : W. Franke Harling, John Leipold, Bernhard Kaun (non crédité), Oscar Potoker (en) (non crédité) et Milan Roder (non crédité)

Effets visuels : Gordon Jennings (non crédité)

Production : Josef von Sternberg (non crédité)

Société de production : Paramount Pictures

Pays d'origine : Drapeau des États-Unis États-Unis

Format : Noir et blanc - 1,37:1 - 35mm - Son : Mono (Western Electric Noiseless Recording)

Genre : Drame historique

Durée : 104 minutes

Dates de sortie : Royaume-Uni, 9 mai 1934 (première à Londres) ; France, 31 août 1934 ; États-Unis, 15 septembre 1934

Distribution

Marlene Dietrich : Catherine II

John Lodge : le comte Alexeï

Sam Jaffe : le grand-duc Pierre

Louise Dresser : l'impératrice Élisabeth Petrovna

C. Aubrey Smith : prince August

Gavin Gordon : capitaine Orlov

Olive Tell : princesse Joanna Elisabeth

Erville Alderson : chancelier Alexey Bestuzhev-Ryumin

Hans Heinrich von Twardowski : Ivan Shuvalov

Maria Riva : Catherine (enfant)

Ruthelma Stevens : comtesse Elizabeth Alexeievna

Davison Clark : archimandrite Simeon Todorsky

Philip Sleeman : comte Jean Armand de Lestocq

Marie Wells : Marie Tshoglokof

Gerald Fielding : lieutenant Dimitri

Acteurs non crédités

John Davidson : marquis de la Chetardie

George Davis : le bouffon

Jane Darwell : Miss Cardell

Harry Woods : le premier docteur

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Critiques

À la sortie du film

À sa sortie, L'Impératrice rouge recueillit des critiques désastreuses.

Homer Dickens écrit en 1974 que les critiques, à sa sortie, « qualifièrent le film de spectacle délirant, d'hallucination, de sophistication outrancière. » Thierry de Navacelle rajoute en 1982 que les critiques « taxent le film de mauvais goût, de folie, de prétention et de ridicule. »

Pour le Time Magazine, le film est une « pesante hyperbole ; le réalisateur Josef von Sternberg a réussi l'exploit invraisemblable d'ensevelir Marlène Dietrich sous un monceau de gargouilles en plâtre de Paris et de Cosaques au galop (...) La pire séquence est celle où, montant un cheval blanc, Marlène Dietrich escalade les degrés conduisant au palais. »

Le critique du New York Herald Tribune juge le film « plat, maniéré et ostentatoire. » 2

Depuis

Avec le temps, nombre de critiques ont modifié leur point de vue sur ce film, comme l'écrit Dietrich dans ses mémoires à la fin des années 1970 : « L'Impératrice rouge est aujourd'hui un classique. En 1934, il n'obtint pas le succès escompté. Nous savons tous maintenant que ce film était très en avance sur son temps. C'est sans doute pourquoi il est projeté dans les cinémathèques et les cinémas d'art et d'essai, mais aussi que des millions de spectateurs de par le monde, dans des salles de première exclusivité, continuent à le voir. Les jeunes générations adorent l'Impératrice rouge. Des adolescents m'écrivent, me parlent des costumes...surtout de mes bottes - et, par-dessus le marché, elles étaient blanches !- , du côté spectaculaire de l'œuvre, qu'ils semblent avoir parfaitement compris... beaucoup mieux que le public d'alors. Ils sont aussi fascinés par la direction artistique qu'assumait, naturellement, von Sternberg. »3

 

Vincent Pinel : « Sternberg réécrit l'histoire pour la plus grande gloire de Marlene. (...) Ce très fascinant délire baroque n'est pas dédié au souvenir de Catherine II mais célèbre surtout le mythe de Marlene. Dans ce domaine, c'est la plus grande réussite de Sternberg. »4

Jacques Siclier : « Marlene triomphante, Catherine de Russie portée par l'apothéose d'un mythe ; la réalité de l'imaginaire. »

Jean Tulard : « Un délire baroque, un chef-d’œuvre plastique : immensité des décors, beauté des images (le visage de Catherine lors de la cérémonie du mariage), constantes inventions du scénario qui donnent à Sam Jaffe (...) l'occasion d'une composition éblouissante. (...) Probablement le meilleur film du couple Sternberg-Dietrich, mais qui fut un gros échec financier pour la Paramount. »6

Thierry de Navacelle : « C'est un film extravagant et magnifique, animé d'un souffle puissant, dû à une sorte de libération de Sternberg dans le mouvement. (...) Ici, grâce à la caméra, au montage et à ses fameuses surimpressions, Sternberg nous transporte en quelques secondes au cœur même de la Russie, avec tout ce que cela comporte d'excessif et de démesuré. Le directeur artistique Hans Dreier accompli des prodiges pour reconstituer tout le fantastique de ce palais sans doute totalement imaginaire. On aborde là un spectacle où la richesse de l'image et des décors, et la maîtrise de la mise en scène ont un peu trop tendance à écraser les acteurs. »7

Autour du film

Ce film peut être considéré comme la réponse de la Paramount à la MGM, qui vient de sortir un film historique avec la prétendue « rivale » de Marlène, Greta Garbo, intitulé La Reine Christine (1933).

Catherine de Russie est, comme Marlene Dietrich, d'origine Allemande, ce qui incita encore plus la star à l'interpréter.

C'est la propre fille de Marlene Dietrich, Maria Riva, qui joue le rôle de Catherine enfant ; c'est le premier film de Sam Jaffe, qui tournera par la suite dans Quand la ville dort et Ben-Hur.

Maria raconte que la scène où sa mère doit tirer la corde faisant sonner la cloche annonçant sa prise de pouvoir a été tournée une cinquantaine de fois, la corde lacérant jusqu'au sang les cuisses de l'actrice1.

Le film est la sixième et avant-dernière collaboration entre le réalisateur et l'actrice qu'il a révélée.

Les tensions / réconciliations furent nombreuses au cours du tournage, entre le pygmalion et sa muse. Pour exemple, lors du tournage de la dernière scène (plan final de la Grande Catherine), « Dietrich et von Sternberg arrivèrent furieux sur le plateau et se houspillèrent mutuellement. (...) Von Sternberg était un « tyran », un « Hitler juif », un « sale petit Américain », un « monstre sadique » ! : telle était la version de Dietrich. Quant à elle, elle « était incapable de faire quoi que ce soit correctement », « les scènes les plus simples étaient au-dessus de ses moyens », et elle « hurlait dès que quelque chose ne lui convenait pas ! » : telle était la version de von Sternberg. » (W.fr.)


Gigantic, grotesque, leering gargoyles are juxtaposed with lingering closeups of Marlene Dietrich's cold, erotic face throughout "The Scarlet Empress" (1934), the actress' sixth of seven collaborations with director Josef von Sternberg.

https://www.telerama.fr/cinema/les-artifices-authentiques-de-josef-von-sternberg-6847703.php

Les artifices authentiques de Josef von Sternberg

Pierre Murat

Publié le 27/03/21


Atypique, pas vraiment sympathique, Joseph von Sternberg reste un cinéaste inclassable. Et aussi celui qui a découvert Marlene Dietrich, avec qui il a tourné ses opus les plus fascinants. Analyse en quatre films d’un grand exubérant.


« Il y a des œuvres qui vous donnent à penser, à discuter, à méditer, celles qui vous plaisent, vous impressionnent ou vous révoltent, et celles, plus rares, qui ne font rien de tout cela, mais, plus simplement, plus brutalement aussi, vous éblouissent. » Ainsi s’ouvre le livre que Mathieu Macheret vient de consacrer à Josef von Sternberg (1894-1969), avec, comme sous-titre, ces trois mots qui définissent parfaitement ce cinéaste à la fois célèbre et méconnu : « les jungles hallucinées »…

Sternberg : un cinéaste que même ses fans hésitent à vanter, parfois, tant il est outrancier, mégalo, hautain. Hors sol, comme on dit de nos jours. Hors temps. Hors modes. Hors normes. Hors tout… Hors réalisme, surtout : pourquoi peindre le monde tel qu’il est, puisque tout y est faux, que les hommes et les femmes y rusent, s’y trompent et s’y bernent ? Depuis la naissance du cinéma, ceux qui saisissent les faits (les frères Lumière) s’opposent à ceux qui, comme Georges Méliès, les recréent. Sternberg en est certain : c’est en poursuivant l’artifice, en s’y vautrant, au besoin, que l’artiste aura une (toute petite) chance d’atteindre une (minuscule) parcelle de vérité. Ce à quoi il s’emploiera toute sa vie, à ses risques et périls. Le plus souvent incompris, rejeté, détesté. Ravi et malheureux de l’être.

Drôle de type que ce fils de petit-bourgeois autrichien, complexé au point de s’inventer un titre de noblesse (un « von » totalement usurpé) et de se livrer à diverses excentricités (notamment vestimentaires) sur des plateaux où il se comporte en tyranneau. Un frustré totalement obsédé par les corps (qu’il exaltera, sublimera dans tous ses films), mais entretenant avec sa créature, Marlene Dietrich, qu’il révèle et qui le quitte, excédée, d’étonnants rapports sado-masochistes. Il se peint, d’ailleurs, dans le personnage qu’interprète Adolphe Menjou dans Morocco (Cœurs brûlés) : un observateur, conscient du désir éprouvé par celle qu’il aime pour un autre (Gary Cooper), plus jeune et plus beau que lui. « Menjou se retrouve seul, humilié face à ses invités, note Mathieu Macheret, et la raison voudrait qu’il se fâche, qu’il se révolte, mais rien n’y fait, il aime trop sa chanteuse et fera tout, jusqu’à se nier lui-même, jusqu’à ramper comme une larve, pour qu’elle puisse aller vivre sa passion. »

De cette œuvre luxuriante et mutilée – pas mal de films ont été perdus ou détruits –, sans vrais héritiers (si, un : Nicolas Winding Refn réussit un vrai cauchemar sternbergien avec Only God Forgives, où Ryan Gosling joue le fils maso de Kristin Scott Thomas, maman castratrice), on a choisi quatre moments. Trois avec Marlene. Et un sans…

Marlene et l’amour : “Morocco” (1930)

Marlene Dietrich et Gary Cooper dans Cœurs brûlés (Morocco), de Joseph von Sternberg (1930).

Marlene Dietrich et Gary Cooper dans Cœurs brûlés (Morocco), de Joseph von Sternberg (1930).

Paramount

Il est dans la chambre de la chanteuse, ce légionnaire viril, mais, soudain, presque féminin : alangui sur un divan, une fleur à l’oreille et le corps offert, comme en attente… « Vous avez, de toute évidence, une basse opinion des femmes », murmure-t-elle. « C’est leur faute, pas la mienne », réplique-t-il… Entre cet homme et cette femme, le désir et des silences, que le cinéaste filme comme un duel inutile : l’héroïne se sait perdue, elle sent qu’il la perdra. Elle le congédie, alors, en lui faisant – mais il s’en moque - un aveu presque racinien : « Vous feriez mieux de partir, maintenant : je commence à bien vous aimer… »

Marlene et la mort : “Agent X27” (1931)

Victor McLaglen et Marlene Dietrich dans Agent X27, de Josef von Sternberg (1931).

Victor McLaglen et Marlene Dietrich dans Agent X27, de Josef von Sternberg (1931).

Paramount

Marlene va être fusillée pour espionnage. Elle s’en fiche, indifférente devant la mort comme elle l’a été devant sa vie. Seule l’apparence importe. Alors elle demande un miroir au soldat venu la chercher dans sa cellule et rajuste sa voilette dans le sabre qu’il lui tend. Puis elle essuie les larmes de ce garçon trop sensible et, alors qu’il refuse de commander le peloton d’exécution, vérifie, une dernière fois, l’ordre de sa tenue. Elle fixe ceux qui vont l’abattre, elle leur sourit. Et elle attend…

Marlene et la lumière : “L’Impératrice rouge” (1934)

Les corps, toujours érotisés chez Sternberg, ploient, ici, sous le poids des vêtements. Et sous le gigantisme hideux et mortifère des décors qui pèsent sur la cour de la future Catherine II. Ce n’est qu’à la toute fin qu’il lâche les chevaux, au sens propre du terme. Alors, toute de blanc vêtue, soutenue par l’armée (où elle puise ses amants) et par l’Église orthodoxe (d’où elle tire sa légitimité), Marlene caracole jusqu’au palais d’Hiver de Saint-Pétersbourg. Et les gorgones rapetissent et les monstres s’effacent, tandis qu’elle se hisse vers la lumière…

Sans Marlene, l’enfer : “The Shanghai Gesture” (1941)

Gene Tierney et Ona Munson dans Shangai Gesture, de Josef von Sternberg (1941).

Gene Tierney et Ona Munson dans Shangai Gesture, de Josef von Sternberg (1941).

United Artists

Dans un Shanghaï d’opéra à la Puccini, le casino de Mother Gin Sling (Ona Munson) ressemble à un lieu de damnation. Une suite de cercles sans fin où des êtres à peine humains s’agitent frénétiquement autour de leur vice – circulaire, lui aussi, et impitoyable : la roulette… Chef-d’œuvre délirant. Sadique. Et tragique : « Émerge, au cœur des ténèbres, écrit Mathieu Macheret, la plus limpide des parentés : celle que se découvrent un père, une mère, une fille qui s’étaient ignorés jusqu’alors dans la trépidante rotation des masques, des costumes et des identités. » On aboutit à un meurtre. Presque un rituel, en fait, que l’on accomplit lorsque plus rien ne vaut la peine d’être sauvé.

À lire


Josef von Sternberg. Les jungles hallucinées,
 de Mathieu Macheret, éd. Capricci, 220 p., 20 €.
Et aussi : Marlene Dietrich, celle qui avait la voix, de Camille Larbey, éd. Capricci, 112 p., 11,50 €.


MARLENE DIETRICH : ANGE OU DÉMON

 

MARLENE DIETRICH: ANGE OU DÉMON


« Si Marlene Dietrich était un peu plus large, Mae West serait dans l’ombre. » Derrière cette phrase de Bosley Crowther, le controversé critique du New York Times, se cache une vérité : Mae West et Marlene Dietrich boxaient toutes les deux dans la catégorie des sex-symbols dérangeants, l’une provoquant par ses rondeurs clownesques et l’autre par ses inventions androgynes. Mae West, de mère bavaroise, s’exprimait très bien en allemand et parlait dans cette langue avec Marlene Dietrich, qu’elle appréciait beaucoup. Reines des cabarets enfumés, ces femmes très cultivées faisaient toutes deux partie de l’imaginaire fruste du soldat en campagne. Elles étaient en délicatesse perpétuelle avec la censure et captivaient le public par leur originalité et leur art de flirter avec les limites. Leur allure leur appartenait en propre, mais toutes deux furent lancées au cinéma par la Paramount, qui cherchait au début des années 1930 la relève de ses stars déchues après la fin du cinéma muet. Elles bénéficièrent l’une comme l’autre du talent du styliste maison Travis Santon. «  Entre le plateau et ma loge il y avait celle de Mae West. Quelle grande dame! (…) Elle fut pour moi un professeur, non, un roc auquel je m’accrochais, un esprit brillant qui me comprenait et devinait tous mes problèmes », écrit Marlene Dietrich dans ses mémoires. Cette dernière était en lutte contre le totalitarisme tandis que Mae West, avant d’être une icône gay, fut un défenseur résolu de la cause des Noirs. Les deux actrices finirent par être rejetées par Hollywood, l’une dans le cadre de la célèbre chasse aux sorcières du début des années 1950, l’autre pour ses audaces à l’écran. Mais leur mythe survécut : elles font toutes les deux partie des quinze plus grandes actrices de légende, selon l’American Film Institute. Elles étaient uniques. [Marlene Dietrich, combattante de l’amour -Hollywood, la cité des femmes – Antoine Sire (Ed. Actes Sud – Beaux-Arts – Institut Lumière) 2016]


Si Greta Garbo était « la divine », Marlene est « l’impératrice ». Elle l’est parce qu’on ne l’imagine guère sans le costume d’apparat qui sied à la fonction dans The Scarlet Empress (L’Impératrice rouge, 1934), évidemment, ou dans Dishonored (X27, 1931), Shanghai Express (1932), Blonde Vénus (1932), The Devil Is a Woman (La Femme et le pantin, 1935), tous de Josef von Sternberg. Il en va de même sous la direction d’autres réalisateurs : Rouben Mamoulian (Song of Songs [Cantique d’amour], 1933), Frank Borzage (Desire [Désir], 1936), Jacques Feyder (Knight without Armor [Chevalier sans armure], 1937), William Dieterle (Kismet, 1944), ou Orson Welles (Touch of Evil [La Soif du mal], 1958), où elle retrouve le costume de son personnage de Golden Earings (Les Anneaux d’or, Mitchell Leisen, 1947). Si Sternberg a façonné son personnage, au point d’affirmer, évoquant involontairement sans doute une célèbre formule de Flaubert, « Marlene n’est pas Marlene, c’est moi ! », en fait, le personnage existait à l’état naissant avant Sternberg – Der Blaue Engel (L’Ange bleu, 1930) est son quinzième film ! Il continuera d’exister après lui à l’écran, dans ses tours de chant et, souvent, dans la vie.

Un couple baudelairien

Maria Magdalena Dietrich, dite Marlene Dietrich, née à Berlin le 27 décembre 1901, a connu une longue carrière par rapport à la plupart des stars hollywoodiennes, tout particulièrement sa grande rivale Greta Garbo. Elle a incarné pendant plus de trente ans, à l’écran comme au music-hall, une image mythique et singulière de la femme, à la fois objet de culte amoureux et sujet lucide et dominateur.

Marlene Dietrich est la fille d’un officier de cavalerie. Son enfance à Weimar est à la fois protégée et marquée par la discipline. Elle manifeste très tôt des prédispositions pour le violon, mais doit abandonner l’espoir d’une carrière d’instrumentiste à la suite d’une maladie du poignet. Dans le Berlin en crise des années 1920, elle vit la bohème d’une jeunesse sans repères, jouant du violon dans les cinémas ou se produisant comme danseuse dans des tournées. Elle suit aussi des cours de théâtre avec un assistant de Max Reinhardt et débute au cinéma en 1923 (Der Kleine Napoleon [Le Petit Napoléon], Georg Jacoby), avant d’épouser l’année suivante un régisseur influent, Rudolf Sieber. Ses parures extravagantes, ses jambes et ses rôles provocants, parfois ambigus, la font remarquer. Des spectacles musicaux tels que Es liegt in der Luft, avec la très masculine Margo Lion, et des films comme Cafe Elektric (Filles d’amour, Gustav Ucicki, 1927) ou Prinzessin Olala (Princesse Olala, Robert Land, 1928) en font une vedette. Josef von Sternberg, frappé par la souveraineté de son regard, contrastant avec une très « vivante » sensualité, l’impose dans le rôle de Lola-Lola dans L’Ange bleu (1930), d’après le roman de Heinrich Mann. En l’espace de sept films, le metteur en scène va faire de la blonde et pulpeuse Allemande une star sophistiquée et « glamour », exhibant les tenues les plus troublantes et ambiguës : plumes, peau de gorille, robes drapées, fourrures, collants, smokings d’homme…

Parmi les admirateurs de Marlene, la majorité (surtout masculine) apprécie cette transformation, considérant que sa silhouette, dans L’Ange bleu, est encore lourde, sans grâce, trop « germanique ». C’est confondre un peu vite le personnage et l’actrice : lourdeur du corps et vulgarité font partie de l’entraîneuse Lola-Lola. Elles restent présentes dans certaines scènes de Morocco (Cœurs brûlés, 1930), où s’opère le remodelage de la star. Le point de vue, féminin (et féministe), de Louise Brooks rencontrant à Hollywood pour la première fois Marlene, « une jolie blonde bien en chair », est bien différent. « Ses beaux cheveux blonds étaient étroitement bouclés, elle portait une robe de gaze bleu ciel avec de lourds bas de soie allemands. À ma grande surprise, elle me dit bonsoir d’une voix chaude et amicale. Elle était encore tout à fait Lola-Lola de L’Ange bleu. Mais, à partir du moment où Cœurs brûlés fut distribué, toute ressemblance avec ce personnage magnifique s’évanouit à tout jamais. Dans la nouvelle Dietrich, si raffinée, il n’y avait plus trace d’heureuse vulgarité ou de générosité impulsive. Ses mouvements brutaux et dynamiques s’étaient atténués jusqu’à cette démarche majestueuse qu’elle avait entre les séances de pose photographiques. Elle n’osait plus jouer, de peur d’ouvrir ses yeux, à présent mi-clos et lourdement ombragés de faux cils. Et toute démonstration émotive eût nui à l’éclairage savant qui sculptait ses joues rondes… » Impitoyable, Louise Brooks conclut : « Chaque fois que je vois L’Ange bleu, je pleure un peu. »

Le couple cinématographique que forment durant cinq ans Marlene Dietrich et Josef von Sternberg mêle à une forme d’amour fou une étrange perversité, où voisinent fétichisme, ambiguïté sexuelle et masochisme. Une nouvelle écrite par Sternberg dans sa jeunesse, citée par Robert Benayoun, décrit un employé timide qui est fasciné par un mannequin de cire dans une vitrine, et rencontre bientôt une jeune femme, « réplique vivante de son idole ». Cette dialectique de l’idole sans vie et de la femme de chair est au cœur de la relation entre le Pygmalion et sa Galatée, comme elle demeurera la contradiction qui anime de bout en bout le mythe de Marlene.

Un personnage dédoublé

Dans X27, dans Shanghai Express, dans L’Impératrice rouge, le cinéaste s’emploie à magnifier la beauté de l’actrice, en recourant aux artifices de l’éclairage et du vêtement, en la fondant dans le décor, sans que la créature mythique cesse pour autant d’être une femme terrienne et charnelle. Dans La Femme et le pantin, d’après le roman de Pierre Louÿs, elle détruit moins ses deux amants qu’elle ne s’en prend à la vanité de leur code viril amoureux, tandis que dans Morocco, elle devient l’esclave d’un séduisant légionnaire au cœur dur. C’est dans Blonde Vénus que Sternberg touche au plus près l’opposition entre ses deux attitudes qui fonde le double personnage de Marlene. Pur objet de regard et de désir engoncé dans les costumes les plus inattendus – justifiant la description de la nouvelle Dietrich par Louise Brooks –, elle met le spectacle et la prostitution au service de l’amour conjugal et maternel. Sternberg joue merveilleusement de l’alternance entre la femme-décor et la femme d’intérieur dans des images qu’on croirait alors sortie d’un Heimat Film allemand. Pour lui, l’amour est à la fois une transformation de l’être aimé en objet de regard et l’acceptation du fait d’être statufié par le regard amoureux, pour la femme comme pour l’homme. « Ce qui est subversif dans la conception de Dietrich par Sternberg, écrit la critique féministe Molly Haskell, est qu’elle ne peut être enrôlée dans un camp idéologique-sexuel plutôt qu’un autre. Elle parodie les notions conventionnelles de l’autorité mâle et les règles du jeu sexuel sans détruire sa crédibilité en tant que femme. »

D’autres réalisateurs, après Sternberg, sauront magnifier le personnage de Marlene Dietrich sans l’affadir, comme Ernst Lubitsch (Angel, 1937), Billy Wilder (A Foreign Affair [La Scandaleuse de Berlin], 1948 ; Witness for Prosecution [Témoin à charge], 1957), Alfred Hitchcock (Stage Fright [Le Grand Alibi], 1950), Fritz Lang (Rancho Notorious [L’Ange des maudits], 1952). Son personnage ne cesse pourtant de devenir plus terrestre, jusqu’à la souillure physique (Destry Rides again [Femme ou démon], George Marshall, 1939) ou le corps à corps viril (Seven Sinners [La Maison des sept péchés], Tay Garnett, 1940). Marlene Dietrich perd en partie son originalité, rivalisant davantage avec d’autres femmes qu’avec la vanité masculine, lorsqu’elle incarne une entraîneuse ou une tenancière de saloon. Elle trouve son dernier rôle important dans Judgement at Nuremberg (Jugement à Nuremberg, Stanley Kramer, 1962). Dès 1937, elle avait refusé de revenir en Allemagne, malgré la demande pressante de Goebbels, avant de prendre la nationalité américaine et d’effectuer des tournées parmi les G.I.’s entre 1943 et 1945. Les Allemands ne le lui pardonneront qu’après 1960, à l’occasion d’un de ces tours de chant où Marlene devenait enfin son propre Pygmalion, et qu’elle allait poursuivre quelques années. Sa voix et son mythe illuminent le commentaire de The Black Fox : the True Story of Adolf Hitler (La Véritable Histoire d’Adolphe Hitler), montage de documents, qui remporte l’oscar du documentaire en 1962. Outre les documentaires qui lui sont consacrés, elle apparaît une dernière fois dans un film de fiction de David Hemmings en 1978, Just a Gigolo. Elle finit sa vie recluse et solitaire dans un appartement de l’avenue Montaigne à Paris. Elle s’éteint en 1992 et est inhumée à Berlin. [Joël Magny, « Marlene Dietrich (1901-1992) », Encyclopædia Universalis]


Dans une maison de rendez-vous parisienne, Anthony Halton rencontre une très belle et mystérieuse jeune femme, qui s’enfuit à la fin de la soirée. Plus tard, à Londres, il retrouve l’inconnue sous les traits de la respectable lady Maria Barker, épouse de lord Barker, homme politique très occupé. Maria est sur le point de suivre Anthony pour toujours ; mais lord Barker apprend la vérité et survient à temps pour persuader sa femme de revenir près de lui…

Dans les premières images, des représentants du Congrès américain survolent le Berlin en ruine de l’après-guerre. L’un d’eux commente l’aide américaine aux Berlinois en disant : « Donner du pain à celui qui a faim, c’est de la démocratie. Mais le faire avec ostentation, c’est de l’impérialisme. » Jean Arthur, missionnée pour vérifier la moralité des troupes d’occupation, découvre avec horreur les magouilles et la fraternisation entre occupants et occupés. Marlene Dietrich joue une ex-nazie reconvertie en chanteuse opportuniste, avec des dialogues pleins de sous-entendus sexuels avec un officier américain. Le film est un mélange de comédie insolente et de gravité, avec des scènes de Berlin en ruines filmées en 1947.

Eve est prête à tout pour prouver l’innocence de son ami Jonathan, surtout s’il s’agit de jouer la comédie. N’est-elle pas actrice ? Mais elle n’est pas la seule et le monde ressemble à un grand théâtre… Après un mélodrame en costumes d’époque, Under Capricorn, Hitchcock revient en cette fin des années 1940 à ses amours de jeunesse. Sa nouvelle œuvre a pour cadre Londres et s’inscrit dans la droite ligne des grandes comédies de sa période anglaise.

De tous les films de Welles, Touch of evil est sans aucun doute le plus noir, le plus cauchemardesque, encore plus kafkaïen que ne le sera Le Procès. La petite ville de Los Robles, une de ces bourgades frontières à mi-chemin entre les États-Unis et le Mexique, symbolise la corruption et la pourriture, physique et morale. On y assassine à la dynamite une puissance locale et sa compagne, on cherche à y vitrioler un policier et, à quelques kilomètres, le motel où se réfugie Susan est le lieu d’un véritable ballet diabolique où se mêlent la xénophobie, le sexe et la drogue.


Night Alter Night n’est pas resté dans l’histoire du cinéma comme un pur chef-d’œuvre, il s’agit même d’un film « nullissime » et tout à fait insignifiant. Pourtant, la dernière bobine de pellicule est marquée par la présence d’une femme qui a provoqué rien moins qu’une véritable révolution sexuelle dans la création artistique américaine.