marți, 1 septembrie 2020

CAINTA / ABULADZE / Blestemul lui Abel Aravidze.

$movie['title']LE REPENTIR - ПОКАЯНИЕ | Quand les Russes
Sub camasa neagra a lui Musolini, mustata lui Hitler, lornionul lui Beria si bonomia lui Stalin, apare figura emblematica a dictatorului. Cu un stil realist si simbolic, Tenghiz Abduladze incarca acest portret cu grotescul si cu exagerarea proprii totalitarismului. - Anne Kieffer - 1995 - Dictionnaire des films (Larousse)

Cainta – Repentance (1984) 
AFFICHETTE SYNOPSIS - LE REPENTIR - Avtandil MAKHARADZE - Tenguiz ABOULADZE  - EUR 6,49 | PicClick FR

Alt titlu: Monanieba
Regia: Tengiz Abuladze
Actori: Merab Ninidze, Amiran Amiranashvili, Rezo Esadze, Avtandil Makharadze, Ya Ninidze
Anul: 1984
Gen: Drama, Comedie
Durata: 153 minute

-===============================================================
================================================================

Le Repentir (film, 1984)

Titre original: მონანიება (Monanieba)
Réalisation:Tenguiz Abouladzé
Scénario:Tenguiz Abouladzé,Nana Janelidze,Rezo Kveselava
Acteurs principaux:Avtandil Makharadze,Ia Ninidze, Zeinab Botsvadze
Durée:153 minutes
Sortie:1984

Le Repentir (მონანიება, Monanieba) est un film soviétique réalisé par Tenguiz Abouladzé, sorti en 1984. Le film est produit par les studios Kartuli Pilmi.

Synopsis
Le film se déroule dans un petit village géorgien. Après l'enterrement du maire de la ville, Varlam Aravidze, sa tombe est régulièrement profanée et son cadavre déterré. La coupable, traînée devant la justice pour un procès grotesque, se défend en racontant le règne tyrannique de Varlam à travers ses souvenirs de petite fille. L'audience est alors replongée dans la lutte entre deux familles, le clan d'Aravidze d'une part, la famille de l'artiste dissident Baratelli d'autre part.

Analyse
Le film, réalisé sous Léonid Brejnev, a longtemps été interdit de projection ; il faut attendre 1987 pour le voir sur les écrans. En effet, on peut voir dans Le Repentir une critique du totalitarisme stalinien : en témoigne le personnage de Varlam Aravidze, ayant la moustache d'Adolf Hitler, le visage et la chemise noire de Benito Mussolini et le reflet dans les lunettes propre à Lavrenti Beria. Son côté grotesque et arbitraire est accentué par la bêtise et l'anachronisme de ses hommes de main, représentés tantôt par un conseiller aussi stupide qu'extrémiste, tantôt par des larbins bouffons, tantôt par des chevaliers en armure noire. Parallèlement, la vie du peintre Sandro Baratelli et de sa famille témoigne de l'arbitraire du régime d'Aravidze : emprisonnement, déportation... Cependant, l'attitude notamment du petit-fils d'Aravidze nous montre un autre aspect du stalinisme : sa décrépitude dans le temps. En effet, celui-ci a honte du comportement de son grand-père et de son père et souhaite se repentir. (w.fr.)

=====================================
Werth Nicolas. Le repentir, une fable antitotalitaire. In: Vingtième Siècle, revue d'histoire, n°16, octobre-décembre 1987.
https://www.persee.fr/docAsPDF/xxs_0294-1759_1987_num_16_1_1930.pdf

LE REPENTIR, UNE FABLE ANTITOTALITAIRE 

Après plusieurs mois d'une existence souterraine (projection dans quelques clubs professionnels très fermés), le film géorgien de Tenguiz Abouladze, Le Repentir, projeté en première officielle dans la plus prestigieuse salle de cinéma moscovite, le lendemain de la clôture du plénum du Comité central, a créé l'événement de la saison artistique, consacrant ainsi la perestroïka dans les arts et la « seconde vague » de déstalinisation. Le Repentir est une fable satirique et poétique qui entreprend, à travers l'histoire d'un grand-père, Varlam Aravidze (image évidente de Staline), de son fils Abel (qui symbolise en quelque sorte la génération et le comportement d'un Brejnev) et de son petit-fils Tornike (symbole de la génération actuelle), une démolition systématique du totalitarisme. Varlam, maire d'une ville indéfinie (Tbilissi, bien sûr, pour un œil averti) tient, comme le Dictateur de Charlie Chaplin (auquel il a emprunté la tenue et la moustache), des discours enflammés au peuple, encadré de soldats d'opérette vêtus de sinistres costumes noirs d'une époque également indéfinie. Varlam se prend d'amitié pour un couple d'artistes : le peintre Sandro Baratelli, qui a l'imprudence d'avoir des vues personnelles et visiblement hétérodoxes, Nino, sa ravissante épouse et Ketevan, leur petite fille. Il leur rend visite un jour, ogre débonnaire et papa-gâteau, chante un air d'opéra, disserte sur l'art, récite un poème de Shakespeare, offre des canaris à la petite fille, s'incline jusqu'aux pieds de la belle Nino. Elle aura bientôt l'occasion de lui rendre la pareille. Les événements en effet s'accélèrent. Un vieux couple qui défendait la cause d'une église menacée par le générateur qu'on y avait installé, est arrêté. Sandro, qui connaissait ce vieux couple, est arrêté à son tour, peu de temps après. Pour Nino commence alors le long calvaire des épouses de détenus : attente au guichet de la milice pour avoir des nouvelles, parmi des centaines de femmes dans la même situation, coups de sonnette désespérés chez des amis « qui ne sont plus là », recherche de noms de détenus gravés sur des troncs d'arbre échoués quelque part le long d'une voie ferrée... Nino à son tour est arrêtée, disparaît à jamais... Ketevan n'oubliera pas : elle rêve de se venger, et le film de ce rêve encadre le récit du passé. Sa vengeance : déterrer le corps du dictateur, mort paisiblement de sa belle mort. Abel, fils de Varlam, notable gris, falot et satisfait, est donc réveillé un matin par une découverte macabre : le cadavre de son père adossé à un tronc, dans le jardin de leur belle propriété. La plaisanterie se répète plusieurs jours de suite. Le clan des Avaridze s'embusque nuitamment dans le cimetière et s'empare du coupable déguisé : c'est Ketevan. Arrêtée, jugée, elle proclame avec hauteur et détermination à son procès (dont on n'apprendra jamais l'issue) que, « si c'était à refaire », elle recommencerait son « forfait ». Epouvanté par les révélations de Ketevan, Tornike, le petit-fils du dictateur, se suicide, victime expiatoire. Rongé par une culpabilité tardive, Abel, père d'une génération perdue, crie son repentir et finit par jeter lui-même du haut du promontoire qui domine la ville l'indésirable et encombrant cadavre de son père : il y a des 97 IMAGES ET SONS cadavres qu'on ne peut pas, qu'on ne doit pas enterrer. Exempt de lourdeur et de didactisme, Le Repentir s'inscrit, stylistiquement, dans une certaine tradition surréaliste méditerranéenne à la Bunuel. Ce sujet grave, tragique, est traité dans les tons chauds et lumineux de la Géorgie au printemps, croulant sous les fleurs. Les fleurs entourent le cercueil du dictateur, envahissent les parterres et les fosses d'un ambigu Jardin des délices où les détenus attendent l'issue de leur procès autour d'un superbe piano à queue blanc. Ce film sur le totalitarisme, traité sur un mode parfois bouffon et surréaliste, recourt à une thématique chrétienne pour illustrer son propos. Ainsi, le thème du Christ (image suprême du Rachat) est-il l'un des principaux du film. Le sentiment religieux parcourt le film sous les traits d'un Christ que l'on voudrait bien éliminer et qui réapparaît sans cesse dans les fresques de l'église vouée à la démolition, le crucifix offert autrefois par Nino au fils de Varlam, Abel. Le Christ s'incarne aussi dans le beau visage et le corps supplicié de Sandro, suspendu par les poignets dans une chambre de tortures moyennageuse. Le dernier mot du film, que l'on doit à une simple passante, interpellant Ketevan : « — Cette route mène-t-elle au temple ? — Non, celle-ci n'y mène pas. Celle-ci, c'est la rue Varlam. — A quoi peut bien servir une rue, si elle ne mène pas au temple ? » témoigne de l'authentique recherche spirituelle d'un film (au titre sans équivoque) qui ne saurait être réduit à sa seule dimension politique ou historique. Sans pathos ni vacarme Un montage tout en nuances, alternant scènes rêvées et scènes réalistes développant la complexité des relations entre le passé et le présent, le père et le fils, le crime et le repentir, donne un cachet très ticulier à ce film. Sans pathos ni vacarme, T. Abouladze dit tout ce qu'il fallait dire. Il semble que ce film, qui dit les choses sans les nommer et recourt au procédé — ô combien utilisé depuis toujours dans ce pays ! - de l'allusion, ne soit pas compris par tous. Certes, ceux qui ont vécu, même enfants, les années du stalinisme, sont-ils profondément émus par le film. La projection « officielle » du Repentir a une dimension libératoire : un quart de siècle après le XXIIe congrès, on reparle enfin du calvaire enduré par les deux générations précédentes. Pour ces Soviétiques, la sortie du film de T. Abouladze est un acte aussi lourd de signification qu'en son temps la parution à' Une journée d'Ivan Denissovitch : elle témoigne de l'authenticité et de la sincérité de l'action entreprise par l'équipe Gorbatchev. Mais vingt-cinq années sont passées... L'émotion ne va pas sans un certain scepticisme et une grande fatigue d'espérer. On retient le message fondamentalement pessimiste du metteur en scène géorgien, qui jure avec l'optimisme volontariste du discours gorbatchévien. On remarque que le stalinisme n'est abordé — une fois de plus - qu'à travers des métaphores et des allusions déchiffrables pour les seuls « initiés ». En effet, pour la grande majorité des jeunes soviétiques qui n'ont été instruits ni par leurs parents, ni par leurs maîtres sur ce qui s'est passé dans leur pays il y a cinquante ans, les allusions et les métaphores du Repentir ne renvoient à rien. Les commentaires que l'on peut entendre à la sortie des salles où est projeté le film sont, à cet égard, révélateurs. Un tel pense que l'action se passe actuellement en Géorgie, tel autre voit dans Le Repentir un film entièrement imaginaire et fantastique, un troisième trouve le film obscur et « moyennageux » ! Ainsi, la portée politique et idéologique du Repentir est-elle moins grande aujourd'hui qu'elle ne l'aurait été il y a dix, quinze ans, par exemple. Il n'en reste pas moins qu'après de longues 98 IMAGES ET SONS années de silence la sortie d'un tel film, même s'il n'est compris que par ceux « qui savent déjà », est encourageante pour tous ceux qui espèrent un changement. Et puis, et c'est peut-être, après tout, le plus important, Le Repentir est un très bon film, l'aboutissement, comme l'a dit T. Abuladze, « d'une très longue route, de toute une vie ». (Nicolas Werth)
======================================

Réalisation : Tenguiz ABOULADZE 
(Тенгиз АБУЛАДЗЕ)
Scénario : Tenguiz ABOULADZE (Тенгиз АБУЛАДЗЕ), Nana DJANELIDZE (Нана ДЖАНЕЛИДЗЕ), Rezo KVESSELAVA (Резо КВЕСЕЛАВА)
 
Interprétation
Ketevan ABOULADZE (Кетеван АБУЛАДЗЕ) ...Nino Barateli
Vériko ANDJAPARIDZE (Верико АНДЖАПАРИДЗЕ)
Zeïnab BOTSVADZE (Зейнаб БОЦБАДЗЕ) ...Ketevan Barateli
David GUIORGOBIANI (Давид ГИОРГОБИАНИ) ...Sandro Barateli
Kakhi KAVSADZE (Кахи КАВСАДЗЕ) ...Mikhail Koretcheli
Avtandil MAKHARADZE (Автандил МАХАРАДЗЕ) ...Varlam et Avel Aravidze
Merab NINIDZE (Мераб НИНИДЗЕ) ...Tornike Aravidze, petit-fils du vieux dictateur
Ia NINIDZE (Ия НИНИДЗЕ) ...Gouliko
Tamara TSITSICHVILI (Тамара ЦИЦИШВИЛИ)
 
Images : Mikhaïl AGRANOVITCH (Михаил АГРАНОВИЧ)
Décors : Gueorgui MIKELADZE (Георгий МИКЕЛАДЗЕ)
Musique : Nana DJANELIDZE (Нана ДЖАНЕЛИДЗЕ)
Ingénieur du son : Dmitri GUEDEVANICHVILI (Дмитрий ГЕДЕВАНИШВИЛИ)
Production : Grouzia-Film
 
Format : 35 mm

Prix et récompenses :
Meilleur film de fiction Prix "NIKA", Moscou (Russie), 1987
Meilleure réalisation Prix "NIKA", Moscou (Russie), 1987
Meilleur scénario Tenguiz ABOULADZE , Rezo KVESSELAVA , Nana DJANELIDZE , Prix "NIKA", Moscou (Russie), 1987
Meilleure image Mikhaïl AGRANOVITCH , Prix "NIKA", Moscou (Russie), 1987
Meilleurs décors Gueorgui MIKELADZE , Prix "NIKA", Moscou (Russie), 1987
Meilleur rôle masculin Avtandil MAKHARADZE , Prix "NIKA", Moscou (Russie), 1987
Prix spécial du Jury Festival de Cannes, Cannes (France), 1987
Prix de la FIPRESCI Festival de Cannes, Cannes (France), 1987
Premier prix du festival national de l’Union soviétique de 1987

A noter :

Témoignage recueilli par Alexandre Bourmeyster le 16 mai 1987 :
Depuis les années 1980, je dispose d'un carte de presse du Figaro, destinée, notamment durant le Festival de Cannes, à couvrir la projection des films d'Union soviétique et des Pays de l'Est. En 1987 au 40ème festival, sous la présidence d'Yves Montand, est présenté dans la sélection officielle « POKAÏANIE » (Repentir) de Tenguiz Abuladzé.
Le samedi 16 mai, tôt le matin, j’attends Tenguiz Abuladzé au Carlton. Je serai le premier à le rencontrer à Cannes. Quand je pénètre dans sa suite, j’ai du mal à distinguer ses traits, il est assis dans une semi-pénombre, près de la fenêtre. Un sexagénaire qui paraît très las. Auprès de lui, son « assistante », une garde-malade dévouée, prépare un médicament. En dépit de ces précautions, nous entrons aussitôt dans le vif du sujet :
– Pokaïanie (Repentir) achève une trilogie qui comprend Molba (Supplication), Drevo Jelaniïa (L’arbre des désirs).
– Oui, il y a un intervalle de près de10 ans entre chaque film : 1968, 1977, mais le scénario de Repentir était déjà prêt en 1982. Notre premier secrétaire du parti en Géorgie, Edouard Chevarnadzé, devenu depuis ministre des Affaires étrangères, auprès de Mikhaïl Gorbatchev, m’a averti qu’il serait refusé par la censure à Moscou. Il a débloqué des crédits, m’a aidé à sa réalisation dans les studios de la télévision géorgienne. Après l’avoir visionné en 1984, il m’a conseillé d'attendre, de retarder sa diffusion.
– La campagne de déstalinisation était stoppée depuis l’éviction de Khrouchtchev. Ce n’est que l’an dernier, à la suite des changements radicaux à la direction de l’Union des cinéastes, que sa sortie a été possible. Elle a provoqué un scandale…
– A Moscou, cette sortie a provoqué, non pas un scandale, mais une incroyable bousculade aux avant-premières, à Dom Kino (la Maison du Cinéma). L’intelligentsia craignait que le film soit interdit avant sa présentation au public. Depuis, 4 millions de personnes l’ont vu à Moscou!
A l’évocation de ces événements, le visage d’Abouladzé s’illumine d’un large sourire, il exprime une volonté inébranlable, celle qui l’a guidé dans ses combats. Au bout d’une demi-heure d’échanges sur la portée politique d’un film qui dénonce, avec une hardiesse inouïe, le cynisme, la démagogie, le total amoralisme d’un régime despotique, je demande :
– C’est au nom du Beau, du Bien, du Vrai que vous dénoncez le Mal incarné par votre despote Varlam. Seriez-vous croyant ?
– Si Dieu s’incarne dans ces valeurs, je suis effectivement croyant, répond Abouladzé en me fixant droit dans les yeux, par-dessus ses lunettes.
L’émotion me gagne. Après Tarkovsky et le sacrifice, voici Abouladzé et le repentir, ou plutôt la repentance car pokaïanie implique pénitence, volonté sincère d’expier ses fautes. Peut-on attendre des manifestations de repentance de la part des dirigeants communistes ? Aucun d’eux n’a jamais plaidé coupable, n’a jamais demandé pardon pour les crimes commis au nom d’un prétendu « idéal ». Ils se sont seulement employés, lorsque cela leur convenait, à reconnaître des « erreurs » dans la construction de l’Avenir radieux; et les inconditionnels de l’Union soviétique de s’extasier devant leur « honnêteté scientifique » ! Khrouchtchev, dans son rapport secret au XX° Congrès, a bien évoqué les crimes commis par son parti, mais il en a attribué toute la responsabilité à Staline et s’est contenté de réclamer la réhabilitation des innocents. Au nom de quelle légitimité, des bourreaux disposeraient-ils du droit de réhabiliter leurs victimes? Désormais un langage ouvertement religieux affronte cette manipulation idéologique indigne.
– Qui est coupable? Qui doit se repentir? – Tous. Nous sommes tous coupables d’avoir été des lâches, d’avoir accepté le mensonge. Je le sais, mon film rencontre l’incrédulité de ceux qui ne veulent pas reconnaître la vérité, ceux qui se contentent de survivre dans ce monde médiocre, sans perspective, sans espérance.
– Il y a aussi ceux qui viennent voir votre film par curiosité, sans en tirer aucun profit spirituel ou moral.
– Je le sais, je sais que ce régime a brouillé toutes les valeurs, qu’il a confondu les notions de bien et de mal, qu’il a enraciné dans les esprits un sentiment de servitude qu’il faut combattre. C’est pourquoi, le cadavre de Varlam ne doit pas reposer en paix, qu’il faut le déterrer, le déterrer, jusqu’à ce qu’on ait pris conscience du Mal qui nous détruit.
– Vous avez constamment recours à la métaphore, au grotesque, à l’outrance surréaliste, il n’est pas toujours aisé de vous suivre dans cette voie…
– Mon approche a toujours été poétique, je n’ai jamais tourné de film réaliste. Je suis un artiste, je ne puis tout expliquer. L’abeille connaît les fleurs, sans avoir étudié la botanique. Je suis convaincu que le Mal est absurde, que le despotisme est une mascarade, les masses y participent bon gré mal gré, le despote est un bouffon qui ne songe qu’à se faire aduler, à n’importe quel prix. Comment représenter cette vérité effrayante? Comment empêcher que cela recommence? Le plus difficile est de trouver une forme esthétique capable d’éveiller l’opinion, de l’ébranler dans ses certitudes, de l’obliger à réagir, à réfléchir.
Abouladzé me fixe à nouveau et articule d’un ton catégorique :
– Si le Repentir ne s’impose pas sur le plan artistique, le remède sera inefficace et le film ne vaudra rien.
Mon article « Vérités et mensonges du cinéma soviétique » paraît dans le Figaro du 18 mai, à côté d’une critique de Repentir intitulée « Bric-à-brac pathétique ». Son auteur, Claude Baignères, le critique cinématographique patenté du Figaro , a cru qu’Abouladzé usait de la langue d’Esope pour égarer la censure soviétique dans un labyrinthe, qu’il multipliait, maladroitement, des paravents, des personnages qui rêvent leurs rêves. Il n’a pas compris que cette censure était désormais levée et que la cible du cinéaste était le spectateur soviétique qu’il fallait arracher au confort de sa médiocrité, à son apathie et lui inspirer un objectif à la fois culturel et spirituel. C’est le sens de cette « église » perdue, dont il est question à la fin du film, un besoin d’harmonie, sans laquelle la vie n’a plus de sens.
Abouladzé a pris tous les risques, bravé les interdits, les tabous, échappé à des attentats, mais a-t-il gagné son pari ? Une œuvre cinématographique peut-elle changer le cours de l’Histoire? Et dans le cas contraire, faut-il la condamner sur le plan esthétique? Je regrette de n’avoir pas eu l’occasion de m’entretenir avec Claude Baignères, avant qu’il ait rédigé son article. En réalité, nous ne nous rencontrons que brièvement, lorsque j’apporte un papier au Carlton. Nous nous expliquons au cours d'un déjeuner et désormais nous ferons cause commune pour défendre le vrai cinéma russe, notamment en 1998, l'œuvre contestée d'Alexeï Guerman : Khroustaliov, ma voiture !
Pokaïnie obtient le Grand prix spécial du Juy, la deuxième récompense après la Palme d'or, attribuée à Sous le soleil de Satan de Maurice Pialat. Son auteur, Tenguiz Abuladzé meurt à Tbilissi en 1994, spectateur d'une Russie post-communiste, sourde et aveugle aux sacrifices et aux repentances. Cauchemardesque, surréaliste, rabelaisien par la richesse des sujets abordés, son chef d'œuvre conserve son pouvoir esthétique, l'image du cadavre de Varlam, et son message, celui du lanceur d'alerte : « il faut le déterrer jusqu’à ce qu’on ait pris conscience du Mal qui nous détruit ».

DVD avec sous-titres
Editeur : Ruscico

Synopsis
La famille de Varlam Aravidze suit ses funérailles en grande pompe dans la ville où il était maire. Mais son cadavre va être plusieurs fois mystérieusement exhumé. On finit par trouver le coupable, Keti Barateli qui, lors de son procès, dénonce l'hypocrisie qui entoure la vie du défunt maire. Elle annonce que tant qu’elle vivra, le cadavre du maire, dictateur cynique responsable de la mort de ses parents, ne connaîtra jamais le repos éternel. Les juges ne peuvent la condamner mais la famille du défunt réussit à la faire taire. Le petit-fils, Tornike, ne peut supporter cette vérité qu'on lui a cachée pendant si longtemps : il se suicide. Avel, torturé par la mort tragique de son fils, et comme animé par un besoin de repentir, déterre le corps de son père et le jette dans un précipice, le maudissant à jamais.
 

Commentaires et bibliographie
Тенгиз Абдуладзе: Путь к "Покаянию"Margarita KVASNETSKAIA, Livre, Культурная революция, 2009
RepentanceJoséphine WOLLDenise YOUNGBLOOD, Livre, I.B.Tauris, 2001
 
« Ce film convulsif et fantasmagorique souffre sans doute d’un excès de symbolisme, voire de « surréalisme », mais il comporte des moments d’une grande puissance dramatique et d’une exceptionnelle invention visuelle »
(Marcel Martin, Le Cinéma soviétique de Khroutchev à Gorbatchev – L’Âge d’Homme)

"Le film possède une immense richesse artistique. Il condamne impitoyablement le mal qui détruit non seulement le monde où nous vivons, mais aussi l'individu lui-même, qui transforme l'actualité en absurde cauchemar, qui sème la mort et multiplie les souffrances. Ce film témoigne de l'assainissement moral de la société, d'une transparence courageuse. "
(G. Kapralov, La Pravda, 7 février 1987)
http://www.kinoglaz.fr/u_fiche_film.php?lang=fr&num=606
=================================
Page provisoire en cours de rédaction

Nous remercions Kristian Feigelson de nous avoir autorisé à publier, sur kinoglaz.fr, les articles de la revue THÉORÈME 8, consacrée au thème "cinéma et stalinisme". Ces publications s'étaleront dans le temps, en fonction de l'enrichissement du site autour de ce thème (nouvelles fiches techniques, nouvelles notes historiques, autres articles...)

Textes déjà publiés sur le site :
Le cinéma du dégel : l'ennemi transfiguré par Kristian Feigelson (Cesta/Cnrs)


Dans le  texte reproduit ci-dessous, les indications en marron correspondent à des notes qui dans l'article original étaient regroupées en fin d'article.

Le Repentir (1984) : une inquiétante étrangeté
par Kristian Feigelson

Fable initiatique
Le Repentir (1984) de Tenguiz Abouladzé fait partie d'une trilogie sur l'histoire de la Géorgie après Incantation (1968) et L'arbre du désir (1976). Peut-on pour autant la lire comme le dernier élément d'un triptyque religieux mettant en scène la lutte du bien contre le mal où un jour le peuple sera enfin éclairé par un nouvel héros moral ? Fable d'Esope, tragédie ou comédie sociale du totalitarisme, Le Repentir se situerait dans cette continuité, sorte de synthèse onirique renvoyant aux ténèbres de la mort comme aux douleurs de l'enfantement des nouvelles générations. À l'image d'autres films géorgiens considérés comme initiateurs de paraboles et sous la forme d'un conte « dans un certain royaume ou dans un certain État... » où se déroulent les récits fondateurs, de certains réalisateurs comme Pirosmani (1969) de Nicolas Chenguelaya ou Les Montagnes bleues (1983) d'Eldar Chenguelaya. Tout artiste qui cherche à éclairer les rapports entre Art et Pouvoir acquiert en Géorgie une place spécifique.

Cf. un précédent article «Le cinéma géorgien à la croisée des générations» T les Cahiers de la cinémathèque i°67/68, Institut Jean Vigo, décembre 997, p. 57-65. Voir aussi Le cinéma géorgien, dir. Jean Radvanyi, Centre Georges Pompidou, Paris, 1988.

Dans Le Repentir Nino Barateli, le peintre, veut restaurer une église du VIe siècle menacée de ruine. Malgré la résistance du village, l'église sera dynamitée. Sorte d'Antéchrist, Nino Barateli sera exécuté par Varlam, le maire du village. Kéti, fille du peintre, lui survivra et le jour de la mort du tyran, elle décide de venger son père pour raconter l'imposture du tyran et ébranler la conscience de la famille de Varlam. Tornike, son petit-fils, apprenant la condamnation de Kéti à l'asile psychiatrique, se suicidera avec le pistolet de son grand-père. Entre-temps, le cadavre du tyran est déterré par son fils et reparaît dans le jardin familial. Kéti plongera dans ses souvenirs d'enfance pour retrouver, au-delà des origines familiales de Varlam, les racines du mal, s'interrogeant sur ce qui a rendu possible une telle folie dans le pays. Mais rivée à sa peur, Kéti ne peut que se réfugier dans l'imaginaire (pour parfaire au début comme à la fin du film) la décoration d'un gâteau en forme d'église. Dans cette perspective anthropologique de vouloir continuer à nourrir les morts à l'image du culte des anciens prévalant dans les rituels de l'église orthodoxe. Comment en fin de compte empêcher le dictateur de «jouir d'un repos éternel puisqu'il ne s'est pas repenti », à l'image des crimes commis en son nom depuis les années trente.

En 1981, Chevarnadzé dirige le PC géorgien et autorise le projet d'un tel film avec l'idée de l'instrumentaliser à son profit politique. Il souhaitait en cas de succès du film d'en faire la vitrine d'une politique de libéralisation. Le scénario est donc écrit dès 1982. Outrepassant les instances bureaucratiques de Goskino à Moscou, trop centralisées et peu favorables à un cinéma géorgien jugé trop libre, le film est commandé par la télévision locale de Tbilissi. Confié à Tenguiz Abouladzé, cinéaste réputé (depuis sa palme d'Or du court-métrage à Cannes pour L'âne de Magdana en 1956) et notable du Parti, ce film de commande devient une affaire de famille à l'échelle de la Géorgie. Sa belle-fille Nana Djanelidzé sera co-scénariste et la femme d'Abouladzé, l'une des actrices principales. A l'image du stalinisme qu'il dépeint, le film sera interrompu en plein tournage en 1983, lorsque l'acteur principal Guegua Kobakhidzé, fils du cinéaste Mikhail Kobakhidzé tenta de détourner le 19 novembre avec six compagnons, un avion de Tbilissi pour quitter l'URSS. Deux d'entre eux seront tués pendant la tentative à l'aéroport. Les quatre autres protagonistes seront, après un procès sommaire, envoyés sur ordre de Chevarnadzé dans un camp à Magadan dans la région de la Kolyma pour y être exécutés en 1984. Ce procès spectaculaire fut diffusé pour l'exemple à la télévision géorgienne, générant une émotion dans l'élite intellectuelle du pays qui réclama la grâce des condamnés, qualifiés alors de « renégats » et de « traîtres à la patrie ». Certains des 2000 signataires de la pétition, soumis à des pressions se rétractèrent par la suite. Ce drame passé doublement sous silence puisqu'on ne retrouva jamais la trace des condamnés, restera un non-dit de famille à l'échelle de la Géorgie, et retarda finalement la réalisation du projet, qui put s'achever avec d'autres acteurs, malgré des menaces d'interdiction totale.

Cf. en épilogue son article, « Blanc et noir », retraçant l'après-Staline en Géorgie. Parmi les disparus, hormis Guéga Kobakhidzé, figuraient deux médecins les frères Iverieli et un prêtre orthodoxe Tchikhadzé.

Les incertitudes de la perestroïka en 1984/1985, quant à l'évolution des changements à Moscou, l'impact de la libéralisation dans les républiques notamment au Caucase (on se souvient à la même époque du film letton Est-il facile d'être jeune ? de Podoniecks) contribuèrent à interdire la sortie du film jusqu'en 1987. La période de transparence (ou glasnost) initiée à Moscou permet alors de publier nombre d'auteurs encore interdits, comme Nabokov, ou distribuer des films jusqu'ici bannis. La sortie du Repentir, après une première en octobre 1986 à Tbilissi, puis sa présentation à Cannes en 1987 (qui eut sans doute le même impact qu'Andrei Roublev de Tarkovski (1966) auprès du public occidental) fut un succès immense dans toute l'URSS où il fut regardé par plus de 30 millions de spectateurs avec près de 1000 copies supplémentaires tirées dans les premiers mois. Cela provoqua un choc émotionnel comparable à celui d'Une journée d'Ivan Denissovitch d'Alexandre Soljénitsyne, publié en 1962 dans la revue Novyi Mir. Près de 25 ans plus tard, ces mêmes questions sur le totalitarisme sont portées cette fois pour une des premières fois à l'écran dans une société se libéralisant progressivement. À la fin des années quatre-vingt, d'autres films de fiction comme Mon ami Ivan Lapchine d'Alexeï Guerman en 1982, puis L'été froid de l'année 53 d'Alexandre Prochkine en 1987 ou Bouge pas, meurs et ressuscite de Vitaly Kanevski en 1989, traiteront de manière plus réaliste du stalinisme. Tout comme le cinéma documentaire (Le pouvoir des Solovki de Marina Goldovskaya en 1988 ou encore J'étais le garde du corps de Staline d'Aranovitch en 1989...)

D'essence baroque et devançant le travail des historiens, majoritairement inféodés alors à la loi de l'État-Parti, Le Repentir sera discuté dès 1986 par des écrivains ou des journalistes.

En URSS, voir les propos très positifs des écrivains Andreï Bitov, « Portrait d'un artiste courageux » in Moskovskie Novosti n°7, 15 février 1987, et Robert Rojdestvenski, « À propos du Repentir » in Litteratournaya Gazeta, 21 janvier 1987. Voir aussi Anna Lawton « The ghost that does return : exorcising Stalin », ch. 12 in Stalinism and Soviet cinéma par Richard Taylor et Derek Spring, ed Routledge, 1993, London et Kinoglasnost, Soviet cinéma in our time, Cambridge University Press 1992. Joséphine Woll et Denise J.Youngblood « Repentance » Kinofilm n°4/Tauris, London, 2001.

Plus qu'un film, ce retour en images sur le stalinisme pour une société continuant à refouler ces questions, contribuera à créer un véritable événement social. En Géorgie d'abord, pays de la Colchide et de la Toison d'or, mais aussi des principaux bourreaux staliniens, de Beria, patron du NKVD, à Ordjonikidze, responsable des principaux massacres de l'intelligentsia géorgienne des années vingt jusqu'à Staline, mingrélien né Djougachvilli. La société géorgienne cherche à comprendre l'origine de ses tyrans. Au regard d'une micro-société engluée dans ses problèmes de reconnaissance et d'indépendance, le film devient un premier événement international dépassant les frontières de la parabole géorgienne. Il s'agit pour différentes générations de faire un vrai bilan des espoirs déçus de la déstalinisation. Le film est en quelque sorte un film-exorcisme, Abouladzé citant Tolstoï en allusion au traumatisme générationnel : « Le silence ne guérit pas un mal, il ne fait que l'aggraver. » Sur le plan romanesque Le Repentir semble plus proche du Maître et Marguerite (1940) de Boulgakov dans ses allusions au chat noir métaphore populaire de Staline : « II est difficile de saisir un chat noir dans une pièce noire si le chat n'y est pas ! »

Dans une tradition picaresque ou fantasmagorique proche du réalisme magique de Garcia Marquez dans son roman Cent ans de solitude. Sur le rapport film et tradition picaresque, voir « Le témoin de Péter Bacso » par Juliana Brandt in Théorème n°7, « Cinéma hongrois : le temps et l'histoire », PSN, Paris, 2003, décrivant une forme littéraire rétrospective du passé dans nombre de films d'Europe centrale.

Reprise par Varlam dans le film, cette allusion résume en quelque sorte toute la problématique du stalinisme en tant que phénomène poreux et invisible absorbant toutes les strates de la société. Ce stalinisme au quotidien est insaisissable car fondé sur des compromissions générationnelles, clivant la loi collective dans sa relation aux individus. Les rapports intergénérationnels deviennent mensongers : « Combien de temps allez vous mentir ? » demande Tornike à son grand-père. Mais qui est donc ce Varlam Avaridzé (incarné par Atvandil Makharadzé), pivot de tout ce récit, forme hybride et figure burlesque du père, clone d'Hitler avec ses moustaches, de Beria avec ses lorgnons et de Mussolini avec sa chemise noire ? « Personne » en réponse à cette traduction littérale géorgienne (« Asvaridzé ») pour près de trois générations perdues dans une cité imaginaire.


Fantôme et exorcisme
Revisitant en permanence les rapports entre fiction et réalité, le film réinterprète en profondeur les rapports à la déstalinisation : peut-on simplement comprendre et reconnaître ses erreurs comme l'avait fait publiquement le rapport au XXe Congrès en 1956 ? Un bilan qui finalement n'avait rien réglé sur le fond. Ou peut-on aller au-delà ? Film polyphonique dans sa construction en abyme Le Repentir joue de cette disjonction parfois abrupte entre passé et présent. La fiction y mêle les temps et les genres, références au marxisme comme à la chrétienté s'efforçant de déposséder le spectateur de toute vision schématique du stalinisme ou de le dérouter par la diversité des scènes familiales où chaque souvenir en appelle un autre. À partir d'observatoires diversifiés, le stalinisme ou la complexité de la mécanique totalitaire induit des rapports de séduction permanente entre son peuple et son tyran dans une tradition carnavalesque5.

Cf. Gabor Rittersporn, « Staline : lesRusses contre l'État », sur les modes d'expression non-conformistes dans
l'URSS de Staline, p. 471-496 in Les Annales 58, n°2, mars-avril 2003.

Dans une perception plus circulaire du temps et de l'espace, du prologue à l'épilogue, le film dévide la mémoire géné-rationnelle de toute une société. Plongeant ses racines dans les enluminures géorgiennes recoupant Moyen Âge et modernité, chaque épisode révèle un fait réel. Par exemple, la boulangère victime de Varlam, fille de Mamya Oraklachvilli, communiste géorgien fusillé en 1937, une des sources scénaristiques de départ du film. Ou les scènes de retrouvailles de familles de déportés s'efforçant de lire sur des troncs d'arbres les noms des disparus. Au peintre qui s'indigne des méthodes de Varlam, il rétorque « Tu es contre le progrès ?» à son projet de vouloir substituer une piscine à l'ancienne église, rappelant l'épisode où Staline fit détruire dans les années trente, l'église Saint-Sauveur en plein centre de Moscou au profit d'une piscine.
Malgré ses lourdeurs, ses longueurs et un certain académisme, au regard de son montage, ce film est un film-exorcisme. Pointant les absurdités du système, où, pendant le procès on proclame « qu'il avait avec 2000 complices creusé un tunnel de Londres à Bombay... » Manière de faire disparaître toute référence aux lieux et au temps. Le stalinisme est pointé comme un phénomène diffus, sinon a-historique. Au travers de cette figure de Staline, double grotesque de Varlam mixte de tous les dictateurs du XXe siècle permettant de décrire sous tous ses aspects le désespoir et la léthargie d'une petite ville provinciale vivant avec son maire un stalinisme au quotidien. Construit sous forme d'abîme faisant alterner rêves et cauchemars, multipliant les personnages, les zones d'ombre et de lumière, le film apparaît comme beaucoup plus complexe à l'instar d'un chemin labyrinthe, réminiscence des fantasmagories de Jérôme Bosch. De l'ordre du mystique, aussi comme en témoigne la dernière phrase prononcée en fin de film : « À quoi sert un chemin qui ne mène pas au temple et s'il ne conduit nulle part ? » Après un meurtre collectif aussi ritualisé, quelle est aussi la véritable possibilité de rédemption6 ?

Cf. par exemple Les Damnés de Visconti en 1969 comme décomposition d'une grande famille et de son autodestruction au début du nazisme mêlant scène publique et scène privée.

La parabole du despotisme est doublée d'une vision christique, celle de Sandro dans un temple fissuré. Écornant les multiples figures du père, le film touche à des questions universelles. Si Torniké dispa¬raît dans l'innocence de son enfance, du bout du pistolet de son grand-père, quelle transmission générationnelle sera possible ? Comment comprendre le repentir insupportable d'Abel, incarnant l'apparatchik brejnévien sans éthique, confronté aujourd'hui à l'horreur de son propre père, d'Abel découvrant, dans un mimétisme quasi biblique, le cadavre de son fils pour interroger son propre père (dont il est lui-même le double à l'écran) « Qu'as-tu fait toi le monstre ? », sous-entendant l'incapacité de toute une société coupée de sa mémoire générationnelle d'accéder à l'état adulte. Le stalinisme ne serait qu'une régression générationnelle réduisant Varlam à un état « d'homme enfant » où le conflit génération-nel se solde par le suicide du petit-fils et l'impossibilité de faire perdurer la filiation. Le stalinisme plus qu'un phénomène politique ou social s'inscrit comme la prolongation d'un roman familial décadent.

La famille est autant le réceptacle de l'intime que de la mémoire collective.

Cf. « Du journal intime à récran-souvenir chez Marta Meszaros », in Théorème n°7, op. cit.

À l'époque communiste, la famille constituait autant un modèle social institutionnalisé qu'un lieu de repli face au stalinisme. Sous cet angle, le lien entre générations constitue la texture fondamentale du cinéma géorgien, où la filiation père/fils pose le problème de la transmission comme une interrogation cruciale dans une société qui aurait perdu la mémoire.

Cf. Julie Christensen « Fathers and son at the Georgian film studio » in Wide Angle vol 12/n°4 ainsi que « Repentance and the Georgian Nationalist cause » in Slavic Review, vol. 50 n°1/1191 et Natacha Jouravkina « Fathers for the Fatherland : The cuit of the leader in Russian cinéma », p. 105-113 in Russia on réels, dir. Birgit Beumers, ed Tauris London 1999. En 2003, soit une génération plus tard, le père n'apparaît plus comme l'ennemi du peuple déposé à la décharge publique mais peut-être revisité comme valeur-refuge par le cinéma russe dans trois films consacrés internationalement lors de prix à Berlin et Venise, Le retour d'Andrei Zviaguintsev, Père, fils d'Alexandre Sokourov et Koktebel d'Alexeï Popogrebski et Boris Khlebnikov.

Si cette décennie voit se multiplier en URSS nombre de documentaires traitant de Staline ou de la période stalinienne,

II faudra attendre 1989 avec Bouge pas, meurs, ressuscite de Vitali Kanevski pour assister à une première fiction dénonçant ouvertement le goulag. Alors que dès 1936, Eugène Tcherviakov avait réalisé un film éducatif sur les camps, Détenus, montrant les bienfaits du socialisme et qu'en 1964 en pleine déstalinisation, Elem Klimov en réalisait une parodie : Soyez les bienvenus ou entrée interdite aux étrangers, un film ironique sur les camps de pionniers et l'enfermement, en partie interdit.

les films de fiction géorgiens de cette époque s'efforcent d'interroger d'autres liens (parmi lesquels Le père [1984] de Levan Kareichvilli racontant l'histoire d'un homme qui n'a pas vu son fils depuis dix ans, Anémia [1987] film allégorique de Vaktang Kotetichvilli sur les relations père/fils, Le père, le fils, le vent [1988] de Gogi Chkonia sur le non-respect du lien filial, Un crime a été commis [1988] variante religieuse de la relation père/fils...). Désarroi surtout des jeunes générations face au legs fragile de l'histoire dans une société dominée par des formes de patriarcat autoritaire et clanique verrouillant l'accès au pouvoir. Désemparée toute une nouvelle génération d'intellectuels, en Géorgie désillusionnée, rejette cette lourde filiation « du petit père des peuples ». Et déterrer le cadavre de Varlam dans ce rapport à une mémoire collective elle-même haïssable relève plus que d'un acte sacrilège. Plus profondément le film masque l'ampleur des non-dits et fonctionne comme un souvenir-écran.


L'inquiétante étrangeté
Dans un entretien, Abouladzé évoquait la dimension cathartique de son film : « Le Repentir comprend non pas des plans ou des phrases, mais des séquences entières que j'ai vues en rêve... L'inconscient les a renflouées. »

Cinéma, mai 1987.

Sans qu'elle soit nécessairement une forme rêvée plus proche de la réalité, cette dimension induit des dédoublements. Au regard de la position schizophrénique du stalinisme dans la société soviétique, scindant vie privée et vie publique, Variam incarne cette figure inquiétante du double, à la fois morte et vivante, publique et privée, celle où l'on est autre et soi-même. Cette figure renvoie à cet « étrangement familier » à la fois si proche et si lointain. Son caractère effrayant oblige aussi à reconsidérer sa propre identité. On ne sait plus si l'on est soi ou l'autre, ne pouvant démarquer le dedans du dehors tout en étant éjecté du temps. Paradoxe d'un état à la fois familier renvoyant dans le film à plusieurs strates générationnelles, pour être ramené à quelque chose d'oublié, dépassé et effrayant. Le cadavre déterré, comble du sacrilège, relève d'un phénomène de compulsion, oblitérant toute identité. « Unheimliche »

Cf. Sigmund Freud, L'inquiétante étrangeté et autres essais, texte paru initialement en 1919 référant aux contes d'Hoffmann. Texte republié par Gallimard en 1988.

qui n'appartient pas à la maison et pourtant y demeure. « L'inquiétante étrangeté est cette variété particulière de l'effrayant qui remonte au depuis long¬temps connu, depuis longtemps familier. » Comme si finalement le stalinisme, dans cette danse de mort et des revenants, renvoyait à ce permanent huis clos autant familial que familier.

Ce que me confiait d'ailleurs Abouladzé à Tbilissi en 1992 sur le caractère « exorciste » de son film ou répétitif du totalitarisme, lorsque Zviad Gamsakourdhia était élu président de la Géorgie en 1991, mettant en place un pouvoir ultra-nationaliste, pour régler aussi ses comptes avec la plupart des intellectuels géorgiens suspects d'ap¬partenir à la nomenklatura de l'époque.

Le Repentir s'identifie à ce monde des morts d'où les fantômes reviennent dans une ronde à la fois magique et superstitieuse. Manière de revisiter en permanence le phénomène du stalinisme comme le territoire de tous les revenants. Plus diffus car toujours présent, ce stalinisme-là continue à nous parler du monde des vivants. Dans une tradition populaire vivace, les morts même enterrés, peuvent revenir chez eux. Ils font partie du quotidien et les vivants continuent à s'en occuper. Le rite de la « trizna » protège les vivants d'un retour des mauvais esprits associés à la mort. Une tradition archaïque qui dans une filiation grecque a aussi pu perdurer dans les représentations mythologiques des montagnards du Caucase.

Cf. G. Charachidzé à propos de suicide et résurrection dans sa lecture du poème épique « L'homme à la peau de léopard » : « La mort d'un guerrier de métier n'est que le seuil d'une initia¬tion renouvelée... Son suicide et ce retour à la vie permettent de poursuivre le parallèle avec le mythe du Dieu Givagi chez les Kadzhis, qui débute par une mort volontaire et rituelle pour s'achever par la résurrection du défunt provisoire », p. 49 in Prométhée ou le Caucase, essai de mythologie contrastive, Flammarion, Paris, 1986.

Christianisme et paganisme peuvent par la suite s'y mêler, puisque la mort devenue catégorie du visible peut être enfin désacralisée.

Cf. Anton Koslov, « Dès 1918, les bolcheviks ouvrirent publiquement une quarantaine de cercueils (mosc\) – des corps de Saints canonisés par l'église orthodoxe - dans plusieurs monastères, dans le but de légitimer le nouveau pouvoir, d'affirmer la transvisibilité de la mort », in Le tabou de la mort en Russie (1860-1930), Thèse EHESS, Paris, 1997, et « La perception de la mort dans la culture russe au tournant du XXe siècle » in Cahiers Slaves, n°3, Université de Paris-Sorbonne, 2001.
Voir aussi le documentaire (1er prix FIPA/Biarritz) de Nino Kirtadzé, Dites à mes amis que je suis mort, 2003, sur les rites de mort en Géorgie.

Le corps qualifié de « dormant » est exposé dans un cercueil ouvert, permettant d'apprivoiser la mort chez les orthodoxes dans les rituels de communion des morts et des vivants, jus¬qu'à sa mise en terre. Dans une transgression post-mortuaire, le film réactive sans fin le cadavre pour abolir la frontière des morts et des vivants. Repentir repose la question de savoir si l'on est soi ou l'autre dans cette évidente complicité au stalinisme.

cf. Sami Ali : « Dans l'inquiétante étrangeté, le jeu dialectique du familier et de l'étrange, du fait qu'il est centré sur un seul et même objet, se complique à l'extrême », in « L'espace de l'inquiétante étrangeté », Nouvelle Revue de Psychanalyse n°9, 1974.

On a massacré des individus non conformes à la représentation stalinienne de « l'homme nouveau » mais on a aussi exterminé pour faire prévaloir une représentation de soi-même. Le stalinisme participe au plus profond d'une construction identitaire. Cette inquiétante étrangeté implique une transgression au prix d'un rapport d'étrangeté avec la mort et d'une ambivalence constante. La fiction joue de ces renversements où l'on franchit insensiblement des lignes imaginaires au-delà desquelles on se retrouve sans savoir comment le stalinisme s'est installé dans la cellule familiale et s'est développé dans l'ensemble du corps social.

Cf. Brigitte Studer, Parler de soi sous Staline, MSH, Paris, 2002, où le stalinisme est éclairé à partir du concept foucaldien de technique de soi.

Le héros ne devient-il pas le double de celui qui crée l'image ? À la fois témoin et complice du registre du dedans et du dehors, de l'intime et de l'étranger pour autoriser cette greffe. D'un sta¬linisme par le bas reposant sur un fort consensus social. Comment en fin de compte survivre à un tel passé dévastateur face à l'incertitude du présent ? La question du remords ou du repentir est ici d'ordre plutôt métaphysique ou chrétien. Elle oblige à interpréter l'essence de ce mal à la fois banal dans ses manifestations mais radical dans les effets de la dictature, qui généra des millions de morts anonymes. Mais si cette inquiétante étrangeté trouvait finalement ses réponses et son origine essentielle dans le vécu familial de chacun.
« Car le double était à l'origine une assurance contre la disparition du moi. Un démenti éner¬gique de la puissance de la mort et il est probable que l'âme "immortelle" a été le premier double du corps. La création d'un tel dédoublement pour se garder de l'anéantissement a son pendant dans une mise en scène de la langue du rêve qui aime à exprimer la castration par le redoublement ou multiplication du symbole génital ; dans la culture des anciens Égyptiens, elle motive l'art de modeler l'image du défunt dans une matière durable. »

Cf. Sigmund Freud, p. 237 op. cit., à propos de l'ouvrage d'Otto Rank Le double, paru en 1914. Au travers d'une posture nouvelle, celle d'une culpabilité originaire relative au meurtre du père, « Ils éprouvèrent un sentiment de culpabilité qui se confond avec le sentiment du repentir communément éprouvé. Le mort devenait plus puissant qu'il ne l'avait jamais été de son vivant », p. 164 de Totem et Tabou, Payot, Paris, 1968. Un désir d'absolution qui culmina sans doute avec le christianisme.

Fiction mettant en scène le langage du rêve, Le Repentir pointe dans ces multiples dédoublements de la figure du père, le rempart qu'a constitué le stalinisme face à un anéantissement plus redoutable de ces figures de la mort. Le stalinisme dans cette référence familiale ne serait alors qu'une manifes¬tation collective d'un amour de soi décuplé autour du culte de la personnalité, signe avant-cou¬reur de la destruction généralisée. Vision large d'un patriarcat qui a organisé tout un champ social en référence à un modèle culturel de père. Figure clé de Varlam qui en étayant son autorité permet à tout sujet d'occuper une position d'assujetti, de l'ordre d'une servitude volontaire ou consentie. Le stalinisme donne la garantie de sa propre identification à cette référence pater¬nelle, à la fois proche (l'étranger intime en référence à la figure paternelle géorgienne) et lointaine (l'étranger proche en référence à la « Mère-Russie »). Dans la littérature géorgienne antique, en référence à sainte Nina Juive de Cappadoce, introduisant le christianisme au

Caucase, l'étranger « celui qui vient d'ailleurs » reste porteur de sainte¬té. En fin de compte, le stalinisme imprégnant l'ensemble des modes de comportement et des représentations apparaît comme un phénomène ambigu:

D'après ce que laisse sous-entendre Abouladzé dans une lecture discontinue et non chronologique de l'histoire, rejoignant plutôt les préoccupations d'Hanna Arendt que celles de nombres d'historiens spécialistes du phénomène soviétique. Cf. Hanna Arendt, Les origines du totalitarisme, Gallimard, Paris, 2002.

il est autant d'ici que d'ailleurs. Et être animé d'idéaux humanistes (slogan des sociétés communistes) ne préserve pas de ce processus de déshumanisation inhérent aux systèmes totalitaires ? Au contraire, on y expérimente en Géorgie l'immortalité du père sous couvert de trahisons répétées. La mise en scène shakespearienne martelée de procès staliniens en témoigne largement dans le film où dès 1984 dans un effet de miroir déformant, Le Repentir renvoyait plus globalement l'ensemble de cette société soviétique à ses propres lâchetés.
Dans cette dimension métaphorique et quasi mystique, assimilant toutes les logiques de pouvoir au patriarcat burlesque et tragique des pères, ce film transcende le discours historique sur le stalinisme. Métabolisant l'écriture de l'histoire, considérant le stalinisme comme un phénomène à la fois archaïque et contemporain, refusant globalement de le nommer pour lui imprimer sa marque, le film contribue à dérouler une temporalité étrange.

Comme l'écrit justement Sylvie Rollet à propos de Paradjanov in Cinéma et mémoire : « Semble alors s'esquisser le projet du film : passer de la confusion des identités et des temps ; c'est-à-dire du régime spectral de la survivance, à la projection et à l'exposition du conflit entre passé et présent. » Positif n°515, janvier 2004.

Volonté aussi du réalisateur, contemporain d'une histoire médiocre, de revenir dans un dernier film sur ses illusions et les promesses trahies de toute une génération. Comme nombre de cinéastes d'Europe centrale,

Cf. l'avènement de ce type de langage cinématographique avec L'enfance d'Ivan de Tarkovski en 1962, puis Les chevaux de feu de Paradjanov (1964) à la fresque a-historique de Bêla Tarr Satan Tango (1994) d'un film de plus de 8 heures narrant la chute du communisme, ou encore Alexeï Guerman avec Khroustaliov, ma voiture ! (1997) voir à ce sujet Sylvie Rollet, Dans l'œil du cyclone , dans ce numéro de Théorème. Voir l'ouvrage de Robert A. Rosenstone (éd.), Revisioning History : Film and the Construction of a new Past, Princeton University Press, 1995.

Tenguiz Abouladzé hante les parcours d'une histoire sacrificielle revisitée maintes fois depuis. Comme si vivre dans le repentir ne permettait pas d'exorciser vraiment ces fantômes de l'histoire toujours aussi présents. Comme si le stalinisme phénomène inexorable relevait toujours d'un hors-champ indicible.
========================================

Tenguiz Abouladze, l’enchanteur

Moi, ma grand-mère, Iliko et Illarion ( 1962 )
Un collier pour ma bien-aimée ( 1972 )
L’arbre du désir ( 1976 )
Le repentir (1984)

Niciun comentariu:

Trimiteți un comentariu