Le colonel anglais Nicholson et ses hommes sont faits prisonniers par l’armée japonaise, dans la jungle birmane. Ils doivent obéir au sanguinaire colonel nippon Saito et construire un pont sur la rivière Kwaï pour assurer la liaison entre Bangkok et Rangoon… Cette superproduction guerrière, loin de se complaire dans les clichés d’usage, radiographie scrupuleusement la folie destructrice qui ronge le cœur des hommes. Si le début du film peut laisser craindre une opposition bêtement manichéenne entre le flegme britannique et la sauvagerie japonaise, la suite dément ce pronostic. Il n’y a pas de grande différence entre la psychologie du gradé japonais et celle du colonel Nicholson (génial Alec Guinness)… On trouve dans les deux cas le même délire mégalomane, le même instinct de mort. La mise en scène de David Lean, sans atteindre les sommets de Lawrence d’Arabie, exploite merveilleusement les possibilités du format Scope, autant dans les scènes de gesticulations militaires que dans les séquences où ses élégants travellings rendent grâce aux beautés de la jungle birmane… Immense succès dès sa sortie, le film n’a pris que peu de rides. Ni chef-d’œuvre ni monument d’académisme, il témoigne de la personnalité de David Lean, cinéaste à la fois efficace et contemplatif. [Olivier de Bruyn – Télérama.fr (10/2022)]
Se félicitant du succès international obtenu par Le Pont de la rivière Kwaï(The Bridge of the river Kwai), la presse anglaise a unanimement rendu hommage « au film qui a réussi l’exploit de ramener de longues files de spectateurs devant toutes les salles où il était à l’affiche »… Il est vrai que le cinéma britannique, qui s’essoufflait à exploiter les formules ressassées – comédies ou drames psychologiques – qui avaient fait son succès dans les années 1940, avait alors bien besoin d’un tel stimulant.
Rien pourtant ne semblait prédestiner David Lean, spécialiste des atmosphères intimistes et des adaptations littéraires raffinées et très soignées, à un tel coup d’éclat, alors que ses deux précédents films, Chaussure à son pied (Hobson’s Choice, 1954) et Vacances à Venise (Summer Madness, 1955), n’avaient connu qu’un médiocre succès. Après ces deux œuvres mineures, Le Pont de la rivière Kwaï amorce une orientation décisive dans une carrière désormais placée sous le signe des superproductions de prestige comme Lawrence d’Arabie (Lawrence of Arabia, 1962), Le Docteur Jivago (Doctor Zhivago, 1965) et La FilIe de Ryan (Ryan’s Daughter, 1970).
Le roman de Pierre Boulle avait déjà tenté plusieurs réalisateurs, et non des moindres, puisque Henri-Georges Clouzot avait très sérieusement envisagé de le porter à l’écran, mais son projet n’aboutira pas car les producteurs français étaient alors fort sceptiques quant aux chances de réussite commerciale d’une telle entreprise. Sam Spiegel, pour sa part, n’hésitera pas à prendre des risques : distribution prestigieuse, moyens techniques énormes, plus d’un an de tournage (en grande partie à Ceylan pour les extérieurs) et un budget dépassant la somme astronomique pour l’époque de trois millions de dollars. Le producteur n’aura d’ailleurs pas à regretter son investissement, puisque Le Pont de la rivière Kwaï, massivement plébiscité par le public international et par les critiques, sera aussi le grand gagnant de la course aux Oscars.
Il était pourtant hasardeux de miser sur un tel sujet et le flair de Sam Spiegel n’en apparaît que d’autant plus remarquable : si le film de guerre hollywoodien avait connu un second souffle éphémère avec la guerre de Corée, l’évocation de la Seconde Guerre mondiale ne faisait plus guère recette. C’est donc tout le mérite de David Lean d’avoir su renouveler de l’intérieur, sans renoncer au classicisme rigoureux de la mise en scène, un genre alors voué aux clichés. Les exemples ne manquent certes pas de films de guerre offrant une étude de caractères et une analyse psychologique nuancées et complexes, mais la grande originalité du Pont de la rivière Kwaï, à l’époque, c’est le refus du manichéisme réducteur qui fait de l’ennemi une entité maléfique abstraite et impersonnelle. Par-delà le conflit militaire, ce qui intéresse le réalisateur, c’est la confrontation de deux cultures, de deux conceptions de la vie différentes.
Prisonnier et geôlier, le colonel Nicholson et le colonel Saito ont d’autres points communs que l’équivalence de leurs grades (culte des valeurs héroïques et aristocratiques, sens chevaleresque du devoir, obéissance aveugle aux ordres et aux principes supérieurs… ) et il n’est donc pas étonnant qu’ils puissent parvenir à une sorte de « gentleman’s agreement ». Mais le respect mutuel qu’ils éprouvent l’un pour l’autre ne peut cependant masquer leur appartenance à deux civilisations profondément différentes. Dans cet univers clos qu’est un camp de prisonniers, chacun se sent investi de la mission sacrée de représenter et de défendre l’idéal qui lui a été inculqué.
C’est le bushidô, le vieux code guerrier de l’honneur, qui gouverne les actes du colonel Saito : au début du film, on le voit revêtu du kimono traditionnel et son sabre de cérémonie ne le quitte jamais. Saito ne peut que mépriser les Anglais, qui, dit-il « n’éprouvent pas de honte à être vaincus ». Pour lui, en cas d’échec, la mort est la seule issue envisageable. Il sait que si le pont est finalement détruit, il choisira le suicide rituel plutôt que le déshonneur.
Pour Nicholson au contraire, la persévérance et l’endurance sont des vertus militaires essentielles et il est fermement convaincu que l’Empire britannique a pour mission de faire régner l’ordre et la loi : « Sans loi, pas de civilisation », dit-il à Saito. Aussi ne peut-il concevoir qu’il existe d’autres règles que les siennes. Endurant stoïquement la torture au nom des conventions de Genève, il accepte de construire le pont afin de démontrer à des Barbares la supériorité morale et technique des Britanniques, sans même envisager, un seul instant, les conséquences stratégiques de sa conduite.
Bien différent apparaît l’Américain Shears (interprété par William Holden). Incarnation d’un monde moderne et matérialiste où les moyens techniques et l’efficacité sont les seuls critères respectés, Shears n’obéit pas à un inflexible code d’honneur, pas plus qu’à un idéal patriotique ; pour lui, la guerre n’est nullement un « jeu » héroïque aux règles strictement définies, mais uniquement une affaire de survie, où le plus fort l’emporte. Dans le livre de Pierre Boulle, le pont restait debout, comme un symbole de l’inanité de la guerre. Le faisant sauter, David Lean souligne aussi l’absurdité tragique du conflit, à travers la logique démentielle du comportement de Nicholson : « folie, folie », dit le médecin, seul témoin neutre tout au long du film. [La grande histoire illustrée du 7ème art – Editions Atlas (1983)]
L’HISTOIRE
Un détachement de prisonniers de guerre anglais arrive au Siam, dans un camp japonais commandé par le colonel Saito (Sessue Hayakawa). Celui-ci veut les employer à la construction d’un pont, qui doit relier deux tronçons du tristement célèbre « chemin de fer de la mort ». Il enjoint aux officiers de participer aux travaux aux côtés de leurs hommes. Mais Nicholson (Alec Guinness) le colonel anglais, refuse toute coopération, en se prévalant des conventions de Genève. Plutôt que de donner à ses hommes l’ordre de se mettre au travail, il préfère les garder debout toute la journée, sous le soleil ardent. Cherchant à briser la volonté de Nicholson, Saito le fait jeter dans un cachot torride, le soumettant à la torture de la soif. A l’occasion d’une fête japonaise, Saito offre une trêve à son adversaire et tous deux concluent une sorte d’accord. Nicholson réalise en effet que l’inactivité peut être pernicieuse pour le moral des prisonniers. Il va donc se donner tout entier à sa tâche, voyant dans ce pont qu’il doit construire le symbole de la supériorité de l’armée britannique, sans s’apercevoir qu’il fait ainsi le jeu de l’ennemi. Pendant ce temps, un prisonnier américain qui s’est évadé, Shears (William Holden), a pu gagner un village voisin et, grâce à l’aide d’une jeune indigène, il réussit à rejoindre le quartier général allié. Alors qu’il espère être rapatrié, le major Warden (Jack Hawkins) lui ordonne au contraire de guider un commando spécialement entraîné dont l’objectif est de faire sauter le pont. Shears regagne donc la rivière Kwai, accompagné de Warden, pour remplir sa périlleuse mission. Au camp, une petite fête est organisée pour célébrer l’achèvement du pont. Au cours d’une dernière inspection, le colonel Nicholson découvre les charges de dynamite posées par le commando de Shears. Il avertit Saito et tous deux suivent les fils pour repérer le système de mise à feu. Lors de l’affrontement qui s’ensuit, Shears, Saito et Nicholson sont tués. Mais Nicholson tombe sur le détonateur et fait sauter le pont au moment précis où passe un convoi militaire. « Folie, folie », murmure le médecin du camp, qui a assisté, horrifié, à la scène.
Une jeune femme en travail se rend dans une maison de travail paroissiale et meurt après avoir donné naissance à un garçon, qui est systématiquement nommé Oliver Twist ( John Howard Davies ) par les autorités de la maison de travail. Au fil des années, Oliver et le reste des enfants détenus souffrent de l'indifférence cruelle des responsables : le bedeau M. Bumble ( Francis L. Sullivan ) et la matrone Mme Corney ( Mary Clare ). A neuf ans, les enfants affamés tirent des pailles ; Oliver perd et doit demander une deuxième portion de gruau ("S'il vous plaît monsieur, j'en veux plus").
Pour son impudence, il est rapidement mis en apprentissage chez le croque-mort M. Sowerberry ( Gibb McLaughlin ), dont il reçoit un traitement un peu mieux. Cependant, lorsqu'un autre travailleur, Noah, calomnie sa mère décédée, Oliver se met en colère et l'attaque, ce qui lui vaut une flagellation.
Oliver s'enfuit à Londres. The Artful Dodger ( Anthony Newley ), un jeune voleur à la tire habile, le remarque et l'emmène chez Fagin ( Alec Guinness ), un vieux juif qui entraîne les enfants à devenir des voleurs à la tire. Fagin envoie Oliver observer et apprendre alors que le Dodger et un autre garçon tentent de voler M. Brownlow ( Henry Stephenson ), un homme riche et âgé. Leur tentative est détectée, mais c'est Oliver qui est poursuivi dans les rues par une foule et arrêté. Un témoin l'acquitte. M. Brownlow prend goût au garçon et lui donne un foyer. Oliver expérimente le genre de vie heureuse qu'il n'a jamais eu auparavant, sous la garde de M. Brownlow et de la gouvernante aimante, Mme Bedwin ( Amy Veness ).
Pendant ce temps, Fagin reçoit la visite des mystérieux moines ( Ralph Truman ), qui s'intéressent beaucoup à Oliver. Il envoie des moines à Bumble et à Mme Corney (maintenant la femme dominatrice de Bumble); Les moines leur achètent la seule chose qui puisse identifier la filiation d'Oliver, un médaillon contenant le portrait de sa mère.
Par chance, l'associé de Fagin, le vicieux Bill Sykes ( Robert Newton ), et la gentille petite amie prostituée de Sykes (et ancienne élève de Fagin) Nancy ( Kay Walsh ) rencontrent Oliver dans la rue et le ramènent de force à Fagin. Nancy se sent coupable et, voyant une affiche dans laquelle M. Brownlow offre une récompense pour le retour d'Oliver, contacte le monsieur et promet de livrer Oliver le lendemain. Le suspect Fagin, cependant, s'est fait suivre par le Dodger. Lorsque Fagin informe Sykes, ce dernier devient furieux et l'assassine, croyant à tort qu'elle l'a trahi.
Le meurtre provoque la colère du public contre le gang, en particulier Sykes qui tente de s'échapper en prenant Oliver en otage. Grimpant sur les toits et avec une corde d'escalade accrochée autour de son cou, Sykes est abattu par l'un des membres de la foule et est accidentellement pendu alors qu'il perd pied. M. Brownlow et les autorités sauvent Oliver. Fagin et ses autres associés sont rassemblés. Le rôle des moines dans la procédure est découvert et il est arrêté. Il essayait d'assurer son héritage ; Il s'avère qu'Oliver est le petit-fils de M. Brownlow. Pour leur implication dans le stratagème de Monks, M. et Mme Bumble perdent leur emploi à la maison de travail. Oliver est heureux de retrouver son grand-père nouvellement trouvé et Mme Bedwin, sa recherche de l'amour se terminant par l'accomplissement.
Hattie Jacques comme chanteur dans la taverne des trois infirmes
Controverse
Cruikshank - Fagin dans la cellule des condamnés
Bien qu'acclamé par la critique, le portrait d'Alec Guinness de Fagin et de son maquillage a été considéré comme antisémite par certains car il a été estimé qu'il perpétuait les stéréotypes raciaux juifs . Guinness portait un maquillage épais, y compris un grand nez prothétique, pour le faire ressembler au personnage tel qu'il apparaissait dans les illustrations de George Cruikshank dans la première édition du roman. Au début de la production, la Production Code Administration avait conseillé à David Lean de « garder à l'esprit l'opportunité d'omettre de la représentation de Fagin tout élément ou déduction qui serait offensant pour un groupe racial ou une religion spécifique ». Lean a chargé le maquilleur Stuart Freeborn de créer les traits de Fagin ; Freeborn (lui-même en partie juif) avait suggéré à David Lean que le profil exagéré de Fagin devrait être atténué par peur d'offenser, mais Lean a rejeté cette idée. Dans un test d'écran mettant en vedette Guinness dans un maquillage atténué, Fagin ressemblerait à Jésus-Christ . Sur cette base, Lean a décidé de continuer le tournage avec une reproduction fidèle de Fagin de Cruikshank, soulignant que Fagin n'était pas explicitement identifié comme juif dans le scénario.
La sortie du film en mars 1949 en Allemagne a été accueillie par des protestations devant le cinéma Kurbel par des objecteurs juifs. Le maire de Berlin, Ernst Reuter, était signataire de leur pétition qui demandait le retrait du film. La représentation de Fagin a été considérée comme particulièrement problématique au lendemain de l'Holocauste .
À la suite des objections de la Ligue anti-diffamation du B'nai B'rith et du Conseil des rabbins de New York, le film n'est sorti aux États-Unis qu'en 1951, avec 12 minutes de séquences supprimées. Il a reçu un grand succès de la critique, mais, à la différence de Lean Great Expectations, une autre adaptation de Dickens, pas Oscar nominations. Le film a été interdit en Israël pour antisémitisme. Il a été interdit en Égypte pour avoir dépeint Fagin de manière trop sympathique.
À partir des années 1970, la version intégrale du film de Lean a commencé à être diffusée aux États-Unis. C'est cette version qui est maintenant disponible sur DVD.
Accueil
Le film était le cinquième film le plus populaire au box-office britannique en 1949. Selon Kinematograph Weekly, le "plus grand gagnant" au box-office en 1948, la Grande-Bretagne était The Best Years of Our Lives avec Spring in Park Lane étant le meilleur film britannique et "runners up" étant It Always Rains on Sunday, My Brother Jonathan, Road to Rio, Miranda, An Ideal Husband, Naked City, The Red Shoes, Green Dolphin Street, Forever Amber, Life with Father, The Weaker Sex, Oliver Twist, L'idole déchue et le garçon Winslow .
"... il est sûr de proclamer qu'il s'agit simplement d'une superbe œuvre d'art cinématographique et, sans aucun doute, l'une des meilleures traductions à l'écran d'un classique littéraire jamais réalisée."
Sur Rotten Tomatoes, le film a une note d'approbation de 100 % sur la base des avis de 23 critiques, avec une note moyenne de 8,55/10. Le consensus des critiques du site se lit comme suit :
"David Lean apporte la beauté crasseuse de l'Angleterre victorienne de Charles Dickens à une vie cinématographique vivante dans Oliver Twist, une merveilleuse adaptation qui bénéficie de la cinématographie envoûtante de Guy Green et de la performance décalée d'Alec Guinness."
Héritage
L'auteur Marc Napolitano a noté que la version de Lean d' Oliver Twist avait un impact sur presque toutes les adaptations ultérieures du roman de Dickens. Le film avait deux ajouts majeurs qui n'étaient pas dans le roman original. À propos de la scène d'ouverture, une idée qui vient de Walsh, Napolitano a écrit :
"La scène d'ouverture, qui dépeint Agnès assiégée et enceinte boitant jusqu'à l'hospice de la paroisse au milieu d'un orage, présente une image obsédante qui résonnerait avec les adaptateurs suivants. Plus important encore, le final de l'adaptation Lean a éclipsé celui de Dickens. propre finale dans la mémoire populaire de l'histoire ; le point culminant au sommet du toit du repaire de Fagin est à couper le souffle."
L'auteur-compositeur Lionel Bart a reconnu que le film de Lean "a joué un rôle dans sa conception" de la comédie musicale Oliver ! Le biographe Lean Stephen Silverman a fait référence à la version cinématographique d' Oliver en 1968 ! comme « davantage une adaptation non créditée du film Lean dans son scénario et son apparence que du roman de Dickens ou du spectacle de Bart ».
Katharyn Crabbe a écrit :
« Une plainte courante au sujet de la forme de l' Oliver Twist de Dickens est que l'auteur est tombé tellement amoureux de son jeune héros qu'il ne pouvait supporter de le faire souffrir une troisième fois entre les mains de Fagin et a fait de lui un spectateur oisif dans le la dernière moitié du livre."
L'auteur Edward LeComte a crédité Lean d'avoir résolu le problème dans sa version cinématographique, où Oliver reste "au centre de l'action" et a un rôle "beaucoup plus héroïque".
Vermilie, Jerry. (1978). Les grands films britanniques . Citadel Press, p. 117-120. ISBN 0-8065-0661-X .
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Oliver Twist (1948) de David Lean
TITRE FRANÇAIS PARFOIS UTILISÉ : OLIVIER TWIST
Elle : Ce film est noir à souhait, révélateur de la misère dans les bas quartiers de Londres. On s’identifie parfaitement au malheur du jeune Oliver à la mine angélique. Les voleurs aux gueules de méchants font peur. Malgré le manichéisme un peu marqué (le bien et le mal sont clairement identifiés), le film reste très puissant. Note :
Lui : L’histoire est poignante et la réalisation sans failles, voilà comment ce film peut garder toute sa force après plus de 50 ans. On est en plein réalisme populaire, certes avec ses clichés (tels ces paysages de landes désolées au début du film), mais l’univers du Londres populaire du XIXe siècle est puissamment recréé. La scène finale est assez exubérante dans les moyens mis en oeuvre. Beaucoup de force dans les personnages avec un Robert Newton étonnant, qui donne une dimension presque charismatique à son « vilain », un Francis Sullivan visqueux et l’un des tous premiers rôles d’Alec Guiness. ================
Les adaptations cinématographiques d’œuvres littéraires sont nombreuses. Les aventures de 007 sont avant tout des romans, La belle et la bête est une adaptation d’un conte et les pièces de Shakespeare ont connu leur lot de versions cinématographiques ou télévisées. Il est plutôt excitant aujourd’hui d’apprendre qu’un roman que l’on a aimé lire sera adapté au cinéma ou à la télé. Ayant eu la chance de grandir avec la magie littéraire et cinématographique de Harry Potter, j’ai longtemps rêvé mettre le pied là où prennent place plusieurs grands classiques, qu’il s’agisse des aventures du petit sorcier, Peter Pan, Sherlock Holmes ou encore Oliver Twist. Œuvre-phare de la littérature jeunesse anglaise du XIXe siècle, le roman de Charles Dickens a connu moult adaptations au cinéma et à la télé. Dans le cadre de notre balado sur les films de la Collection Criterion, je m’attarderai pour cette critique à la proposition de David Lean en 1948.
Une femme qui va accoucher court dans un champ. On la trouve et on l’amène à une workhouse (littéralement « maison de travail ») où elle donne naissance à un petit garçon. La mère décédant des suites de l’accouchement, le bébé est transporté dans une pouponnière et grandira presque comme un esclave parmi plusieurs autres enfants. On le nomme Oliver Twist, car l’enfant étant arrivé là juste avant lui avait été nommé avec la lettre S. À la suite d’un jeu de courte paille qui le défavorise, Oliver demande à recevoir une seconde portion de son dîner, dans une scène iconique reprise de nombreuses fois où le personnage dit « Please, sir, I want some more! » Il n’en faut pas plus pour que l’administration décide de s’en débarrasser et de l’envoyer être l’assistant d’un thanatologue. Après un incident avec un autre des employés de cette nouvelle maison, Oliver part au lever du soleil et marche vers Londres, où il fait la rencontre d’Artful Dodger (Anthony Newley), l’un des garçons voleurs au service de Fagin (Alec Guinness, de retour avec Lean après avoir joué Herbert Pocket dans Great Expectations). En échange de ce que la bande rapporte chaque soir, Fagin leur offre hébergement et nourriture. Oliver s’intègre alors à cette petite famille, jusqu’à ce qu’un vol tourne mal et qu’on lui fasse un procès. Le vieil homme qui était la victime des garçons décide de l’amener chez lui au lieu de le condamner. En parallèle, apprenant la véritable identité d’Oliver, Fagin et ses associés se mettent en tête de le retrouver coûte que coûte, et le tout culmine dans une scène digne des meilleurs thrillers d’Alfred Hitchcock (cette scène ressemble à s’y méprendre à la fin de The Man Who Knew Too Much).
Oliver Twist est mon troisième film de David Lean (voir Summertime et Great Expectations) dans le cadre de cette série de découvertes signée Criterion. Si les images du premier étaient sublimes et que le film se voulait davantage un carnet de voyage, j’avais hâte de voir si les deux adaptations de Dickens proposées allaient être aussi satisfaisantes que ma première expérience. Je peux maintenant confirmer que David Lean est un maître de la cinématographie.
En effet, Lean a d’abord su comprendre que l’utilisation du noir et blanc permettait de jouer de façon particulière avec la lumière et les ombres. Plusieurs plans profitent donc de ces contrastes et le résultat est sublime. Étant donné que les personnages que l’on suit dans le film sont des enfants, certains moments adoptent leur point de vue et nous offrent un plan en contre-plongée, technique géniale pour nous placer aux côtés de ceux dont nous regardons l’histoire. Les décors sont aussi grandement inspirés de l’expressionnisme allemand des années 1920. Ne reniant pas ses racines littéraires, certains passages du film utilisent une narration en plus de quelques phrases écrites à l’écran, pour faire office d’ellipses temporelles nous permettant de retrouver Oliver plus loin dans son histoire.
Outre la cinématographie, force est d’admettre que la distribution est elle aussi excellente. On retrouve dans Oliver Twist plusieurs des acteurs ayant participé à Great Expectations. Alec Guinness y brille dans les deux films, malgré les controverses autour du personnage de Fagin dans celui-ci. On a reproché à Lean d’avoir stéréotypé l’image de Fagin (qui est juif dans le roman et pour lequel Lean s’est inspiré des illustrations dans le récit) sans jamais toutefois préciser sa religion. Fagin apparaît donc comme un vieil homme au long nez, et comme son personnage n’est pas le plus honnête et droit dans l’histoire, Lean s’est beaucoup fait critiquer. Francis L. Sullivan, qui jouait le gentil avocat rondelet dans Great Expectations, est ici le redoutable membre du conseil d’administration qui s’indigne devant la demande de l’enfant à recevoir plus de nourriture. Sykes (Robert Newton), l’ami de Fagin, fait réellement peur dans certaines scènes, et le chien acteur qui assiste au meurtre qu’il commet semble vouloir fuir le tournage quand on pointe la caméra sur son visage qui tremble. Du côté des gentils, le riche M. Brownlow apparaît comme une âme pure qui sera le sauveur d’Oliver et on voudrait tous passer du temps à lui parler dans sa grande bibliothèque.
Si Fagin et Sykes ne sont pas gentils, certaines scènes sont particulièrement difficiles, considérant que l’on regarde une adaptation d’un roman pour enfants. Son classement « général » aurait pu être modifié pour un PG, car il vaudrait peut-être mieux être présent avec les plus petits lors des scènes de pendaison et de meurtre. Aucune surprise dans ce cas que le genre ne soit que « drame » sur IMDb. Pourtant, des adaptations du roman sur Broadway ont aussi existé alors il est possible de proposer des versions plus légères de l’œuvre, comme ce semble aussi être le cas dans l’adaptation de Polanski en 2005, dont la bande-annonce suggère plus de plaisir pour l’enfant. Est-ce seulement Lean qui s’est donné ces quelques libertés scénaristiques?
Il est plutôt difficile de discerner si l’ensemble est réussi grâce à Dickens ou Lean. Après tout, les révélations finales viennent du roman et non du film. Cependant, le tout est amené en montage alterné efficace qui fait surtout confiance aux spectateurs afin d’assembler les morceaux (même chose dans Great Expectations). N’ayant pas vu les autres adaptations de ce classique littéraire, il m’est impossible pour le moment de répondre à mes propres questions. Je constate toutefois que Lean dirige le tout de belle façon. On ressent les scènes comme si on y était, on se fâche, on s’impatiente, on s’insurge, et, finalement, on se calme, on reprend confiance et on retrouve notre cœur d’enfant.
La nuit, sous un violent orage, une jeune femme enceinte trouve refuge dans un « atelier paroissial » où les pauvres étaient recueillis… et exploités. Elle meurt aussitôt après la naissance de l’enfant. Le médaillon qui aurait pu permettre son identification est volé. « Oliver Twist », c’est le nom qu’on lui a donné, est élevé à la dure dans l’orphelinat, puis, à neuf ans, vendu comme apprenti à un croquemort. Maltraité, il s’enfuit à Londres pour tomber dans les griffes de Fagin, un receleur qui tient sous sa coupe un groupe d’enfants à qui il a enseigné l’art du vol à la tire…
Les heurs et malheurs du jeune orphelin Oliver Twist, un des premiers romans de Charles Dickens, contemporain de Victor Hugo, a été porté une trentaine de fois à l’écran, avec plus ou moins de réussite. Si la version la plus récente pour le grand écran, celle de Roman Polanski, est honorable, elle n’atteint pas la qualité de celle que réalisa David Lean en 1948, deux ans après l’adaptation d’un autre grand roman de Dickens, Les Grandes espérances.
Il faut également citer quelques séries remarquables (rappelons que le roman fut initialement publié sous la forme d’un feuilleton), dont deux pour la BBC, l’une par Gareth Davies et Alexander Baron en 1985, l’autre par Coky Giedroyc et Sarah Phelps en 2007 et, surtout, celle par Renny Rye et Alan Bleasdale en 1999 avec, dans la distribution, Keira Knightley, alors âgée de 14 ans.
David Lean est un des très grands cinéastes britanniques : beaucoup de films majeurs parmi la petite vingtaine qu’il a réalisés, quelques oeuvres intimistes mais, le plus souvent, à grand spectacle, parmi lesquelles on peut citer Brève rencontre, Le Pont sur la rivière Kwai, Lawrence d’Arabie (ressorti en Blu-ray dans une magnifique édition), Docteur Jivago, La Fille de Ryan et La Route des Indes, son dernier film.
L’adaptation d’Oliver Twist par David Lean est emblématique du roman, associant mélodrame et humour par la place donnée, dans tout l’oeuvre de Dickens, à des personnages cocasses. Elle est servie par une mise en scène rigoureuse, par la photo de Guy Green, par les décors de John Bryan reconstituant les quartiers pauvres de l’East End dominés par le dôme de Saint Paul, par la sophistication des éclairages. Mais elle doit aussi beaucoup à la composition d’Alec Guinness dans le rôle de Fagin, à celle de Bobby Newton dans la peau de l’autre méchant, Bill Sykes. Dans ce monde de brutes, il y a aussi la douceur du jeune John Howard Davies (disparu en 2011), neuf ans, l’âge d’Olivier Twist, qui allait faire une belle carrière au cinéma et à la télévision, comme réalisateur, producteur et l’un des dirigeants de la BBC. À noter, également, l’apparition d’une débutante dans le rôle de Charlotte, la servante du croquemort : Diana Dors à 16 printemps ! Seul bémol, la musique ridiculement descriptive parfois qualifiée de Mickey mousey music ».
Cet hommage rendu à Charles Dickens, qui aura inspiré pas moins de 333 adaptations audiovisuelles, est l’occasion d’espérer la diffusion en France de quelques séries récentes à marquer d’une pierre blanche, comme Bleak House ou Little Dorrit. Peut-être le projet est-il déjà dans les tiroirs de Koba Films…
Technique - 9 / 10
Belle sérigraphie du disque dans le camaïeu de bleus repris par le menu animé. Division en 12 chapitres. Choix entre la version originale avec sous-titres optionnels ou un doublage en français, les deux versions bénéficiant du format DTS-HD MA 2.0.
Des mentions fantaisistes sur la jaquette, comme sur celle du Blu-ray Les Grandes espérances : elle fait état d’un fantaisiste format vidéo « 1080p - 50 i/s » et vous ne trouverez pas de bande-annonce dans les suppléments.
Dans les bonus, un entretien avec Laurent Bury, professeur de littérature anglaise (18’), fort intéressant, sur Charles Dickens et Oliver Twist. Pour suivre, lancé dans les salles de cinéma par Anthony Wager, le jeune interprète de Pip dans Les Grandes espérances, un court appel à candidature (56”) pour le casting du rôle d’Oliver Twist. Pour finir, À propos d’Oliver Twist (24’), un documentaire bourré d’anecdotes et d’observations sur la réalisation de David Lean, par le chef opérateur et le créateur des décors.
La restauration a fait des miracles !
L’image AVC 1080p bénéficie d’une résolution qui assure une extraordinaire profondeur de champ sans les scènes d’extérieur. Exempte de toute tache, rayure ou fourmillement, avec un lissage qui respecte la texture d’origine, elle est parfaitement contrastée, avec des noirs denses. On atteindrait l’optimum sans quelques petites sautes occasionnelles de luminosité, pas bien gênantes.
Le son est propre, sans souffle ni bruits parasites. Il a bien vieilli, même s’il garde les marques indélébiles de son âge, un spectre étroit et quelques saturations dans les forti de la musique d’accompagnement. L’image sonore de la version originale est un poil plus ample que celle du doublage.
OLIVIER TWIST (1948), UN FILM DÉCRIVANT LES MAUVAISES CONDITIONS DU MONDE INDUSTRIEL?
Que ce soit par la lecture du livre, l’écoute de la comédie musicale ou la diffusion d’un des films, beaucoup ont connu l’histoire d’Oliver, orphelin au grand cœur étant forcé de travailler pour ensuite rejoindre un gang de pickpockets avant de finalement connaître une fin heureuse en rejoignant ses grands-parents. Le film de David Lean de 1948 est fortement basé sur le roman paru en 1838 écrit par Charles Dickens. Cependant, bien que l’histoire d’Oliver soit intéressante dans son ensemble, c’est surtout sur le début du film que je vais concentrer mon propos.
Oliver Twist de David Lean (1948)
En effet, il serait fort possible de considérer le roman de Charles Dickens, et donc le film de David Lean, comme une critique du monde industriel de l’époque. En effet, autant à l’époque de Charles Dickens que lors du début de la révolution industrielle, le travail des enfants dans des usines insalubres est considéré comme normal puisqu’ils avaient des avantages que les adultes n’avaient pas :
Physical size was one factor: small children were just the right size to work […] machines situated close to the ground; they could piece broken threads and dress warp without stooping over and could move swiftly down the narrow passageways1.
Ainsi, les patrons mettaient en danger la sécurité des enfants, qu’ils considéraient comme de simples employés.
Une autre caractéristique de a période industrielle que l’on voit dans le film est l’opinion des patrons sur les demandes des employés. En effet, dès la onzième minute du film, on voit une scène où les propriétaires de l’usine discutent entre eux à propos d’une manifestation d’ouvriers qu’ils doivent s’arranger pour arrêter. Il faut dire que cette période a connu son lot de manifestations et de grèves d’employés autant pour de meilleures conditions de travail, mais aussi lors du vote de certaines lois. Ainsi :
Workers reacted to the Reform Act of 1832, which they had thought would bring substantial democratization to public affair, but benefitted only the middle class. They reacted to the oppressive and degrading New Poor Law of 1834, with its attempts to coerce the poor into accepting a more disciplined life on the bottom rung of capitalism’s ladder2.
Ainsi, ces manifestations avaient pour but d’exprimer la colère des ouvriers pour de multiples raisons différentes, mais les patrons considéraient surtout que cela nuisait au profit et s’arrangeait donc pour régler par la violence ces manifestations.
Gravure montrant la mort venant chercher les habitants des villes. Source: http://collections.musee-mccord.qc.ca/largeimages/M991X.5.795.jpg
Enfin, il y a une forte différence dans les conditions de vie des ouvriers et des riches. Un parfait exemple est lorsque les enfants de l’orphelinat regardent à travers la fenêtre d’une maison plus riche où les gens mange un somptueux banquet, alors qu’ils ne peuvent manger qu’une seule portion de « grub », une sorte de soupe peu nourrissante. Aussi, ceux qui demandent une deuxième portion sont punis, comme ce fut le cas pour Oliver. Ces différences entre les classes sociales se trouvaient aussi entre les régions lors du changement d’une société agraire à une société industrielle :
… in pre-industrial times, […] that region which is richest in topsoil, mildest in climate, and smoothest in relief and of appropriate rainfall […] will be the most coveted. On the other hand, in a industrial society these attribute are relatively much less valued, as industries tend to be located near source of minerals or energy […]. This shift in the valuation of land has important consequences for the regional distribution of wealth3.
Ainsi, le film Oliver Twist de David Lean en 1948 n’est pas seulement l’histoire des péripéties d’un orphelin. C’est aussi l’histoire d’une société industrielle anglaise souffrant de grands problèmes d’inégalité sociale et de conditions de vie dérisoires qui en pousse plus d’un à choisir le crime pour survivre, comme il est le cas des enfants pickpockets de Londres qu’Oliver croise durant ces aventures.
Pour aller plus loin :
AGNEW, John. « Creating new schools for Bradford’s Factory Children: Obstacles and outcomes, 1836-1850 » Northern History, Vol.57, No.1 (2020), p.120-141
CALHOUN, Craig. « Industrialization and Social Radicalism: British and French Workers’ movements and the mid-Nineteenth-Century Crises. »Theory and society, Vol. 12, no. 4 (Juillet 1983), p.485-504
HETCHTER, Michael. « Industrialisation and National Development in the British Isles. » journal of Development Studies, vol.8, no.3 (Avril 1972), p.155-182
John Agnew. « Creating new schools for Bradford’s Factory Children: Obstacles and outcomes, 1836-1850 » Northern History, Vol.57, No.1, p.121 [↩]
Craig Calhoun. « Industrialization and Social Radicalism: British and French Workers’ movements and the mid-Nineteenth-Century Crises. »Theory and society, Vol. 12, no. 4 (juillet 1983), p.493 [↩]
Michael Hetchter. « Industrialisation and National Development in the British Isles. » journal of Development Studies, vol.8, no.3 (avril 1972), p.158 [↩]