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Top 5 des films d’Akira Kurosawa
11 Mai 2011 , Rédigé par RanPublié dans #Tops
Puisqu’il est question, ces temps-ci, de samouraïs et que nous reviendrons prochainement sur la représentation de ceux-ci au sein de son œuvre, voici un petit top (ça faisait longtemps…) des films de l’immense Akira Kurosawa. Avec Le sublime Château de l’araignée au sommet.
Le Chateau de l araignee Affiche du Château de l’araignée (1957)
1) Le Château de l’araignée (1957)
2) Chien enragé (1949)
3) Dodes’kaden (1970)
4) Ran (1985)
5) Rashomon (1950)
Chien enrage Affiche de Chien enragé (1949)
Dans une longue carrière, s’étendant sur une cinquantaine d’année et riche de trente-et-un long-métrages, il n’est point aisé de faire un choix restreint de cinq films d’Akira Kurosawa, l’un de nos réalisateurs favoris (juste derrière, sans doute, notre carré d’as : Friedrich Wilhelm Murnau, Fritz Lang, Alfred Hitchcock et Stanley Kubrick). Mais tel est le jeu – cruel et amusant – de l’exercice auquel nous nous livrons régulièrement. Voici donc un top cinq en prélude à un texte plus général sur le samouraï dans l’œuvre du maître japonais. En première position, nous nous devons de placer Le Château de l’araignée (1957), sublime transposition de Macbeth (1606) de William Shakespeare (1564-1616) dans le Japon médiéval et qui rend tout ce qu’elle doit à la pièce du génie anglais tout en y incluant, pour le meilleur, des éléments nippons (liés au théâtre notamment). Disons-le, il s’agit, à notre sens, devant la version d’Orson Welles (Macbeth – 1948), de la meilleure adaptation d’une pièce de Shakespeare au cinéma.
Dodes'kaden Affiche de Dodes’kaden (1970)
En deuxième place, et non pas seulement parce qu’il ne faut point réduire Akira Kurosawa à ses seuls films de samouraïs, nous plaçons l’extraordinaire mais encore trop injustement méconnu Chien enragé (1949), âpre policier qui réussit une parfaite synthèse – ce qui prouve une nouvelle fois combien Kurosawa sait intégrer les influences les plus diverses dans ses œuvres – entre le néoréalisme et le film noir. Dodes’kaden (1970), surprenante fresque sociale teintée d’accents surréalistes, complète le podium. Cet étrange film rappelle la fibre sociale et humaniste (mais aussi contemporanéiste) qui irrigue toute l’œuvre de Kurosawa.
Ran Affiche de Ran (1985)
Enfin, deux nouveaux films de samouraïs viennent prendre place en quatrième et cinquième positions. D’abord (et nous devons à ce film, à tout le moins en partie, notre pseudonyme) Ran (1985), nouvelle transposition shakespearienne, du Roi Lear (1603-1606) cette fois-ci dans lequel, près de trente après, Kurosawa réussit le même pari que dans Le Château de l’araignée. Outre de sa parfaite dramaturgie, le film bénéficie également de son absolue beauté formelle (qui s’inspire notamment de la peinture de Paolo Uccello – 1397-1475). Quant à Rashomon (1950), œuvre la plus célèbre (avec Les Sept Samouraïs – 1954) de son auteur, c’est là l’exemple le plus achevé du film de samouraï sur son versant « western » dans la carrière de Kurosawa. Ce film – Lion d’or au festival de Venise en 1951 – devait le révéler (et le cinéma japonais avec) au monde entier. On mesure donc à quel point il fut important pour l’histoire du cinéma. Il est tout aussi réussi.
Akira KUROSAWA est surtout connu en France pour ses fresques médiévales. Mais il est aussi un grand réalisateur de polars. "Chien enragé" réalisé en 1949 fait partie de cette mouvance. Le film très proche du documentaire nous immerge dans l'atmosphère du Tokyo d'après-guerre, certains passages faisant penser à "Allemagne, année zéro (1947)". Un Tokyo schizophrène à l'image d'une identité japonaise désormais scindée entre tradition et modernité.
D'un côté, Akira KUROSAWA filme les signes de l'acculturation occidentale liée à la défaite et à l'occupation: le match de baseball, les appartements meublés à l'américaine, les bars qui diffusent les adaptations japonaises de chansons françaises. Le film lui-même adopte les codes du film noir américain (commissariat, lieux interlopes, tenues vestimentaires typiques, clairs-obscurs etc.) et du néoréalisme italien tout en s'inspirant d'un auteur français, Georges Simenon et de son fameux commissaire Maigret (rebaptisé Sato pour l'occasion et joué par Takashi SHIMURA).
Mais derrière ce vernis d'occidentalisation et de modernité, ce que filme Akira KUROSAWA, ce sont les vibrations particulières que dégage une ville, Tokyo plongée dans le chaos et la canicule. Kurosawa filme des corps en sueur, accablés par la chaleur moite qui transforme Tokyo en hammam à ciel ouvert, ralentit leurs mouvements, les attire vers les bas-fonds où se déroule l'essentiel de l'intrigue. Il montre les stigmates de la guerre, la faim et l'insécurité qui gangrènent les possibilités de reconstruction. Le Tokyo qu'il filme, à rebours de l'image que nous avons du Japon d'aujourd'hui est en proie à la délinquance et à la criminalité. la misère, la prostitution et les trafics en tous genre y règnent.
C'est dans ce substrat historique très riche que se déroule une histoire qui ne l'est pas moins. En effet, à l'image du Tokyo d'après-guerre, à l'image du film lui-même, le héros Murakami (Toshirô MIFUNE) est un homme coupé en deux qui enquête inlassablement pour retrouver sa part d'ombre avec laquelle il fusionne dans un dénouement d'anthologie. Deux sorts attendent en effet les vétérans plongés dans l'anomie ambiante: devenir flic ou devenir voyou. Une seule arme et deux usages. Murakami a choisi la police mais il se fait voler son arme par un double de lui-même, Yusa (Isao KIMURA) qui l'utilise pour voler et tuer. La traque de l'ombre devient une quête de vérité qui se termine dans la boue mais dans un champ en plein soleil, illustrant la fusion des deux facettes contradictoires du Japon.
Etudiant en médecine formé aux méthodes hollandaises et promis à un poste à la cour, le jeune Yasumoto se retrouve dans un dispensaire pour ce qu’il croit être une simple visite. C’est pourtant là qu’il poursuivra sa formation, guidé par Barberousse, un médecin idéaliste luttant contre la misère et l’ignorance.
Barberousse est un film pensé par Akira Kurosawa comme une œuvre somme de sa vision du monde. Le film constitue son ultime incursion dans le jidai-geki avant longtemps (avec Kagemusha quinze ans plus tard), et marque la fin d’un cycle avec un dernier projet pharaonique pour la Toho et la fin de sa collaboration avec Toshiro Mifune. Barberousse s’inscrit dans un cycle de la misère initié par L’Ange ivre (1948), Les Bas-fonds (1957) et qui se poursuivra avec Dode’s Kaden (1970). Kurosawa adapte pour la seconde fois (après Sanjuro (1962)) Shūgorō Yamamoto avec son roman Akahige shinryotan paru en 1958. Le récit évoque donc le quotidien d’un vrai dispensaire pour pauvre ayant existé durant l’ère Edo. Des moyens pharaonique, un tournage de près de deux ans et une reconstitution historique maniaque de Kurosawa (reproduction à l’identique du dispensaire, de l’agencement de ses pièces et du rangement de ses médicaments, construction d’un quartier entier de la ville) seront paradoxalement au service d’un film profondément intimiste. On suivra le cheminement du jeune médecin Yasumoto (Yūzō Kayama) au contact de l’expérimenté Barberousse (Toshiro Mifune).
Le propos de Kurosawa n’est pas de nous apprendre à voir la pauvreté, mais de voir les destinées tragiques et les être qui s’illustrent sous le vernis misérable. La scène d’ouverture où Yasumoto visite contraint le dispensaire est parfaitement à propos, le personnage ne voyant que crasse, odeurs nauséabondes et conditions insalubres plutôt que ceux qui les subissent. Tout le parcours initiatique de Yasumoto consistera à surmonter ses propres fêlures (une ambition contrariée et une déception amoureuse) pour la mettre au service des pauvres dont la douleur finira enfin par éveiller son empathie humaine, et donc sa vocation de médecin. Kurosawa expose le personnage sacrificiel de Sahachi (Tsutomu Yamazaki), mourant au service des autres justement pour dépasser la tragédie de son existence qui se révèlera en flashback. L’expression de ces maux passe par les mots et se ressentent à travers le regard changeant de Yasumoto.
La misère se raconte par ceux qui la vivent et Kurosawa orchestre tour à tour un flashback crépusculaire narré en voix-off par Sahachi, le silence étouffé d’un vieillard mourant et le récit bouleversant de sa fille. Kurosawa alterne le mélodrame ample et marqué par le destin pour le flashback (le tremblement de terre qui scelle le bonheur du couple), le cauchemar claustrophobe pour le dernier râle du vieillard et une mise en scène très étudiée alterne gros plan et plan d’ensemble pour les confessions de la fille. Ainsi s’affirme l’expression d’une misère dont la nature dépasse la simple dégradation physique ou le manque d’hygiène, et la mise en scène appuie constamment le regard de plus en plus impliqué de Yasumoto. Ce n’est donc qu’au bout d’une heure et demie que le disciple semble prêt à apprendre du maître (Kurosawa contrairement à L’Ange ivre endosse d’ailleurs le regard du disciple plutôt que le mentor) et endosse l’uniforme du dispensaire.
Barberousse est un passeur, un pivot et un idéal de dévotion suscitant l’admiration de Yasumoto. Ce personnage trop parfait sera la source de la rupture entre Kurosawa et Mifune en plus de bisbille financières puisque Mifune endetté ne peut rien tourner d’autre sur le tournage marathon et ne pouvant raser sa barbe. Le scénario a beau conférer à Barberousse quelques failles et actes répréhensibles (toujours pour la bonne cause malgré tout), l’interprétation bougonne mais toujours stoïque de l’acteur en fait une figure héroïque inaccessible. Cela donne cependant quelques moments jubilatoire quand Mifune nous rappelle son passif martial quand il corrigera une dizaine de voyous pour extirper une fillette d’une maison close. La tirade qui précède la mémorable raclée (Je suis docteur. Je ne vais pas vous tuer. Mais je risque de briser quelques os.) nous ramène à la truculence de Sanjuro tandis que la séquence magnifie la puissance de Mifune par la caméra en mouvement et le bruitage décuplé des os brisés. La bonté innée de Barberousse lui confère une hauteur moins immédiatement touchante que les autres protagonistes même si le charisme de Toshiro Mifune en fait une de ses interprétations les plus mémorables. L’émotion naîtra toujours de cette transformation des fêlures en énergie à consacrer aux autres, notamment celui de la jeune Otoyo (Terumi Niki) arrachée aux maltraitances d’une mère maquerelle.
La fillette est tout d’abord un mur que Barberousse et Yasumoto amadouent avec patience et à nouveau son éveil nait de cette alternance entre ampleur et intimisme de Kurosawa. L’intime naît d’une belle idée formelle (le regard d’Otoyo brillant dans l’obscurité comme une humanité retrouvée), du quotidien et de la proximité (le montage jouant du contact visuel craintif puis complice) quand elle sera au chevet de Yasumoto malade. Cette conscience se mettra à son tour au service du monde qui l’entoure et Kurosawa endosse la pauvreté au-delà des murs du dispensaire quand Otoyo se liera d’amitié avec le garçonnet pauvre Petit rat. Cette bienveillance contagieuse concerne l’ensemble des personnages secondaires pour des instants très attachants (les servantes remplissant pudiquement l’assiette d’Otoyo car sachant que les restes iront à son ami) et s’incarne dans ce cri final dans le puits, une supplique à l’univers pour moins de souffrance dans ce monde. Akira Kurosawa signe tout simplement là un chef d’œuvre d’humanisme.
Le film conte la vie de marginaux autour d'un bidonville. On suivra Rokuchan, jeune garçon se prenant pour un machiniste de tramway, dans les bas-fonds de la ville où il rencontrera bon nombre de personnalités avec leurs problèmes : folie, pauvreté, inceste…
Dodes’kaden est un film qui arrive près de cinq ans après Barberousse (1965) dans la filmographie d’Akira Kurosawa. Ce dernier constituait un film-somme et le pic de sa collaboration avec Toshiru Mifune, concluant la première et plus célébrée période de son œuvre. Conscient de cet aboutissement, le réalisateur décidait de modifier ses méthodes de travail pour ses films suivants notamment en usant de la couleur. Le projet Runaway Train devait être sa première grande production internationale avec ce récit de course-poursuite ferroviaire en territoire enneigé avec un tournage prévu au format. Seulement Kurosawa ne s’entend pas avec ses producteurs américains qui privilégient le noir et blanc et son refroidis par ses méthodes de travail méticuleuses. L’aura du réalisateur est ainsi ternie par une réputation d’ingérable confirmée avec Tora ! Tora ! Tora !, ambitieuse coproduction entre la Fox et le Japon sur Pearl Harbor dont il doit mettre en scène la partie japonaise. Ses méthodes de travail peu compatibles à une grosse production hollywoodienne seront sources de dépassements de budget et il sera renvoyé après trois semaines de tournage au profit de Kinji Fukasaku et Toshio Masuda. Ces déconvenues le marqueront durablement et Dodes’kaden est l’occasion pour lui de prouver qu’il peut signer un projet formellement ambitieux tout en respectant son budget. Nombre de ses pairs le soutiennent dans cette reconquête en étant coproducteurs comme Kon Ichikawa, Keisuke Kinoshita et Masaki Kobayashi.
Le film est l’adaptation de Quartier sans soleil de Shūgorō Yamamoto, auteur déjà prisé par Kurosawa dans Sanjuro (1962) et Barberousse. C’est aussi une nouvelle fois pour Kurosawa l’occasion de traiter du sujet de la pauvreté abordé dans L’Ange Ivre (1948), Les Bas-fonds (1957) et Barberousse. La misère constitue pour Kurosawa un mal social mais également pathologique, l’environnement sinistre finissant par avoir des répercussions psychologiques sur les démunis. C’est une réflexion proche de celle qu’aura Ettore Scola dans son fameux Affreux, sales et méchants (1976) mais Kurosawa ne se focalise pas sur la seule monstruosité possible pour un ensemble plus surprenant.
Dans un bidonville hors du temps, divers individus cherchent à échapper à la misère chacun à leur manière. L’ouverture nous montre ainsi la folie douce du jeune Rokuchan (Yoshitaka Zuschi) traversant la décharge en se prenant pour un machiniste de tramway, indifférent au désespoir de sa mère et aux moqueries des enfants. Kurosawa façonne un décalage entre le refuge de cette folie et le désespoir de l’environnement, la bande-son accompagnant la gestuelle et les bruits du tramway tandis que le personnage dévale les lieux de façon exaltée. Cette dichotomie entre comportement grotesque et misère palpable prend plusieurs visages, l’innocence amusée prenant le plus souvent un tour monstrueux.
Le refuge alcoolisé de deux époux indigne les amènent à échanger leur foyer voisin, la différence ne se faisant plus à leurs yeux avinés et ni pour leurs épouses lasses de ces errements. Ce même décalage entre dénuement et candeur se retrouve avec ce mendiant (Noboru Mitani) et son jeune fils (Hiroyuki Kawase) dont il ne fait miroiter un ailleurs que par l’imagination (la demeure évolutive à l’architecture insensée) mais le maintien jusqu’au drame dans cette condition. Mais cela n’est rien comparé aux figures plus explicitement monstrueuses tel ce beau-père (Tatsuo Matsumura) incestueux, la pauvreté désagrégeant moralement, physiquement et psychologique ses victimes notamment cette nièce de plus en plus fantomatique. Visuellement Kurosawa excelle à jouer de l’hébétude enfantine de ses personnages, altérant la fange qui les entourent. L’usage de la couleur est volontairement peu subtil, le réalisateur ne jouant pas sur la gamme chromatique de sa pellicule et préférant donner des couleurs criardes à des éléments de décors et/ou costumes – les maisons rouges et jaunes grossièrement badigeonnées des deux alcooliques.
Ce parti pris devient de plus en plus marqué au fil du récit avec des arrière-plans abstrait et théâtraux. Les couchers de soleil et nuit étoilées se réduisent ainsi à un mur peint, les contours enfantins des dessins ayant surpris les collaborateurs de Kurosawa connaissant son talent de peintre. C’est pourtant là l’essence du propos, la réalité n’offrant aucune vraie échappatoire (l’ultime entrevue entre la nièce et le vendeur à vélo), autant l’entourer de ses ornements naïfs pour la supporter. Etre conscient condamne à une douleur insurmontable à l’image de cet époux inconsolable, même avec la repentance de sa femme. Le film se conclut donc ainsi logiquement comme il a commencé, par la cavalcade de notre conducteur de tramway. Akira Kurosawa réussi à réellement se réinventer mais l’esthétique radicale (annonçant pourtant d’autres réussites plus nanties comme Ran (1985)) sera source d’un échec commercial dont il aura bien du mal à se remettre.
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