marți, 20 august 2024

« FLIC STORY », un fleuron du polar à la française


Le vrai Borniche et le vrai Émile Buisson
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                                                       ALAIN DELON (Roger Borniche)


JEAN-LOUIS TRINTIGNANT
(Emile Buisson)


Inspiré des mémoires du commissaire Borniche, « FLIC STORY » comme certains millésimes, a très bien vieilli. On s’en souvenait comme d’un efficace polar « d’époque », du face-à-face de deux têtes d’affiche, mais à le revoir aujourd’hui, il vaut bien mieux que cela.


                                                   FLIC STORY, 1975

Dès les premières images, la précision de la reconstitution (décors, costumes, langage) épate. On est replongé dans l’immédiat après-guerre et c’est avec un intérêt quasi-documentaire qu’on assiste à la traque laborieuse d’un tueur évadé, par un inspecteur intelligent et besogneux, mais qui n’a rien d’un surhomme. Il faut à ce sujet, noter la subtile performance d’Alain Delon qui reste lui-même, tout en délaissant ses postures de mâle dominant, et parvient à se rendre crédible en petit fonctionnaire opiniâtre mais pas infaillible, fumant clope sur clope. L’acteur laisse même le champ libre à ses partenaires dans plusieurs séquences : sa visite à André Pousse à l’hôpital par exemple, tourne complètement autour de son partenaire, Delon n’étant que spectateur. C’est, mine de rien, un des meilleurs rôles de sa carrière. La sensation du film, c’est bien sûr Jean-Louis Trintignant, absolument terrifiant en braqueur psychopathe qui tue comme il respire. Une sorte de monstre froid, à l’œil éteint de grand squale qu’il incarne avec son habituelle douceur. À peine changé par un maquillage imperceptible (coiffure, sourcils foncés), le grand acteur génère un authentique malaise dès qu’il apparaît. Autour des deux stars, c’est une débauche d’excellents seconds rôles : Maurice Barrier, le fabuleux Paul Crauchet, le truculent Marco Perrin en commissaire atrabilaire, Renato Salvatori, Denis Manuel en flic tabasseur, la toute jeune Christine Boisson ou Catherine Lachens, époustouflante en prostituée braillarde dans une seule petite scène. Un excellent dialogue d’Alphonse Boudard, un constant souci du détail qui « fait vrai », quelques morceaux de bravoure remarquables comme l’arrestation de Buisson dans l’auberge, extraordinairement bien agencée et mise en scène, font de « FLIC STORY » un fleuron du polar à la française des années 70 et une des grandes réussites de l’inégal mais toujours intéressant Jacques Deray.

JEAN-LOUIS TRINTIGNANT, ALAIN DELON, CATHERINE LACHENS, MAURICE BIRAUD ET ANDRÉ POUSSE

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Flic Story, Jacques Deray, 1975

 Flic Story, Jacques Deray, 1975

Au début des années soixante-dix, les ouvrages de Roger Borniche connaissaient un très grand succès public. Ils racontaient tout en les romançant évidemment, des affaires auxquelles il avait été mêlé de près ou de loin dans l’immédiat après-guerre. Il participa à l’arrestation de quelques bandits célèbres, notamment celles de René Girier, dit René-la-canne, et d’Emile Buisson. Le premier n’a eu droit qu’à un film médiocre tourné par Francis Girod en 1977 avec Gérard Depardieu et Michel Piccoli. René Girier était pourtant un personnage hors du commun qui méritait mieux. Le second a toujours eu une mauvaise réputation, celle d’un tueur sanguinaire et un peu déséquilibré qui finit d’ailleurs sur l’échafaud. Curieusement d’ailleurs les romans de Borniche en dehors des deux que je viens de citer n’attireront guère le cinéma. Ces ouvrages avaient le mérite de revenir sur une période légendaire du milieu, celle qui suivait la Libération. Ils détaillaient les difficultés du métier, les longues traques qui devaient aboutir à l’arrestation de ces gros gibiers. L’amour du détail replongeait ainsi le public dans une France en train de disparaitre sous les coups de boutoir de la modernisation accélérée qu’on a connu à la fin des années soixante. Le film de Jacques Deray va jouer pour partie sur la nostalgie. Flic story, le roman aurait été selon Borniche lui-même encouragé par Alain Delon. Et c’est d’ailleurs ce dernier qui va produire le film.  

Flic Story, Jacques Deray, 1975

Nous sommes en 1947. Emile Buisson vient de s’évader de l’asile de fous où il était enfermé. C’est Borniche et son équipe qui sont chargé de l’affaire par la Sureté, leur patron espérant qu’il fera ainsi la pige à la Préfecture de Police. Tandis que Borniche cherche à le coincer, Buisson s’en va faire des casses avec sa petite bande, rackettant au passage les bourgeois dans des restaurants de luxe. Borniche va avoir l’opportunité de pister Buisson grâce à Raymond un bistroquet qu’il a retourné pour en faire un indic. Buisson s’est en effet réfugié chez son frère dans un quartier populaire de paris, à Gambetta. Les hommes de Borniche sont à deux doigts d’arrêter Buisson et sa bande. Mais les choses se passent très mal et Buisson arrive à s’échapper une fois de plus, son complice René Bollec ayant aperçu les peu discrètes chaussettes à clous qui cernent l’immeuble. Buisson comprend qu’il a été trahi par Raymond et s’en va le descendre. Il peut continuer son parcours sanglant, attaquant une usine où il rafle la paye. Bientôt Borniche va être mis sur la piste de Mario. Il fait mettre le restaurant où il a ses habitudes sur écoutes. C’est ainsi qu’il apprend que Mario doit rencontrer Buisson. Mais Buisson a repéré les poulets et parvient encore à s’échapper. Cependant comme il croit que Mario l’a balancé, il va le descendre. La bande à Buisson doit monter un coup, une perception. C’est Paulo le Bombé qui est sensé faire les repérages. Mais Borniche le piste et va le faire chanter à cause de sa femme tuberculeuse qui a besoin de pénicilline à une époque où elle est rare et chère. Paulo le Bombé va donner la planque de Buisson. Celui-ci se cache dans une auberge en retrait. Borniche, sa femme et ses deux équipiers qui se font passer pour des touristes vont l’arrêter. C’est un peu dangereux parce que Buisson est armé d’une grenade. Mais ils y arrivent après que Borniche ait ceinturé Buisson. L’arrestation étant bouclée, Borniche devra interroger le gangster sur les faits qui lui sont reprochés et à cette occasion ils vont sympathiser. Ce qui n’empêchera pas Buisson d’être guillotiné en 1956. 

 Flic Story, Jacques Deray, 1975 

Borniche propose à Raymond de devenir son indic 

A partir de la traque d’un bandit qui a réellement existé et qui a défrayé la chronique par ses meurtres à répétition, le film se veut une sorte de semi-documentaire sur les difficultés de la traque. Le scénario a été travaillé par Jacques Deray et Alphonse Boudard à partir du bouquin de Borniche. Il est assez linéaire et respecte ce que l’on sait d’Emile Buisson. Bien sûr il donne la part belle à Borniche. Son rôle est sans doute exagéré. En vérité dans toutes ces affaires qu’il a racontées, il a été un flic parmi tant d’autres. Mais le cinéma est là aussi pour simplifier les choses. A travers cette histoire, l’ambition du film est de produire une reconstitution soignée d’une époque révolue dans le Paris de l’après-guerre. Le ton sera à la nostalgie, notamment avec la voix off de Delon qui commente l’affaire au début et à la fin. Les difficultés de la traque sont compensées par le plaisir de la traque, mais aussi par la rencontre entre deux hommes qui finiront par sympathiser. Les références habituelles des films sur le milieu sont évoquées, le fameux code de l’honneur que personne ne respecte, les tendances sanguinaires et suicidaires de Buisson. Borniche est un leader et il a parfois du mal à retenir la hargne de ses troupes, il s’affrontera avec l’inspecteur Darros qui est très brutal. C’est peut-être la partie la moins crédible du film, car à cette époque dès que les flics agrafaient un truand, ils commençaient d’abord par lui mettre la tête au carré, avant de lui poser des questions. C’était la technique habituelle, histoire d’assouplir le caractère du prévenu, surtout si celui-ci était connu comme un bandit dangereux et violent. Souvent présenté comme un affrontement entre deux hommes, le film est d’abord l’histoire de Borniche, et Buisson est seulement le gibier. Les deux rôles ne sont pas du tout équivalents. Du reste on ne s’attardera guère sur la vie intime des gangsters. Certes on comprend bien qu’ils vivent un peu en famille, comme un clan, mais ils n’ont pas une très grande profondeur de caractère. Ils sont les ennemis de la société, donc pas de notre monde. Le scénario a tenté aussi de développer des relations entre Borniche et sa fiancée Catherine, histoire d’humaniser le personnage de l’inspecteur. Ce n’est pas très convaincant, et en outre, le fait de la faire participer à l’arrestation de Buisson n’apparait pas très crédible. Ça l’est encore moins compte tenu de l’époque à laquelle se passe cette histoire.

 Flic Story, Jacques Deray, 1975 

Borniche cherche sur le plan l’adresse du frère d’Emile 

Une grande partie de l’intérêt du film repose sur la reconstitution d’une époque. C’est ce qui est toujours le plus difficile, ici c’est plutôt bien fait, quoique les costumes de Delon me semblent un peu trop de bonne facture. Un inspecteur de police ne gagnait pas lourd à cette époque, et surtout pas de quoi se payer des fringues de vedette de cinéma. Ça pose moins de problème pour les truands qui, du moment qu’ils volent, ont forcément les moyens de se payer de belles fringues. Mais pour le reste les costumes et les tissus, les objets ont un bon aspect de vérité. Les lieux de Paris et de la banlieue sont utilisés intelligemment pour donner un parfum d’époque. En même temps le film va loucher du côté de Melville, par exemple dans la manière dont s’agence la poursuite dans le métro, ou les scènes dans la banlieue déserte. On peut regretter que le braquage de l’usine ne soit pas un peu plus soigné. Il nous paraît un peu trop rapidement expédié. En règle générale le film avance sur un faux rythme, parfois les scènes d’action sont sabotées, parfois on s’attarde sur des détails très mineurs, comme par exemple cette histoire avortée entre Emile Buisson et la jeune Jocelyne. Certes cela permet de faire apparaître Buisson comme un impuissant, ou comme quelqu’un dont la folie est le résultat de son peu d’implication dans les choses du sexe. Seule la scène de l’arrestation de Buisson pendant qu’il mange échappe à cette critique.

 Flic Story, Jacques Deray, 1975

Emile plaisante mais fait peur à Paulo le bombé 

La réalisation n’est pas mauvaise. Elle manque peut-être un peu de rythme et d’imagination, Jacques Deray n’a jamais été un très grand technicien, mais c’est ici un de ses meilleurs films avec La piscine. Il s’entendait bien avec Delon et l’a accompagné sur sept films, c’est même lui qui l’a le plus souvent dirigé. C’était un cinéaste dont l’essentiel de la carrière s’est fait dans le film policier, avec parfois quelques incursions vers le noir. Flic story montre assez bien ses qualités et ses limites. Les travellings sont discrets, et Deray n’abuse pas des changements d’angle intempestifs, ni de la grue. Mais elle fonctionne assez bien et s’appuie sur une bonne photographie de Jean-Jacques Tarbes qui a beaucoup travaillé avec Deray, sur La piscine, les deux Borsalino et qui avait aussi fait la photo de Deux hommes dans la ville. Il y a un bon travail sur les couleurs et donc la saisie des couleurs de l’automne et de l’hiver qui se marient avec le vert de l’imperméable de Borniche. La séquence du braquage du restaurant permet d’utiliser la profondeur de champ et de donner de la force à l’action. Les scènes d’action sont plutôt fonctionnelles, propres, mais sans génie à une ou deux exceptions près que j’ai déjà signalées. Les face à face, que ce soit Borniche avec Buisson, ou Borniche avec son frère sur un lit d’hôpital, sont proprement cadrés, avec des gros plans qui laissent beaucoup de marge à l’expression des acteurs. 

Flic Story, Jacques Deray, 1975 

Borniche vient examiner le cadavre de Mario 

L’interprétation c’est d’abord Delon, il a produit le film et s’y retrouve naturellement au centre. Il est très bien dans ce genre de rôle et ne joue pas les mutiques. Il est même plutôt bavard, sortant un peu de ses rôles trop sombres de voyou perdu. C’est la deuxième fois qu’il incarnait un flic. Il est épaulé ici par Jean-Louis Trintignant dans le rôle du tueur psychopathe. A cette époque la carrière de Trintignant patine un petit peu, il a multiplié les expériences et depuis Le voyou qu’il a tourné avec Lelouchil n’a plus connu le succès. C’est un acteur connu qui navigue entre des films d’auteur et des films où les vedettes sont nombreuses et l’histoire éclatée entre plusieurs personnages. Il est plutôt bien. Et c’est lui qui des deux personnages est le plus taiseux. Il arrive à imposer sa présence, malgré sa petite taille. Les seconds rôles sont occupés par des habitués de la filmographie polardière d’Alain Delon. Renato Salvatori, Paul Crauchet, Maurice Biraud, ou encore Marco Perrin. Il y a très peu de femmes. Claudine Auger interprète Catherine. C’est une actrice qui n’a jamais réussi à s’imposer, ancienne Miss France, ancienne James Bond Girl, elle n’a obtenu que des rôles de faire-valoir, Jacques Deray l’avait déjà dirigée dans un film assez mièvre, Un peu de soleil dans de l’eau froide, adapté de Françoise Sagan. Mais ici elle n’est pas mal, bien que son rôle soit assez peu étoffé. Maurice Barrier et André Pousse se font remarquer dans le bon sens du terme dans des interprétations solides de truands. Il faut donner une petite mention à Alphonse Boudard qui a écrit aussi les dialogues, il incarne un petit imprimeur qui donne dans les faux talbins. C’est un bon souvenir pour ceux qui, comme moi, ont aimé l’écrivain et ses créations langagières qui fut aussi un peu voyou avant de se ranger. 

Flic Story, Jacques Deray, 1975 

Un imprimeur de faux billets s’est fait coincer 

Le film a très bien passé l’épreuve du temps, même si ce n’est pas un chef-d’œuvre, il n’est pas assez noir pour cela. Peut-être aurait-il fallu donner plus de poids au personnage de Buisson, renforcer son côté psychopathe, mais cela aurait eu pour conséquence d’affaiblir le personnage de Borniche qui devait rester le sujet du film, aussi bien dans l’esprit de l’écrivain que dans celui de Delon. Le succès public a été au rendez-vous, et la critique pourtant généralement peu amène vis-à-vis des films de Delon a été pour une fois relativement bienveillante, bluffée sans doute par une reconstitution satisfaisante. L’aspect nostalgique qui va très bien finalement à Alain Delon, lui donne une patine intéressante. C’est une sorte de Borsalino qui se prendrait un peu plus au sérieux en refusant le côté parodique. La musique de Claude Bolling sera d’ailleurs bien moins sautillante, tout en rendant un hommage appuyé à l’époque.  

Flic Story, Jacques Deray, 1975

Emile Buisson est arrêté 

Flic Story, Jacques Deray, 1975

  Borniche passera de longs mois à interroger Buisson 

Flic Story, Jacques Deray, 1975 

Le vrai Borniche et le vrai Émile Buisson

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L'histoire

Roger Borniche (Alain Delon) est un inspecteur de police efficace, intègre et profondément humain, qui ne supporte pas les manières un peu trop "énergiques" qu’emploient ses collègues pour faire parler les truands. En septembre 1947, le commissaire (Marco Perrin) lui confie pour mission d’appréhender l’ennemi public n°1 de l’époque, Emile Buisson (Jean-Louis Trintignant), braqueur violent et dangereux qui vient de s’échapper de l'hôpital psychiatrique pénitentiaire de Villejuif. Alors qu’on pensait qu’il se tiendrait tranquille et qu’il allait être difficile à retrouver, non seulement Buisson exécute froidement ceux qui l’ont trahi mais continue à commettre ses cambriolages en semant les cadavres derrière lui en plein Paris. La chasse à l’homme n’étant pas concluante et l’enquête s’éternisant un peu trop au goût du commissaire, on retire l’affaire à Borniche. Ce dernier va néanmoins se retrouver sur le chemin du tueur alors qu’il enquête sur un cas de meurtre qui se révèle être lié au parcours sanglant de Buisson...

Analyse et critique

 

Hormis quelques titres de Jacques Becker ou Jean-Pierre Melville, tout au long de mes plus de quarante ans de cinéphilie, j’ai rarement vu des polars français être considérés par la critique comme des chefs-d’œuvre du Film Noir, alors que de l’autre côté de l’Atlantique d’innombrables films des années 30 à 70 étaient adoubés comme tels, il est vrai à juste titre pour la majorité. Ce que je lisais du cinéma de Jacques Deray à l’époque de la sortie de ses films ou lors de leurs passages à la télévision était parfois positif mais très rarement enthousiaste, le cinéaste n'étant pour la plupart jugé que comme un bon faiseur et/ou une sorte de sous-Melville. La politique des auteurs en était sûrement un peu responsable : les réalisateurs rangés par cette théorie journalistique dans la case des artisans étaient alors souvent un peu méprisés face aux "vrais artistes". De son côté, le classicisme dans notre cinéma national était lui aussi un peu vilipendé par l'appellation assez péjorative de "qualité française". Heureusement cette différence s’est aujourd’hui un peu aplanie et n’avait d’ailleurs pas vraiment lieu d’être. Mais ce débat s'étant déjà tenu à de nombreuses reprises ici et là, regardons plutôt devant nous ! Car lorsque je revisionne ces jours-ci Flic Story, je m’étonne de la relative tiédeur de l’ensemble de la presse : même si une large majorité s’accordait au moins légitimement pour saluer le métier de Deray - pas grand monde reniait les qualités du film -, cela n’allait souvent malheureusement guère plus loin.

 
 

Bref, sans aucun paramètre touchant à la nostalgie, ni par un réflexe de "mémoire courte" comme quoi le cinéma aurait été mieux avant, je n'hésite plus à être dithyrambique concernant certains de nos polars français jadis boudés par l’intelligentsia et je le dis sans détours : je considère Flic Story comme un chef-d’œuvre à l’instar de certains films tout aussi moyennement défendus et qui se rapprocheraient à mon humble avis de ce statut, tels certaines oeuvres de Georges Lautner (Mort d’un pourri), Gilles Grangier (Maigret tend un piège) ou José Giovanni (Le Gitan), autrefois également assez mal lotis. Tout comme les titres cités ci-avant, Flic Story ne devrait pas avoir à rougir face aux plus belles réussites outre-Atlantique signées John HustonHoward HawksRichard Fleischer ou Samuel Fuller pour ne citer que quatre noms peut-être encore connus auprès du grand public. Cela étant dit, le film de Deray étant l’adaptation de l’excellent roman éponyme et autobiographique de l’inspecteur Roger Borniche qui contait cliniquement sa traque de l’ennemi public N°1 après-guerre, il n’y a pas grand-chose à creuser au niveau analytique car l’intrigue est on ne peut plus classique et "se contente" presque tout du long de narrer assez froidement l’enquête qui va amener à la capture du fameux Emile Buisson, d’une manière très linéaire et sans aucun flash-back. D'où peut-être son manque de reconnaissance, beaucoup cherchant absolument au cinéma à trouver quelconque ambition psychologique ou message intellectuel. Mais voilà, l’épure classique peut se révéler donner un résultat parfait et c’est le cas ici d’autant plus que les participants au film ont tous accompli un travail remarquable.

Mais contrairement à ce qu’il pourrait donner à penser, y compris par ma description précédente, et même si Borniche est un pur et Buisson un salopard, le film de Deray n’est pas aussi manichéen, témoin cet épilogue qui voit des relations pleines de respect s’être nouées entre le chasseur et sa proie. Et auparavant, Borniche un peu déprimé au vu de la stagnation de son enquête, se posait la question de savoir s’il n’aurait pas préféré être dans la peau du bandit. Des fragments d’ambiguïté qui rendent le film encore plus riche et passionnant même si les auteurs ne s'appesantissent pas dessus. Borniche fut un inspecteur de police dans les années 40 et 50 qui se mit à écrire pas moins d’une trentaine de livres pour raconter ses exploits, et pas des moindres puisqu’il a participé à la répression du grand banditisme à grande échelle et qu’il prétendait avoir plus de 500 arrestations à son actif, dont celles de pointures comme non seulement Emile Buisson mais aussi René la Canne (qu’interprétera Gérard Depardieu dans le film homonyme de Francis Girod) ou encore Pierrot le fou que Jean-Luc Godard a immortalisé dans son chef-d’œuvre. N’ayant pas relu ce best-seller que fut Flic Story depuis une éternité et ne pouvant le comparer avec le film malgré parait-il sa grande fidélité, Deray a fait en tout cas de Borniche/Delon un policier honnête, minutieux, efficace et profondément humain, par exemple révulsé par les comportements violents de ses collègues quand il s’agit d’interrogatoires des prévenus. Denis Manuel est d’ailleurs excellent dans le rôle inquiétant de cet inspecteur hargneux presque plus antipathique que les truands qui lui passent sous la main.

 
 

A l’origine, Delon, producteur du film, souhaitait s’attribuer le rôle de Buisson ; on ne regrette pas qu’il ait changé son fusil d’épaule car l’on voit mal qui aurait pu être meilleur que lui dans ce rôle d’officier de police. Encore une interprétation mémorable de cet immense acteur - on ne le dira jamais assez - dont la filmographie, tout du moins dans cette décennie 70, est impressionnante, succession d’une dizaine d’autres très grands films. Il sera donc Borniche ! Souhaitant en son for intérieur être promu, le policier saute sur l’opportunité qui se présente à lui, celle d’appréhender le plus dangereux malfrat de l’époque qui vient de s’évader et qui continue à égrener les cadavres sur son passage. Le film décrira minutieusement le travail assidu de ce flic méthodique, hors du commun mais pas super-héros pour autant, lui arrivant de craquer ou de douter et même de se remettre en question, préférant le plus possible la réflexion à l’action pour arriver à ses fins. Borniche lui-même a affirmé s’être reconnu à travers le jeu sobre et nuancé d’un Delon magistral. Face à lui, un Jean-Louis Trintignant tout aussi impressionnant dans un total contre-emploi, incarnant ici avec un minimalisme assez glaçant un psychopathe cruel et impitoyable qui n’hésite jamais à jouer de la gâchette, jamais pour blesser mais toujours pour tuer. Un loup solitaire extraordinairement inquiétant avec son regard froid, son mutisme gênant et son sourire carnassier. Un vrai rôle de composition dont le comédien se sort haut la main. Difficile de dire qui des deux acteurs est le plus convaincant tellement ils s'avèrent tout aussi fabuleux l’un que l’autre. Mais pour en revenir à Trintignant, Buisson lui sert l'un de ses rôles les plus marquants ; si jamais vous aviez l'intention de rendre un hommage à ce fabuleux comédien qui vient de nous quitter il y a quelques jours, le 17 juin 2022, c'est l'occasion rêvée.

 
 

Borniche et Buisson ne se croiseront qu’à la toute fin, tout d’abord lors de la scène la plus mémorable du film, son point d’orgue, celle assez longue de la neutralisation et de l'arrestation du criminel dans une petite auberge de province, une séquence millimétrée et orchestrée avec génie, un véritable modèle d’écriture, de rythme, de tempo et de construction ! Mais le seul véritable et très rapide face-à-face entre les deux comédiens n’aura lieu que lors de l’épilogue ; pour les admirateurs des deux acteurs, cette attente a pu causer une déception à la hauteur par exemple de celle de Heat de Michael Mann dans lequel De Niro et Pacino ne se retrouvent également ensemble que lors de quelques minutes. Quoi qu’il en soit, voici un finale qui se déroule durant l’instruction du meurtrier et qui montre les liens qui se tissent entre le flic et le voyou, une complicité empreinte d'un immense respect de part et d'autre. Mais Delon et Trintignant ne sont pas seuls ; ils sont entourés par toute une galerie de seconds rôles eux aussi parfaitement bien dirigés par Deray. A commencer, dans la peau de l’épouse de Borniche, par la sublime Claudine Auger, surtout connue pour avoir été la James Bond Girl Domino dans Opération Tonnerre de Terence Young. Il faut également citer Henri Guybet dans un rôle pour lui aussi totalement inhabituel, celui d’un des assistants de Borniche, ainsi que Marco Perrin dans celui du commissaire survolté. Mais nous nous souviendrons surtout de deux fortes apparitions dans deux séquences homériques de par leur jeu d'acteur : celle de la confrontation entre Delon et André Pousse (le frère de Emile Buisson) à l’hôpital ainsi que celle de l’hôtel de passe tenu par Maurice Biraud au cours de laquelle Catherine Lachens en prostituée extravertie vient nous offrir un savoureux numéro.

 
 
 

Le scénario de Alphonse Boudard, qui nous fait alterner d’un côté le parcours ensanglanté de Buisson entre son évasion et son arrestation, de l’autre l’enquête de Borniche avec ses interrogatoires, écoutes, méthodes scientifiques, pression des indics, etc., démontre un travail aux petits oignons, nous décrivant à la perfection le petit microcosme de la police ainsi que le monde des truands. L’ensemble est très crédible, la reconstitution d’époque très soignée, l’atmosphère de l’après-guerre parfaitement bien rendue avec notamment des allusions aux grèves réprimées de l’époque, aux films à l’affiche comme Le Diable au corps de Claude Autant-Lara que le couple Borniche souhaite aller voir, aux difficultés qu'il fallait encore pour s’approvisionner correctement, et avec aussi moult détails aujourd’hui pittoresques comme les pompes à essence actionnées à la main, les tractions Citroën... Souvent les reconstitutions d’époque par leur trop-plein ont un rendu factice ; ce n’est pas du tout le cas ici où la surenchère a été bannie. Quant à la mise en scène de Deray déjà évoquée à plusieurs reprises, elle est au diapason de l’ensemble, sans graisse inutile, et n’a jamais été aussi soignée et précise, pas avare pour autant de superbes plans aux éclairages très travaillés.

 
 

Flic Story est un Film Noir rigoureux au savoir-faire incontestable et d’une solidité à toute épreuve, porté par un casting de platine, un superbe thème musical de Claude Bolling et une magnifique photographie de Jean-Jacques Tarbès, tous deux fidèles collaborateurs d'un cinéaste qui signe ici probablement son chef d’œuvre. Le public ne s’y trompera pas, qui lui fera un triomphe avec quasiment deux millions de spectateurs à la clé. Ce que nous retiendrons néanmoins, c’est avant tout la lutte à distance que se livrent deux personnages "bigger than life" et leurs deux interprètes qui trouvent ici parmi leurs plus beaux rôles malgré des filmographies respectives impressionnantes et de grandes prestations en nombre. Nous terminerons, en même temps que le film, avec cette superbe idée que le plan final sur Alain Delon qui d'un coup se tourne face caméra pour nous dire, les yeux dans les yeux, la date à laquelle eut lieu l’exécution d'Emile Buisson :

Par Erick Maurel - le 1 septembre 2022

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