vineri, 9 aprilie 2021

HITCHCOCK / TRUFFAUT: A propos de REAR WINDOW (Fenêtre sur cour)

http://moncinemaamoi.over-blog.com/2015/01/hitchcock-par-truffaut-a-propos-de-rear-window-fenetre-sur-cour.html

HITCHCOCK / TRUFFAUT: A propos de REAR WINDOW (Fenêtre sur cour)

HITCHCOCK / TRUFFAUT : A propos de REAR WINDOW (Fenêtre sur cour)
En janvier 1960, à New York, François Truffaut rencontre Helen Scott, chargée des relations avec la presse pour le French Film Office. Celle-ci devient, dès lors, sa traductrice et sa collaboratrice attitrée aux Etats-Unis. En avril 1962, François Truffaut dévoile à Robert Laffont et à Helen Scott son intention de faire un livre sur le cinéma. Le genre des entretiens radiophoniques avec des écrivains, notamment Les Entretiens de Paul Léautaud avec Robert Mallet, lui donne l’idée de composer un ouvrage à partir d’entretiens enregistrés avec Alfred Hitchcock.
François Truffaut écrit à Alfred Hitchcock le 2 juin 1962 pour lui demander un entretien. 
C’est avec émotion qu’Alfred Hitchcock lui répond favorablement de Los Angeles par un télégramme.
Dès lors, François Truffaut commence à réunir la documentation nécessaire à la préparation du livre : le Hitchcock de Claude Chabrol et Eric Rohmer publié en 1957, les critiques, les fiches techniques et notes sur les films, les romans adaptés par Hitchcock, des photographies, classés dans des dossiers, film par film. Il écrit également des centaines de questions à poser à Alfred Hitchcock.
HITCHCOCK / TRUFFAUT : A propos de REAR WINDOW (Fenêtre sur cour)
Alfred Hitchcock :  Il s'agissait d'un invalide qui se tenait toujours dans la même pièce. Je crois me souvenir qu'un garde-malade s'occupait de lui, mais pas constamment. L'histoire racontait tout ce que le héros voyait de sa fenêtre, comment il soupçonnait un meurtre et, vers la fin, la menace de l'assassin qui se précisait. D'après mon souvenir, la conclusion de cette nouvelle était que l'assassin, se sentant démasqué, voulait tuer le héros de l'autre côté de la cour, avec un revolver ; le héros parvenait à tenir à bout de bras un buste de Beethoven et l'exposait en silhouette devant la fenêtre. C'est donc Beethoven qui recevait le coup de revolver.
 
François Truffaut : J'imagine que ce qui vous a tenté au départ, c'est d'abord le pari technique, la gageure. Un seul immense décor et tout le film vu par les yeux du même personnage...
 
A. H. Absolument, car vous aviez ici une possibilité de faire un film purement cinématographique. Vous avez l’homme immobile qui regarde au-dehors. C'est un premier morceau de film. Le deuxième morceau fait apparaître ce qu'il voit et le troisième montre sa réaction. Cela représente ce que nous connaissons comme la plus pure expression de l'idée cinématographique. Vous savez ce que Poudovkine a écrit là-dessus ; dans un de ses livres sur l'art du montage, il a raconté l'expérience qu'avait faite son maître Liev Koulechov. Cela consistait à montrer un gros plan d'Ivan Mosjoukine puis à lui faire succéder le plan d'un bébé mort. Sur le visage de Mosjoukine se lit la compassion. On enlève le plan du bébé mort et on le remplace par l'image d'une assiette de nourriture et, sur le même gros plan de Mosjoukine, vous lisez maintenant l'appétit. De la même façon nous prenons un gros plan de James Stewart. Il regarde par la fenêtre et il voit par exemple un petit chien que l'on descend dans la cour dans un panier, on revient à Stewart, il sourit. Maintenant à la place du petit chien qui descend dans le panier, on montre une fille à poil qui se tortille devant sa fenêtre ouverte, on replace le même gros plan de James Stewart souriant et, maintenant c’est un vieux salaud !
 
F. T. Parce que l'attitude de James Stewart constitue de la pure curiosité ...
 
A. H. Disons-le, c’était un voyeur, Je me souviens d’une critique à ce propos. Mlle Lejeune dans le « London Observer » a écrit que Rear Window était un film « horrible », parce qu’il y avait un type qui regardait constamment par la fenêtre. Je pense qu'elle n'aurait pas dû écrire que c'était horrible. Oui, l'homme était un voyeur, mais est-ce que nous ne sommes pas tous des voyeurs ?
 
F. T. Nous sommes tous des voyeurs, ne serait-ce que lorsque nous regardons un film intimiste. D'ailleurs, James Stewart à sa fenêtre se trouve dans la situation d'un spectateur assistant à un film.
 
A. H. Je vous parie que neuf personnes sur dix, si elles voient de l'autre côté de la cour une femme qui se déshabille avant d'aller se coucher ou simplement un homme qui fait du rangement dans sa chambre, ne pourront s'empêcher de regarder. Elles pourraient détourner le regard en disant : « Cela ne me concerne pas», elles pourraient fermer leurs volets, eh bien! elles ne le feront pas, elles s'attarderont pour regarder.
 
F. T. Au départ, votre intérêt était seulement technique, mais je crois qu'en travaillant sur le scénario vous avez rendu l'histoire plus importante ; finalement, ce que l'on voit de l'autre côté de la cour est devenu une image du monde, plus ou moins consciemment?
A. H. De l'autre côté de la cour, vous avez chaque genre de conduite humaine, un petit catalogue des comportements, Il fallait absolument le faire, sinon le film eût été sans intérêt. Ce que l'on voit sur le mur de la cour, c'est une quantité de petites histoires, c’est le miroir, comme vous dites, d’un petit monde.
 
F. T. Et toutes ces histoires ont pour point commun l'amour. Le problème de James Stewart est qu'il n'a pas envie d'épouser Grace Kelly et, sur le mur d'en face, il ne voit que des actions qui illustrent le problème de l'amour et du mariage. Il y a la femme seule sans mari ni amant, les jeunes mariés qui font l'amour toute la journée, le musicien célibataire qui s'enivre, la petite danseuse que les hommes convoitent, le couple sans enfants qui a reporté toute son affection sur un petit chien, et surtout le couple marié dont les disputes sont de plus en plus violentes jusqu'à la mystérieuse disparition de la femme.
 
A. H. Oui, et vous retrouvez ici la même symétrie que dans L'Ombre d'un doute. Dans le couple Stewart-Kelly, lui est allongé avec sa jambe dans le plâtre et elle est libre de ses mouvements, tandis que, de l'autre côté de la cour, la femme malade est clouée dans son lit et le mari fait des allées et venues. Il y a une chose qui m'a rendu assez malheureux dans ce film, c'est la musique. Vous connaissez Franz Waxman ?
 
F. T. Il faisait la musique des films de Humphrey Bogart autrefois ?
 
A. H. Il a fait également celle de Rebecca. Nous avions de l'autre côté de la cour le musicien qui s'enivre ; je voulais qu'on l'entende composer la chanson, la développer et qu'à travers tout le film on entende l'évolution de cette chanson jusqu'à la scène finale où elle serait jouée sur un disque avec toute l'orchestration. Ça n'a pas marché. J'aurais dû choisir un auteur de chansons populaires pour faire ça. J'ai été très déçu.
 
F. T. Tout de même, une partie importante de l'idée initiale subsiste dans le film ; quand le compositeur a terminé sa musique, c'est en l'entendant que la femme seule renonce à se suicider, et je crois qu'au même moment, toujours grâce à la musique, James Stewart réalise qu'il est amoureux de Grace Kelly. Une scène, très forte, montre la réaction du couple sans enfants après la mort de leur petit chien ; la femme pousse un cri, tout le monde vient aux fenêtres, la femme sanglote et crie : «Nous devrions nous aimer davantage ... entre voisins», etc. C'est une réaction volontairement disproportionnée... Je suppose que vous l'avez conçue comme s'il s'agissait de la mort d'un enfant ?
 
A. H. Naturellement. Ce petit chien est leur seul enfant. A la fin de la scène, on s'aperçoit que tout le monde est venu regarder aux fenêtres sauf l'assassin présumé qui fume dans le noir.

 

F. T. C'est aussi le seul moment du film où la mise en scène change de point de vue ; on quitte l'appartement de Stewart, la caméra s'installe dans la cour, vue sous plusieurs angles, et la scène devient purement objective,
 
A. H. Seulement ici.
 
F. T. A ce propos, je pense à une chose qui constitue probablement une règle dans votre travail, Vous ne montrez la totalité d'un décor qu'au moment le plus dramatique d'une scène, Dans le Procès Paradine, lorsque Gregory Peck s'en va, humilié, on le voit partir de très loin et, pour la première fois, on voit le tribunal en entier alors que nous y sommes depuis cinquante minutes, Dans Fenêtre sur cour, vous n'avez montré la cour en entier que lorsque la femme crie, après la mort de son chien, et que tous les locataires se mettent aux fenêtres pour voir ce qui se passe,
 
A. H. C'est toujours la question de choisir la taille des images en fonction des buts dramatiques et de l'émotion, et non pas simplement dans le dessein de montrer le décor. L'autre jour, je tournais un spectacle d'une heure pour la télévision et l'on voyait un homme entrant dans un commissariat pour se constituer prisonnier. Au début de la scène, j'ai filmé d'assez près l'homme qui entre, la porte qui se referme ; il se dirige vers un bureau mais je n'ai pas montré tout le décor. On m'a dit: « Vous ne voulez pas montrer tout le commissariat pour que les gens sachent qu'on est dans un commissariat ?» J'ai répondu: « Pourquoi ? Nous avons le sergent de police qui a trois galons sur le bras et qui se trouve en amorce dans l'image, cela suffit pour établir que nous sommes dans un commissariat. Le plan général pourra être très utile dans un moment dramatique, pourquoi le gaspiller ? »
 
F. T. C'est intéressant, cette notion de gaspillage, de garder des images « en réserve ». Autre chose, à la fin de Rear Window, quand l'assassin entre dans la pièce, il dit à James Stewart: « Que voulez-vous de moi? » James Stewart ne trouve rien à répondre, parce que son action est sans justifications, qu'il a agi par pure curiosité.
 
A. H. C'est vrai, et c'est pourquoi ce qui va lui arriver au fond ce sera bien fait pour lui.
 
F. T. Mais il va se défendre avec les flashes, en aveuglant l'assassin à coup de flashes dans la figure ...
 
A. H. L'utilisation des flashes relève du vieux principe de Secret Agent : en Suisse, ils ont les Alpes, les lacs et le chocolat. Ici nous avons un photographe, alors il regarde de l'autre côté de la cour avec ses instruments de photographe, et lorsqu'il doit se défendre c'est avec les instruments du photographe, les flashes. Pour moi, il est essentiel de toujours se servir d'éléments liés aux personnages ou aux endroits et je sens que je néglige quelque chose si je ne m'en sers pas.
 
F. T. De ce point de vue, l'exposition du film est excellente. On démarre sur la cour endormie, puis on glisse sur le visage de James Stewart en sueur, on passe sur sa jambe plâtrée, puis sur une table où l'on voit l'appareil photo brisé et une pile de magazines et, sur le mur, on voit des photos de voitures de course qui se retournent. Dans ce seul premier mouvement d'appareil, on apprend où nous sommes, qui est le personnage, quel est son métier et ce qui lui est arrivé.
 
A. H. C'est l'utilisation des moyens offerts au cinéma pour raconter une histoire. Cela m'intéresse plus que si quelqu'un demandait à Stewart : « Comment vous êtes-vous cassé la jambe ?» Stewart répondrait : « Je prenais une photographie d'une course d'automobiles, une roue s'est détachée et elle est venue me frapper.» N'est-ce pas ? Ce serait la scène banale. Pour moi, le péché capital d'un scénariste est, lorsqu'on discute une difficulté, d'escamoter le problème en disant : « Nous justifierons cela par une ligne de dialogue. » Le dialogue doit être un bruit parmi les autres, un bruit qui sort de la bouche des personnages dont les actions et les regards racontent une histoire visuelle.
 
F. T. J'ai remarqué que vous escamotez souvent le prélude aux scènes d'amour. Ici, James Stewart est seul chez lui, et, brusquement, le visage de Grace Kelly entre dans le cadre et la série de baisers commence. Quelle en est la raison ?
 
A. H. C'est un désir d'arriver tout de suite au point important et de ne pas perdre du temps. Ici c'est le baiser-surprise. Dans d'autres cas, il y aura peut-être le baiser-suspense et ce sera tout à fait différent.
 
F. T. Dans Rear Window et aussi dans To Catch a Thiel (la Main au collet), le baiser est truqué. Pas le baiser lui-même, mais l'approche des visages. C'est saccadé, comme si, en laboratoire, on avait doublé une image sur deux.
 
A. H. Ce ne sont pas absolument des truquages, ce sont des pulsations qu'on obtient en faisant vibrer la Dolly ou quelquefois les deux. Il y a un effet que je n'ai pas tourné dans The Birds, dans une scène d'amour, je voulais montrer les deux têtes séparées qui vont se réunir. Je voulais faire des panoramiques ultrarapides d'un visage à l'autre en fouettant la caméra ; comment appelle-t-on cela en français, « fouetter la caméra» ?
 
F. T. Un filage.
 
A. H. C'était un filage d'un visage à l'autre mais, au fur et à mesure que les visages se rapprochent, le filage diminue jusqu'à ne faire qu'une toute petite vibration. Il faudra que j'essaie une fois.
 
F. T. Rear Window est peut-être avec Notorious votre meilleur scénario, à tous points de vue, construction, unité d'inspiration, richesse des détails...
 
A. H. Je crois que j'ai été très enthousiaste à cette période parce que mes batteries étaient bien chargées. John Michael Hayes était un écrivain de radio et il s'est occupé essentiellement des dialogues. J'avais des difficultés avec le meurtre, aussi me suis-je inspiré de deux faits divers britanniques : «le cas Patrick Mahon», et « le cas Crippen». Dans « le cas Mahon», l'homme a tué une fille dans un bungalow, sur la côte, dans le Sud de l'Angleterre. Il a découpé le corps et l'a dispersé morceau par morceau par la portière d'un train. Mais il ne savait pas quoi faire de la tête. C'est cela qui m'a donné l'idée de faire chercher la tête de la victime dans Rear Window. Patrick Mahon, lui, a mis la tête dans la cheminée et il a allumé le feu pour la brûler. Il s'est alors passé une chose qui peut sembler irréelle mais qui est absolument vraie ; un orage éclatait au même moment, comme dans une pièce de théâtre. Il y a les éclairs, le tonnerre et, dans la cheminée, la tête est entourée de flammes; probablement à cause de la chaleur, les yeux se sont ouverts et ils semblent regarder Patrick Mahon. Le type s'est enfui en hurlant sur la plage au milieu de l'orage et il n'est revenu chez lui que plusieurs heures plus tard. A ce moment-là, le feu avait eu raison de la tête. Quelques années plus tard, un des quatre plus grands inspecteurs de Scotland Yard est venu me voir et m'a raconté ce qui suit. C'est lui qui avait été chargé de l'enquête lorsque Patrick Mahon avait été arrêté et son problème avait été de trouver la fameuse tête. Nous savons qu'il ne pouvait pas la trouver, Il trouvait des traces, des indices, mais pas la tête, Il savait qu'elle avait été brûlée mais il voulait avoir une indication concernant l'heure à laquelle cette opération avait eu lieu et sa durée. Alors il est allé voir le boucher, il a acheté une tête de mouton et il l'a brûlée au même endroit. Vous voyez que, dans tous ces cas de mutilations, le grand problème pour la police est de retrouver la tête. A présent, voyons « le cas Crippen ». Le docteur Crippen habitait Londres, il a assassiné sa femme et l'a découpée en petits morceaux. Plus tard on s'est rendu compte que la femme avait disparu et, comme c'est la coutume, l'assassin a dit : « Ma femme est partie en voyage. » Mais le docteur Crippen a fait une grave erreur : sa secrétaire portait quelques-uns des bijoux de sa femme et, à cause de cela, les voisins ont commencé à bavarder. Scotland Yard s'est intéressé à l'affaire et l'inspecteur Dew est venu questionner le docteur Crippen. Celui-ci a donné des raisons extrêmement vraisemblables et logiques de la disparition de sa femme. Elle était partie vivre en Californie, L'inspecteur Dew avait presque abandonné l'enquête et, lorsqu'il est retourné à la maison pour une dernière formalité, le docteur Crippen était parti avec sa secrétaire.
(…)
F. T. Alors c'est l'idée des bijoux qui vous a inspiré cette scène avec Grace Kelly?
 
A. H. Oui, la scène avec l'alliance. Si la femme était réellement partie en voyage, elle aurait emporté son alliance…
 
F. T. Ce qui est excellent dans le film, c'est l'enrichissement de cette idée. Grace Kelly veut se faire épouser par James Stewart qui, lui, ne le veut pas. Elle s'introduit dans l'appartement de l'assassin pour trouver une preuve contre lui et elle trouve l'alliance de sa femme. Elle met l'alliance à son doigt et place sa main derrière son dos afin que, de l'autre côté de la cour, Stewart regarde l'alliance avec ses jumelles. Pour Grace Kelly, c'est comme une double victoire, elle réussit son enquête et elle réussira à se faire épouser. Elle a déjà la « bague au doigt ».
A. H. C’est exactement cela ; C’est l'ironie de la situation.
 
F. T. Quand j'ai vu Rear Window la première fois, j'étais journaliste et j'avais écrit que c'était un film très noir, très pessimiste et même très méchant. À présent, il ne me semble plus méchant du tout et j'y vois même une certaine bonté dans le regard. James Stewart voit de sa fenêtre non pas des horreurs, mais le spectacle des faiblesses humaines. Est-ce votre avis ?
 
A. H. Absolument, oui. 
Hitchcock / Truffaut (avec la collaboration de Helen Scott) - Editions Ramsay (1983)
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Fenêtre sur cour (Rear window)

Posté le 8 janvier 2021 par Benjamin Fauré 

Alfred Hitchcock, 1954 (États-Unis)






Le magazine Blow up de Luc Lagier propose une rubrique appelée « collisions ». Sur le site d’Arte, depuis 2014 et jusqu’au 1 août 2114, on peut voir par exemple Quand Vertigo croise Bruges-la-Morte, ou, disponible depuis 2019 et un peu moins longtemps, Quand conversation secrète rencontre Psychose, deux fusions cinéphiles qui rendent compte des liens étroits que peuvent entretenir deux œuvres. Le mélange que nous envisageons à notre tour mériterait pareil montage, tout du moins j’imagine avec une certaine excitation ce que pourrait donner, dans un petit film tels que ceux-là, la collision entre Alfred Hitchcock et Christopher Nolan, une Fenêtre sur cour ouverte sur les mises en abîmes d’Inception (2010) et sur le parcours inversé autant que bouclé de Tenet (2020)

Pour opérer cette fusion, il faut un préalable. Commençons par rappeler que, comme la plupart des films de Hitchcock des années 1950, derrière son apparente simplicité, Fenêtre sur cour cache une grande complexité. Le film n’est pas seulement le récit d’un crime que Jeff (James Stewart), coincé sur son fauteuil roulant et depuis sa fenêtre, finit par révéler de ses trop libres indiscrétions (secondé à cette fin par Grace Kelly et Thelma Ritter, Lisa et Stella). De nombreuses analyses ont notamment démontré que Fenêtre sur cour était une métaphore du cinéma et que Hitchcock y donnait la définition de son propre cinéma (ce qu’ont écrit Chabrol et Rohmer, Truffaut bien sûr, Douchet et d’autres). En suivant ces réflexions, la cour de l’immeuble devient un écran sur lequel le photographe à la jambe en plâtre tue son ennuie et projette les histoires qu’il se raconte. Comme un split screen avant l’heure, les différentes fenêtres offrent autant de petites histoires : ses fantasmes (Miss Torso, les jeunes mariés), ses craintes (Miss Lonelyheart, le vieux couple et le chien) et ses pulsions (le couple Thornwald), toutes se rapportant aux représentations que Jeff se fait de la vie amoureuse.

Durant la première partie du film, Hitchcock place plusieurs éléments qui nous font douter un temps du drame qu’est en train de forger le voyeur à sa fenêtre : la forte température estivale, ses longues veilles (lui faisant les yeux rouges, ce que ne manque pas de lui faire remarquer Stella, l’infirmière « astrologue »), le sommeil contre lequel il ne parvient plus à lutter… Sans même parler de sa volonté plusieurs fois exprimée qu’un événement, quel qu’il soit, lui permette d’échapper au confinement imposé. A plusieurs occasions, un même mouvement de caméra lie également le décor éclaté de la cour et Jeff endormi sur son fauteuil, de telle manière que l’on en vient à penser que tout ce qui a été jusqu’alors vu du voisinage n’aurait été que le fruit de son imagination.

Complétant la métaphore qui ferait de la fenêtre un écran, ces plans sur Jeff endormi nous incitent à repenser l’organisation spatiale. La fenêtre marque une frontière, non plus seulement entre l’appartement et la cour, mais aussi entre un lieu réel et un autre imaginaire. Ainsi, l’appartement, filmé de l’intérieur, est l’espace matériel par excellence : Jeff y monte et démonte ses objectifs, se fait masser, la nourriture y apparaît en gros plan. Cet ancrage dans la réalité est encore confirmé par la jambe cassée, l’appareil photo brisé, ainsi que les clichés accrochés de la guerre, explosion nucléaire incluse (difficile de faire plus réel en 1954 que cet événement historique). A l’opposé, la cour de l’immeuble est le lieu de l’imaginaire et de la création artistique : sculpture, peinture, danse et… fiction criminelle. Dans cet espace, tout ne coule pas sous le sens, rien n’y est évident. Un gros bloc d’argile avec un trou est présenté comme une œuvre sur « la faim ». De même, on croit d’abord Miss Torso légère, avant de vérifier le contraire. Un vieux couple dort sur son balcon à la vue de tous… Des explications peuvent donc manquer dans l’espace de la cour, le spectateur vient combler lui-même les lacunes et sa réflexion rattrape (parfois sans difficulté) les nombreux hors-champs. Si le sens se perd, il est aussi possible de tordre la logique, cela afin que le récit d’une affaire criminelle, par exemple, finisse par convaincre les plus prosaïques.

« Fenêtre sur cour tout entier est un processus mental, restitué par l’image », selon ce que disait Hitchcock (dans The Art of Alfred Hitchcock de D. Spoto en 1976). La cour sur laquelle s’ouvre la fenêtre de Jeff n’est pas l’arrière-cour partagée entre plusieurs immeubles de Greenwich Village à New York (dont le décor s’inspire), elle est la représentation de l’espace mental de Jeff. Autrement dit, c’est une image de son cerveau avec ses différentes « cases » et ses interactions.

C’est le personnage de Grace Kelly qui nous permet d’aller plus loin. Lisa Carol Fremont est amoureuse de Jeff et n’a en tête qu’une chose, lui passer la bague au doigt. Lui, le photographe baroudeur, redoute une vie rangée avec cette femme « trop » parfaite, dont la vie est tout entière tournée vers le monde de la mode et donc bien loin de l’exotisme recherché par Jeff. Leur principale dispute évoque d’ailleurs tout un genre au cinéma, la comédie d’aventure. Quand Jeff lance la réplique « des talons aiguilles dans la jungle », le spectateur peut songer à A la poursuite du diamant vert de Zemeckis (1984) ou, pour prendre un autre exemple que j’aime bien, au segment avec Dolores del Río et Gene Raymond, seuls sur une plage des tropiques, dans Carioca (1933). Et pourtant si Jeff rumine sur sa peine et ses ténèbres desquelles il cherche à faire sortir quelque distraction, Lisa, elle, apporte son amour, sa nuisette et ses lumières à l’histoire : les trois lampes allumées quand elle rappelle son nom complet, les « lumières » au sens propre, et la résolution du mystère par le principal indice retrouvé, au sens figuré. Grace Kelly, lors de sa première apparition notamment, est dans ce film absolument divine. Elle incarne peut-être l’inspiration, toujours est-il qu’elle fait avancer l’intrigue.

Afin de totalement séduire Jeff, lorsque l’occasion se présente, Lisa ne va pas seulement enjamber une rambarde à quelques mètres de hauteur et risquer sa vie dans l’appartement du tueur supposé. En pénétrant dans l’immeuble d’en face, Lisa franchit une ligne et, à l’instar de Mia Farrow dans La rose pourpre du Caire (Allen, 1995), passe de l’autre côté de l’écran de cinéma. Là, elle se retrouve dans un espace mental où tout est possible : elle est dans le cerveau de Jeff. Avec pareille représentation, comment résister à arranger cette collision entre Fenêtre sur cour et Inception ? Lisa Carol Fremont, femme sophistiquée et très en vue, se révèle « expérimentée dans l’art périlleux » de « l’inception » : la spécialité de l’amoureuse très décidée consiste alors à secrètement déposer le germe de l’idée de mariage, « au plus profond du subconscient de son sujet, pendant qu’il rêve et que son esprit est vulnérable ». On s’en rend compte, Lisa déploie des talents comparables (sinon supérieurs) à ceux de Cobb et se montre, bien avant lui, capable d’acrobaties suspendues dans l’espace (en robe et en talons aiguilles pour ne contourner aucune difficulté) à un autre niveau de perception. L’idée placée dans la zone appropriée de l’encéphale (précisément les deux fenêtres où Jeff se fait une certaine conception du couple) est matérialisée par l’alliance qu’elle montre à son propre doigt (également son totem ?). L’anneau est certes la preuve qui manquait à la résolution de l’énigme policière, mais aussi surtout le symbole d’une union à venir que souhaite tant Lisa.

Thorwald (Raymond Burr) est le meurtrier, Lisa vient de le démontrer. Le crime a donc bien eu lieu, il n’est plus imaginaire. Singularité spatiale, Thorwald peut alors à son tour franchir la frontière entre l’imaginaire et la réalité et pénétrer dans l’appartement de Jeff, comme le tueur en série fictif traversait l’écran et devenait atrocement réel dans Last action hero (McTiernan, 1993). L’anomalie est telle que la réalité ne peut que s’affaisser sur elle-même et Jeff de tomber dans les limbes. Lisa, qui a pu s’extraire avec succès de l’espace carcéral dans lequel elle avait été jetée, peut venir récupérer Jeff dans ces limbes et le couple, à l’image de Cobb et de Mal, véritablement se retrouver dans le monde réel.

Rembobinons le film. Dans le déroulé de ce récit imaginé, une chose encore attire notre attention. C’est une réplique du lieutenant Doyle qui ne veut accorder aucun crédit aux accusations de Jeff et Lisa. Agacé par leurs hypothèses cumulées concernant Thorwald et le corps de sa femme découpé en morceaux, il leur affirme : « Your logic is backward ». Jeff et Lisa raisonnent à l’envers : ils désignent un coupable et inventent les preuves dont ils ont effectivement besoin pour attester du meurtre. Un geste est à mettre en relation avec la remarque : les aiguilles de la pendule remontées par Hitchcock en personne dans l’appartement voisin du compositeur. Fenêtre sur cour fonctionnerait-il de façon intermittente sur le principe d’inversion qui régit tout Tenet, le film de Christopher Nolan ? Fenêtre sur cour se prête aux interprétations sans cesse renouvelées. Les boucles et les mises en abîmes du film d’Hitchcock et de ceux cités de Nolan ne font que renforcer leurs interactions distantes mais très possibles.

Cet article a été posté dans - a-z : Index pellicularum, Cinéma américain 1945-1980 et marqué comme Hitchcock, NOLAN par Benjamin Fauré . 

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TITRE ORIGINAL : « REAR WINDOW »

Fenêtre sur courContraint à l’immobilité avec une jambe dans le plâtre, un reporter-photographe passe ses journées à la fenêtre, observant la vie de ses voisins. Peu à peu, il a le pressentiment que l’un d’entre eux vient de tuer sa femme… Fenêtre sur cour est à juste titre l’un des films les plus célèbres d’Hitchcock. Pendant près de deux heures, nous partageons la vision de James Stewart, Hitchcock nous mettant ainsi dans la position du voyeur. La construction est parfaite, le plus remarquable étant l’unité de lieu. C’est d’ailleurs un petit tour de force technique dans la mesure où la caméra reste dans une seule et unique pièce pendant tout le film (1). Outre le simple attrait du voyeurisme, le film séduit par la richesse des détails :Fenêtre sur cour c’est un véritable petit monde à échelle réduite que James Stewart a dans sa cour. Grace Kelly est d’une beauté époustouflante : sa première apparition (un gros plan sur son visage s’approchant de James Stewart endormi) est une véritable vision céleste. Il n’y a aucun temps mort, la tension monte progressivement et devient presque insoutenable vers la fin. Fenêtre sur cour est un film parfait.
Elle5 étoiles
Lui : 5 étoiles

Fenêtre sur cour(1) La caméra (où plus exactement le point de vue) ne quitte la pièce de James Stewart que pendant de très courts instants : à la mort du petit chien et à la toute fin. Sinon, nous sommes toujours soit en vision subjective, soit face à James Stewart. A noter que même la musique vient du petit monde de la cour, elle fait partie de la scène. Pendant le tournage, tous les acteurs portaient une oreillette couleur chair afin qu’Hitchcock puisse les diriger à partir de l’appartement de James Stewart. L’immeuble recréé en studio était si complet que Georgine Darcy (Miss Torso) aurait vraiment vécu dans son « appartement » durant tout le mois de tournage.

Remarques :
Fenêtre sur courLe scénario de Fenêtre sur cour est tiré de « It had to be murder » (cela ne peut-être qu’un meurtre), une nouvelle de Cornell Woolrich (alias William Irish) qui se serait inspiré d’une nouvelle de H.G. Wells, « Par la fenêtre ».

Lors de la ressortie du film en 1968, Hitchcock a parlé ainsi de son film : « Si vous n’éprouvez pas de délicieuse terreur en regardant Fenêtre sur cour, alors pincez-vous : vous êtes probablement mort ! »

Remake :
Un remake sans grand intérêt a été fait pour la télévision américaine ABC :
Fenêtre sur Cour (Rear Window) de Jeff Bleckner (1998) avec Christopher Reeves et Daryl Hannah.

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Article écrit par 

Réalisé en 1954, Fenêtre sur cour (Rear Window) se situe, dans la filmographie d’Hitchcock, après Le Crime était presque parfait et avant La Main au collet. Voici l’un des films les plus connus et les plus analysés du cinéaste. Le cadre de l’histoire est fort simple : L.B. Jeffries, reporter de métier, se retrouve cloîtré […]

Réalisé en 1954, Fenêtre sur cour (Rear Window) se situe, dans la filmographie d’Hitchcock, après Le Crime était presque parfait et avant La Main au collet. Voici l’un des films les plus connus et les plus analysés du cinéaste.

Le cadre de l’histoire est fort simple : L.B. Jeffries, reporter de métier, se retrouve cloîtré dans son appartement car il a la jambe cassé. Pour se distraire, il « espionne » tous ses voisins. C’est alors qu’il commence à soupçonner Lars Thorwald, l’un de ses voisins, du meurtre de sa femme… Fenêtre sur cour mêle adroitement suspense et ressorts comiques. L’humour est omniprésent et le ton burlesque s’insère parfaitement dans cette histoire de voyeurisme. Le personnage de Grace Kelly, incarnation de l’idéal féminin selon Hitchcock, n’y est pas étranger, mais il a également le mérite d’appuyer une réflexion légère et comique sur les rapports hommes – femmes.

Mais Fenêtre sur cour vaut également parce qu’il offre matière à réflexion. Le thème du voyeurisme et du besoin indiscret d’épier la vie d’autrui déborde sur la question du subjectivisme : « Fenêtre sur cour est structurellement satisfaisant parce qu’il représente la quintessence du traitement subjectif. Un homme regarde, voit et réagit. Ce film est entièrement un processus mental illustré d’une manière visuelle » (Hitchcock). On peut même estimer que le spectateur, par le truchement de Jefferies, regarde par la fenêtre de l’appartement la projection de ses propres fantasmes. Le regard porté par le protagoniste sur l’extérieur ne peut être objectif, il n’est que le reflet des propres fantasmes, peurs et autres idées préconçues de Jefferies (par exemple, comme il considère lui-même le mariage comme une chose ennuyeuse, les différents couples qu’il voit à travers sa fenêtre ne sont qu’autant de confirmations de sa peur de s’engager). Voici dont abordée la question du subjectivisme par et au cinéma.

Le début du film voit la caméra agir comme un œil. A travers quelques mouvements de caméra chirurgicaux, on apprend tout ou presque du contexte. « C’est l’utilisation des moyens offerts au cinéma pour raconter une histoire. Cela m’intéresse plus que si quelqu’un demandait à Stewart comment il s’est cassé la jambe. Ce serait la scène banale » (Hitchcock, in Hitchcock – Truffaut, édition Definitive, p. 183). A remarquer que si, dans nombreux films d’Hitchcock, on passe du grand au petit, de l’universel au particulier, de l’extérieur à l’intérieur, le mouvement inverse est ici amorcé : on passe, au tout début du film, de la chambre de Jefferies à l’extérieur (avant de revenir vers la chambre de Jefferies).

Mais attention, l’œil d’Hitchcock devient rapidement notre propre œil. Du fait de l’identification constante entre Jefferies et le spectateur, c’est bien de nos propres fantasmes et de nos propres peurs dont il s’agit. Le spectateur est ainsi lui aussi pris à parti : « Nous sommes devenus une race de voyeurs. Ce que les gens devraient faire pour changer, c’est aller dehors et regarder chez eux pour voir ce qui s’y passe », dit Stella au début du film. Cette phrase résonne un peu comme le message du film : il faudrait non pas faire des projections psychologiques de nos propres affects mais plutôt une introspection au fond de soi-même. Mais la tentation du voyeurisme est trop forte, elle s’empare progressivement de tous les personnages. Lisa en particulier va être « contaminée », et sera prête à mettre sa propre personne en danger.

La position dans ce film du cinéaste sur les rapports humains (et notamment entre hommes et femmes) est aigre douce. « Fenêtre sur cour nous offre une vision assez charitable de l’humanité tout en laissant entrevoir qu’il n’y a que fort peu de chances que les gens changent » (Donald Spoto, in Hitchcock, 50 ans de films). Ainsi, lors de la dernière séquence du film, Lisa pose le magazine d’aventures qu’elle lisait pour faire plaisir à Jefferies et se replonge dans Harper’s Bazaar, ultime preuve que les gens ne changent jamais vraiment.

Pour finir, laissons le mot de la fin à Truffaut : « Quand j’ai vu Rear Window pour la première fois, j’ai écrit que c’était un film très noir, très pessimiste et même très méchant. A présent, il ne me semble plus méchant du tout et j’y vois même une certaine bonté dans le regard. James Stewart voit de sa fenêtre non pas des horreurs, mais le spectacle des faiblesses humaines » (in Hitchcock – Truffaut, édition Definitive, p. 188).https://www.iletaitunefoislecinema.com/fenetre-sur-cour-rear-window/

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Fenêtre sur cour (Rear window) – Alfred Hitchcock – 1955

35.12Une femme disparaît.

   10.0   Trois rideaux s’ouvrent vers le haut et le cadre qu’ils découvrent sera celui du film deux heures durant. L’occasion pour Hitchcock de triturer tout ce qu’il peut. En effet, nous ne quitterons pas l’infime espace que constitue T2 donnant sur la cour commune d’un quartier résidentiel. Le film n’aura pourtant jamais l’air d’être une pièce de théâtre. Introduction simple et géniale, ce n’est pas un dialogue futile et/ou attendu qui nous explique la situation du personnage, mais la mise en scène, purement, en un plan parcourant l’appartement, l’homme endormi, plâtré, une table avec un appareil photo cassé, une pile de magazines à côté, des photos de voitures accidentés encadrées. Jimmy Stewart n’est pas encore le voyeur qu’il sera bientôt mais ces instantanés révèlent beaucoup sur ce personnage, ce qu’il est, ce qu’il fait, ses obsessions.

     Il est le miroir du spectateur. Attentif, voyeur, en quête. Il y aura pourtant du passage dans cet appartement, mais chaque fois le regard se laisse gagner par l’extérieur, cet écran géant, cinéma grandeur nature, dans lequel Hitchcock projette le miroir de l’Amérique toute entière. Sombre tableau qui pourrait être vu comme la projection des désirs et des craintes du personnage joué par Stewart, électron libre ne voulant pas s’engager. Ce qu’il voit en face de lui c’est une somme de récits, de comportements, l’étendue des strates conjugales, ses possibilités, au travers d’une femme seule trinquant avec un partenaire imaginaire, un homme seul réfugié dans le piano et les diverses soirées qu’il donne régulièrement à son domicile ; Cette jeune sportive qui reçoit les hommes comme on ouvre son courrier, ce couple vieillissant mal, cet autre couple vieillissant bien mais en trouvant refuge la nuit sur leur balcon. Ou bien ces jeunes mariés, dans la consommation la plus absolue et autiste de leur amour.

     Fenêtre sur cour est un grand sur les relations de couple, en somme. Enfin disons que le catalogue qui nourrit l’écran et/ou les pensées du personnage est une représentation du monde duquel l’amour (le mariage) est le dénominateur commun. Cela m’avait échappé la première fois. Sans doute et c’est là tout le pessimisme hitchcockien parce qu’il est saisi du point de vue de celui qui le refuse, préférant l’observer, le disséquer, s’y projeter ou s’y frayer son propre intérêt, à la manière d’un cinéaste trouvant en son personnage un alter égo.

     Il est passionnant de constater combien la fenêtre de l’appartement de Stewart donne à voir une multitude d’autres fenêtres qui sont autant d’écran renfermant chacun sa petite histoire. C’est donc une folle affaire de voyeurs et de gens qui aiment se montrer. Le film marque d’ailleurs discrètement un certain crescendo thématique dans la mesure où à l’œil nu de Stewart succède d’abord les jumelles puis la longue focale, de même qu’à son obsession solitaire se développe une véritable table d’observation collective. Le film enchaine les plans ahurissants avec une science de la découpe qui tient du génie pur. Cette espèce de faux split screen (deux fenêtres séparées par une gouttière) sur ce couple en crise c’est absolument génial. Voire aussi ces nombreux hors champs systématiquement matérialisés par des murs, des rideaux, des volets. Cet équilibre entre les plans de jour et ceux de nuit. Quelque chose de continu et de tellement continu en apparence qu’il est en indéchiffrable dans sa temporalité.

     C’est un immense film sur la curiosité des hommes en tant que moteur obsessionnel. L’issue importe finalement assez peu. C’est le voyage immobile et monde à la fois, qui installe et nous convie au vertige. Un quartier étrange, suspect. Un truc de passionné. Un plateau avec un verre de lait, un sandwich et un appareil photo. Un plateau et un écran. Ou un écran de cinéma. Qu’importe, c’est une fenêtre sur un ailleurs.

http://silencio.unblog.fr/2015/04/28/fenetre-sur-cour-rear-window-alfred-hitchcock-1955/

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ANALYSE FILMIQUE D’UNE SÉQUENCE DE « FENÊTRE SUR COUR »

Par défaut

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Nous allons analyser la séquence allant de 1 »18’59 à 1 »21’29 de « Fenêtre sur cour » d’Alfred Hitchcock.

Vous pouvez télécharger l’extrait via ce lien

Jeff (James Stewart), un photographe immobilisé chez lui suite à un accident, tue le temps en observant ses voisins. Jusqu’au jour où il commence à penser que l’un d’eux a commit un meurtre.

Dans la séquence précédente, Jeff assiste aux déboires amoureux d’une voisine (Lonely Heart). Il donne alors raison à son ami Doyle, certaines choses doivent rester privées. Jeff prêt à abandonner l’enquête, se prépare à passer la nuitavec Lisa (Grace Kelly).

Cette séquence peut être découpée en 3 parties : la scène de séduction, la tirade de la voisine et la discussion entre Jeff et Lisa.

Dans un premier temps, nous nous focaliserons sur l’aspect théâtral de cette séquence. Dans un second temps, nous observerons les habitants de cet immeuble et leurs faiblesses. Et dans un troisième temps, nous verrons à quel point cette séquence est une séquence clé.

 

Commençons par l’aspect théâtral de cette séquence.

Lisa a fermé les rideaux, les cachant des voisins et coupant ainsi Jeff de l’extérieur. Cette clôture du rideau, ponctuée du « fin du premier acte » de Lisa, est théâtrale et annonce un deuxième acte. C’est la seule fois, hormis les scènes augurale et finale, où les rideaux s’ouvrent et se ferment.

On entend le morceau « Lisa », qui donne du fil à retordre au voisin compositeur, c’est une métaphore de la relation amoureuse compliquée entre Jeff et Lisa.

Lisa sort en nuisette, l’action va avoir lieu à l’intérieur. Le jeu de séduction et le morceau « Lisa » sont interrompus par un cri dans la cour, c’est là qu’aura lieu l’action.

ouvertureLisa ouvre le rideau et observe.

Ce « divertissement dramatique », cet interlude, qui arrive au milieu de la scène de séduction, aura une importance majeure pour la suite des évènements.

S’en suivra une musique d’ambiance jazz tout du long de la séquence. Cette présence très discrète de la musique et des bruits d’ambiance, permet au spectateur de se focaliser sur l’action.

voisineLa propriétaire du chien pleure sur son balcon, rejointe par son mari.

chienEn plongée, le chien git dans le jardin de Thorwald.

En contre-champ nous observons les réactions de Jeff et Lisa. Le montage alterné dans lequel on voit tour à tour les voisins sortir sous différents angles, accélère le rythme de la séquence. Ces angles de vue donnent de l’ampleur au décor.

La voisine, entame du haut de son balcon une tirade. Elle est au centre du plan d’ensemble et au centre de l’action.

poulieLe chien est remonté via la poulie, écho au rôle comique qu’il avait jusque là.

Les seuls sons présents : la poulie et la musique d’ambiance, sont diégétiques. On se focalise toujours sur l’action.

Le couple au chien rentre chez lui. Dans sa tirade, la voisine évoque l’entre-aide et met en lumière la solitude sous-jacente de ce voisinage.

 

Voyons à présent, dans une seconde partie les faiblesses de ce voisinage.

Le découpage de l’immeuble en cellules-appartements montre qu’il n’y a pas de communication entre les voisins, chacun vit dans sa cellule (de prison?), sans se soucier de son voisin. Cet immeuble est un symbole de la solitude urbaine.

Les voisins voyeurs, venus assister au « spectacle », rentrent chez eux, indifférents, personne n’aide son prochain.

Dans la scène précédente, Jeff, se remet en question : est-il moral d’espionner ses voisins? Stella, son infirmière, dès le début, l’a avertit que ce « vice » allait lui attirer des soucis. En effet les soucis ne sont pas loin.

 

Voyons dans un dernier temps en quoi cette séquence est une séquence charnière.

Tout le monde est sorti observer, sauf Thorwald, le prétendu meurtrier.

chez Thorwald
Sa cigarette, un point rouge incandescent dans son appartement, le trahit, démontrant sa présence et sa culpabilité.

discussion«Le chien en savait trop », à ces mots la musique d’ambiance s’arrête net, les bruits du quartier reprennent.

Cette rupture sonore symbolise le déclic chez les protagonistes et aussi la fin de la séquence.

 

Conclusion :

Cette séquence qualifiée dans les termes de François Truffaut de «spectacle des faiblesses humaines», est une séquence charnière. Son aspect théâtral met en lumière les faiblesses de ce voisinage de voyeurs et les nôtres.

Cette scène est cruciale pour la suite car il y a un déclic chez Jeff et Lisa.

Jeff, impuissant, deviendra metteur en scène du film qu’il regardait jusque là. C’est aussi un tournant dans leur relation amoureuse car Lisa pour séduire Jeff, va risquer sa vie pour résoudre l’enquête.

appréhension bande son

Appréhension de la bande image

Appréhension de la bande-son de la séquence

Sitographie :

Fenêtre sur cour. In Ciné-club de Caen: http://www.cineclubdecaen.com/realisat/hitchcock/fenetresurcour.htm

DVD Fenêtre sur cour. Making of. Universal Studios, 2006

Bibliographie :

MAGNY Joel. Cinéma. Février 1984, n°302, p.41

Télérama. 22/03/1995, n°2358

ROHMER Eric et CHABROL Claude. Classiques Du Cinema N° 6 : Hitchcock. Editions universitaires, 01/01/1957

TRUFFAUT François. Le cinéma selon Hitchcock. Cinéma 2000/Seghers, 01/01/1972

JULLIER Laurent et MARIE Michel. Lire les images de cinéma. Larousse, 2007

Dictionnaire de français Larousse. Définition interlude : http://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/interlude/43738

https://lolazeni.wordpress.com/2013/11/19/analyse-filmique-dune-sequence-de-fenetre-sur-cour/

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19 mars 2020

Un ticket pour Fenêtre sur cour

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Être enfermé chez soi et chercher à s'occuper comme on peut, ça vous rappelle quelque chose ? Fenêtre sur cour d'Alfred Hitchcock évidemment ! L.B. Jefferies, dit Jeff, se voit immobilisé suite à une fracture de la jambe. Reporter-photographe toujours avide d'action, il n'a plus que pour distraction l'arrière cour de son immeuble avec vue sur les fenêtres de ses voisins. Très vite il soupçonne Lars Thorwald d'avoir assassiné sa femme. Il en parle à sa fiancée, Lisa Fremont qui ne veut pas prendre au sérieux ses divagations d'homme qui s'ennuie avant de rejoindre l'avis de Stella, l'infirmière, qui trouve qu'il se passe quelque chose de louche. Jeff finit par demander de l'aide à son ami détective, que l'enquête commence...

Pour des histoires de droits, on a failli ne jamais revoir ce film qui a pourtant été un succès à sa sortie aux États-Unis en 1954, puis en France l'année suivante, tout comme La CordeSueurs froidesL'Homme qui en savait trop et Mais qui a tué HarryJames C. Katz, alors président d'Universal Picture Classic, les a restaurés pour une rediffusion dès 1984. Sans lui, nous n'aurions jamais vu ces films qui sont devenus des classiques du maître du suspense. Il a ainsi exaucé le souhait d'Hitchcock qui disait lui-même « je veux qu’on se souvienne de moi comme de l’homme qui a diverti des millions de gens à travers la technique du cinéma ».

Adapté de la nouvelle de Cornell Woolrich publiée sous le pseudonyme de William Irish, It Had to Be MurderAlfred Hitchcock n'hésite pas comme à son habitude à retoucher le scénario écrit par John Michael Hayes. Il donne au héros campé par James Stewart un métier, celui de reporter-photographe, et ajoute donc de l'envergure à son personnage en lui offrant une qualité de fin observateur mais aussi du matériel justifiant un voyeurisme professionnel grâce à son téléobjectif. D'autres voisins viennent animer la vie de l'immeuble comme la sculptrice, la danseuse Miss Torso et le musicien chez qui Hitchcock fera son traditionnel cameo à la 25ème minute, tous artistes pour confirmer le style du quartier. Mais c'est surtout la création du personnage de Lisa, interprété par Grace Kelly, alors muse du réalisateur, qui apporte une réelle ampleur à l'histoire en étant la fiancée toujours bien apprêtée venant rendre régulièrement visite à son amoureux.

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Le tournage se déroulera sans accrocs car le metteur en scène a tout prévu dès le stade du scénario. Pourtant, la pré-production aura donné du fil à retordre puisqu'il aura fallu créer le décor en studio, soit une cour entourée de 31 appartements dont 12 sont entièrement meublés et équipés d'un éclairage ardu à mettre en place. L'inspiration vient d'immeubles se situant dans le quartier New Yorkais de Greenwish Village, connu pour sa richesse culturelle. Pour permettre à la caméra de se déplacer au-dessus de la cour afin de respecter le point de vue de Jeff, une perche spéciale a été créée.

Avant de n'investir que la vision subjective de Jeff en utilisant surtout le champ-contrechamp, mais pas entre deux personnages mais bien entre le décor et le regard que le personnage porte sur ce décor, le film s'ouvre sur un plan d'ensemble de la cour, montrant aux spectateurs tous les éléments permettant de savoir où, quand et avec qui cela se passe. Sur une musique jazz dynamique reflétant l'ambiance dynamique du Greenwich Village dans les années 50, des rideaux s'ouvrent lentement tels des rideaux de théâtre dévoilant la scène. On découvre alors la vie qui s'anime dehors, comme une énorme décor de théâtre vu depuis une loge. On découvre alors les différents voisins qui se réveillent, se préparent, c'est le matin et il fait déjà très chaud. Puis la caméra revient dans l'appartement, on aperçoit d'abord la jambe plâtrée, puis un appareil photo cassé, la photographie qui a valu toute cette casse et enfin une série de photographies prestigieuses. C'est ainsi qu'on comprends en quelques minutes tous les éléments de base de l'histoire, le film peut commencer.

Grace Kelly s'impose comme star hollywoodienne grâce à Hitchcock et notamment à son apparition dans Fenêtre sur cour où elle fait figure d'icône de la femme moderne et glamour. Son style vestimentaire est d'ailleurs mis à l'honneur dans ce film où elle porte cinq tenues plus sublimes les unes que les autres, quatre robes marquant quatre entrées en scène puis une élégante chemise de nuit. Comme évoqué précédemment, le personnage de Lisa a été créé pour les besoins du film, et Hitchcock a demandé à Hayes de l'écrire en fonction de la personnalité de l'actrice, femme très élégante. Quand le personnage de Jeff en parle, elle est présentée comme parfaite et inaccessible, alors que Stella la voit comme l'épouse parfaite. Le point de vue du metteur en scène lui donne une aura supplémentaire, en l'introduisant telle une image de rêve, lumineuse. Elle est aussi le reflet des différentes femmes aux fenêtres voisines. Elle est celle qu'on désire comme Miss Torso, mais rêve de son grand amour comme Miss Lonelyhearts avant de pénétrer dans l'univers de Mrs Thorwald à la recherche de son sac à main et glisser son alliance au doigt...

Au début, les vies que mènent Lisa et Jeff sont un peu déconnectées, on découvre différents aspect de leur couple. Elle croira alors à des divagations dues à la chaleur et à la douleur lorsqu'il évoque un soupçon de meurtre chez l'un de ses voisins, jusqu'à ce qu'elle observe à son tour les fenêtres de Thorwald (Raymond Burr) et s'inquiète à son tour de la disparition de son épouse. Elle passe de divertissement à femme d'action en devenant les jambes de Jeff, allant à la pèche aux indices, mais noue un lien plus fort avec lui également au fil de l'intrigue. On verra à quel point ils tiennent l'un à l'autre.

Lisa sera la pièce maîtresse d'une partie de cache-cache marquant le point le plus angoissant du film, faisant d'elle un personnage d'action alors qu'elle était du côté des observateurs jusqu'à présent. Alors que Jeff a rassemblé bien trop d'éléments culpabilisant le voisin antipathique, Lisa décide donc de s'introduire dans son appartement pour résoudre l'énigme, à ses risques et périls. Le suspense est total, le spectateur est placé au même niveau d'anxiété que Jeff et Stella, les yeux rivés plus que sur les seules fenêtres qui les intéressent, réduisant ainsi le champ visuel et augmentant donc le sentiment d'opression.

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Fenêtre sur cour est un film faisant la part belle à la technique du cinéma. D'abord en installant un décor permettant de multiples saynètes, Hitchcock fait directement référence au cinéma muet qu'il affectionne particulièrement. Il raconte plusieurs petites histoires sans son sous l'oeil de son personnage-spectateur actif Jeff, qui n'est pas un voyeur maladif. Il semble découvrir son environnement pour la première fois tout comme le spectateur qui voit également ce qu'il observe, n'en sait donc ni plus ni moins que lui. L'utilisation d'un espace volontairement réduit pourrait faire trop référence au théâtre. Hors, Hitchcock amène la dimension cinématographique en l'animant grâce aux fondus enchaînés typiquement cinématographiques et l'utilisation de la lumière. 

Le décor est un personnage. Il paraît d'abord immense et lointain, comme la scène d'un théâtre ou l'écran d'un cinéma avec lequel on garde toujours la même distance. On ne descendra jamais dans la cour avec Lisa et Stella qui vont vérifier les plates-bandes, on restera avec Jeff à attendre leur retour. Puis, il fait écho à ce qu'il se passe dans l'appartement de Jeff, comme par exemple lorsqu'il trinque avec Miss Lonelyhearts qui boit seule chez elle, ou lors de ses échanges avec Stella sur l'idée d'un mariage avec Lisa alors que de jeunes mariés emménagent à côté. Jusqu'à la fin où le metteur en scène décide de bousculer tous ces repères en faisant débarquer chez Jeff celui qui aura été l'objet de ce voyeurisme, comme si le décor intervenait dans l'action, suite à l'introduction de Lisa chez l'observé qui découvrira alors pour la première fois Jeff, les rôles s'inversent, c'est l'arroseur arrosé. D'un point de vue unique, l'action ne s'arrête pourtant jamais et l'attention du spectateur est continuellement sollicitée.

Les femmes sont plus perspicaces et plus actives que les hommes dans Fenêtre sur cour. Jeff, lui qui aime l'action, se voit contraint de rester cloué à son fauteuil, la jambe plâtrée. Sa virilité est mise de côté, rarement montré à son avantage, la manière dont il se gratte la jambe est d'ailleurs assez ridicule, ce sont surtout les différentes expressions de regard qu'expriment James Stewart qui intéressent ici Hitchcock. L'introduction de son ami Doyle (Wendell Corey) est d'abord excitante, car on attend qu'il confirme les suspicions de crime. Mais selon lui, un homme ne commettrait pas un meurtre à la vue d'autant de voisins. Les deux femmes entrent alors en action, celles de Lisa ont déjà été évoquées plus haut. Stella (Thelma Ritter) exprime ses pensées sans filtre et fait preuve d'intuition féminine qui s'avère souvent juste, contrairement au pragmatisme du détective. Elle aussi sortira de l'appartement pour intervenir dans le décor. Les habituelles figures masculines, personnages d'action et protecteurs, sont inversées avec les figures féminines généralement vulnérables et en second plan (Jeff est incapable de retenir Lisa qui décide de s'introduire chez Thorwald).

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L'année suivant la sortie de Fenêtre sur cour, Hitchcock allant de succès en succès, il prendra la nationalité américaine et lancera la fameuse série télévisée Alfred Hitchcock présente. Même s'il ne réalise pas tous les épisodes, il popularise l'amour du public pour les histoires de meurtre, de mystère et évidemment de suspense dont il est lui-même aujourd'hui l'indissociable maître du genre. Toujours présent sur grand écran, il réalise par la suite d'autres chefs-d'œuvre, mettant en scène ses éternelles héroïnes blondes : VertigoLes OiseauxPsychose...

http://nathvaaucinema.canalblog.com/archives/2020/03/19/38106969.html


Fenêtre sur cour est disponible en VOD sur FilmoTV et MyTF1VOD.

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Fenêtre sur cour

 

Voir : photogrammes
Genre : Film noir

(Rear window). Avec: James Stewart (L. B. "Jeff" Jefferies), Grace Kelly (Lisa Fremont), Wendell Corey (Thomas J. Doyle). 1h52.
 
 

Jeff est immobilisé chez lui, la jambe dans le plâtre à la suite d'un accident dont il fut victime pendant un reportage photographique. Son appartement donne sur une cour intérieure. Malgré les visites de Lisa, sa fiancée et de Stella, l'infirmière, Jeff s'ennuie et occupe son temps à observer ses voisins.

C'est l'été et toutes les fenêtres sont ouvertes : il y a le compositeur, les jeunes mariés qui font l'amour toute la journée, le vieux couple au petit chien, Mr et Mrs Thorwald toujours en dispute, la vieille fille, la danseuse... La curiosité de Jeff est excitée et il utilise le téléobjectif de son appareil photo reflex pour observer tous ces gens dans leur vie quotidienne.

Une nuit d'orage, le tonnerre le réveille et c'est ainsi qu'il découvre l'étrange comportement de Mr. Thorwald et la disparition de sa femme qui, malade, était clouée au lit. Peu après, à force d'observation et de déductions, il acquiert la conviction que Mr. Thorwald a tué sa femme.

Il guette jour et nuit les allées et venues de l'homme et fait part de sa découverte à Lisa et Stella, qui pensent que la femme est peut-être partie en vacances. Mais peu à peu, elles se rendent à l'évidence.

Le petit chien trop curieux est découvert mort. Au matin tout le monde est aux fenêtres, excepté Mr. Thorwald qui fume dans le noir. Lisa décide de s'introduire dans l'appartement de Thorwald pour trouver une preuve. Elle découvre l'alliance de Mrs Thorwald; or si celle-ci était vraiment en vacances, elle ne se serait pas séparée de son alliance. C'est alors que Thorwald rentre chez lui, surprenant Lisa. Par un geste malheureux, Lisa fait signe à Jeff qu'elle a découvert l'alliance. Thorwald comprend qu'il est observé de l'appartement d'en face. Il se précipite chez Jeff, qui l'éblouit avec son flash. Mais l'assassin le précipite par la fenêtre, et Jeff se retrouve avec la seconde jambe cassée. Thorwald est arrêté.

 

Fenêtre sur cour est sans doute le film d'Hitchcock le plus parfaitement construit, celui aussi dont la portée morale est la plus grande. En ce sens, il est plus proche des grands films sur l'imaginaire, plus proche d'un film de Bunuel ou de Resnais que des films hollywoodiens de gestion du suspens. La critique ne s'y est d'ailleurs pas trompée, faisant de Fenêtre sur cour un grand film moderne.

Le film se lit à deux niveaux : Stewart est une représentation du spectateur et la cour qu'il contemple la représentation de sa pensée. Il s'agit d'une mise en abîme. Le spectateur pénètre sur l'écran par l'effet d'identification au personnage de Stewart. Puis, par l'effet Koulechov qui nous identifie au regard de Stewart, le spectateur pénètre à l'intérieur de la cour : la fenêtre est un écran dans l'écran : on y voit la pensée à l'oeuvre.

Le film va en effet bien au-delà de son scénario. Un reporter photographe (James Stewart), immobilisé chez lui, une jambe dans le plâtre, observe par désoeuvrement le comportement de ses voisins d'en face. Bientôt, il acquiert la conviction qu'un homme a tué sa femme et il fait part de ses soupçons à son amie (Grace Kelly) et à un copain détective (Wendell Corey). La suite des événements lui donne raison et, finalement, l'assassin (Raymond Burr) traverse la cour et vient précipiter par la fenêtre notre reporter qui s'en tirera.. avec une deuxième jambe cassée.

Le premier point à cerner est de savoir si ce que l'on voit par la fenêtre de Stewart est vraisemblable où s'il s'agit d'une projection imaginaire des fantasmes du personnage. Dans son livre d'entretien avec Truffaut, Hitchcock nous livre la solution :

"De l'autre côté de la cour, vous avez chaque genre de conduite humaine, un petit catalogue des comportements. Il fallait absolument le faire sans quoi le film aurait été sans intérêt. Ce que l'on voit sur le mur de la cour c'est une quantité de petites histoires, c'est le miroir d'un petit monde. Et toutes ces histoires ont pour point commun l'amour."

Et Hitchcock d'acquiescer à la remarque de Truffaut :

" Le problème de James Stewart est qu'il n'a pas envie d'épouser Grace Kelly et, sur le mur d'en face, il ne voit que des actions qui illustrent le problème de l'amour et du mariage ; il y a la femme seule sans mari ni amant, les jeunes mariés qui font l'amour toute la journée, le musicien célibataire qui s'enivre, la petite danseuse que les hommes convoitent, le couple sans enfant qui a reporté son affection sur le petit chien, et surtout le couple marié dont les disputes sont de plus en plus violentes jusqu'à la mystérieuse disparition de la femme."

Accepter les situations décrites comme un catalogue des relations de couple à laquelle réfléchit Stewart, permet d'éliminer les critiques rationnelles que l'on peut faire au film. On peut alors accepter de pénétrer aussi facilement dans l'univers des autres. On peut accepter la simplification caricaturale des situations : un drame se noue et se dénoue chez chacun des voisins dans l'espace des quatre jours que dure le drame. Tombe également la critique souvent faite que la fin est improbable et aurait pu être tout autre. La bague, qu'ironiquement Hitchcock fait mettre au doigt de Grâce Kelly, vient in extremis apporter la preuve que le voisin est coupable. Mais il aura fallu toute l'obstination folle de Stewart pour y arriver.

Et c'est doute dans cette volonté de croire au coupable que réside le plus sûrement l'identification du spectateur au personnage. Connaissant l'extrême attention d'Hitchcock au thème du faux coupable, on peut s'étonner de ne pas en voir ici. Tous les indices successifs viennent pourtant montrer que le voisin est honnête. Pourquoi cette obstination à le vouloir coupable ? Probablement parce que c'est ce que souhaite tout spectateur de film policier : qu'on lui serve le coupable sur un plateau.

Cette maîtrise de l'attente du spectateur est la quintessence de l'art d'Hitchcock. Il nous en dévoile ici les mécanismes. Dans l'entretien avec Truffaut, il déclare que ce qu'il l'a le plus intéressé c'est la gageure technique : réaliser un seul et immense décor vu par les yeux du même personnage. Mais le décor unique n'est qu'un moyen pour réaliser "un film purement cinématographique, basé sur l'effet Koulechov." Et Hitchcock de s'étendre longuement sur cet effet Koulechov :

"Prenons un gros plan de James Stewart. Il regarde par la fenêtre et il voit par exemple un petit chien que l'on descend dans la cour avec un panier ; on revient à Stewart, il sourit.. Maintenant à la place du petit chien qui descend dans le panier, on montre une fille à poil qui se tortille devant sa fenêtre ouverte ; on replace le même gros plan de Stewart souriant et, maintenant, c'est un vieux salaud."

Dans ces deux extraits Hitchcock explique la double articulation de son film : matérialiser la pensée de son héros et juger cette pensée comme devenant la notre, dans notre action de spectateur. Nous apparaissons dès lors comme d'impitoyable chasseur de coupable, sans autre alibi que cette traque qui peut aussi bien conduire à trouver un vrai qu'un faux coupable.

Axe symbolique explicite : Le thème du voyeur est abondamment utilisé au cinéma, principalement dans des scènes érotiques. Hitchcock en centrant son film sur le personnage de Stewart développe le versant maladif de cette attitude. Stewart est victime d'une pulsion scopique qui se traduit par une exacerbation de l'appréhension du monde par la vue, et donc à une mise à distance du monde. Stewart répugne aux autres stimuli que ceux provoqués par la vue : il ne peut pas bouger, il repousse les contacts physiques, les baisers notamment de Grace Kelly. Son désir est matérialisé par le zoom-pénis qu'il porte sur ses genoux.

Scènes remarquables : L'exposition du film démarre sur la cour endormie, puis on glisse sur le visage de James Stewart en sueur, on passe sur sa jambe plâtrée, puis sur une table où l'on voit l'appareil photo brisé et une pile de magazines et, sur le mur on voit des photos de voitures de courses qui se retournent. Dans ce seul mouvement d'appareil on apprend où nous sommes, qui est le personnage, quel est son métier et ce qui lui est arrivé. C'est l'utilisation des moyens offerts au cinéma pour raconter une histoire. Cela est plus intéressant que si quelq'un demandait à Stewart: "Comment vous êtes vous cassé la jambe ?" Stewart répondrait: "Je prenais une photographie d'une course automobile, une roue s'est détachée et elle est venue me frapper".

Une scène, très forte, montre la réaction du couple sans enfants après la mort de leur de leur petit chien. La femme pousse un cri, tout le monde vient aux fenêtres, la femme sanglote et crie : "Nous devrions nous aimer davantage entre voisins". C'est une réaction volontairement disproportionnée, conçue comme s'il s'agissait de la mort d'un enfant. C'est le seul moment du film où la mise en scène change de point de vue ; on quitte l'appartement de Stewart, la caméra s'installe dans la cour, vue sous plusieurs angles et la caméra devient purement objective. La totalité du décor n'est montrée qu'au moment le plus dramatique. La taille de l'image est choisie en fonction des besoins dramatiques, de l'émotion, et non pas simplement dans le dessein de montrer le décor.

A la fin du film, Stewart se défend avec les flashes, en aveuglant l'assassin à coup de flashes dans la figure. L'utilisation du flash relève du vieux principe de "Secret Agent" : en Suisse ils ont les Alpes, les lacs et le chocolat. Ici nous avons un photographe et lorsqu'il doit se défendre c'est avec les instruments du photographe : les flashes. Il est essentiel de se servir d'éléments liés au décor et aux personnages.

https://www.cineclubdecaen.com/realisat/hitchcock/fenetresurcour.htm

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