miercuri, 22 ianuarie 2020

Film noir 2: un subgen ambiguu


Dictionnaire du Cinéma 2001
Éd. 2001, 
Dictionnaire du Cinéma
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CRIMINEL (cinéma) / (eng. crime film)

Au sein du cinéma hollywoodien, le film criminel constitue une sorte de nébuleuse, un ensemble vaste et dense, clairement identifiable même si les contours n'en sont pas strictement définis, et dont la configuration interne est d'une grande complexité. Deux types fondamentaux, le film de gangsters et le film noir, s'y opposent assez nettement à l'état pur ; mais il arrive fréquemment qu'ils se combinent et que le film criminel participe dès lors d'un modèle hybride. Cet enchevêtrement est mis en évidence par le déroulement chronologique du genre, où des processus compliqués d'évolution et de rupture voisinent avec la renaissance des types les plus anciens.
Le film de gangsters. La genèse du film criminel, comme celle des autres formes cinématographiques, est graduelle. On cite le plus souvent, comme ancêtre du genre, Cœur d'apache de Griffith (1912), qui présente en effet l'originalité de mettre en scène des gangsters dans le cadre urbain auquel ils s'identifient, les taudis new-yorkais où s'entassent les immigrants. Le personnage du « Mousquetaire des taudis » reparaît dans l'épisode moderne d'Intolérance (1916). Le cas de Griffith n'est d'ailleurs nullement isolé, comme en témoignent The Gangsters and the Girl (T. H. Ince, 1914) ou The Regeneration (R. Walsh, 1915). Mais ces films demeurent, pour la plupart, des mélodrames édifiants qui se concluent volontiers par la rédemption du mauvais garçon (cf. le titre du film de Walsh) ; on est donc aux antipodes de ce qui sera « la convention la plus rigide sans doute du genre à son apogée, celle qui veut que le gangster soit abattu dans la rue à la fin du récit » (C. McArthur).
Une étape décisive est franchie avec les Nuits de Chicago de Sternberg (1927). Si elle ne constitue évidemment pas (quoi qu'en ait dit son réalisateur) le « premier film de gangsters », cette œuvre très belle dépeint des personnages qui devinrent des types : le chef de gang au physique animal et brutal (George Bancroft) ; l'intellectuel déchu qui prête ses talents au gang (Clive Brook) ; l'amie du gangster, éprise de toilettes voyantes (Evelyn Brent). L'idéalisme de Sternberg, fidèle à certains schémas mélodramatiques de rédemption (cf. aussi la Rafle, 1928), contredit l'ancrage du film de gangsters dans la réalité sociale, mais il fait de ses protagonistes des figures mythologiques et précise l'iconographie du genre.
C'est alors que le film de gangsters se constitue en genre rigoureusement défini et c'est cette même époque (celle de la prohibition) que dépeindront les divers cycles de renaissance. On a souvent noté la parenté thématique et stylistique de Little Caesar (M. LeRoy, 1931), de l'Ennemi public (W. Wellman, 1931) et de Scarface (H. Hawks, 1932). Chacun de ces films épouse un schéma d'ascension et de chute, montrant comment le héros se taille un empire au sein de la pègre, éliminant tous ses rivaux avant de succomber à son tour, victime de sa mégalomanie. Ces œuvres s'inspirent du personnage historique d'Al Capone, et, fidèles en ce sens à la tradition griffithienne, elles suggèrent que le gangster est le produit d'un certain environnement urbain (il est issu de l'immigration catholique, italienne ou irlandaise). En même temps, elles désignent chez leurs protagonistes certaines qualités typiquement américaines, mais dévoyées : l'esprit d'entreprise, la volonté de parvenir au sommet, quels que soient les handicaps de départ. Le gangster apparaît alors comme caricature, figure négative, voire victime du « rêve américain » : dans Scarface, une ironie amère juxtapose la chute de Tony Camonte (Paul Muni) et une enseigne lumineuse affirmant que « le monde lui appartient ».
La fin sans gloire du gangster, « héros tragique » (R. Warshow), ne suffit pas, aux yeux des ligues de vertu, à contrebalancer la fascination trouble qu'il exerce sur le public. Martin Quigley attaque Scarface pour son « héroïsation » du criminel, et Edward G. Robinson doit se défendre contre les mêmes accusations pour son interprétation de Little Caesar. Pourtant LeRoy rappelait, en exergue du film, que « celui qui a tué par le glaive périra par le glaive », et dans Scarface la police opposait la lâcheté de la délinquance urbaine à la manière « loyale » dont se battaient les hors-la-loi de l'Ouest. La figure du policier passe alors au premier plan, et une convergence curieuse se dessine avec le western. C'est ainsi qu'Edward L. Cahn adapte Saint Johnson de William Riley Burnett (auteur de Little Caesar et coscénariste de Scarface) sous le titre de Law and Order (1932) ; cette glorification du shérif (interprété par Walter Huston), personnage moral qui « nettoie » la ville, se clôt sur un avertissement clairement destiné aux gangsters de New York ou de Chicago : « Tombstone n'est qu'un commencement ». Sur un autre scénario de Burnett, The Beast of the City(Ch. Brabin, 1932) comporte une invitation liminaire du président Hoover à exalter les défenseurs de l'ordre de préférence aux lâches gangsters, et montre un policier intègre (Walter Huston encore) aux prises avec le roi de la pègre. Les interventions d'avocats marrons rendent vains les efforts du policier, qui se mue en justicier : accompagné de ses lieutenants, il va provoquer la « bête » dans sa tanière, déclenchant une fusillade à la loyale dont le motif est emprunté au western.

CRIMINEL (cinéma). (suite)

À la même veine appartiennent les Hors-la-loi(W. Keighley, 1935) : face à l'inefficacité des polices locales, dont les dirigeants sont souvent corrompus, on a recours au policier fédéral, à l'homme du gouvernement. Le vaste thème de la corruption policière et civique (ébauché dès The Musketeers of Pig Alley,D. W. Griffith, 1912), la tendance à l'interchangeabilité des rôles de gangster et de policier, préfigurent certains des éléments qui, quelques années plus tard, caractériseront « le film noir ». Cette tendance tient d'abord à ce que les policiers, contraints d'utiliser les mêmes méthodes que les criminels, font semblant d'appartenir au gang (par exemple Robinson dans Guerre au crime, également de Keighley, 1936) ; elle vient aussi de ce que les interprètes sont, de part et d'autre, les mêmes. Ainsi, Cagney, d'ennemi public, devient G-Man ; ainsi, dans Guerre au crime, Robinson, policier camouflé, abat Bogart, avant de redevenir dans Key Largo (J. Huston, 1948), un gangster qu'abattra Bogart.
L'accent reste mis sur l'environnement social du gangstérisme. Cela n'est nullement infirmé par les œuvres nombreuses qui montrent gangster et prêtre, ou gangster et policier, issus du même milieu : le gangstérisme semble promettre une ascension sociale rapide, et les conditions de la vie urbaine où il s'enracine sont invoquées comme circonstance atténuante. À cette phase du genre appartiennent la théâtrale Rue sans issue (W. Wyler, 1937) ou les Anges aux figures sales (M. Curtiz, 1938), qui, en dépeignant des délinquants juvéniles, rendent explicite le lien entre l'environnement et la criminalité. Chez Wyler, au gangster qui retourne au quartier de son enfance (Bogart) s'oppose l'architecte qui souhaite démolir les taudis ; chez Curtiz, le gangster (Cagney) est convaincu par son ami d'enfance devenu prêtre de jouer la lâcheté pour se dépouiller, aux yeux de ses admirateurs adolescents, de tout héroïsme. On voit donc reparaître ici les schémas de rédemption mélodramatique présents à l'aube du genre comme chez Sternberg.
Pendant les années 30, mais en marge du film de gangsters proprement dit, tout un courant du cinéma criminel suggère que la délinquance peut être affaire de circonstances et de conditions sociales, et dégage donc, pour une large part, la responsabilité de l'individu. Face au gangster, criminel professionnel paré d'un prestige ambigu, voici au contraire un homme ordinaire dont la société « fait un criminel ». Ainsi, Paul Muni, interprète de Scarface, est la même année un héros de la Première Guerre mondiale réduit au chômage, condamné à dix ans de bagne pour sa complicité involontaire dans un hold-up, évadé, dénoncé, contraint de vivre dans la clandestinité et de continuer à voler (Je suis un évadé, LeRoy, 1932). Ainsi, John Garfield, dans Je suis un criminel de Berkeley, au titre original encore plus explicite (They Made Me a Criminal, 1939). Ainsi, avec davantage du lyrisme, et aussi la conscience que le déterminisme social n'est pas seul en cause, dans J'ai le droit de vivre de Lang (1937). Cette dernière œuvre annonce, à bien des égards, le film noir : point de vue subjectif, sentiment d'une fatalité plus métaphysique que sociologique.
Le film noir. Il n'existe pas de définition satisfaisante du film noir, car celui-ci est davantage affaire, en dernière analyse, d'atmosphère que de personnages, de milieu ou de scénario. L'expression est apparue après la Seconde Guerre mondiale, sous la plume de critiques français qui, découvrant d'un coup l'ensemble de la production hollywoodienne des années 1940-1945, y reconnurent un air de famille ; elle est passée ensuite, telle quelle, dans la langue anglaise. (En France, on avait qualifié de « films noirs » les œuvres de Carné comme Hôtel du Nord ou Quai des brumes.)
On cite souvent le Faucon maltais de Huston (1941) comme le prototype du film noir, ce qui est contestable, mais a le mérite d'attirer l'attention sur ce qui constitue le noyau même du genre : le film de détective privé. Un groupe cohérent comprend en effet, outre le Faucon maltais, Adieu ma belle (E. Dmytryk, 1944), le Grand Sommeil (Hawks, 1946), la Dame du lac(R. Montgomery, 1947) et The Brasher Doubloon(J. Brahm, id.). Tous ces films sont des adaptations de Raymond Chandler, sauf le Faucon maltais, d'après Dashiell Hammett, où le détective privé Sam Spade est incarné, comme Marlowe dans le Grand Sommeil, par Humphrey Bogart.
Ni gangster ni policier, le détective privé jouit d'un statut ambigu. En réalité, son code moral est des plus exigeants, mais s'accommode de gestes violents ou de ruses que ne désavoueraient pas les criminels, et s'accompagne d'un apparent cynisme, souvent gouailleur. Son individualisme est gage de liberté : contrairement aux criminels et aux policiers, il n'est intégré dans aucune organisation. Il est pauvre, mais n'a ni famille ni besoins, si bien qu'il est à l'abri de la corruption. Les criminels qu'il combat appartiennent souvent, contrairement aux gangsters des années 30, aux milieux les plus aisés, dont on nous donne une image décadente.
Dans le film de gangsters, les bas-fonds étaient assez clairement localisés, même si la corruption n'était pas absente. Dans le film noir, le bien et le mal semblent disposés de manière aléatoire, sans égard à l'origine sociale ou à la richesse. De plus, toujours en règle générale, même si, comme le film noir, le film de gangsters affectionnait les décors nocturnes, il était dépourvu de mystère, d'énigme à déchiffrer, parfois même de menace. La violence y était excessive, mais évidente. En revanche, le « privé » a toujours quelque énigme à débrouiller ; la menace est omniprésente, la violence, insidieuse.
À l'intrigue linéaire des films de gangsters s'opposent parfois des flashbacks complexes (la Griffe du passé,J. Tourneur, 1947). C'est que, dans le film de gangsters, le point de vue était habituellement objectif, impersonnel ; le film noir utilise volontiers la narration à la première personne (par là, il perpétue la tradition de films criminels comme Je suis un évadé) et comporte au moins deux exemples célèbres de « caméra subjective » : la Dame du lac, de Montgomery, et les Passagers de la nuit (D. Daves, 1947).

CRIMINEL (cinéma). (suite)

Ces caractéristiques peuvent aisément être étendues à des films noirs qui n'appartiennent pas au cycle du détective privé. C'est ainsi que la narration subjective est le mode qui introduit les récits de Preminger (Laura,1944) et de Wilder : Assurance sur la mort (1944) ; le Poison (1945) ; Boulevard du Crépuscule (1950). C'est ainsi, d'autre part, qu'un enquêteur marginal peut être incarné par un assureur (Robinson dans Assurance sur la mort ; George O'Brien dans les Tueurs de Robert Siodmak, 1946) ou par un journaliste (Ray Milland dans la Grande Horloge de Farrow, 1948) ; on notera que, dans Citizen Kane (Welles, 1941), une séquence au moins, celle de l'interview de Susan Alexander, appartient au genre noir. Le caractère diffus du « mal » signifie que l'enquêteur est lui-même impliqué dans l'énigme qu'il doit résoudre, soit qu'il doive dissimuler dès le début sa propre qualité de principal suspect (la Grande Horloge), soit qu'il s'aperçoive qu'il est la victime désignée (Barbara Stanwyck dans Raccrochez, c'est une erreur de Litvak, 1948).
La culpabilité est, de même, diffuse : les « bons » recèlent une part d'ombre, mais inversement il est permis de s'identifier à des héros que la loi désigne conventionnellement comme des « méchants ». Dans le premier cas, un Américain bien tranquille est susceptible de se muer en criminel : citons Fred MacMurray dansAssurance sur la mort, Edward G. Robinson dans la Femme au portrait et la Rue rouge, tous deux de Lang. Dans le second, le spectateur partage le point de vue d'un citoyen ordinaire dont le passé refoulé fait retour : ainsi, dans la Griffe du passé (Out of the Past), titre significatif. Dans les deux cas, la notion de criminel professionnel, qui est à la base du film de gangsters, s'estompe.
Il est fréquent que le héros du film noir soit soumis, et succombe, à la tentation d'une femme fatale, beauté vénéneuse dont il faut citer quelques incarnations mémorables : Rita Hayworth dans la Dame de Shanghai(Welles, 1948) et, dans une moindre mesure (le rôle est plus sympathique), dans Gilda (Ch. Vidor, 1946) ; Ava Gardner dans les Tueurs ; Barbara Stanwyck dans Assurance sur la mort ; Lana Turner dans Le facteur sonne toujours deux fois (Tay Garnett, 1946) ; Gene Tierney dans Péché mortel (Stahl, 1945). Ce personnage féminin a peu en commun avec la « gangster's moll » des années 30. Celle-ci, dont le type reste Jean Harlow dans l'Ennemi public, avait, dans sa vulgarité, une sorte de santé, et son amoralisme n'était pas dépourvu de franchise. Sensuelle et hypocrite, la femme fatale est une « femme sans cœur » dont on peut faire remonter le type jusqu'à l'expressionnisme allemand (et plus précisément à Loulou de Pabst, 1928).
Parmi d'autres éléments, la figure de la femme fatale désigne donc dans le film noir la résurgence de motifs étrangers à Hollywood. Sur ce point encore, le film noir s'oppose au film de gangsters, si clairement nourri de la réalité socio-économique américaine. On a souvent remarqué que nombre de films noirs ont été signés par des réalisateurs d'origine européenne et notamment germanique (citons Lang, Siodmak, Brahm, Wilder, Preminger, Ulmer) et les auteurs eux-mêmes ont évoqué comme modèle le « réalisme poétique » français (La Chiennela Bête humaine ou le Jour se lève feront l'objet de remakes « noirs » à Hollywood). Une photographie à dominante sombre et contrastée accentue le caractère nocturne de l'atmosphère, projette des hachures sur les visages, partage avec l'expressionnisme le goût d'un décor architectural qui écrase l'individu. Chez certains auteurs, et d'abord chez Lang, la dérivation n'est pas seulement décorative, la continuité d'un propos moral et même métaphysique est claire. Mais on observe, comme il est fréquent à Hollywood, qu'à partir d'éléments européens et américains le film noir a effectué une synthèse originale. Ainsi l'interprète idéal, par son masque inexpressif de la « banalité de la culpabilité », est-il le très Américain Dana Andrews, enquêteur épris de la victime supposée (Laura), journaliste traquant un criminel auquel la mise en scène l'identifie de manière répétée (la Cinquième Victime de Lang, 1956), vrai coupable posant au faux coupable, en un jeu de miroirs à l'ironie désabusée (Invraisemblable Vérité, également de Lang, id.).
Mais le film noir, dans ces œuvres tardives de Lang, s'est dépouillé de ses ornements expressionnistes, il s'est réduit à une sorte d'épure. Il en va différemment pendant les années 40, où le film noir au contraire, développant certains traits propres au film de gangsters, a multiplié les bizarreries et les exotismes.
Les gangsters des années 30 n'allaient pas sans quelque idiosyncrasie. On se souvient de George Raft faisant sauter une pièce de monnaie dans Scarface.Mais précisément Hawks lui avait prescrit ce jeu de scène (auquel il s'identifia sa carrière durant) pour lui conférer un trait distinctif alors que son visage était impassible, sa silhouette banale. Inversement, le Faucon maltais frappe par sa galerie de personnages fortement typés : Sydney Greenstreet, obèse excessivement urbain ; Peter Lorre efféminé et boudeur ; Elisha Cook Jr., avec ses grands yeux effarés. Le type du criminel obèse constitue l'apanage de certains comédiens anglais : Greenstreet le reprend dans le Masque de Dimitrios (J. Negulesco, 1944) et dans le Verdict (D. Siegel, 1946), thriller situé à Londres à la fin du siècle dernier. Une variante également victorienne en est fournie par Charles Laughton dans le Suspect (R. Siodmak, 1945) ; une variante moderne, par Francis L. Sullivan dans les Forbans de la nuit(J. Dassin, 1950).
Cette tendance sera suivie par Orson Welles dans la Soif du mal (1958) : les silhouettes violemment contrastées de Quinlan (Welles) et de son acolyte Menzies (Joseph Calleia) recréant en quelque sorte le tandem Greenstreet-Lorre du Faucon maltais ; Akim Tamiroff, perdant sa perruque, campe une autre figure à la fois grotesque et malfaisante, à laquelle Janet Leigh reproche en vain d'avoir vu trop de films de gangsters, et notamment Little Caesar.

CRIMINEL (cinéma). (suite)

Contrairement au film de gangsters, le film noir se prête aux exotismes, comme en témoignent la Soif du mal,située dans une ville-frontière mexicaine de cauchemar, ou les Forbans de la nuit, dont l'action se déroule à Londres, et où, bizarrerie supplémentaire, à la boxe traditionnelle se substitue la lutte gréco-romaine, avec ses athlètes au physique monstrueux et à l'accent baroque. Il apparaît bien, à ce propos, qu'on aurait tort de réduire le film noir à une influence « germanique » : les Européens sont venus à Hollywood, mais l'Amérique a essaimé (Dassin) ; en outre, dans la configuration complexe du film noir, les éléments anglais ont joué un rôle capital. Il suffit pour s'en convaincre de songer à Hitchcock (cf. l'Ombre d'un doute, 1943, ou l'Inconnu du Nord-Express, 1951) et aux adaptations de Graham Greene (ainsi : Espions sur la Tamise de Lang, 1944 ; Tueur à gages de Frank Tuttle, 1942). Dans les Forbans de la nuit, les mendiants qu'on déguise évoquent certes le symbolisme explicite de l'expressionnisme allemand, mais ils remontent, au-delà de Pabst, Brecht et Weill, à l'Opéra du gueux, du Londonien John Gay : The Beggar's Opera (1728).

Le film de détective pendant les années 30.

Divers exotismes du film noir avaient connu, dans les années 30, des précédents. La vogue du film de gangsters les a relégués à l'arrière-plan ; mais, dès cette époque, le film de détective était souvent empreint de fantaisie. Le Faucon maltais de Dashiell Hammett a été porté à l'écran dès 1931 par Roy Del Ruth, et en 1936 par Dieterle, dans une version semi-parodique (Satan Met a Lady). Rappelons aussi la série du Thin Man, avec William Powell dans le rôle du gentleman détective Nick (également créé par Dashiell Hammett) : c'était une combinaison fort réussie de film policier et de comédie loufoque (6 titres de 1934 à 1947, dont les 4 premiers sont signés par W. S. Van Dyke). Une autre série beaucoup plus prolifique, non dépourvue d'humour, a pour héros le détective sino-américain Charlie Chan ; très souvent située dans des lieux exotiques, elle reste, par son atmosphère, plus proche du thriller ou même du film d'horreur.

Permanence et évolution du film de gangsters.

Le film de gangsters n'a pas disparu tandis que s'épanouissait le film noir. Johnny, roi des gangsters(LeRoy, 1942) appartient clairement au genre : on met l'accent sur l'environnement social qui favorise le crime ; on montre, comme dans Little Caesar du même réalisateur, un schéma d'ascension et de chute ; le gangster est comparé à un souverain flanqué de son bouffon intellectuel (Van Heflin). Il a le charme de Robert Taylor et accède à une sorte de grandeur tragique.
Le souci de réalisme social qui gouvernait le genre à la Warner demeure apparent dans Sang et Or (Rossen, 1947), évocation d'un boxeur qui échappe au ghetto, mais non aux combines et à la corruption, ou dans les films produits par Mark Hellinger, la Grande Évasion(Walsh, 1941) ; les Tueurs de Siodmak ; les Démons de la liberté (Dassin, 1947) ; la Cité sans voiles (id., 1948).
Mais, jusque dans ces œuvres, on a le sentiment d'une contamination du film de gangsters par le film noir, ou d'un mélange des genres. Ainsi le héros de la Grande Évasion (Bogart) est un homme seul, soumis à une fatalité plus métaphysique que sociale. Dans les Tueurs,Burt Lancaster, boxeur devenu gangster, incarne le gangster à l'ancienne, avec sa bonne foi, sa naïveté qui font de lui une victime toute désignée pour la femme fatale (Ava Gardner) et pour des criminels – les tueurs du titre – qui appartiennent, eux, au film noir ; contrairement aux nombreux gangsters, ils dissimulent derrière une façade de normalité un sadisme lancinant. Dans Key Largo (1948), Huston dénonce, dans le gangster des années 30 interprété par E. G. Robinson, un criant anachronisme.
En même temps, le gangstérisme évolue dans deux directions distinctes, mais compatibles avec les traits spécifiques du film noir. D'une part, à l'explication par le conditionnement social se substitue la motivation psychotique ; d'autre part, et comme par compensation, le crime devient plus que jamais affaire d'organisation : aux gangsters « héroïques » de la prohibition ont succédé des hommes d'affaires qui gèrent, en capitalistes avisés, le syndicat. Dans la première catégorie, on rangera deux œuvres interprétées par James Cagney, L'enfer est à luide Walsh (1949) et le Fauve en liberté de Gordon Douglas (1950) ; on en rapprochera les personnages incarnés par Richard Widmark, avec son rire nerveux et son regard égaré (le Carrefour de la mort de Hathaway, 1947), et même par Alan Ladd, avec son inquiétante beauté (le Tueur à gages ; la Clé de verre de Heisler, d'après Dashiell Hammett, 1942).
La seconde catégorie englobe l'essentiel du film de gangsters situé dans un cadre contemporain, de l'Enfer de la corruption (A. Polonsky, 1948) et de la Femme à abattre (B. Windust et R. Walsh, 1951) au Parrain de Coppola (1972-1974). À ce genre, où la violence est au service d'une organisation capitaliste, appartient aussi Règlement de comptes de Lang (1953), mixture parfaite du film de gangsters et du film noir. Le chef du gang a l'apparence d'un notable. Il règne donc doublement sur la ville ; il tient les responsables de la police par la corruption, mais c'est en tant que citoyen respectable qu'il est protégé par des policiers. Il emploie des gangsters (par exemple Lee Marvin) qui répondent à certains caractères des années 30, mais avec davantage de sadisme et une violence excessive : au lieu qu'on lui écrase un pamplemousse sur le visage comme dans l'Ennemi public, la « gangster's moll » est ébouillantée par du café brûlant. Le policier qui enquête se mue en vengeur, démasque ou abat les principaux responsables de l'organisation.
Ce schéma sera fréquemment reproduit, souvent avec la variante – reprise de Guerre au crime – qui veut que l'enquêteur/vengeur pénètre au cœur même du Syndicat avant de le détruire, parfois en s'immolant lui-même : les Bas-Fonds new-yorkais (Fuller, 1961) ; la Revanche du Sicilien (W. Asher, 1963) ; le Point de non-retour (Boorman, 1967).

CRIMINEL (cinéma). (suite)

Résurgence du film de gangsters et du film noir.

On voit renaître, à intervalles plus ou moins réguliers, le film de gangsters tel qu'il s'était constitué dans les années 30, avec pour protagonistes des figures « historiques » de l'époque : Dillinger (Max Nosseck, 1945) ; l'Ennemi public (Siegel, 1957) ; Mitraillette Kelly(Corman, 1958) ; la Chute d'un caïd (Boetticher, 1960) ; Les incorruptibles défient Al Capone (Phil Karlson, 1962) ; le Massacre de la Saint-Valentin (Corman, 1967) ; Dillinger (J. Milius, 1973) ; les Incorruptibles(B. De Palma, 1987).
De même se dessine, dans les années 60, un nouveau cycle du film du « privé », qui avoue sa dette envers le cycle original de Marlowe. Détective privé (1966) de Jack Smight rend hommage au Grand Sommeil en donnant un rôle à Lauren Bacall. Il est suivi par Syndicat du meurtre de l'Anglais Guillermin (1968) ; Peter Gunn, détective spécial (B. Edwards, id.), par trois films de Gordon Douglas avec Frank Sinatra dans le rôle du « privé » (Tony Rome est dangereux, 1967 ; le Détective, 1968 ; la Femme en ciment, id.) ; et bientôt par de nouvelles adaptations de Chandler lui-même : la Valse des truands (Paul Bogart, 1969) ; le Privé(Altman, 1973) ; Adieu ma jolie (Dick Richards, 1975), où Charlotte Rampling semble une nouvelle Lauren Bacall. Comme pendant les années 40, des metteurs en scène européens illustrent le genre : Polanski signe Chinatown (1974) ; Wenders, Hammett (1982), qui a pour héros l'auteur du Faucon maltais. Du film noir ces œuvres reprennent les intrigues complexes, la peinture d'un monde où les apparences sont trompeuses. Souvent suggérées à l'époque classique, les déviations sexuelles sont devenues explicites. À la faveur de modes nostalgiques, les exotismes, les bizarreries font retour. Mais la couleur remplace le plus souvent les ombres expressionnistes des prototypes : ainsi, dans le remake des Tueurs par Don Siegel, À bout portant,1964.
Les films de gangsters semblent connaître un regain d'intérêt pendant les années 80 et 90. Deux sont réalisés par De Palma et interprétés par Al Pacino : Scarface (1982) resitue le classique de Howard Hawks dans le Miami contemporain, et sa pègre d'origine cubaine, en une vaste fresque de près de trois heures ; moins flamboyant, moins long, l'Impasse (1993) revient au classicisme et retrace avec une rigueur tragique l'impossible survie d'un pathétique malfrat dans une pègre dont le caractère impitoyable le surpasse. Toujours avec Pacino comme interprête, F. Ford Coppola revient une dernière fois sur la saga du Parrain (le Parrain 3, 1989) et la dénoue dans un fatalisme tragique qui évoque l'opéra. Scorsese, quant à lui, revisite l'univers criminel des immigrés italiens dans le très violent les Affranchis (1990), où, à l'opposé de la sécheresse de Mean Streets (1973), il opte pour l'ampleur de la fresque, une forme qu'il reprend dans Casino (1995). Plus modeste, mais attachant par un style sec et un prolongement scénaristique passionnant, Pacte avec un tueur (John Flynn, 1987) raconte comment un gangster engage des tractations avec un célèbre auteur de romans policiers pour rédiger un livre sur sa vie.
Le film noir tel qu'on l'a connu dans les années 40-50, avec ses femmes fatales et ses quidams tout à coup précipités dans l'univers pâteux du crime, est traité de moins en moins souvent, même de manière allusive. On ne fait en général qu'emprunter à sa riche iconographie, comme ce fut le cas dans le prestigieux « à la manière de Dashiell Hammett » de Miller's Crossing (J. Coen, 1990). Mais le chatoiement nouveau de la forme ne doit guère masquer le désenchantement amer du fond : ainsi dans le Diable en robe bleue (C. Franklin, 1995), qui, sous pretexte de recréer le Los Angeles de1945, aborde avec beaucoup d'intelligence la question moderne du metissage et de l'intégration dans l'Amérique contemporaine. L. A. Confidential(C. Hanson, 1997) est une réussite comparable qui se double d'une réflexion sur les clichés justement véhiculés par le film noir lui-même.
Signalons cependant l'obstination intéressante du franc-tireur John Dahl, qui, dans Kill me again (1989) et The Last Seduction (1994), poursuit des variations sur l'homme, la femme fatale et l'argent. Un thème également traité par J. Demme dans Dangereuse sous tous rapports (1987).

Sous-genres criminels divers.

Diverses catégories du film criminel, sans avoir l'importance du film de gangsters et du film noir, constituent des sous-ensembles à l'identité marquée. On se bornera à en signaler trois.
Né dans l'ombre du film de gangsters, le film policier, souvent de tendance documentaire, a parfois acquis une existence autonome. À ce genre appartiennent les séquences documentaires de The Beast of the City(Ch. Brabin, 1932), dont le héros est le « flic » et non le gangster ; mais à ceci près que la thématique et l'iconographie sont celles mêmes du film de gangsters. Cette tendance revit dans les années 40 avec les œuvres produites par Louis de Rochemont et mises en scène par Henry Hathaway : la Maison de la 92e Rue(1945) ; 13, rue Madeleine (1947) ou Appelez Nord 777(1948). On recrée des événements réels dans les lieux où ils se sont déroulés et avec la participation des protagonistes (déjà le FBI de Hoover avait collaboré au cycle des G-Men) ; à l'espionnage, on substitue parfois la banalité du quotidien (Quatorze Heures, également de Hathaway, 1951). Vingt ans plus tard, le policier semi-documentaire renaîtra avec Police sur la ville de Siegel (1968), dont le scénario est dû à Polonsky. Le film policier reflète fidèlement les débats de société : l'Inspecteur Harry (Siegel, 1971) se plaint du laxisme de la justice en des termes identiques à ceux de W. R. Burnett dans les années 30 ; interprété par Clint Eastwood et volontiers qualifié de fasciste, son héros a eu de nombreux émules tant dans la police (Chuck Norris) que dans la population civile (Charles Bronson et le cycle du Justicier dans la ville). French Connection(Friedkin, 1971) combine la tradition documentaire, la violence et l'idéologie de la répression, tandis que le personnage du policier en lutte contre la corruption qui l'environne revit dans Serpico (Lumet, 1973).

CRIMINEL (cinéma). (suite)

D'autre part, du film de gangsters situé en milieu urbain se distingue le film de « bandits » situé en milieu rural. Ce sous-genre partage la convention d'une fin sanglante ; il se prête soit à l'explication par l'environnement, soit à un traitement plus proprement tragique. Il met souvent en scène un jeune couple fugitif d'abord innocent mais pris dans l'engrenage de la violence. Il conserve, au fil des années, sa cohérence : J'ai le droit de vivre (Lang, 1937) ; les Amants de la nuit(Ray, 1949) ; le Démon des armes (J. H. Lewis, 1950) ; Bonnie and Clyde (Penn, 1967) ; Nous sommes tous des voleurs (Altman, 1974) ; la Balade sauvage(T. Malick, id.). Il ne se confond nullement avec le western : il a pour cadre le Midwest ou le Sud des États-Unis, souvent à l'époque de la Dépression.
On isolera enfin ce que les Anglo-Saxons désignent comme « big caper film », le film de « coup » ou de « casse », dont le modèle est Quand la ville dort de Huston (1950), mais que Kaminsky fait remonter jusqu'à l'Attaque du Grand Rapide (E. S. Porter, 1903). Constitué pour l'occasion et dispersé aussitôt ensuite, le gang compte ses personnages types, le chef, l'intellectuel, les exécutants (techniciens ou tireurs). Citons Ultime Razzia (Kubrick, 1956) ; le Coup de l'escalier (Wise, 1959) ; les Sept Voleurs (Hathaway, 1960) ; Dollars (Brooks, 1971) ; Tuez Charley Varrick(Siegel, 1973).
Dans les années 80 et 90, le film criminel est probablement le genre le plus riche de tous. Inévitablement, c'est dans ce domaine qu'un jeune cinéaste fait souvent ses premières armes, par exemple James Gray, avec l'attachant et émouvant Little Odessa(1994), et, bien sûr, Quentin Tarantino. Cette vogue engendre des sous-genres. Deux dominent, que l'on pourrait appeler « le polar à deux flics » et « le faux Hitchcock ». La formule du « polar à deux flics » vient en droite ligne de la télévision et du succès de séries comme les Rues de San Francisco, Starsky et Hutch et Deux Flics à Miami. Les deux personnages sont fortement contrastés : différence d'âge, de culture, de race. Mais leur réunion permet de toucher pratiquement toutes les franges sociales du public. La formule est transposée telle quelle au cinéma dans des films comme Étroite Surveillance (J. Badham, 1987), Affaires internes (M. Figgis, 1990) ou la série des Armes fatalesréalisée par Richard Donner. Cela reste souvent psychologiquement peu fouillé et fait la part belle au spectacle (fusillades, poursuites en voitures sont des passages obligés). Cette formule binaire connaît quelques variations : le flic et son prisonnier (Midnight Run, Martin Brest, 1988) ou le professionnel et l'amateur (la Manière forte, Badham, 1991). Le « faux Hitchcock » est un phénomène à ce jour unique. Le style, l'iconographie et la thématique d'un cinéaste engendrent pour la première fois un sous-genre. Certes, Brian De Palma a beaucoup pastiché Hitchcock (Pulsions, 1977 ; Body Double, 1982) et Scorsese lui-même ne dédaigne pas de le faire de temps à autre (les Nerfs à vif, 1992). Mais il s'agit plus souvent de bons techniciens qui, ne se contentant plus d'un coup de chapeau à un maître, exploitent systématiquement le fonds hitchcockien. Les thèmes sont souvent issus de Fenêtre sur cour et de Vertigo : voyeurisme (The Bedroom Window, C. Hanson, 1985 ; Sliver, P. Noyce, 1993), transfert de meurtre (Bad Influence, C. Hanson, 1990 ; Pacte avec un tueur, John Flynn, 1988), amour meurtrier (Basic Instinct, P. Verhoven, 1992 ; Sang chaud pour meurtre de sang froid, Phil Joannou, 1992). L'iconographie est également réutilisée : on retrouve dans tous ces films la sylphide blonde (au chignon près, dans Basic Instinct), l'objet tranchant venu de Psychoseet le dénouement au sommet d'une construction verticale. Le genre s'attache enfin au phénomène de société du tueur en série et les nombreux films qui sont consacrés au personnage finissent par constituer un ensemble cohérent. On remarquera tout particulièrement le Silence des agneaux (J. Demme, 1990), où la création d'Anthony Hopkins en psychiatre cannibale était inoubliable, Tueurs nés (O. Stone, 1994), bon scénario de Quentin Tarantino desservi par un style boursouflé qui se voudrait lyrique et Seven (D. Fincher, 1995), qui utilise également avec une ironie tragique des motifs du « polar à deux flics ». On a affaire à une violence rendue en images crues et sanglantes qui nous fait mesurer le chemin parcouru depuis les meurtres suggérés avec finesse dans les films noirs de l'époque classique.

Iconographie.

Le gangster se reconnaît d'abord à ses vêtements, qui restent, au fil des années, entachés d'une élégance très voyante. Venant d'un milieu humble, il doit afficher sa réussite sociale et s'habille trop. Le type est fourni par Robinson dès Little Caesar : chapeau melon, gilet, guêtres. Le grand chapeau mou, la veste à larges revers, les rayures, les cravates criardes, le cigare enfoncé dans le coin de la bouche suffisent à dénoter le gangster. Dans Johnny, roi des gangsters, Robert Taylor choisit la cravate « la plus voyante ». Le type sera reproduit par les gangsters des années 50 (Lee Marvin dans Règlement de comptes) mais on en trouvera des traces tardives dans la prédilection d'Al Pacino pour le cuir dans L'Impasse ou celle de Robert De Niro pour chemises et cravates en soie assorties dans Casino. Même les gangsters qui ont à la ville l'apparence de businessmen se trahissent dans le privé : ils portent des peignoirs de soie d'un luxe excessif (Robinson dans Key Largo, Alexander Scourby dans Règlement de comptes,Neville Brand dans Les Incorruptibles défient Al Capone). Il en va de même de la « ganster's moll », aux toilettes tapageuses et vulgaires. Ailleurs synonyme de statut mondain, le manteau de fourrure peut désigner l'amie du gangster ; dans Règlement de comptesencore, Gloria Grahame (« gangster's moll ») dit à la femme du policier corrompu, habillée comme elle : « Nous sommes sœurs sous le manteau de vison. »
C'est ensuite seulement que le gangster se définit par le port – et par l'usage – d'une arme à feu, caractère qu'il partage avec le policier, le détective privé, le criminel non professionnel... Comme dans le western (Winchester 73, A. Mann, 1950), les titres témoignent de l'importance des armes à feu : Magnum Force (Ted Post, 1973). Dans le film de gangsters, on utilise volontiers l'arme mi-lourde (cf. Mitraillette Kelly) ; dans le film noir, la violence est plus insidieuse : le poison voisine avec l'arme à feu (le Grand Sommeil). Vers la fin des années 40, la violence prend les formes les plus extrêmes, à la fois en quantité (cf. les Démons de la liberté ou L'enfer est à lui) et en raffinement de cruauté. Cela culminera chez Aldrich dont le film de « privé » En quatrième vitesse (1955) se termine par une explosion atomique.

CRIMINEL (cinéma). (suite)

Un motif fréquent est celui d'une grande fête du gang qu'interrompt un sanglant règlement de comptes. Dans les Nuits de Chicago, Buck Mulligan est tué pendant le « Carnaval diabolique » des gangsters ; dans The Beast of the City, le triomphe de Belmonte prélude à une bataille rangée ; dans Traquenard (N. Ray, 1958), situé à Chicago dans les années 20, un banquet se termine par l'élimination d'un rival. Le motif a été utilisé avec bonheur dans la comédie de Wilder Certains l'aiment chaud (1959) : les gangsters armés de mitraillettes sont cachés dans le gâteau du banquet.
En majeure partie, les films criminels ont pour cadre une grande ville américaine : New York bien sûr, mais aussi Chicago (gangsters de la prohibition), Los Angeles (adaptations de Chandler ou L. A. Confidential), San Francisco (adaptations de Hammett). L'ensemble du genre est ainsi associé à la poésie visuelle et à la menace que recèlent les métropoles. Innombrables sont les scènes situées la nuit, dans des rues désertes dont le pavé est humide, où roulent des automobiles souvent annonciatrices de mort, où guettent des silhouettes en chapeau mou et en imperméable. De nombreux titres originaux font allusion à la ville, à la nuit et à l'ombre : qu'il suffise de mentionner Night and the City (les Forbans de la nuit) et While the City Sleeps (la Cinquième Victime). La symbolique urbaine liée à l'ombre, la pluie, voire la boue, atteint une insistance particulière dans Seven (David Fincher, 1995).
Cette iconographie n'est cependant pas immuable. Il arrive que le film criminel contemporain s'inscrive dans son prolongement (Mean Streets de Scorsese, 1973) ; mais, le plus souvent, la généralisation de la couleur et les progrès de l'arsenal technologique ont permis d'élargir le registre diurne de la violence urbaine. Une figure obligée du genre devient la poursuite spectaculaire en voiture : Bullitt (P. Yates, 1968) ; French Connection, ou en hélicoptère (Tonnerre de feu,John Badham, 1983 ; l'Arme fatale, R. Donner, 1987). Ces morceaux de bravoure procèdent d'une recherche systématique de l'« effet de choc ». Ils transforment l'espace urbain en champ de bataille et l'activité policière en une guerre sans merci. Le conflit flics-gangsters gagne en intensité ce qu'il perd en subtilité. Le gangster y renonce à son humanité (résurgence des tendances caricaturales et manichéennes du sérial), et le policier aussi, qui va jusqu'à se transformer en machine (Robocop de Paul Verhoeven, 1987).
Élégance voyante, armes à feu, femme fatale, la ville la nuit, sur une musique jazzée : de ces éléments empruntés au film noir mais aussi au film de gangsters, Minnelli fait la matière d'un ballet (Girl Hunt Ballet) dans Tous en scène (1953). De même, Mankiewicz, dans Blanches Colombes et Vilains Messieurs (1955), d'après Damon Runyon ; le joueur professionnel qu'y interprète Brando rappelle, par son allure, le gangster de The Regeneration de Walsh (1915) : témoignage de la pérennité d'une iconographie. Silhouette stéréotypée, le gangster peut aisément devenir personnage de comédie (Certains l'aiment chaud avait été précédé par Grande Dame d'un jour de Capra, 1933, également d'après Damon Runyon, et par Toute la ville en parle de Ford, 1935), de même qu'il peut être transposé hors de son cadre urbain pour apparaître dans un désert d'Arizona clairement théâtral (Bogart/Duke Mantee dans la Forêt pétrifiée d'Archie Mayo, 1936, d'après la pièce de Robert E. Sherwood).
Nombre de films criminels utilisent d'ailleurs à de saisissantes fins de contraste un motif pastoral (la Grande Évasion, la Griffe du passé, Quand la ville dort) ; d'autres ont enveloppé de leur ombre menaçante de petites villes bien tranquillement américaines, ainsi que des stations-service et des « diners » (restaurants de routiers) isolés au bord d'une nationale : cf. l'Ombre d'un doute de Hitchcock ou Crime passionnel(Preminger, 1945), les Tueurs de Siodmak ou Le facteur sonne toujours deux fois (Tay Garnett, 1946 ; Bob Rafelson, 1981).
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La ville dans le film noir américain
par LLH    https://lanuitartificielle.wordpress.com/2014/04/05/filmnoir/


Crossfire2
Crossfire, Edward Dmytryk, 1947
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Le film noir : reflets sociauxhttp://desoncoeur.over-blog.com/article-le-film-noir-reflets-sociaux-45995618.html

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