miercuri, 21 august 2024

Un soir, un train

 

Un soir, un train Broché – Grand livre, 16 février 2003


Le sommeil gagne un compartiment, un wagon, un train entier. Que signifie cet étrange phénomène ? Le narrateur se trouvera deux compagnons, un aîné et un cadet, pour vivre une aventure dont la dimension prendra, au-delà d'un symbolisme évident, un sens métaphysique. L'univers de Daisne est à double fond. En surface, la réalité quotidienne, banale, qu'il perçoit avec une fidélité scrupuleuse. Daisne a le regard sans faille du vrai romancier. Rien ne lui échappe, tout est consigné de ce que le monde offre en spectacle. Mais, justement, cette réalité immédiate n'est, pour Daisne, qu'un spectacle. Il y a, derrière tout cela, les coulisses, une réalité seconde, une machinerie dérobée au témoin distrait, une magie. Proche des romantiques allemands et des romanciers d'aventure anglais, admirateur sans réserve de Pierre Benoît, autour duquel il a construit un roman se déroulant pour une grande part dans le Pays basque, Johan Daisne, qui s'éteignit à Gand en 1978, appartenait à la lignée des conteurs purs, des princes de l'imaginaire.

Marcel Brion (Préfacier, etc.)Maddy Buysse (Traducteur)

108 pages

Complexe (16/02/2003)



Autor: Johan Daisne 
Titlu: Scara de nori si de piatra
Editura: Univers 
Colectia: Romanul Secolului XX 
An de aparitie: 1989


Johan Daisne

Johan Daisne
Biographie
NaissanceVoir et modifier les données sur Wikidata
GandVoir et modifier les données sur Wikidata
DécèsVoir et modifier les données sur Wikidata (à 65 ans)
GandVoir et modifier les données sur Wikidata
Nom de naissance
Herman ThieryVoir et modifier les données sur Wikidata
Pseudonyme
Herman ThieryVoir et modifier les données sur Wikidata
Nationalité
Formation
Activités
Père
Michel Thiéry (d)Voir et modifier les données sur Wikidata



Johan Daisne, de son vrai nom Herman Thiery, est un écrivain flamand, né le 2 septembre 1912 à Gand et mort dans cette même ville le 9 août 1978.

Biographie[modifier | modifier le code]
Il amorce des études d'économie et de langues slaves à l'université de Gand en 1930. Il obtient un diplôme de docteur en sciences commerciales en 1936, l'année même de la publication de son premier recueil poétique intitulé Verzen. Il fait paraître son premier récit, Gojim, en 1939.

Nommé bibliothécaire en chef de la ville de Gand en 1945, il poursuit sa carrière littéraire qu'il avait interrompu pendant la Seconde Guerre mondiale. En 1948, il fait paraître son roman le plus connu L'Homme au crâne rasé (De man die zijn haar kort liet knippen) et, en 1950, le court roman Un soir, un train (De trein der traagheid). Ces deux titres seront adaptés au cinéma dans les années 1960 par André Delvaux.

En 1957 paraît Lago Maggiore et, en 1971, un imposant Dictionnaire filmographique de la littérature mondiale (Filmografisch lexicon der wereldliteratuur), dont il est le maître d'œuvre et qui témoigne de sa passion pour le cinéma.

Il est l'auteur d'une œuvre considérable : neuf romans, soixante récits et nouvelles, quelques pièces de théâtre, vingt recueils de poésie, vingt ouvrages consacrés au cinéma et environ vingt autres publications incluant des reportages, des essais, une étude sur l'écrivain français Pierre Benoit et une histoire de la littérature russe.

Il a été récompensé plusieurs fois par des prix internationaux.

Il est également un théoricien et un des principaux représentants, avec Hubert Lampo, du réalisme magique.






Delvaux, Paul - La solitude - 1955 |





                                © Paul Delvaux, La gare forestière, 11 - 1960, 
                                                                                                                                                                         Saint-Idesbald, Fondation Paul Delvaux









19 août 2009

Un Soir, Un Train d'André Delvaux - 1968

untitledSur les conseils de l'ami Patience, décidément bien affûté, un petit André Delvaux. Pour cette fois, respects. Un Soir, Un Train est un film super intrigant, qui manie une sorte de réalisme fantastique d'un très bel effet. On ne s'attend pas, dans les tristounes premières minutes, à tomber sur un essai à la Kafka : un couple de bourgeois, lui prof de linguistique, elle costumière pour le théâtre, se dispute. Le souci : elle se sent seule, abandonnée dans un pays qui n'est pas le sien (la Belgique) habité par des problèmes qui ne sont pas les siens (les batailles entre flamands et francophones). Il faut dire que l'homme (Yves Montand, un peu en-dessous) est particulièrement indifférent aux problèmes de sa femme (Anouck Aimée, très belle). On suit ça avec un certain ennui, persuadé qu'on va avoir droit à un film psychologique plein de symboles, une sorte de Bergman belge raté. Assez mal monté, trop explicatif dans ses dialogues, cette première partie fait redouter le pire.

Montand monte alors dans un train pour aller donner une conférence on ne sait où. Aimée le suit pour se réconcilier, et les deux tourtereaux s'endorment. C'est alors que le film prend un virage radical, plongeant brusquement ses personnages dans un fantastique étrange. On avait déjà eu des indices lors de la partie "réaliste", avec ces miroirs qui ne renvoient aucun reflet, avec ce comportement légèrement déviant de Montand lors de la scène de dîner. Mais là, l'angoisse et le décalage envahissent très clairement l'écran, et on se retrouve dans une atmosphère qui doit autant à Magritte (pour rester dans les Belges) qu'à Twilight Zone. Si le mot "surréaliste" est parfois dévoyé dans ce blog (eheh), il s'impose ici : la réalité n'est que légèrement triturée, légèrement décalée,  pour créer un ailleurs onirique inquiétant. Montand, accompagné de deux hommes tombés de nulle part, erre dans un no man's land boueux et froid, abandonné de tous. Quand les trois compagnons se retrouvent dans un village, c'est pour se rendre compte que la communication n'est pas possible, que la langue est inconnue.

vlcsnap_2009_08_19_13h39m54s179On ne sait pas où Delvaux veut nous emmener, et c'est là la principale qualité du film. Il nous fait toucher la texture de l'inconscient tout en restant dans le "probable", sans tomber dans le fantastique pur. Le monde décrit est celui intérieur de Montand, fait de souvenirs, de frustrations, de non-dits, de fantasmes, mélange d'ambiance "cabaret allemand" (le gars évoque son passé de militaire pendant la guerre) et de désespoir glacé, de pulsion sexuelle et de frustration. Tout tourne, en tout cas, autour de l'incommunicabilité, et de cette scène inaugurale de dispute amoureuse. On comprendra sur la fin le pourquoi de ce bizarre maelström... Il y a là-dedans des tas d'idées vraiment originales, avec comme point d'orgue une scène de danse en duo qui fait froid dans le dos. Delvaux maîtrise brillamment ses rythmes, sachant étirer certaines scènes a priori banales pour mieux monter brusquement une scène forte et effrayante. Eminemment belge dans son atmosphère, même si ça ne veut pas dire grand chose d'autre que "étrange", son film est touchant et intelligent, et sait nous caresser dans le mauvais sens du poil. Je n'en demandais pas plus. Un moment unique, en tout cas.


Un soir, un train est un film franco-belge d'André Delvaux sorti en 1968, d'après la nouvelle de Johan DaisneDe Trein der traagheid (1950)1.

Le film a pour thème l'incommunicabilité, mais traitée sur le mode du réalisme magique et sur fond de conflit linguistique belge.

Durant l'hiver 1967-1968, Mathias est professeur de linguistique dans une université flamande qui pourrait être celle de Louvain (des allusions précises à l'Affaire de Louvain sont données au début, lorsque le professeur est confronté à une grève d'étudiants partis manifester contre la présence de francophones dans cette université). Il vit avec Anne, une Française mal à l'aise dans ce pays dont elle ne partage pas la culture, bien qu'elle s'efforce d'y participer avec bonne volonté, en travaillant comme décoratrice de théâtre pour une pièce de la Renaissance, Elckerlijc, que Mathias a adapté. Leur vie commune, minée d'incompréhensions rentrées, se ressent de ce malaise.

Un après-midi, Mathias prend le train (à la gare d'Anvers) pour aller donner une conférence dans une autre ville. Il a la surprise de voir Anne le rejoindre dans son compartiment, apparemment pour tenter une réconciliation. Mais la présence d'autres passagers les retient de se parler. Mathias s’assoupit, et se réveille alors que le train s'est arrêté au crépuscule en pleine campagne. Anne a disparu. Mathias descend le long de la voie, retrouve deux connaissances. Le train repart brusquement, abandonnant les trois hommes dans un univers totalement incompréhensible, où ils tentent vainement de se conduire de façon rationnelle.

Fiche technique

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Distribution

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Les scènes en intérieur sont tournées aux studios de Billancourt en France. Les prises de vue en extérieur sont réalisées dans les rues d'Anvers et les plaines alentour de la province d'Anvers3 ainsi qu'à l'abbaye de Parc à Heverlee (Brabant flamand), à l'église Saint-Donat et rues d'Arlon (province de Luxembourg) en Belgique4. Des scènes sont également tournées à Londres dans le quartier Rotherhithe, notamment au Angel Pub.

U comme Un soir, un train

L'Abécédaire | 

Où l'on s'intéresse à Un soir, un train, un film du cinéaste belge André Delvaux, qui transporte (en train naturellement) un professeur de linguistique dans une contrée dont il ne comprend pas la langue…

Un soir, un train, André Delvaux (1968). Couleurs, 91 minutes.

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Mathias Bremen (Yves Montand) est professeur de linguistique dans une université belge, situé en Flandres. Lorsque débute le film, Mathias voit son cours abrégé : les étudiants flamands manifestent contre la présence de francophones dans leur université. Se sentant peu concerné par ces événements, le professeur en profite pour rentrer plus tôt chez lui, et passe chercher sa compagne, Anne (Anouk Aimé), au théâtre, où elle travaille comme décoratrice. Mathias a une conférence prévue en soirée : en attendant de prendre le train, il se promène avec Anne. Celle-ci veut l’accompagner, Mathias tente de l’en décourager, mais n’y parvient pas.

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Jusqu’ici, tout va bien.

Bercé par le train qui traverse un paysage enneigé, Mathias s’assoupit bientôt. C’est le ralentissement du convoi qui le tire de sa torpeur. Constatant qu’Anne n’est plus dans le compartiment, il part à sa recherche, et croise dans le couloir le professeur Hernhutter, une vieille connaissance. Lorsque le train s’arrête totalement en pleine cambrousse, les deux enseignants descendent et rejoignent sur le bas-côté Val, un ancien étudiant de Mathias. Tous trois ont l’intention de gagner la locomotive, mais le train part soudain. Voilà les trois hommes abandonnés dans ce coin de campagne, loin de tout… La nuit tombe…

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Plus tard, ils atteindront un village, peuplé de gens fuyants et parlant une langue incompréhensible… Comment procéder pour se faire comprendre ? Pour rentrer chez soi ?

vol1-u-roman-vo.jpgUn soir, un train est l’adaptation du roman éponyme de l’écrivain belge Johan Daisne (1912-1978), représentant du réalisme magique wallon. Deux de ses romans ont portés à l’écran : d’abord L’Homme au crâne rasé (1948) puis Un soir, un train (1948), tous deux précisément par André Delvaux, en 1965 pour le premier roman, 1968 pour le second.

vol1-u-roman-vf.jpgSous ses atours de film fantastique, Un soir, un train traite de l’incommunicabilité entre les êtres – y compris et surtout au sein d’un couple. Les scènes figurant Mathias et Anne ensemble sont significatives : l’un et l’autre monologuent, chacun de son côté, et lorsqu’ils dialoguent enfin, ils peinent à se comprendre. Le lieu de l’action n’est pas non plus anodin : la Belgique, divisée en deux par une frontière linguistique, où (pour autant que je sache) Wallons et Flamands ne font pas forcément l’effort d’apprendre la langue de l’autre. Quant au dernier quart du film, se déroulant dans cette ville étrange où les gens ont un comportement aussi incompréhensible que leur langue, il préfigure très fortement Épépé (1970), roman de Ferenc Karinthy racontant les déboires d’un linguiste dans une ville inconnue peuplée de gens dont la langue défie toutes ses tentatives de compréhension (au demeurant, le roman est excellent et a récemment bénéficié d’une réédition chez Zulma : lisez-le !).

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Dès le générique et sa chanson hantée, un sentiment de tristesse va imprégner le film. Une ambiance accrue par le visage mélancolique d’Anouk Aimé et l’air de chien battu d’Yves Montand, ainsi que par les paysages hivernaux traversés par le train. On pourrait se trouver aussi bien en Belgique qu’aux confins des steppes asiatiques, comme le commente le professeur Hernhutter à ce sujet.

Baignant dans une atmosphère de réalisme magique, Un soir, un train retombe cependant sur ses pieds dans ses dernières scènes. Les événements étranges vécus par Mathias depuis sa descente du train trouvent un sens. De fait, un indice sur le dénouement est donné en cours de film, mais peut passer inaperçu aux yeux du spectateur inattentif (que j’étais lors de ma première vision). Un dénouement qui ne surprendra pas les amateurs de littérature fantastique et de nouvelles à chute, mais l’intérêt ne se situe pas là : ce n’est pas un film de M. Night Shyamalan… Par ailleurs, la scène se déroulant au théâtre d’Anne, où Mathias fait une remarque sur la nature du texte joué (Elckerlijc, pièce en vieux néerlandais datant de la Renaissance, où la Mort, sur ordre divin, fait voyager un monsieur tout-le-monde) s’avère elle aussi porteuse d’un sens métaphorique. L'ensemble acquiert une dimension tragique qui achève de rendre le film inoubliable.

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Une remarque annexe : la copie du film que je me suis procurée est un fichier .avi très probablement créé à partir du repiquage d’un enregistrement VHS, lors d’une diffusion du film à la télévision, du temps où les magnétoscopes existaient. Est-ce dû à la diffusion ou à la cassette ? L’image vidéo y prend des airs de palimpseste, avec d’autres images apparaissant en transparence : des pages de livre, une publicité pour Panzani… Ces images rémanentes intervenaient de manière judicieuse par moment (souvent non), et laissaient l’impression d’une autre réalité, sous-jacente et inaccessible, effet non dénué d’à-propos quant au twist final d’Un soir, un train.

Introuvable : quasi (du moins en DVD ; en streaming en revanche…)
Irregardable : non
Inoubliable : oui


Un soir, un train (André Delvaux, 1968)

 « Je suis mort » ne peut se dire que dans une langue toute autre, intraduisible

Chanson du générique : La fleur de l’été, en chardon à l’automne, givrée en hiver, refleurit au printemps. L’amour ébloui, de l’été en automne, se fane et se fige, au gel blanc de l’hiver (bis). 

Le film commence dans une maison de retraite. Mathias Bremen1 rend visite à sa mère qui lui reproche, en français, d’avoir refusé, un jour de son enfance, d’aller au cinéma avec elle. Elle lui fait des recommandations : il faut entretenir la tombe pour la Toussaint (il s’agit de la tombe de son père). Elle a préparé un cadeau pour Anne, la compagne de Mathias2 : un objet qui ressemble à une pomme. Le couple n’a pas d’enfants (pas encore, dit-elle). Puis Mathias arrive à l’université où un étudiant lui parle flamand. Il commence un cours de linguistique en français devant un amphithéâtre quasiment vide. On lui annonce une grève des étudiants flamands qui l’oblige à interrompre son cours. Il sort de l’amphi. La question de la mort est introduite par le biais d’une traduction en français d’une pièce de théâtre, proposée par une étudiante : « Dieu dit : où es-tu ma mort qui n’épargne personne, apparais, écoute ce que je t’ordonne. Va chercher Elckerlyc et dis-lui qu’il doit faire le pèlerinage dont personne ne revient, et qu’il me fasse ses comptes sans délai. Voilà ce que j’ordonne »

Mathias se rend au théâtre où un metteur en scène de ses amis est en train de monter la pièce dont la scène est extraite. Il y retrouve Anne, qui est chargée de réaliser les costumes. La pièce elle-même n’est pas traduite, elle est en flamand , mais dans le film d’André Delvaux, on ne parle que français. « Je crois que nous avons découvert quelque chose » dit le metteur en scène : « Elckerlyc ne parle pas à la mort, il parle au-delà de la mort, comme si elle était invisible. En fin de compte ce n’est qu’un énorme monologue de Elckerlyc avec Elckerlyc. » . Mathias acquiesce sur un ton professoral : « Évidemment, toute la pièce est un monologue. Elckerlyc sait qu’il monologue avec lui-même. Il est donc plus fort que la mort, plus fort que Dieu, puisqu’il accepte de jouer le jeu. Mais il est seul. Donc son dialogue avec la mort, c’est l’écran entre le soi et le moi ». Anne ajoute : « les personnages se regardent sans se voir, ils ne se parlent qu’à eux-mêmes. »

Le film circule entre trois langues : français, flamand et la langue de la mort, une langue invisible, intraduisible, inaccessible. Mathias Bremen fait remarquer qu’on ne peut dialoguer qu’avec soi-même, dans sa propre langue. C’est son cas à lui dans le film, c’est le cas d’Elckerlyc dans la pièce et c’est le cas de tout le monde, puisque Elckerlyc, c’est tout le monde. Après le début du film, on peut supposer que sa langue n’est pas celle de sa mère mais celle de son père, le flamand – mais même dans cette langue, la sienne (qui n’est pas la sienne, puisque c’est celle de son père), il ne dialogue avec personne d’autre qu’avec lui-même. Ni avec Anne, ni avec la mort, ni avec sa mère, il ne peut communiquer. Son savoir de professeur de linguistique ne lui sert à rien. Dans son domaine de prédilection, il est confronté à l’impuissance.

« Je dois inventer une nouvelle mort », dit Anne. « Quand ? – Sans délai ». Il y a urgence. Dans la pièce de théâtre, la mort l’attend dès le lendemain. Anna ne parle que français et ne connaît pas la langue de la mort dont elle doit tout de suite, immédiatement, réaliser les costumes. La mort n’attend pas. Elle doit travailler toute la nuit, tandis que Mathias doit partir le soir même pour une conférence. En rentrant chez eux, Mathias et Anne se conduisent à la manière d’un couple. Ils mettent la table. Elle parle de la pièce, il ne l’écoute pas. Ils mangent des huîtres, un excellent vin, il allume des bougies. Ils sont ensemble, mais ne partagent rien.

Voici un film qui fait venir, sur l’écran, ce dont on ne peut rien dire. A l’heure du réveil nationaliste flamand, Anne et Mathias forment un couple étrange où l’amour, pourtant réciproque, est frappé de stérilité. Il l’aime, mais tristement, sans lui donner aucune joie, sans espoir d’enfant, dans une ville où elle est rejetée. Il lui trouve un travail, mais c’est pour les costumes et les décors d’une pièce de théâtre sur la mort. Elle aussi, apparemment, elle l’aime, elle désire sa présence, elle voudrait l’accompagner où il va, chez les flamands. Mais il résiste, il refuse le mariage, comme s’il voulait la priver d’avenir. Elle se révolte, mais se résigne. Elle n’use pas de sa liberté. Après tout, si, déjà, une sorte de mort relationnelle s’est installée entre eux, si la vie ressemble d’aussi près à la mort, pourquoi continuer ? C’est Mathias qui a décidé d’adapter cette pièce-là et pas une autre, et c’est lui qui s’est arrangé pour impliquer Anne dans ce projet. Lors de leur dernier dîner en commun, c’est lui qui a fermé les volets et allumé les bougies. Le film met en scène ce qu’il ne peut pas dire.

Il semble pressé, elle s’ennuie. Il l’embrasse, elle le repousse. « Pas maintenant Mathias, pas maintenant ». Anne cite la dernière phrase de la pièce de théâtre, une fin qu’elle dit apprécier particulièrement : L’ange déploie ses ailes et dit : j’enlève l’âme de la chair. Son compte est pur et léger, je l’emmène dans les plaines du ciel, là où nous devons tous nous retrouver. Elle fait appel à l’autre langue, dissociée du corps, qu’on ne peut pas parler.

Ils sortent prendre l’air. Sans un mot, ils prennent l’autobus. « Où va-t-on ? Au moulin brûlé si tu veux »dit-il, mais il sait qu’il doit aller au cimetière pour respecter le vœu de sa mère, et il préfère le faire seul. Elle voudrait l’accompagner à sa conférence. Il explique qu’il s’agit d’un milieu de nationalistes très fermé, il ne pourrait même pas la présenter. Comme pour illustrer l’intraduisible, ils traversent une manifestation flamande. 

Mathias ne parle qu’en français avec Anne et les autres personnes, mais il écrit en flamand et participe à un congrès nationaliste où sa femme ne serait pas admise. En tant que professeur, son métier est la transmission, mais il cloisonne ce qu’il transmet : le flamand au flamand, le français au français. Il est exclu que le cadeau de sa mère arrive jusqu’à Anne. Il ne retrouve pas la tombe de son père, mais les interdits qu’il en a hérités, il ne peut pas les transgresser. « On finira peut-être par se marier Mathias ? »demande-t-elle. « Tu es toujours libre ma chérie. » Il ne veut pas se marier, ne veut pas d’enfants. « – Libre ? Nous sommes tous libres Mathias, et intelligents et lucides. Tu me fais pitié ». Elle a tout quitté pour lui, ils vivent ensemble depuis plusieurs années, mais leur mariage ne conduit à rien. Elle se sent perdue dans cette terre dont les conflits ne la concernent pas. Elle a du mépris pour lui, mais elle est incapable de se dissocier de lui. Ils se disputent, Anne exaspérée rebrousse chemin.

Anne souhaiterait rentrer dans la vie commune : famille, enfants, etc., et elle ne peut le faire qu’avec Mathias, avec personne d’autre. C’est le seul homme qu’elle peut aimer. Or ce ralliement, demandé aussi par sa mère, est impossible pour Mathias. Sans doute ignore-t-il lui-même pourquoi. Il ne veut pas lui faire de mal, il aimerait lui faire plaisir, mais il n’y peut rien. Tous deux sont confrontés à ce blocage qui résonne étrangement avec une autre impossibilité, sociale, celle de la communication entre Flamands et Wallons . Leur relation ne bute pas seulement sur l’absence de langue commune, mais sur la persistance, l’insistance d’une autre langue qui s’impose à eux, et dont ils ne partagent que certains fragments non-dits. Quand ils se parlent, ils entendent le sens des mots, mais ce sens est faux, il ne suffit pas.

Il achète des chrysanthèmes, mais ne retrouve ni la tombe de son père, ni la personne qui pourrait le lui indiquer. Perdu dans le cimetière, il jette les chrysanthèmes par terre. Une fois installé dans le train, il a la surprise de voir Anne arriver. Il sourit, elle fume, ils sont gênés, se regardent. Des souvenirs leur reviennent, une visite des docks de Londres, sans qu’on sache s’ils appartiennent à l’un ou à l’autre. « Je ne voulais pas que tu partes comme ça, je suis désolée, j’étais nerveuse » dit-elle. « Tu sais ça va probablement s’éterniser ce soir, je ne veux pas que tu m’attendes à la gare ». Elle est déçue. « Je reprendrai le premier train ». Il tient à la main le cadeau que sa mère avait prévu pour Anne, mais ne lui donne pas. Nouveaux souvenirs, ils sont tristes, assis l’un près de l’autre. Il met le cadeau dans sa poche. Si un lien direct s’instaurait, sans lui, entre deux femmes, sa mère et Anne, le cloisonnement serait brisé. Il ne le supporterait pas.

C’est l’hiver, la neige recouvre le paysage. Elle se lève, va dans le couloir. D’autres souvenirs reviennent, dans une forêt. Elle lui tend la main, ils se serrent l’un contre l’autre tandis qu’un paysan bat le tempo. Il rêve d’un accident, il la cherche, il l’appelle. Brusquement, il se réveille : la place d’Anne est vide. Il court dans les couloirs, ne la trouve pas. Sa montre est arrêtée, il ne sait pas où on est. Il descend du train en compagnie de Gottfried Hernhutter, un professeur qu’il avait déjà croisé en Allemagne. Sur le quai, un étudiant nommé Val, qui avait suivi les cours de Mathias deux ans auparavant, se demande où il se trouve. Mathias ne peut répondre. Le train repart avant que Mathias et son collègue n’aient pu remonter. « Elle est dans le train avec tous mes papiers ! crie Mathias. Mais qu’est-ce qu’elle va encore penser ? ». Les deux professeurs et l’étudiant marchent dans la boue, dans la vase, vers un point lumineux, un feu. La nuit tombe. L’étudiant trouve à manger, des pommes de terre qu’il jette dans le feu. Mathias ne peut penser qu’à Anne dont il ne cesse de parler. C’est une femme qu’on ne peut pas décrire, on la voit et on ne l’oublie plus. Avec elle, dit-il, il a vraiment goûté le sel de la vie. Il se souvient du moment où il l’a rencontrée. Il est tombé amoureux dans une église, d’un seul coup, follement amoureux, « mon Dieu ». Hernhutter : « Mes ancêtres étaient des protestants de Bohême très attachés aux idées de Jean Hus. Ils ne portaient jamais le deuil, et la mort était l’occasion d’une grande espérance. Ils ont une grande tombe dans le jardin de la communauté. Je n’ai jamais fait de mal à personne, et quand je retrouve ce jardin, je me sens moins seul ». Les trois hommes partent vers le village le plus proche. De rares passants fuient à leur approche. Mathias et ses compagnons les suivent dans un cinéma où l’on projette un film où l’on voit un parachutiste en chute libre. À la fin du film, une bagarre éclate.

Le cinéma fait effraction deux fois à l’intérieur du récit : quand la mère de Mathias lui reproche d’avoir refusé, à l’âge de dix ans, de voir un film avec elle par honte dit-elle, mais il y a sans doute une autre raison ; quand ils arrivent au village, pénètrent dans une salle de cinéma, et voient les spectateurs s’enfuir dès la fin du film. Pour ces revenants, l’arrêt de la chute libre n’est pas supportable. Le film annonce la couleur dès le générique : au lieu de la chute libre, on voit défiler un paysage vu de la fenêtre d’un train, mais ce paysage est barré d’écrans noirs. Quand le mouvement du train s’interrompt, dans la maison de retraite, le noir envahit tout. Le début du film rejoint sa fin. Mathias se rappelle sa mère qui lui rappelle son enfance et le respect dû à son père mort. Un film n’est qu’un écran entre deux tableaux noirs.

Les habitants de cette ville parlent une langue inconnue. L’un d’entre eux leur indique un hôtel , mais c’est un café-restaurant où personne ne semble comprendre leurs paroles. Ils s’installent à une table. Ils demandent à téléphoner, mais cela semble impossible. « Où sommes-nous ? » demande Mathias en plusieurs langues. Tout le monde le regarde, mais personne ne répond. On leur apporte du vin. Ils le goûtent (excellent vin). Il n’y a ni heure, ni indication au mur. 

Il y a plusieurs interprétations possibles du film. Parmi elles, proposons celle-ci : Mathias se serait endormi dans le train qui le conduisait à son congrès. Pendant son sommeil, un accident aurait eu lieu, la percussion d’un autre train. Dans l’instant qui sépare le choc de sa mort, son esprit aurait été traversé par les souvenirs, les regrets, les rêves. Il s’identifierait à Hernhutter, le gardien, qui suspectait depuis longtemps qu’ils étaient déjà morts, comme le confirme l’absence de tout signe d’espace et de temps. Hernhutter ne serait pas inquiet pour lui-même, il ne ferait que rejoindre ses ancêtres. Mathias s’identifierait aussi à Val, le jeune homme qui a l’avenir devant lui et aussi le courage de rejoindre une jeune femme, même morte. Anne est le principal personnage de ce rêve. Au moment où Mathias meurt, quand le rêve se termine, il découvre son cadavre. On en arrive au dénouement anticipé depuis longtemps : ils meurent tous deux, elle ne vivra pas sans lui, elle meurt avec lui.

Le jeune étudiant boit d’une traite tout son verre de vin. On leur apporte une volaille superbement présentée. Ils mangent, Mathias raconte son expérience de la guerre (souvenirs souvenirs). Il parle de Anne, une impulsive qui croit en Dieu. Pendant ce temps la serveuse les observe d’un air absent, mystérieux. Elle ordonne à l’orchestre de changer de musique. « Allons-nous-en Mathias ! » supplie Hernhutter. « Où voulez-vous qu’on aille ? – Vite, je vous en prie ». Hernhutter est terrorisé. 

Gottfried Hernhutter est interpellé ou nommé par son nom de famille, tandis que Mathias l’est par son prénom. Le premier prend acte de sa généalogie, tandis que le second préférerait la fuir, si c’était possible. Mais le retour du passé lointain est irrésistible. Au moment de la mort, on n’est plus un enfant.

Val reconnaît l’air de la chanson : c’est celle du début du film. Quand il part danser avec la serveuse, la musique change. Pris dans le rythme que l’orchestre impose, il ne peut plus résister. Il fait comprendre à Mathias qu’il n’y a pas d’espoir, c’est la danse de la mort. « Il n’est plus lui-même » dit Mathias. Tous les clients se mettent à danser au même rythme. Mathias essaie de détacher l’esprit du jeune homme de l’attrait de la serveuse. Val lui dit : « Son nom est Moïra et je comprends leur langage. C’est un miracle ! ». « Tu ne sais pas pourquoi le train s’est arrêté ! » dit Mathias. « Je vous l’expliquerai. » Val, l’élève, explique à Mathias ce qu’il ne veut pas entendre : il est déjà mort. L’apprenti linguiste traduit la langue des morts, il est devenu plus savant que le maître.

Nouvelle fuite, celle des clients du restaurant. Mathias se précipite vers la serveuse. « Qui êtes-vous, mais qui êtes-vous ? ». Elle ne répond pas, toujours le même regard absent et mystérieux. Il est comme hypnotisé, il défaille. « Ce n’est rien dit-elle en français ». Il suffoque. « Ce n’est rien, vous n’avez rien. C’est un accident, à cause d’un autre train. Voulez-vous qu’on télégraphie chez vous ? »

Quand il revient à lui, il se retrouve non loin des rails. Un grave accident a eu lieu. L’âme d’Anne, détachée de son corps, vient habiter l’esprit de Mathias qui se retrouve dans un monde incompréhensible, sans repère, ni nom, ni téléphone, ni moyen de communication. 

Mathias reprend conscience. Conformément aux dires de Moïra, il n’a rien, son corps n’est pas touché mais il ne lui reste rien, rien d’autre. Hagard, il regarde les pompiers éteindre le train en feu. Des voyageurs ou des sauveteurs courent dans tous les sens, on retire des cadavres. Il arrive dans une sorte de grange transformée en morgue, reconnaît les chaussures d’Anne, le bas de sa robe. Il a obéi au Dieu d’Elckerlyc, il est allé vers la mort, mais ce n’est pas lui qui est mort – croit-il. En tous cas c’est ce qu’il imagine au moment où il longe les rails. Peut-être a-t-il évité l’accident en descendant du train en pleine campagne, peut-être l’accident a-t-il eu lieu après ? Mais alors, comment expliquer la suite des événements ? Comment expliquer ce village, ce dîner, cette langue incompréhensible, l’enlèvement de Val par Moïra ? Non, soyons sérieux, rigoureux. Il faut reconnaître que tout cela n’a duré qu’un instant, l’instant de ma mort, comme dirait Blanchot. Pour que Mathias se croie encore vivant, il fallait que la mort soit toujours la mort de l’autre. Elle l’était dans son rêve mais pas dans le film, car le film lui fait dire : Je suis vraiment mort, le film met sur ses lèvres la phrase impossible, aporétique, cette phrase qu’on ne peut même pas dire dans un dialogue entre le soi et le moi, cette phrase que seule la fiction, ou la littérature, ou le cinéma, peuvent accréditer. Mathias appartenait à une généalogie de professeurs, la grande confrérie des professeurs qui n’enseignent plus rien car ils n’y croient pas. On ne peut pas enseigner la mort, car on ne peut rien dire de vrai sur elle. Il a pu croire un moment qu’Anne, l’étrangère, allait mourir à sa place, mais nul ne peut prendre la place d’un mort. Elle a peut-être fait demi-tour, et peut-être est-ce qu’elle l’attend à la maison, toujours vivante.

La chanson du générique reprend tandis qu’il prend dans ses bras la morte, se couche auprès d’elle. Elle est belle, bien maquillée. Il pleure. Le film n’aura été qu’un intermède entre le début et la fin de la chanson : Un soir en automne, ricochet qui s’abîme, tu te poses et t’enfonces dans l’eau noire du temps. Un soir en automne, ton image s’en va, s’envole et s’arrache à l’eau noire du temps, se pose légère dans son éternité. Un film dure comme une vie, le temps de penser à la mort sans jamais dialoguer avec elle. On prétend que personne n’en revient, qu’il est impossible d’en rendre compte, qu’elle ne répond jamais, mais alors, comment se fait-il qu’un simple film ait pu la convoquer en personne ? 

André Delvaux a mis en scène un linguiste, polyglotte comme il se doit, pris de panique en entendant cette langue (la langue des morts) que personne ne peut traduire et dont il ne sait qu’une chose : c’est un risque, un danger terrible. Même lui, le grand linguiste, ne peut pas annoncer sa mort dans la langue courante. S’il le pouvait, ce serait dans une langue inaccessible, incompréhensible.

  1. Interprété par Yves Montand. ↩︎
  2. Interprétée par Anouk Aimée. ↩︎
Un soir, un train

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88 min

Disponible jusqu'au 01/09/2024

Films
Cinéma
Après que sa conjointe a disparu lors d'un voyage en train, Mathias se perd en rase campagne, déstabilisé par la barrière de la langue... Avec Yves Montand et Anouk Aimée, un film teinté de réalisme magique, par le père du cinéma belge moderne, André Delvaux (1968).
Anne, productrice de théâtre française, disparaît lors d'un voyage en train entrepris avec son conjoint Mathias, un professeur de linguistique belge. La locomotive étant à l’arrêt, Mathias descend, accompagné de deux hommes. Mais le train repart sans eux, les abandonnant en rase campagne. Ils décident de rejoindre le prochain village à pied, où ils se heurteront à la barrière de la langue…

Le réalisateur André Delvaux, père du cinéma belge moderne ("C'est lui qui a ouvert la porte […] dans laquelle nous nous sommes engouffrés", selon Jaco Van Dormael), s’empare du thème de l’incommunicabilité sur fond de conflit linguistique, sublimé par un vernis de réalisme magique cher au cinéaste.

Un soir... un train : un exemple abouti de «réalisme magique» (en Blu-ray et DVD)

Blu ray Un soir un train 00

Note artistique : etoile rougeetoile rougeetoile rougeetoile rougeetoile grise(4/5)

Synopsis

Professeur de linguistique dans une petite ville de Flandre, Mathias mène une vie sans histoire Anne, sa maîtresse, est décoratrice de théâtre. Un soir, Mathias prend le train pour aller donner une conférence dans une autre ville Anne le rejoint. Le voyage est interrompu par un accident. Anne a disparu. En compagnie de deux autres voyageurs, Mathias se retrouve en pleine campagne et bascule dans un univers inconnu.

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  • Titre original : Un soir... un train
  • Support testé : Blu-ray
  • Genre : drame, fantastique
  • Année : 1968
  • Réalisation : André Delvaux
  • Casting : Yves Montand, Anouk Aimée, Adriana Bogdan, Hector Camerlynck, François Beukelaers, Michael Gough, Senne Rouffaer, Domien De Gruyter
  • Durée : 1 h 31 mn 10
  • Format vidéo : 16/9
  • Format ciné : 1,66/1
  • Sous-titrage : français
  • Piste sonore : DTS-HD MA 2.0 monophonique français/flamand/anglais
  • Bonus : court métrage 1001 films d'André Delvaux (1989, 7 mn 29) - entretien avec Philippe Reynaert critique de cinéma et Catherine Delvaux fille du réalisateur (2022, 37 mn 37)
  • Éditeur : Éditions Montparnasse 

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Commentaire artistique

Un soir… un train, second long-métrage d’André Delvaux, est, tout comme son premier film L’Homme au crâne rasé (1966), adapté d’un ouvrage de Johan Daisne : « De trein der traagheid » publiée en 1950. Le romancier est un des écrivains qui ont le mieux fait connaître en littérature le « réalisme magique », un courant artistique qui concrétise l’irruption de l’irrationnel dans un contexte réaliste. Pour le 7ème Art, c’est André Delvaux qui, en  contribuant à la renaissance du cinéma belge vers la modernité (cf. bonus), devint l’un de plus importants représentants de ce mouvement traquant l’étrangeté dans la réalité du quotidien. Dans Un soir… un train il transpose la nouvelle de Johan Daisne aux années 1967-1968 qui sont marquées par un conflit politique local, dit « affaire de Louvain », qui opposa les nationalistes flamands aux francophones de l’université catholique de Louvain. Yves Montand incarne Mathias un professeur de linguistique qui se pique aussi de théâtre et qui partage sa vie avec Anne, une française pas à l’aise, interprétée par Anouk Aimée. Tous deux participent à la production d’une pièce néerlandaise intitulée « Elckerlijc ». Très vite, alors que le couple doit se séparer en fin de journée, le film met en évidence le thème de l’incommunicabilité entre eux, puis, plus avant, entre les voyageurs et le monde extérieur. Dans sa première partie, Un soir… un train semble, avec une belle palette de langues pratiquées (flamand, français, anglais), insister sur la communication : acteurs au théâtre ou Mathias donnant un cours de linguistique. Mais cette approche est vite délaissée au profit d’un manque d’échange de plus en plus accru dès que le voyage en train de Mathias débute. Le cinéaste nous propose alors une narration en apparence très triviale (se repérer, manger, s’abriter, etc.) avec une profusion de détails matérialistes mais qui est contredite par un décollement du réel, une étrangeté qui enveloppe les situations et qui pourrait trouver une explication chimérique dans sa conclusion. Un soir… un train, superbement interprété par ses stars ainsi que par Hector Camerlynck (Hemhutter), François Beukelaers (Val), Michael Gough (Jeremiah) et Adriana Bogdan (Moira), ne cesse de mettre en évidence l’incompréhension qui sépare les êtres et régit les rapports du couple, des étudiants, des voyageurs, des villageois. Fort bien analysé dans le supplément, le film d’André Delvaux s’inscrit très nettement dans le cinéma de Michelangelo Antonioni profondément marqué par l’existentialisme. Cependant le film ajoute une dose de fantastique et d’absurde à la solitude et à l’égarement de ses personnages, la sensible Anne et l’intelligent Matthias, un couple qui n’assume pas ses ambigüités sentimentales. Comme le définissait son auteur, Un soir… un train est un film sur « l’aventure d’un homme qui, croyant tout savoir, est ramené par les circonstances à comprendre qu'il ne sait rien… ». C’est tout l’art du cinéaste qui revendiquait, avec ses films, donner au spectateur l'impression d’un réalisme assuré puis l’amener ensuite à douter de ce qu’il voyait. Avec sa progression inexorable vers l’irrationnel qui déstabilise Mathias et ses acolytes, Un soir… un train est un film troublant sur le thème crucial de la question existentielle assortie de son interrogation philosophique sur la nature du réel.    

 

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Commentaire technique

Restauration 4K en 2021 à partir du négatif image 35mm et du négatif son : travaux numériques et photochimiques réalisés et supervisés par le laboratoire VectraCom avec le soutien du CNC. Version intégrale souhaitée par le réalisateur

Image : copie HD, définition et piqué variables selon les plans mais très belle précision globale de l’image malgré une texture argentique prononcée (tournage en 35 mm, Master Format 4K 2021), de rares défauts subsistent (rayures verticales), excellent contraste sur les scènes très éclairées, du détail dans les autres, noirs francs, étalonnage chaud naturaliste, colorimétrie nuancée aux teintes réalistes

Son : mixage multilingue (français, flamand, anglais) 2.0 monophonique clair et équilibré, excellent dynamique sur les ambiances et sur la musique de Frédéric Devreese, bruit de fond constant mais discret

Notre avis

Image : etoile rougeetoile rougeetoile rougeetoile rougeetoile grise(4/5)
Mixage sonore : etoile bleueetoile bleueetoile bleueetoile demi bleueetoile grise(3,5/5)
Bonus : etoile rougeetoile rougeetoile rougeetoile rougeetoile grise(4/5)
Packaging : etoile bleueetoile bleueetoile bleueetoile griseetoile grise(3/5)


Résumé :

Le sommeil gagne un compartiment, un wagon, un train entier. Que signifie cet étrange phénomène ? Le narrateur se trouvera deux compagnons, un aîné et un cadet, pour vivre une aventure dont la dimension prendra, au-delà d'un symbolisme évident, un sens métaphysique. L'univers de Daisne est à double fond. En surface, la réalité quotidienne, banale, qu'il perçoit avec une fidélité scrupuleuse. Daisne a le regard sans faille du vrai romancier. Rien ne lui échappe, tout est consigné de ce que le monde offre en spectacle. Mais, justement, cette réalité immédiate n'est, pour Daisne, qu'un spectacle. Il y a, derrière tout cela, les coulisses, une réalité seconde, une machinerie dérobée au témoin distrait, une magie. Proche des romantiques allemands et des romanciers d'aventure anglais, admirateur sans réserve de Pierre Benoît, autour duquel il a construit un roman se déroulant pour une grande part dans le Pays basque, Johan Daisne, qui s'éteignit à Gand en 1978, appartenait à la lignée des conteurs purs, des princes de l'imaginaire.
Maphil
12 septembre 2011
"Un soir, un train", titre du film qu'André Delvaux a tiré du roman n'a pas la même empreinte sur le contenu de ce roman que le titre original "De Trein der traagheid" qui signifie le train de l'inertie.
Le principe de l'inertie veut que le mouvement se poursuive encore un peu après l'arrêt (par ex. une personne debout dans un bus qui s'arrête, fera quelques pas vers l'avant du bus). A ce principe, Johan Daisne applique ce qu'il appelle "l'automatisme psychique" que le personnage central développe en pensant à ses étudiants et qui veut que le mouvement commence déjà un peu avant ce même mouvement (avant qu'une personne qui a soif ne tende le bras et la main pour saisir le verre d'eau devant elle, son cerveau a déjà donné les ordres de mouvement à son corps).
Plutôt qu'au mouvement, c'est à la mort que Johan Daisne applique ces principes dans ce roman. Il y a la vie, le décès puis la mort. Selon le principe de l'inertie, la vie se prolonge donc encore un peu après le décès tandis que selon l'automatisme psychique, la mort a commencé déjà un peu avant.


luis1952
18 décembre 2011
Roman dont le thème est la frontière entre la vie et la mort ; une étrange histoire où le temps s'est arrêté.
Un homme s'est assoupi dans un train, se réveille et constate que le temps semble être arrêté, comme le train. Tous les passagers ont l'air de dormir. On est dans le mystère, dans un monde irréel. Il sort du wagon avec deux autres passagers et ils s'engagent dans la nuit noire.
J'ai lu ce roman dans sa version originale : "De trein der traagheid" qui veux dire "Le train de l'inertie ".

« Un soir, un train » d’André Delvaux: Yves Montand et Anouk Aimée dans une inquiétante étrangeté

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Film en deux langues, entre deux mondes, Un soir, un train se présente comme un voyage fantastique dans un purgatoire, un film de fantômes d’amour à « l’inquiétante étrangeté ». Et l’on ne s’étonnera pas d’apprendre des décennies après la réalisation de son Ne vous retournez pas (1972) que Nicolas Roeg a totalement halluciné devant Un soir, un train. A raison: ce film-là donne le vertige. À découvrir en DVD/Blu-ray.

Après avoir rendu visite à sa mère dans une maison de repos, Mathias (Yves Montand), professeur de linguistique à l’Université flamande de Louvain retrouve un établissement en pleine effervescence. Pour des questions linguistiques (la querelle entre Flamands et Wallons), les étudiants déclenchent une grève. Insensible à cet événement, Mathias préfère rejoindre dans un théâtre son amoureuse Anne (Anouk Aimée) qui, sur le trajet du retour, lui avoue se sentir mal en Flandre et assure que si elle reste, c’est pour lui. Le couple se dispute, la corde se rompt silencieusement.

Mathias doit prendre le train pour un cours magistral et, au moment du départ, Anne le rejoint dans son compartiment, comme pour tenter une réconciliation sur le tard. La présence des autres passagers empêche Mathias de s’exprimer. Durant ce voyage, il somnole et lorsqu’il rouvre les yeux, Anne a disparu. Le train s’est arrêté l’année dernière à Marienbad, au crépuscule, en pleine campagne. Mathias descend le long de la voie, cherche Anne désespérément, retrouve deux connaissances. Puis le train repart sans eux dans un silence assourdissant et incompréhensible, les laissant sur le bas-côté. Paumés, les trois hommes s’enfoncent dans une région crépusculaire et désertique, vers un no man’s land. Mathias est confronté à des gens dont il ne comprend pas la langue, le renvoyant à l’incompréhension dans son couple et incidemment à l’incompréhension régnant dans son pays.

En adaptant Johan Daisne, en distillant une mélancolie hivernale (vous savez, cette atmosphère glacée et déroutante où la réalité paraît aussi fuyante que les vagues là-bas au loin), André Delvaux a voulu traiter un thème cher à notre ami Antonioni : l’incommunicabilité. Et il faut être aveugle pour ne pas voir là où il veut en venir : incommunicabilité du couple (lui/Montand parle, elle/Aimé parle très peu), incommunicabilité des étudiants (les Wallons vs Flamands), incommunicabilité des fantômes et du monde invisible, incommunicabilité des cinéphiles qui ne partagent pas aujourd’hui la même interprétation d’un film réalisé cinquante ans plus tôt.

Delvaux répond par le fantastique à cette grande question Antonionienne: comment faire lorsque l’on n’a pas les mots pour exprimer ce que l’on ressent? Aveugle à la solitude et à l’isolement de celle qu’il aime, le héros qui, selon Delvaux himself « se pense plus solide que Dieu puisqu’il réécrit l’histoire de chaque homme en disant qu’on est maître de son destin » va faire l’amère expérience de l’incommunicabilité, découvrir ce que signifie être étranger et ne pas être compris. Lui qui dans toute son arrogance croit détenir le langage et le savoir se trouve bien dépourvu et se heurte à des murs. Of course, les références pleuvent (Jean Ray, cité) pour la bonne cause: Delvaux veut raconter l’érosion des sentiments comme la perte d’un visage aimé à la manière d’un voyage intérieur magistralement filmé, magistralement monté, magistralement incarné.

Ces étapes de l’expiration d’un amour et donc d’une rupture, tout le monde les a connues. Ici, la déconnexion avec le monde se produit sans que l’on ne s’en rende compte et ce film où tout a un goût de fin se révèle mental, beau et poignant, comme la même année l’un peu plus connu Je t’aime, je t’aime d’Alain Resnais et bien plus tard le très populaire Eternal Sunshine of the spotless mind de Michel Gondry. Il est aussi très lent pour dire la douleur, pour créer un envoûtement, pour provoquer une perte de repères, pour que le spectateur trompé par le rythme ne s’aperçoive pas du moment où l’on bascule de l’autre côté du miroir.

Point très étonnant qui continue encore à nous troubler: Un soir, un train doit également son mystère au couple Yves Montand – Anouk Aimée dont le pragmatisme (ce côté terrien et accordé de deux comédiens connus) sied parfaitement à ce réalisme magique, pour retranscrire le sentiment inexorable de perte, pour traduire ce qui nous échappe et ce contre quoi on ne peut plus rien. Une histoire d’amour se termine comme ça: on ne meurt pas en même temps dans la tête de l’autre. RLV

2 commentaires:

Jeudi 1er décembre 2011

Un Soir, Un Train - ANDRÉ DELVAUX

Sortie en 1968

Et maintenant, un voyage dans cette région complexe de la boue européenne qu'est la Belgique.

Dans le film d'André Delvaux, les premières images du paysage flamand gelé et brumeux reflètent symboliquement le lien de distanciation entre le professeur de linguistique d'Yves Montand et sa partenaire de mise en scène Anouk Aimée. La chanson d'amour pleine de malheur jouée sur les génériques rend cette impression explicite, mais le côté surréaliste du récit donne au film une profondeur unique qui en révèle bien plus. Si vous pouvez imaginer à quoi aurait pu ressembler une collaboration entre Bergman et Tarkovski, eh bien c'est le cas.

Le portrait d'Anne par Aimée révèle une femme indépendante, échouée dans une culture étrangère, dérivant comme un iceberg du Mathias de Montand. Grâce à des flashbacks, nous avons un aperçu de leur relation qui commence par une première rencontre digne d'une fable lors de la messe de Noël en Espagne, leurs deux âmes perdues se connectant comme par magie devant un feu ouvert. Puis, par un détour glacial dans Londres, une bande de gamins débraillés sur les quais de Rotherhithe, perce un après-midi, soulignant l'absence d'enfants dans leur vie. À la fin de l'été, ils s'enroulent les uns autour des autres dans une démonstration de tendresse fataliste, avec un œil sur un fermier qui coupe du bois avec malveillance à l'horizon. La scène agit comme une préparation littérale et métaphorique aux jours froids à venir.

Anouk 
Dans leur appartement, ils dînent dans un silence oppressant, sirotant du vin et des huîtres. Rejetant les plans de Matthias pour un après-midi romantique, Anne se voit rejetée lorsque la proposition de l'accompagner à une université dans le nord de la Flandre est rejetée comme linguistiquement insensible en raison de sa langue maternelle française. Yves Montand, au milieu d'une série de performances convaincantes en milieu de carrière, se tient passivement à l'écart de l'isolement d'Anne, ne parvenant pas à comprendre à quel point il est proche de la perdre. Lorsqu'Anne apparaît de manière inattendue dans son wagon, ils échangent des mots et un sourire, au bord de la réconciliation, au bord d'un abîme.

Tel un réalisateur de récits de voyage non-conformiste, Delvaux relie les représentations artistiques de sa culture aux différentes phases du film. Ici, l'imagerie pastorale sombre de Breughal est évoquée par les plaines hivernales qui scintillent devant les fenêtres du train. À l'extérieur, un orgue d'église austère en hommage à César Franck accompagne le vent qui fouette les champs labourés. Et très vite, le film plonge de manière inattendue dans le monde onirique subconscient des maîtres surréalistes belges du XXe siècle.

Matthias se réveille et découvre qu'Anne est partie, le train est à l'arrêt et les passagers endormis. Après avoir quitté le train en compagnie d'un collègue plus âgé et d'un ancien élève, les hommes se retrouvent soudainement bloqués sur les rails alors que le train démarre brusquement. Avec la résolution rationnelle de trouver un téléphone, ils errent à travers le paysage, se blottissant finalement autour d'un feu alors que la nuit tombe. Puis, trouvant une ville déserte, ils cherchent de la vie humaine et de la nourriture.

Ici, le réalisateur évoque le monde de son homonyme Paul Delvaux. Dans ses toiles, Delvaux est obsédé par les gares nocturnes vides qui brillent au clair de lune et par les panoramas archaïques décorés de nus en albâtre aux yeux de hibou. Dans toutes ses peintures, on ressent le sentiment que les gens et le temps attendent avec impatience que les choses se produisent. Cette atmosphère se prolonge jusqu'aux trois inconnus qui déambulent dans les rues en terrasses vides et illuminées. Trouvant un cinéma, ils restent impassibles devant un film bizarre et dérangeant représentant des corps flottants suspendus dans les airs. Puis, obtenant des indications d'un homme parlant une langue étrangère, ils trouvent leur chemin vers un restaurant d'hôtel animé dans une ruelle. C'est là qu'ils rencontrent l'énigmatique Moira.


Le film se prête à de multiples interprétations en raison de son symbolisme à plusieurs niveaux et d'une mise en scène qui donne aux scènes les plus anodines une signification supplémentaire. Le décor belge en lui-même est un coup de maître, exploitant la patrie conservatrice et culturellement divisée du réalisateur avec la tension sous-jacente qui menace à jamais le statu quo bourgeois. Il est intéressant de noter que les protestations étudiantes contre la domination linguistique que nous voyons gronder en arrière-plan ont également été capturées dans le thriller contemporain de James Coburn "Hard Contract". Au même moment, les films de Harry Kumel ont également exposé l'étrangeté trouvée dans le paysage flamand avec "Daughters of Darkness" et "Malpertuis", transformant ce coin de l'Europe du Nord en un paysage cérébral de terreur et d'effroi solitaires.
André Delvaux

À cette époque, Delvaux produit une autre méditation mystérieuse sur les relations humaines, avec "Rendez-vous à Bray" en 1971, avec Mathieu Carrière et Anna Karina. Le film, qui se déroule pendant la Première Guerre mondiale, semble centré sur deux amis divisés par le conflit, les femmes et l'ambition. Bien qu'il manque l'élément fantastique de son prédécesseur, le film conserve une atmosphère similaire de mystère insondable.

Au début d'"Un soir, un train", Matthias promet à sa mère qu'il déposera des chrysanthèmes sur la tombe de son père. En route vers le voyage en train qui changera sa vie, il erre dans le cimetière à la recherche de la tombe. Finalement, désespéré, il dépose les fleurs sur un terrain vide et se retire précipitamment. C'est une scène tout droit sortie du répertoire du chanteur belge Jacques Brel, un poète divisé à la fois par l'amour et la haine pour sa patrie. Dans ses chansons, Brel oscille entre la bonne intention de faire le bien et l'amertume et le désespoir correspondants que l'on trouve dans l'échec. Je vous laisse avec le « J'arrive » de Brel et les chrysanthèmes symboliques de son propre mémorial imaginaire. J'espère que Delvaux approuverait le lien :



marți, 20 august 2024

« FLIC STORY », un fleuron du polar à la française


Le vrai Borniche et le vrai Émile Buisson
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                                                       ALAIN DELON (Roger Borniche)


JEAN-LOUIS TRINTIGNANT
(Emile Buisson)


Inspiré des mémoires du commissaire Borniche, « FLIC STORY » comme certains millésimes, a très bien vieilli. On s’en souvenait comme d’un efficace polar « d’époque », du face-à-face de deux têtes d’affiche, mais à le revoir aujourd’hui, il vaut bien mieux que cela.


                                                   FLIC STORY, 1975

Dès les premières images, la précision de la reconstitution (décors, costumes, langage) épate. On est replongé dans l’immédiat après-guerre et c’est avec un intérêt quasi-documentaire qu’on assiste à la traque laborieuse d’un tueur évadé, par un inspecteur intelligent et besogneux, mais qui n’a rien d’un surhomme. Il faut à ce sujet, noter la subtile performance d’Alain Delon qui reste lui-même, tout en délaissant ses postures de mâle dominant, et parvient à se rendre crédible en petit fonctionnaire opiniâtre mais pas infaillible, fumant clope sur clope. L’acteur laisse même le champ libre à ses partenaires dans plusieurs séquences : sa visite à André Pousse à l’hôpital par exemple, tourne complètement autour de son partenaire, Delon n’étant que spectateur. C’est, mine de rien, un des meilleurs rôles de sa carrière. La sensation du film, c’est bien sûr Jean-Louis Trintignant, absolument terrifiant en braqueur psychopathe qui tue comme il respire. Une sorte de monstre froid, à l’œil éteint de grand squale qu’il incarne avec son habituelle douceur. À peine changé par un maquillage imperceptible (coiffure, sourcils foncés), le grand acteur génère un authentique malaise dès qu’il apparaît. Autour des deux stars, c’est une débauche d’excellents seconds rôles : Maurice Barrier, le fabuleux Paul Crauchet, le truculent Marco Perrin en commissaire atrabilaire, Renato Salvatori, Denis Manuel en flic tabasseur, la toute jeune Christine Boisson ou Catherine Lachens, époustouflante en prostituée braillarde dans une seule petite scène. Un excellent dialogue d’Alphonse Boudard, un constant souci du détail qui « fait vrai », quelques morceaux de bravoure remarquables comme l’arrestation de Buisson dans l’auberge, extraordinairement bien agencée et mise en scène, font de « FLIC STORY » un fleuron du polar à la française des années 70 et une des grandes réussites de l’inégal mais toujours intéressant Jacques Deray.

JEAN-LOUIS TRINTIGNANT, ALAIN DELON, CATHERINE LACHENS, MAURICE BIRAUD ET ANDRÉ POUSSE

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Flic Story, Jacques Deray, 1975

 Flic Story, Jacques Deray, 1975

Au début des années soixante-dix, les ouvrages de Roger Borniche connaissaient un très grand succès public. Ils racontaient tout en les romançant évidemment, des affaires auxquelles il avait été mêlé de près ou de loin dans l’immédiat après-guerre. Il participa à l’arrestation de quelques bandits célèbres, notamment celles de René Girier, dit René-la-canne, et d’Emile Buisson. Le premier n’a eu droit qu’à un film médiocre tourné par Francis Girod en 1977 avec Gérard Depardieu et Michel Piccoli. René Girier était pourtant un personnage hors du commun qui méritait mieux. Le second a toujours eu une mauvaise réputation, celle d’un tueur sanguinaire et un peu déséquilibré qui finit d’ailleurs sur l’échafaud. Curieusement d’ailleurs les romans de Borniche en dehors des deux que je viens de citer n’attireront guère le cinéma. Ces ouvrages avaient le mérite de revenir sur une période légendaire du milieu, celle qui suivait la Libération. Ils détaillaient les difficultés du métier, les longues traques qui devaient aboutir à l’arrestation de ces gros gibiers. L’amour du détail replongeait ainsi le public dans une France en train de disparaitre sous les coups de boutoir de la modernisation accélérée qu’on a connu à la fin des années soixante. Le film de Jacques Deray va jouer pour partie sur la nostalgie. Flic story, le roman aurait été selon Borniche lui-même encouragé par Alain Delon. Et c’est d’ailleurs ce dernier qui va produire le film.  

Flic Story, Jacques Deray, 1975

Nous sommes en 1947. Emile Buisson vient de s’évader de l’asile de fous où il était enfermé. C’est Borniche et son équipe qui sont chargé de l’affaire par la Sureté, leur patron espérant qu’il fera ainsi la pige à la Préfecture de Police. Tandis que Borniche cherche à le coincer, Buisson s’en va faire des casses avec sa petite bande, rackettant au passage les bourgeois dans des restaurants de luxe. Borniche va avoir l’opportunité de pister Buisson grâce à Raymond un bistroquet qu’il a retourné pour en faire un indic. Buisson s’est en effet réfugié chez son frère dans un quartier populaire de paris, à Gambetta. Les hommes de Borniche sont à deux doigts d’arrêter Buisson et sa bande. Mais les choses se passent très mal et Buisson arrive à s’échapper une fois de plus, son complice René Bollec ayant aperçu les peu discrètes chaussettes à clous qui cernent l’immeuble. Buisson comprend qu’il a été trahi par Raymond et s’en va le descendre. Il peut continuer son parcours sanglant, attaquant une usine où il rafle la paye. Bientôt Borniche va être mis sur la piste de Mario. Il fait mettre le restaurant où il a ses habitudes sur écoutes. C’est ainsi qu’il apprend que Mario doit rencontrer Buisson. Mais Buisson a repéré les poulets et parvient encore à s’échapper. Cependant comme il croit que Mario l’a balancé, il va le descendre. La bande à Buisson doit monter un coup, une perception. C’est Paulo le Bombé qui est sensé faire les repérages. Mais Borniche le piste et va le faire chanter à cause de sa femme tuberculeuse qui a besoin de pénicilline à une époque où elle est rare et chère. Paulo le Bombé va donner la planque de Buisson. Celui-ci se cache dans une auberge en retrait. Borniche, sa femme et ses deux équipiers qui se font passer pour des touristes vont l’arrêter. C’est un peu dangereux parce que Buisson est armé d’une grenade. Mais ils y arrivent après que Borniche ait ceinturé Buisson. L’arrestation étant bouclée, Borniche devra interroger le gangster sur les faits qui lui sont reprochés et à cette occasion ils vont sympathiser. Ce qui n’empêchera pas Buisson d’être guillotiné en 1956. 

 Flic Story, Jacques Deray, 1975 

Borniche propose à Raymond de devenir son indic 

A partir de la traque d’un bandit qui a réellement existé et qui a défrayé la chronique par ses meurtres à répétition, le film se veut une sorte de semi-documentaire sur les difficultés de la traque. Le scénario a été travaillé par Jacques Deray et Alphonse Boudard à partir du bouquin de Borniche. Il est assez linéaire et respecte ce que l’on sait d’Emile Buisson. Bien sûr il donne la part belle à Borniche. Son rôle est sans doute exagéré. En vérité dans toutes ces affaires qu’il a racontées, il a été un flic parmi tant d’autres. Mais le cinéma est là aussi pour simplifier les choses. A travers cette histoire, l’ambition du film est de produire une reconstitution soignée d’une époque révolue dans le Paris de l’après-guerre. Le ton sera à la nostalgie, notamment avec la voix off de Delon qui commente l’affaire au début et à la fin. Les difficultés de la traque sont compensées par le plaisir de la traque, mais aussi par la rencontre entre deux hommes qui finiront par sympathiser. Les références habituelles des films sur le milieu sont évoquées, le fameux code de l’honneur que personne ne respecte, les tendances sanguinaires et suicidaires de Buisson. Borniche est un leader et il a parfois du mal à retenir la hargne de ses troupes, il s’affrontera avec l’inspecteur Darros qui est très brutal. C’est peut-être la partie la moins crédible du film, car à cette époque dès que les flics agrafaient un truand, ils commençaient d’abord par lui mettre la tête au carré, avant de lui poser des questions. C’était la technique habituelle, histoire d’assouplir le caractère du prévenu, surtout si celui-ci était connu comme un bandit dangereux et violent. Souvent présenté comme un affrontement entre deux hommes, le film est d’abord l’histoire de Borniche, et Buisson est seulement le gibier. Les deux rôles ne sont pas du tout équivalents. Du reste on ne s’attardera guère sur la vie intime des gangsters. Certes on comprend bien qu’ils vivent un peu en famille, comme un clan, mais ils n’ont pas une très grande profondeur de caractère. Ils sont les ennemis de la société, donc pas de notre monde. Le scénario a tenté aussi de développer des relations entre Borniche et sa fiancée Catherine, histoire d’humaniser le personnage de l’inspecteur. Ce n’est pas très convaincant, et en outre, le fait de la faire participer à l’arrestation de Buisson n’apparait pas très crédible. Ça l’est encore moins compte tenu de l’époque à laquelle se passe cette histoire.

 Flic Story, Jacques Deray, 1975 

Borniche cherche sur le plan l’adresse du frère d’Emile 

Une grande partie de l’intérêt du film repose sur la reconstitution d’une époque. C’est ce qui est toujours le plus difficile, ici c’est plutôt bien fait, quoique les costumes de Delon me semblent un peu trop de bonne facture. Un inspecteur de police ne gagnait pas lourd à cette époque, et surtout pas de quoi se payer des fringues de vedette de cinéma. Ça pose moins de problème pour les truands qui, du moment qu’ils volent, ont forcément les moyens de se payer de belles fringues. Mais pour le reste les costumes et les tissus, les objets ont un bon aspect de vérité. Les lieux de Paris et de la banlieue sont utilisés intelligemment pour donner un parfum d’époque. En même temps le film va loucher du côté de Melville, par exemple dans la manière dont s’agence la poursuite dans le métro, ou les scènes dans la banlieue déserte. On peut regretter que le braquage de l’usine ne soit pas un peu plus soigné. Il nous paraît un peu trop rapidement expédié. En règle générale le film avance sur un faux rythme, parfois les scènes d’action sont sabotées, parfois on s’attarde sur des détails très mineurs, comme par exemple cette histoire avortée entre Emile Buisson et la jeune Jocelyne. Certes cela permet de faire apparaître Buisson comme un impuissant, ou comme quelqu’un dont la folie est le résultat de son peu d’implication dans les choses du sexe. Seule la scène de l’arrestation de Buisson pendant qu’il mange échappe à cette critique.

 Flic Story, Jacques Deray, 1975

Emile plaisante mais fait peur à Paulo le bombé 

La réalisation n’est pas mauvaise. Elle manque peut-être un peu de rythme et d’imagination, Jacques Deray n’a jamais été un très grand technicien, mais c’est ici un de ses meilleurs films avec La piscine. Il s’entendait bien avec Delon et l’a accompagné sur sept films, c’est même lui qui l’a le plus souvent dirigé. C’était un cinéaste dont l’essentiel de la carrière s’est fait dans le film policier, avec parfois quelques incursions vers le noir. Flic story montre assez bien ses qualités et ses limites. Les travellings sont discrets, et Deray n’abuse pas des changements d’angle intempestifs, ni de la grue. Mais elle fonctionne assez bien et s’appuie sur une bonne photographie de Jean-Jacques Tarbes qui a beaucoup travaillé avec Deray, sur La piscine, les deux Borsalino et qui avait aussi fait la photo de Deux hommes dans la ville. Il y a un bon travail sur les couleurs et donc la saisie des couleurs de l’automne et de l’hiver qui se marient avec le vert de l’imperméable de Borniche. La séquence du braquage du restaurant permet d’utiliser la profondeur de champ et de donner de la force à l’action. Les scènes d’action sont plutôt fonctionnelles, propres, mais sans génie à une ou deux exceptions près que j’ai déjà signalées. Les face à face, que ce soit Borniche avec Buisson, ou Borniche avec son frère sur un lit d’hôpital, sont proprement cadrés, avec des gros plans qui laissent beaucoup de marge à l’expression des acteurs. 

Flic Story, Jacques Deray, 1975 

Borniche vient examiner le cadavre de Mario 

L’interprétation c’est d’abord Delon, il a produit le film et s’y retrouve naturellement au centre. Il est très bien dans ce genre de rôle et ne joue pas les mutiques. Il est même plutôt bavard, sortant un peu de ses rôles trop sombres de voyou perdu. C’est la deuxième fois qu’il incarnait un flic. Il est épaulé ici par Jean-Louis Trintignant dans le rôle du tueur psychopathe. A cette époque la carrière de Trintignant patine un petit peu, il a multiplié les expériences et depuis Le voyou qu’il a tourné avec Lelouchil n’a plus connu le succès. C’est un acteur connu qui navigue entre des films d’auteur et des films où les vedettes sont nombreuses et l’histoire éclatée entre plusieurs personnages. Il est plutôt bien. Et c’est lui qui des deux personnages est le plus taiseux. Il arrive à imposer sa présence, malgré sa petite taille. Les seconds rôles sont occupés par des habitués de la filmographie polardière d’Alain Delon. Renato Salvatori, Paul Crauchet, Maurice Biraud, ou encore Marco Perrin. Il y a très peu de femmes. Claudine Auger interprète Catherine. C’est une actrice qui n’a jamais réussi à s’imposer, ancienne Miss France, ancienne James Bond Girl, elle n’a obtenu que des rôles de faire-valoir, Jacques Deray l’avait déjà dirigée dans un film assez mièvre, Un peu de soleil dans de l’eau froide, adapté de Françoise Sagan. Mais ici elle n’est pas mal, bien que son rôle soit assez peu étoffé. Maurice Barrier et André Pousse se font remarquer dans le bon sens du terme dans des interprétations solides de truands. Il faut donner une petite mention à Alphonse Boudard qui a écrit aussi les dialogues, il incarne un petit imprimeur qui donne dans les faux talbins. C’est un bon souvenir pour ceux qui, comme moi, ont aimé l’écrivain et ses créations langagières qui fut aussi un peu voyou avant de se ranger. 

Flic Story, Jacques Deray, 1975 

Un imprimeur de faux billets s’est fait coincer 

Le film a très bien passé l’épreuve du temps, même si ce n’est pas un chef-d’œuvre, il n’est pas assez noir pour cela. Peut-être aurait-il fallu donner plus de poids au personnage de Buisson, renforcer son côté psychopathe, mais cela aurait eu pour conséquence d’affaiblir le personnage de Borniche qui devait rester le sujet du film, aussi bien dans l’esprit de l’écrivain que dans celui de Delon. Le succès public a été au rendez-vous, et la critique pourtant généralement peu amène vis-à-vis des films de Delon a été pour une fois relativement bienveillante, bluffée sans doute par une reconstitution satisfaisante. L’aspect nostalgique qui va très bien finalement à Alain Delon, lui donne une patine intéressante. C’est une sorte de Borsalino qui se prendrait un peu plus au sérieux en refusant le côté parodique. La musique de Claude Bolling sera d’ailleurs bien moins sautillante, tout en rendant un hommage appuyé à l’époque.  

Flic Story, Jacques Deray, 1975

Emile Buisson est arrêté 

Flic Story, Jacques Deray, 1975

  Borniche passera de longs mois à interroger Buisson 

Flic Story, Jacques Deray, 1975 

Le vrai Borniche et le vrai Émile Buisson

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L'histoire

Roger Borniche (Alain Delon) est un inspecteur de police efficace, intègre et profondément humain, qui ne supporte pas les manières un peu trop "énergiques" qu’emploient ses collègues pour faire parler les truands. En septembre 1947, le commissaire (Marco Perrin) lui confie pour mission d’appréhender l’ennemi public n°1 de l’époque, Emile Buisson (Jean-Louis Trintignant), braqueur violent et dangereux qui vient de s’échapper de l'hôpital psychiatrique pénitentiaire de Villejuif. Alors qu’on pensait qu’il se tiendrait tranquille et qu’il allait être difficile à retrouver, non seulement Buisson exécute froidement ceux qui l’ont trahi mais continue à commettre ses cambriolages en semant les cadavres derrière lui en plein Paris. La chasse à l’homme n’étant pas concluante et l’enquête s’éternisant un peu trop au goût du commissaire, on retire l’affaire à Borniche. Ce dernier va néanmoins se retrouver sur le chemin du tueur alors qu’il enquête sur un cas de meurtre qui se révèle être lié au parcours sanglant de Buisson...

Analyse et critique

 

Hormis quelques titres de Jacques Becker ou Jean-Pierre Melville, tout au long de mes plus de quarante ans de cinéphilie, j’ai rarement vu des polars français être considérés par la critique comme des chefs-d’œuvre du Film Noir, alors que de l’autre côté de l’Atlantique d’innombrables films des années 30 à 70 étaient adoubés comme tels, il est vrai à juste titre pour la majorité. Ce que je lisais du cinéma de Jacques Deray à l’époque de la sortie de ses films ou lors de leurs passages à la télévision était parfois positif mais très rarement enthousiaste, le cinéaste n'étant pour la plupart jugé que comme un bon faiseur et/ou une sorte de sous-Melville. La politique des auteurs en était sûrement un peu responsable : les réalisateurs rangés par cette théorie journalistique dans la case des artisans étaient alors souvent un peu méprisés face aux "vrais artistes". De son côté, le classicisme dans notre cinéma national était lui aussi un peu vilipendé par l'appellation assez péjorative de "qualité française". Heureusement cette différence s’est aujourd’hui un peu aplanie et n’avait d’ailleurs pas vraiment lieu d’être. Mais ce débat s'étant déjà tenu à de nombreuses reprises ici et là, regardons plutôt devant nous ! Car lorsque je revisionne ces jours-ci Flic Story, je m’étonne de la relative tiédeur de l’ensemble de la presse : même si une large majorité s’accordait au moins légitimement pour saluer le métier de Deray - pas grand monde reniait les qualités du film -, cela n’allait souvent malheureusement guère plus loin.

 
 

Bref, sans aucun paramètre touchant à la nostalgie, ni par un réflexe de "mémoire courte" comme quoi le cinéma aurait été mieux avant, je n'hésite plus à être dithyrambique concernant certains de nos polars français jadis boudés par l’intelligentsia et je le dis sans détours : je considère Flic Story comme un chef-d’œuvre à l’instar de certains films tout aussi moyennement défendus et qui se rapprocheraient à mon humble avis de ce statut, tels certaines oeuvres de Georges Lautner (Mort d’un pourri), Gilles Grangier (Maigret tend un piège) ou José Giovanni (Le Gitan), autrefois également assez mal lotis. Tout comme les titres cités ci-avant, Flic Story ne devrait pas avoir à rougir face aux plus belles réussites outre-Atlantique signées John HustonHoward HawksRichard Fleischer ou Samuel Fuller pour ne citer que quatre noms peut-être encore connus auprès du grand public. Cela étant dit, le film de Deray étant l’adaptation de l’excellent roman éponyme et autobiographique de l’inspecteur Roger Borniche qui contait cliniquement sa traque de l’ennemi public N°1 après-guerre, il n’y a pas grand-chose à creuser au niveau analytique car l’intrigue est on ne peut plus classique et "se contente" presque tout du long de narrer assez froidement l’enquête qui va amener à la capture du fameux Emile Buisson, d’une manière très linéaire et sans aucun flash-back. D'où peut-être son manque de reconnaissance, beaucoup cherchant absolument au cinéma à trouver quelconque ambition psychologique ou message intellectuel. Mais voilà, l’épure classique peut se révéler donner un résultat parfait et c’est le cas ici d’autant plus que les participants au film ont tous accompli un travail remarquable.

Mais contrairement à ce qu’il pourrait donner à penser, y compris par ma description précédente, et même si Borniche est un pur et Buisson un salopard, le film de Deray n’est pas aussi manichéen, témoin cet épilogue qui voit des relations pleines de respect s’être nouées entre le chasseur et sa proie. Et auparavant, Borniche un peu déprimé au vu de la stagnation de son enquête, se posait la question de savoir s’il n’aurait pas préféré être dans la peau du bandit. Des fragments d’ambiguïté qui rendent le film encore plus riche et passionnant même si les auteurs ne s'appesantissent pas dessus. Borniche fut un inspecteur de police dans les années 40 et 50 qui se mit à écrire pas moins d’une trentaine de livres pour raconter ses exploits, et pas des moindres puisqu’il a participé à la répression du grand banditisme à grande échelle et qu’il prétendait avoir plus de 500 arrestations à son actif, dont celles de pointures comme non seulement Emile Buisson mais aussi René la Canne (qu’interprétera Gérard Depardieu dans le film homonyme de Francis Girod) ou encore Pierrot le fou que Jean-Luc Godard a immortalisé dans son chef-d’œuvre. N’ayant pas relu ce best-seller que fut Flic Story depuis une éternité et ne pouvant le comparer avec le film malgré parait-il sa grande fidélité, Deray a fait en tout cas de Borniche/Delon un policier honnête, minutieux, efficace et profondément humain, par exemple révulsé par les comportements violents de ses collègues quand il s’agit d’interrogatoires des prévenus. Denis Manuel est d’ailleurs excellent dans le rôle inquiétant de cet inspecteur hargneux presque plus antipathique que les truands qui lui passent sous la main.

 
 

A l’origine, Delon, producteur du film, souhaitait s’attribuer le rôle de Buisson ; on ne regrette pas qu’il ait changé son fusil d’épaule car l’on voit mal qui aurait pu être meilleur que lui dans ce rôle d’officier de police. Encore une interprétation mémorable de cet immense acteur - on ne le dira jamais assez - dont la filmographie, tout du moins dans cette décennie 70, est impressionnante, succession d’une dizaine d’autres très grands films. Il sera donc Borniche ! Souhaitant en son for intérieur être promu, le policier saute sur l’opportunité qui se présente à lui, celle d’appréhender le plus dangereux malfrat de l’époque qui vient de s’évader et qui continue à égrener les cadavres sur son passage. Le film décrira minutieusement le travail assidu de ce flic méthodique, hors du commun mais pas super-héros pour autant, lui arrivant de craquer ou de douter et même de se remettre en question, préférant le plus possible la réflexion à l’action pour arriver à ses fins. Borniche lui-même a affirmé s’être reconnu à travers le jeu sobre et nuancé d’un Delon magistral. Face à lui, un Jean-Louis Trintignant tout aussi impressionnant dans un total contre-emploi, incarnant ici avec un minimalisme assez glaçant un psychopathe cruel et impitoyable qui n’hésite jamais à jouer de la gâchette, jamais pour blesser mais toujours pour tuer. Un loup solitaire extraordinairement inquiétant avec son regard froid, son mutisme gênant et son sourire carnassier. Un vrai rôle de composition dont le comédien se sort haut la main. Difficile de dire qui des deux acteurs est le plus convaincant tellement ils s'avèrent tout aussi fabuleux l’un que l’autre. Mais pour en revenir à Trintignant, Buisson lui sert l'un de ses rôles les plus marquants ; si jamais vous aviez l'intention de rendre un hommage à ce fabuleux comédien qui vient de nous quitter il y a quelques jours, le 17 juin 2022, c'est l'occasion rêvée.

 
 

Borniche et Buisson ne se croiseront qu’à la toute fin, tout d’abord lors de la scène la plus mémorable du film, son point d’orgue, celle assez longue de la neutralisation et de l'arrestation du criminel dans une petite auberge de province, une séquence millimétrée et orchestrée avec génie, un véritable modèle d’écriture, de rythme, de tempo et de construction ! Mais le seul véritable et très rapide face-à-face entre les deux comédiens n’aura lieu que lors de l’épilogue ; pour les admirateurs des deux acteurs, cette attente a pu causer une déception à la hauteur par exemple de celle de Heat de Michael Mann dans lequel De Niro et Pacino ne se retrouvent également ensemble que lors de quelques minutes. Quoi qu’il en soit, voici un finale qui se déroule durant l’instruction du meurtrier et qui montre les liens qui se tissent entre le flic et le voyou, une complicité empreinte d'un immense respect de part et d'autre. Mais Delon et Trintignant ne sont pas seuls ; ils sont entourés par toute une galerie de seconds rôles eux aussi parfaitement bien dirigés par Deray. A commencer, dans la peau de l’épouse de Borniche, par la sublime Claudine Auger, surtout connue pour avoir été la James Bond Girl Domino dans Opération Tonnerre de Terence Young. Il faut également citer Henri Guybet dans un rôle pour lui aussi totalement inhabituel, celui d’un des assistants de Borniche, ainsi que Marco Perrin dans celui du commissaire survolté. Mais nous nous souviendrons surtout de deux fortes apparitions dans deux séquences homériques de par leur jeu d'acteur : celle de la confrontation entre Delon et André Pousse (le frère de Emile Buisson) à l’hôpital ainsi que celle de l’hôtel de passe tenu par Maurice Biraud au cours de laquelle Catherine Lachens en prostituée extravertie vient nous offrir un savoureux numéro.

 
 
 

Le scénario de Alphonse Boudard, qui nous fait alterner d’un côté le parcours ensanglanté de Buisson entre son évasion et son arrestation, de l’autre l’enquête de Borniche avec ses interrogatoires, écoutes, méthodes scientifiques, pression des indics, etc., démontre un travail aux petits oignons, nous décrivant à la perfection le petit microcosme de la police ainsi que le monde des truands. L’ensemble est très crédible, la reconstitution d’époque très soignée, l’atmosphère de l’après-guerre parfaitement bien rendue avec notamment des allusions aux grèves réprimées de l’époque, aux films à l’affiche comme Le Diable au corps de Claude Autant-Lara que le couple Borniche souhaite aller voir, aux difficultés qu'il fallait encore pour s’approvisionner correctement, et avec aussi moult détails aujourd’hui pittoresques comme les pompes à essence actionnées à la main, les tractions Citroën... Souvent les reconstitutions d’époque par leur trop-plein ont un rendu factice ; ce n’est pas du tout le cas ici où la surenchère a été bannie. Quant à la mise en scène de Deray déjà évoquée à plusieurs reprises, elle est au diapason de l’ensemble, sans graisse inutile, et n’a jamais été aussi soignée et précise, pas avare pour autant de superbes plans aux éclairages très travaillés.

 
 

Flic Story est un Film Noir rigoureux au savoir-faire incontestable et d’une solidité à toute épreuve, porté par un casting de platine, un superbe thème musical de Claude Bolling et une magnifique photographie de Jean-Jacques Tarbès, tous deux fidèles collaborateurs d'un cinéaste qui signe ici probablement son chef d’œuvre. Le public ne s’y trompera pas, qui lui fera un triomphe avec quasiment deux millions de spectateurs à la clé. Ce que nous retiendrons néanmoins, c’est avant tout la lutte à distance que se livrent deux personnages "bigger than life" et leurs deux interprètes qui trouvent ici parmi leurs plus beaux rôles malgré des filmographies respectives impressionnantes et de grandes prestations en nombre. Nous terminerons, en même temps que le film, avec cette superbe idée que le plan final sur Alain Delon qui d'un coup se tourne face caméra pour nous dire, les yeux dans les yeux, la date à laquelle eut lieu l’exécution d'Emile Buisson :

Par Erick Maurel - le 1 septembre 2022