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SIMONE SIGNORET ET YVES MONTAND
Pendant plus de trente ans, Simone Signoret a partagé sa vie avec Yves Montand. Le couple a su résister à quelques orages et péripéties périlleuses, prenant ainsi le monde du cinéma une valeur d'exemple. Les couples célèbres au cinéma sont nombreux, mais il est rare qu'ils durent très longtemps, surtout lorsqu'il s'agit de deux grandes vedettes également. Yves Montand et Simone Signoret constituent à cet égard une des plus notables exceptions connues. Tous deux sont nés en 1921, mais dans des milieux bien différents. Lui s'appelle de son vrai nom Ivo Livi, il est né en Italie, et ses parents ont émigré quand il était enfant. Fils de très modestes ouvriers, il grandit à Marseille en milieu populaire et doit rapidement gagner sa vie. Chanteur amateur, il va vite se tourner vers le music-hall. Elle, de son vrai nom Simone Kaminker, est née en Allemagne (c'est le temps de l'occupation française) dans un milieu bourgeois. Son enfance et ses études se déroulent à Neuilly sans histoire jusqu'à la guerre, et même jusqu'à l'armistice, qui trouve la jeune Simone Kaminker bachelière mais dans une situation difficile. En effet, son père, qui est juif, a gagné l'Angleterre laissant femme et enfants sans ressources. Simone doit donc travailler. Curieusement, elle trouvera son premier emploi comme secrétaire de Jean Luchaire, journaliste ultra-collaborationniste (il sera fusillé après la Libération) qu'on appelle le "führer" de la presse parisienne et qui dirige Les Nouveaux Temps où Simone va travailler environ un an. C'est un premier contact indirect avec le monde parisien et même avec le cinéma, car son patron est le père de la jeune vedette alors très célèbre, Corinne Luchaire et lui-même choisit volontiers ses nombreuses maîtresses parmi les jeunes actrices de l'écran. Sous le signe des PrévertEn 1941, Simone rencontre plus directement le cinéma en décidant de faire de la figuration pour arrondir ses fins de mois. Elle apparaît jusqu'à la Libération dans une demi-douzaine de films, dont Les Visiteurs du soir (1942) où sa beauté éclatante frappe Arletty et Adieu Léonard (1943) où elle se lie avec la bande des frères Prévert, qui colonise depuis longtemps Saint-Germain-des-Prés. Mais ses apparitions demeurent aussi fugitives qu'anonymes. Pour Yves Montand, la période de l'Occupation est nettement plus favorable et il en profite pour devenir vedette ou presque. C'est qu'entre-temps son existence et sa carrière ont été prises en main par Edith Piaf, alors à son zénith, et qui s'y entend comme personne pour lancer ses protégés, quand ils sont doués (ce qui est souvent le cas). A la veille de la Libération, ils passent au même programme du Moulin-Rouge. L'année 1945 marque les vrais débuts au cinéma de Simone Signoret, et aussi d'Yves Montand. Celui-ci est le partenaire d'Edith Piaf dans un médiocre film vite oublié, Étoile sans lumière, tandis que Simone obtient son premier grand rôle dans Les Démons de l'aube, un film de guerre réalisé par Yves Allégret qu'elle épouse la même année, et dont elle a une fille, Catherine, en 1946. Mais la carrière de Simone démarre mieux que celle d'Yves. Tandis qu'elle triomphe successivement dans Macadam (1946) dernier film de Jacques Feyder (en tant que superviseur seulement) et surtout dans Dédée d'Anvers (1947) d'Yves Allégret. Montand se trouve associé au désastre aussi excessif qu'immérité des Portes de la nuit (1946) de Carné-Prévert, où il avait remplacé tant bien que mal Gabin, dans un rôle écrit sur mesure pour ce dernier. Après un médiocre film de boxe, L'Idole (1947), le cinéma va le bouder pendant de longues années, lui offrant tout juste deux ou trois "pannes". Montand s'en console en triomphant au music- hall et par le disque, grâce aux chansons de Prévert et Kosma, telles "Les Feuilles mortes" et "Les enfants qui s'aiment", créées dans Les Portes de la nuit, mais imposées par lui plus tard seulement. Après le succès de Dédée d'Anvers qui reprenait les vieux clichés d'avant guerre (filles, marins et ports d'Europe, chers à Mac Orlan), Yves Allégret tourne un nouveau film, très noir et d'une belle vigueur, avec sa femme : Manèges (1949). C'est le dernier. En effet, la même année, la jeune star et le chanteur à succès ont fait connaissance et ont très vite décidé d'unir leurs existences. C'était le début d'une longue histoire, promise à un bel avenir. "Casque d'or" et "Le salaire de la peur"La filmographie de Simone Signoret montre bien que, dans la période qui suit, elle a l'esprit ailleurs (le mariage aura lieu en décembre 1951), et il faudra attendre Casque d'Or (1952) de Jacques Becker, son plus. beau rôle, pour la voir renouer avec le succès. Après ce chef-d' œuvre, voici en effet Thérèse Raquin (1953) de Carné, et surtout Les Diaboliques (1955) de Clouzot qui lui apportent de grandes satisfactions personnelles. C'est au même moment que la carrière cinénmatographique d'Yves Montant repart en flèche, grâce à Clouzot encore, et à son fameux Salaire de la peur (1953), où, pour la première fois, le chanteur devait incarner un personnage conforme à son tempérament et à ses possibilités, celui d'un camionneur aventurier, transporteur de nitroglycérine. Les Héros sont fatigués (1955) d'Yves Ciampi essaya en vain de renouveler pareil succès ; quant à Marguerite de la nuit (1955), variation d'Autant-Lara sur le thème de Faust d'après Mac Orlan, ce fut, en dépit de la présence de Michèle Morgan, un échec sans appel. En 1956, pour la première fois, Yves Montand et Simone Signoret tournent dans le même film ; c'est l'adaptation par Jean-Paul Sartre de la fameuse pièce d'Arthur Miller (le mari de Marilyn Monroe), Les Sorcières de Salem. La réalisation de Raymond Rouleau n'est pas tout à fait à la hauteur, mais avec une telle affiche le film attire tout de même les spectateurs. Tandis qu'Yves Montand s'égare ensuite dans deux ou trois films sans intérêt, pour Simone Signoret, le film suivant sera celui de la consécration internationale : tourné en Grande-Bretagne, Les Chemins de la haute ville (Room at the Top, 1959) de Jack Clay ton la voit sacrer meilleure actrice par le Festival de Cannes en 1959 et aussi par la London Film Academy, et lui vaut l'Oscar d'interprétation féminine à Hollywood en 1960. Sa carrière est alors à son apogée. En 1960, celle de Montand, qui marquait un peu le pas, rebondit de plus belle, également grâce à Hollywood ; il va y tourner un film américain, mis en scène par George Cukor, Le Milliardaire (Let's Make Love). Sa partenaire féminine n'est autre que la dernière superstar de l'époque, Marilyn Monroe, qui a réussi à faire oublier les Greta et les Marlene d'antan. Très vite, les journaux rapportent qu'entre Marilyn et Montand, les rapports ont cessé d'être strictement professionnels, et bientôt la presse du monde entier est pleine d'articles sur cette nouvelle idylle qui passionne l'opinion publique, comme aux plus beaux jours du Hollywood de jadis. C'est une période difficile pour Simone Signoret, qui la traverse avec beaucoup de dignité, avec aussi, semble-t-il, l'assurance de celle qui est certaine d'avoir le dernier mot. Cette rivale trop éclatante, dont l'instabilité et les nombreux caprices sont célèbres, et qui n'a plus que deux ans à vivre, elle ne va pas tarder, en effet à s'effacer et à disparaître, rapide comme une apparition, de la vie du couple français, à qui, en fin de compte, Hollywood n'aura guère réussi. Le Milliardaire, malgré ses qualités réelles, n'est pas Un triomphe et encore moins les autres films américains de Montand, Sanctuaire (Sanctuary, 1960) ou Ma Geisha (My Geisha, 1961). Deux acteurs comblésEn 1965, Simone Signoret et Yves Montand se retrouvent ensemble à l'affiche du premier film d'un jeune cinéaste promis à un bel avenir : Compartiment tueurs de Costa-Gavras. Ces retrouvailles cinématographiques ne faisaient que consacrer celles qui s'étaient produites dans la vie depuis longtemps. Malgré cela, les deux vedettes continuent de tourner très rarement ensemble, et il faudra attendre que le même metteur en scène les réunisse encore une fois dans L'Aveu, en 1970. En effet, par un curieux chassé-croisé, comme leur vie en a beaucoup compté, c'est maintenant Simone Signoret qui tourne à son tour à Hollywood. Cette nouvelle carrière est d'ailleurs assez décevante : ni La Nef des fous (Ship of fools, 1965) de Stanley Kramer, ni M15 demande protection (The Deadly Affair, 1967) ou La Mouette (The Seagull, 1968) tous les deux de Sydney Lumet, n'ajoutent grand-chose à la gloire de la vedette de Casque d'Or. Il lui faudra revenir en France pour retrouver de bons rôles et de bons films, avec L'Armée des ombres (1969) de Melville ou L'Aveu (1970). A partir des années 1970, sa carrière va prendre une nouvelle orientation. Très changée physiquement, alourdie et vieillie prématurément, Simone Signoret, qui ne rappelle plus la jeune beauté de Dédée d'Anvers, va se consacrer à des rôles de composition, dans des films de valeur inégale, où il lui arrive de succomber à la tentation de jouer les monstres sacrés : Le Chat (1971), La Veuve Couderc (1971), Police Python 357 (1975), La Vie devant soi (1977), Chère Inconnue (1980), etc. En dépit des nombreux prix, Césars et autres récompenses que lui rapportent ces rôles d'une subtilité parfois relative, il est permis de préférer d'autres périodes de sa riche carrière. Pour Yves Montand, au contraire, sa position au sein du, cinéma français ne va cesser de grandir et de se consolider, à partir des années 1970. La cinquantaine lui va bien, la soixantaine également. A partir de l'immense succès international de Z (1969) de Costa-Gavras, il va tourner sans arrêt, avec les metteurs en scène les plus variés, d'Oury à Godard, de Minnelli à Losey, de Melville à Corneau, de Pinoteau à Rappeneau et de Verneuil à De Broca. On notera certaines fidélités à Rappeneau ou Corneau, et surtout à Costa-Gavras et Claude Sautet. Ces deux derniers ont beaucoup contribué à modeler son personnage de contemporain bien enraciné dans son siècle, le premier tourné vers les drames de l'action politique, le second plus axé sur les réalités de la vie courante. Montand leur doit beaucoup à l'un et à l'autre. Devenu star lui-même, il a eu comme partenaires les plus grandes stars de son époque, Barbra Streisand, Jane Fonda, Romy Schneider, Catherine Deneuve, Annie Girardot, Ingrid Thulin... sans oublier Louis de Funès à l'envahissante présence auquel il résistait fort bien dans La Folie des grandeurs (1971). Le départ manqué des Portes de la nuit est aujourd'hui bien effacé, et, après presque quarante ans de carrière, Yves Montand apparaît comme un des acteurs les plus comblés du cinéma français. Une incontestable honnêtetéOn ne serait pas complet si on n'évoquait le rôle public, tenu depuis tant d'années par le couple Montand-Signoret, au sein de la vie politique nationale. Longtemps proches du parti communiste, ils soutinrent ses prises de position, signant à tout propos pétitions et manifestes, comme cet autre couple célèbre Aragon-Elsa Triolet. Puis vinrent le XXe Congrès du parti, Budapest, la déstalinisation, les révélations sur le goulag par Soljenitsyne et les autres dissidents… Ce fut le temps des désillusions que Simone Signoret a bien évoqué dans ses excellents Mémoires parus sous le titre "La nostalgie n'est plus ce qu'elle était", en 1976, et qui furent un gros succès de librairie. Resté fidèle à l'idéal de générosité de sa jeunesse, le couple est revenu de bien des erreurs, et avec beaucoup de bonne foi Yves Montand l'a rappelé en maintes occasions. Il serait facile de sourire de certaines naïvetés, on aimera même rendre hommage à cette forme d'honnêteté intellectuelle. Avec autant d'enthousiasme que jadis, le couple continue à s'enflammer pour des causes mieux choisies, comme la Pologne de Lech Walesa, et à mettre à leur service le crédit considérable que leur vaut leur réputation cinématographique. Ce phénomène moderne, dont nul plus qu'eux n'a bénéficié et n'a su se servir, appartient aussi et pour une part qui n'est pas mince, à l'histoire d'Yves Montand et de Simone Signoret. LES PORTES DE LA NUIT – Marcel Carné (1946) CASQUE D’OR – Jacques Becker (1952) THÉRÈSE RAQUIN – Marcel Carné (1953) LES DIABOLIQUES – Henri Georges Clouzot (1955) LET'S MAKE LOVE (Le Milliardaire) - George Cukor (1960) VISAGES FAMILIERS DU CINÉMA FRANÇAIS (partie 1) VISAGES FAMILIERS DU CINÉMA FRANÇAIS (partie 2) |
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