Jérôme BIMBENET
Historien du cinéma, Jérôme Bimbenet est l'auteur de Quand la cinéaste d'Hitler fascinait la France (2006) et Film et histoire(2007).
Jérôme Bimbenet, Quand la cinéaste d’Hitler fascinait la France, Leni Riefenstahl
Jérôme Bimbenet, Quand la cinéaste d’Hitler fascinait la France, Leni Riefenstahl. Paris, Lavauzelle, coll. Histoire, mémoire et patrimoine, 2006, 312 p.
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Texte intégral
1À la fin du mois de mars 2007, l’actrice américaine Mia Farrow, ambassadrice de l’unicef, se disait scandalisée que le cinéaste Steven Spielberg soit rémunéré par la Chine en tant que consultant, en vue de préparer les Jeux Olympiques de 2008 (Éditorial du Wall Street journal 28/03/07). Faisant référence à la fois à l’implication de Pékin dans les crimes génocidaires perpétrés par le régime soudanais au Darfour et à l’activisme de Steven Spielberg en faveur de la mémoire de la déportation et de la destruction de Juifs d’Europe, l’actrice brandissait la comparaison la plus dégradante à ses yeux pour stigmatiser les compromissions du cinéaste : « Does Mr. Spielberg really want to go down in history as the Leni Riefenstahl of the Beijing Games ? » [M. Spielberg veut-il vraiment rester dans l’histoire comme le Leni Riefenstahl des jeux de Pékin ?]. Il n’a pas fallu attendre une semaine pour que le réalisateur incriminé envoie une lettre au sujet du Darfour au leader chinois Hu Jintao.
2Le constat est sans appel : le nom de Leni Riefenstahl reste indissolublement lié aux heures sombres de l’Allemagne et garde son odeur de soufre. Pourtant, alors que les années passent, son œuvre pourrait légitimement être redécouverte, réévaluée à la lumière de nouvelles contributions critiques ou de recherche. Mais c’est l’inverse qui se produit : après un semblant de réhabilitation dans les années 90, elle redevient abusivement l’icône du national-socialisme à l’heure de la médiatisation de masse, scénographe de la gloire nazie et par extension muse d’Adolf Hitler Un travail de dépoussiérage s’impose donc, dans une nécessaire remise en perspective des mécanismes du f Im documentaire et de la propagande d’État à l’âge des totalitarismes. Contribution d’importance à ce travail de redécouverte d’une œuvre complexe, la recherche de Jérôme Bimbenet sur Leni Riefenstahl passionnera d’abord ceux qui s’intéressent au cinéma produit sous le IIIe Reich. On y trouve une somme considérable d’informations nouvelles que le chercheur ne pouvait jusqu’ici découvrir ni dans les propres ouvrages de la cinéaste (ses mémoires controversés et ses albums de photographie, les plus fameux portant sur les Noubas), ni dans les quelques analyses esthétiques ou historiques que son travail avait jusque là suscitées.
3Pourtant, Jérôme Bimbenet ne parvient pas vraiment à situer le registre de son travail. Dès les premières lignes, l’auteur proteste : Quand la cinéaste d’Hitler fascinait la France n’est pas une biographie de Leni Riefenstahl, mais une étude de la réception de ses films en France. L’auteur y épouse malgré tout le déroulement chronologique d’une carrière pleine de péripéties, d’une vie rocambolesque. Sans doute ce qui distingue cet ouvrage est qu’il s’appuie sur des analyses de film approfondies, des études de la presse de l’époque, des éléments d’analyse d’image et de lecture de f Im. Il en résulte un travail un peu hétéroclite, mais qui donne une bonne occasion de revenirsur la trajectoire unique de la cinéaste à travers le filtre de l’accueil que ses f Ims ont reçu en France.
4Leni Riefenstahl naît en 1902 dans la bourgeoisie berlinoise. Après des débuts de danseuse, dans le sillage de Max Rheinardt notamment, elle se tourne vers le cinéma au milieu des années 20, à la suite d’une blessure. Ses premières réussites en tant qu’actrice sont à mettre à l’actif du spécialiste des films de montagne de l’époque, Arnold Franck Der heilige Berg (La montagne sacrée) est la grande œuvre de cette époque (1926) et conduit Leni Riefenstahl, désormais prototype de l’Allemande élancée et sportive, sur les plateaux du grand cinéaste Georg W. Pabst. En 1929, Die weisse Hölle vom Piz Palü (Prisonniers de la montagne) est le deuxième échelon de cette marche triomphante vers les hautes cimes du cinéma germanique. Alors qu’elle enchaîne Tempêtes sur le Mont Blanc et autres Ivresse blanche avec Arnold Franck, Georg W. Pabst pousse l’actrice à passer derrière la caméra. En 1932, son premier film Das blaue Licht (La lumière bleue) ne retient l’attention que de quelques cinéphiles, parmi lesquels on compte Adolf Hitler. Leni Riefenstahl découvre quant à elle son futur commanditaire dans un meeting du Sportpalast en 1932. C’est l’enthousiasme : « À l’instant où il prit la parole, je me trouvais submergée de façon ahurissante par une vision quasi-apocalyptique qui ne me quitterait plus : j’eus l’impression très physique que la terre s’entrouvrait devant moi comme une orange fendue par son milieu et jaillirait un jet d’eau immense, si puissant et si violent qu’il attendrait le sommet du ciel et que la terre en serait secouée dans ses fondements » (p. 26).
5Dès lors, son parcours est inséparable de celui qui, en 1933, devient Führer de l’Allemagne et la propulse pour longtemps au purgatoire des cinéastes maudits. Dès l’avènement du nouveau Reich, Leni Riefenstahl devient une figure de proue du régime, malgré l’inimitié persistante que lui voue le docteur Goebbels, Gauleiter de Berlin et chef de la propagande nationale-socialiste, inimitié que la cinéaste met sur le compte du dépit amoureux. Cinéaste officielle en chef la réalisatrice bénéficie également de l’épuration des studios impulsée par le nouveau pouvoir : le départ des cinéastes, des producteurs et des techniciens majeurs de Weimar pour la France ou les États-Unis laisse l’industrie du cinéma allemand en jachère : les « Unes » de la presse spécialisée sont disponibles pour de nouvelles têtes d’affiche.
6Finalement, Leni Riefenstahl signe peu de films à la gloire du national-socialisme : Der Sieg des Glaubens en 1933, Tag der Freiheit et Triumph des Willens en 1935, Festliches Nürnberg en 1937 et Olympia en 1938. Ce n’est pas grand-chose, comparé à la production documentaire de masse de la propagande nazie. Mais Leni Riefenstahl a d’emblée fait le choix de la qualité au détriment de la quantité. Les premiers films sont des esquisses, certes décisives, mais la grande œuvre reste celle de 1938, superproduction diffusée en France sous le titre resté fameux Les dieux du stade. Jérôme Bimbenet relate tout ce qu’il faut savoir sur la genèse de ces différents films, sur les pratiques techniques, professionnelles et relationnelles de la cinéaste, qui invente littéralement un nouveau vocabulaire filmique, dédié à la gloire du régime nazi. L’auteur montre avec clarté comment ces films constituent également une matrice pour l’ensemble des films de propagande à venir : le cinéma américain des années 1942-1946 s’est largement inspiré d’un corpus d’images fourni parles équipes de Leni Riefenstahl. Au-delà, des films plus récents de science-fiction ou d’anticipation s’en réclament également. La réalisatrice a indubitablement inventé une nouvelle forme de regard sur la société et marqué l’histoire des formes au XXe siècle. Jérôme Bimbenet offre une vue imprenable sur cette carrière, conduite au culot par une pionnière sans équivalent dans les cinématographies du monde libre (on chercherait en vain une femme réalisatrice de prestige en France, en Angleterre ou à Hollywood dans les années 30).
7La fin de carrière est également intéressante. Par sa longévité, d’abord : une rallonge d’une cinquantaine d’années, pendant laquelle la grande dame visite la planète caméra au poing, à la recherche du beau intégral, qu’elle trouve tantôt sous les océans, tantôt parmi les peuplades primitives. Intéressante également parce que dans cette interminable fin de parcours (elle décède en 2003, à l’âge de 101 ans), la cinéaste s’épargne toute forme d’autocritique ou besoin de justification, contrairement à un Veit Harlan, tourmenté jusqu’au bout par ses démons. Il faut dire que Leni Riefenstahl n’a jamais fait de film antisémite et a pris quelques distances avec les hiérarques nazis à partir de 1937 (même si sa relation privilégiée avec Albert Speer a duré jusqu’à la fin des années 60). Seul impair aux yeux des victimes des crimes nazis : l’emploi certainement forcé de figurants tziganes, « empruntés » au camp de concentration de Maxglan dans son film Tiefland (grand projet commencé en Espagne en 1934, tourné pendant les années de guerre avec l’aide de Georg Wilhelm Pabst et achevé au début des années 50 grâce à Henri Langlois). La cinéaste a longtemps nié avoir compris d’où venaient ces figurants et où ils allaient (ils ont vraisemblablement été gazés à Birkenau), jusqu’à ce que des témoignages tardifs l’incriminent directement. Cette polémique entamée au début des années 50 la poursuivra jusqu’en 2002 lorsqu’elle « s’engagea par écrit à ne plus jamais déclarer qu’il restait des survivants parmi les Tsiganes de Tiefland » (p. 287). Il semble tout de même que sa découverte de la nature profondément criminelle du national-socialisme date de septembre 1939, lorsqu’un massacre de civils polonais s’est déroulé sous ses yeux. Malgré cela, elle gardera une nostalgie pour la grandeur des premières années du IIIe Reich, comme s’il n’existait aucune relation entre ces différents moments de sa vie. Ne confiait-elle pas lors des Jeux de Munich en 1972, face au stade de la ville, plus imposant mais moins élégant que le Sportpalast de 1936 : « C’est grand, oui, mais ce n’est pas beau. La beauté est kaputt ! ». Nous touchons là aux limites d’un personnage faussement énigmatique, qui semble parfois dépourvu de toute forme de conscience, de besoin de comprendre, comme si l’argument esthétique valait tous les autres.
8Mais Jérôme Bimbenet analyse surtout, et c’est le sens de son travail, la réception des différents films de Leni Riefenstahl en France, postulant que les dirigeants du Front populaire sont allés puiser chez elle leur engouement pour la culture physique et la vie au grand air II le fait à grand renfort d’extraits d’articles de la presse de l’époque. C’est sans doute là que l’entreprise de Jérôme Bimbenet devient hasardeuse : il y a bien eu un effet Riefenstahl dans la presse spécialisée française mais, pour autant, peut-on réellement parler de fascination, comme l’indique le titre de l’ouvrage ? Cet aspect a visiblement suscité des remous lors de la soutenance de thèse de l’auteur Laissons-lui la parole : « Les membres du jury avaient du mal à envisager la vision d’un Front populaire cherchant un modèle (même simplement sportif) en Allemagne nazie. La remise en cause d’une période intouchable de l’histoire de France récente a été difficilement acceptée. Les sources pourtant existent mais l’auteur de la thèse a pu se rendre compte que l’on ne pouvait impunément aller contre l’idéologie dominante (p. 289). Plus convaincante est l’analyse des films eux-mêmes et surtout la relation de la deuxième partie de la carrière de Leni Riefenstahl. Toutefois, on peut regretter que dans cet ouvrage, aucun élément ne soit donné s’agissant l’attitude et les activités de Leni Riefenstahl pendant la guerre. En effet, il y a en effet très peu d’informations dans la continuité du récit sur les années entre 1939 et 1945. L’auteur, s’il n’a rien trouvé à relater à ce sujet, aurait dû expliquer cette ellipse et renvoyer le lecteur à des ouvrages plus biographiques. Dernier point : quel est le sens de cette accroche racoleuse, qui n’est pas vraiment confirmée par l’analyse des sources : Quand la cinéaste d’Hitler fascinait la France ? Dommage que ce mauvais titre, inutilement polémique, reflète si mal la richesse de l’ouvrage qu’il désigne.
Pour citer cet article
Référence papier
Vincent Lowy, « Jérôme Bimbenet, Quand la cinéaste d’Hitler fascinait la France, Leni Riefenstahl », Questions de communication, 12 | 2007, 362-365.
Référence électronique
Vincent Lowy, « Jérôme Bimbenet, Quand la cinéaste d’Hitler fascinait la France, Leni Riefenstahl », Questions de communication [En ligne], 12 | 2007, mis en ligne le 12 avril 2012, consulté le 21 février 2021. URL : http://journals.openedition.org/questionsdecommunication/2475 ; DOI : https://doi.org/10.4000/questionsdecommunication.2475
Auteur
Vincent Lowy
Université Marc Bloch-Strasbourg 2
CREM, université Paul Verlaine-Metz
vincentetmarion@yahoo.com
« Histoire du cinéma nazi »
de Francis Courtade et Pierre Cadars
- Type
- ETUDES
- Sujet
- PAYS > ALLEMAGNE
- IDÉOLOGIE NAZIE, ALLEMAGNE, HISTOIRE DU CINÉMA
- Année d'édition
- 1972 (ÉPUISÉ OU DIFFUSION RESTREINTE)
- Editeur
- ERIC LOSFELD
- Collection
- (HORS COLLECTION)
- Langue
- FRANÇAIS
Taille du livre
- Format
- BROCHÉ • 397 PAGES • ? €
18 X 24 CM - ISBN
- -
- Appréciation
- (2 VOTES)
Description de l'ouvrage :
Prix littéraire du syndicat français de la critique de cinéma 1973 (alias prix Armand-Tallier).
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