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Genre : Drame, Romance

Année : 1950

Durée : 1h50

 

Synopsis : Norma Desmond, grande actrice du muet, vit recluse dans sa luxueuse villa de Berverly Hills en compagnie de Max von Meyerling, son majordome qui fut aussi son metteur en scène et mari. Joe Gillis, un scénariste sans le sou, pénètre par hasard dans la propriété et Norma lui propose de travailler au scénario du film qui marquera son retour à l'écran, Salomé. Joe accepte, s'installe chez elle, à la fois fasciné et effrayé par ses extravagances et son délire, et devient bientôt son amant. Quand son délire se transforme en paranoïa et qu'elle débarque au milieu des studios Paramount pour convaincre Cecil B. DeMille de tourner à nouveau avec elle, Gillis commence à prendre ses distances...

La critique : 

Bonjour à tous ! Je vous ai manqué n'est-ce pas ? Bon, trêves de bavardages car aujourd'hui me revient la tâche d'analyser l'un des plus grands chefs d'oeuvre de toute l'histoire du cinéma qui est, comme vous l'aurez remarqué, Sunset Boulevard ou "Boulevard du Crépuscule" en français. Sunset Boulevard c'est avant tout un film qui aura marqué toute une génération au moment de sa sortie, c'est aussi toute une constellation de récompenses et de critiques lui vouant quasiment un culte. Pour résumer, il recevra 11 nominations aux Oscars et en gagnera 3 mais beaucoup plus prestigieux encore, ce qui est à mes yeux la récompense la plus grande offerte à un film, il a été inclus dans la première sélection de films pour faire partie du National Film Registry. Ajoutez à cela le fait qu'il est toujours classé dans l'American Film Institute et toujours très bien placé (la 16ème place pour le top 100 de l'année 2007).
En gros, on obtient ici un des plus grands classiques du cinéma. Je ne vais pas laisser durer le suspense plus longtemps puisque je partage entièrement le culte fait autour de ce film, à tel point qu'il s'agit de l'un de mes films préférés. 

Le petit bonhomme caché derrière cette réalisation n'est autre que Billy Wilder, à qui l'on doit déjà quelques très grands films, à savoir Assurance sur la MortLe Gouffre aux Chimères (dont je ferai également les éloges dans ma 2ème prochaine chronique), ainsi que Certains l'Aiment Chaud et Sept Ans de Réflexion mettant en scène la superbe Marilyn Monroe. Pour vous montrer un peu la taille du CV du bonhomme, sachez que Certains l'Aiment Chaud sera classé premier dans l'American Film Institute dans la liste des films les plus drôles du XXème siècle, tandis qu'Assurance sur la Mort est considéré par Woody Allen comme le plus grand film jamais réalisé. Billy Wilder est assurément un réalisateur qui marquera, non pas seulement son époque, mais également les époques à venir. En quelque sorte, le Hollywood que nous ne retrouverons sans doute plus jamais. Ce film, ainsi que bien d'autres étant des témoignages de l'époque du grand Hollywood qui s'évertuait à faire des métrages de qualité avec des acteurs de talent. Mais bon, arrêtons d'être nostalgiques et revenons-en au film. 

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ATTENTION SPOILERS : Tout commence par une séquence d'ouverture nous présentant une scène de crime avec un corps flottant dans l'eau d'une piscine d'une mystérieuse villa avec une voix off de narrateur nous expliquant brièvement la situation. S'ensuit alors un flashback où nous suivons Joe Gillis, écrivain raté et criblé de dettes essayant d'échapper à 2 agents venus pour lui saisir son automobile. Une course-poursuite s'engage, un pneu éclate et Gillis parvient à se cacher lui et sa voiture dans l'allée d'une villa semblant abandonnée mais tenue par Norma Desmond, actrice du cinéma muet déchue, qui lui promettra une grosse somme d'argent pour résoudre son problème de dette en échange de l'écriture du script du prochain film marquant son retour au grand écran. FIN DU SPOILER. 

Nous voilà ainsi plongés dans la plus pure ambiance 50's où le cinéma parlant a complètement remplacé le cinéma muet d'autrefois. Le réalisateur nous lâche ici, comme j'ai l'habitude de le dire, un synopsis très attirant où se mêlera drame et romance. En effet, au fur et à mesure du scénario, Gillis va finir par devenir l'amant de Norma mais uniquement dans un but financier afin de résoudre ses dettes. Wilder nous met donc en scène un personnage égoïste et vénal, parfaite représentation du capitalisme où le besoin pécuniaire passe avant tout sentiment ou respect.
On pourrait donc déceler ici une critique du capitalisme moderne se heurtant à une Norma superbement interprétée par Gloria Swanson qui trouvera ici la consécration de sa carrière. Elle représente ici le symbole même de la fin d'une époque, star déchue autrefois adulée et maintenant oubliée. Voici une belle critique d'Hollywood n'hésitant pas à briser des carrières avec ses stars jetables mais pas seulement, car en effet la société en prend aussi pour son grade avec sa faculté d'être anesthésiée par les modes et tendances du moment. Sunset Boulevard, au-delà d'un scénario très efficace, est une véritable diatribe sur une société où la consommation, la mode et l'argent sont devenus des fers de lance guidant un peuple. Ca ne vous rappelle pas une certaine époque dans laquelle nous vivons ? 

Mais attention, au-delà du personnage principal incarné par William Holden, Norma n'est pas non plus à sauver vu qu'elle est non pas seulement hantée mais obnubilée par la gloire et la célébrité. Malgré sa tristesse et sa solitude, Norma n'en demeure pas moins ravagée intérieurement par le narcissisme que procure la gloire, un sentiment humain restant ancré à des degrés différents en chacun de nous.  Voilà pourquoi Sunset Boulevard est aussi intemporel car justement, ce qu'il dénonce est toujours d'actualité et de manière beaucoup plus présente qu'avant.
On soulignera d'ailleurs l'intelligence du récit à ne pas nous embarquer dans des leçons de morale à 2 sous pour nous dire que l'argent c'est pas bien et que la mode c'est moche. Ici rien de tout ça, Wilder reste amplement objectif et nous livre un récit entièrement neutre où on sera plus que confronté à toute la cupidité de la (future) société occidentale. Et rappelons que ce film a maintenant 66 ans au compteur. 

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Outre le fait de nous livrer une critique virulente toute en subtilité, Wilder sait travailler son film et du mieux possible. La photographie est tout simplement somptueuse avec ces plans sur la ville de Los Angeles et sur cette villa toute aussi déchue que sa propriétaire. Il arrive à donner une certaine âme à cette maison où le luxe côtoie une grande tristesse et mélancolie. On évolue ici dans une tragédie s'éclaircissant tout doucement en une lueur d'espoir pour Norma croyant avoir trouvé l'amour.
Même si sa personnalité reste très narcissique, la véritable cause de sa tristesse demeure être la solitude. Sentiment qu'elle ne pouvait éprouver auparavant et qui s'adresse à elle comme une claque dans la figure. Il ne fait aucun doute que Wilder a su travailler brillamment ses personnages en leur créant une personnalité torturée. Et quand les personnages principaux offrent une excellente interprétation, c'est le jackpot !

Si une atmosphère optimiste se mettra en place dans un premier temps, le réalisateur nous induira vite en erreur en basculant son récit dans la dernière partie du film où s'installeront désormais une tension omniprésente, une instabilité émotionnelle forte et une froideur de plus en plus persistante. Sunset Boulevard parvient à retourner ses spectateurs comme une crêpe en basculant dans les dernières minutes du film dans la folie la plus totale. Une tension que j'irai qualifier de similaire aux plus grands Hitchcock, un gage donc de très grande qualité. 

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C'est également à ce niveau que Sunset Boulevard excelle dans la qualité, c'est qu'il est imprévisible. L'intrigue n'est en rien stéréotypée et on ne devine pas directement la fin. Plus encore, l'attraction lors de la projection est permanente. Il faut vraiment le vouloir ou ne pas avoir dormi depuis 2 jours pour s'emmerder devant ce film. On peut également rajouter quelques séquences emblématiques comme le célèbre tango entre Gillis et Desmond, l'introduction du début étant clairement un clin d'oeil au superbe mouvement du film noir mais également la dernière séquence chaotique du film. Sunset Boulevard peut également se targuer de contenir quelques répliques également devenues cultes. Je citerai "Je suis une grande ! Ce sont les films qui sont devenus petits !"

En conclusion, Billy Wilder nous livre ici un véritable joyau cinématographique, un chef d'oeuvre appelé à être toujours voire de plus en plus d'actualité dans son propos où se rajoute un travail technique, sonore et esthétique proche de la perfection et le tout superbement interprété. Comme dirait Georges Clooney : "What else ?". J'ai vraiment essayé de chercher ne fut ce qu'un petit point négatif mais en vain, je n'ai rien trouvé si ce n'est qu'on a encore envie que le récit se poursuive. Je ne peux que remercier ce réalisateur pour ce film.

Note : 20/20 http://cinemachoc.canalblog.com/archives/2016/02/02/33294051.html

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Gloria Swanson : biographie

Gloria Swanson était une actrice américaine, née en 1899, le 27 mars. Elle était l’actrice et le modèle le plus connu pendant l’époque du cinéma muet (films silencieux). Cependant, sa popularité a diminué pendant les années 30, suite à des problèmes personnels. Aujourd’hui, elle est connue grâce à son rôle de Norma Desmond, dans le film Sunset Boulevard, de Billy Wilder (Boulevard du crépuscule, 1950).

Son enfance

Son nom d’enfance est Gloria Josephine May Swanson. Elle est née à Chicago, dans une petite maison. Elle est la fille d’Adelaide et de Joseph Teodore Swanson. Son père était militaire et il était issu d’une famille américaine suédoise.
Quant à sa mère, Adelaide, elle avait des racines allemandes, françaises et polonaises. Elle a grandi à Chicago, Puerto Rico et Key West (Floride). C’est sa famille qui l’a orientée vers le monde du cinéma. Ses parents se sont séparés quand elle était à l’école primaire.

Sa vie personnelle

Gloria Swonson était toujours bien soignée. C’est Joseph Kennedy qui s’est assuré de mettre à sa disposition les services de la plus célèbre thérapeute de Hollywood, Sylvia. En 1928, Gloria est devenue végétarienne. Sa biographie, intitulée "Swanson on Swanson" est sortie au début des années 1980. Elle a été publiée par la maison d’édition Randon House et elle est devenue best-seller.
Le livre a été traduit en français, italien et suédois. Gloria a été mariée plusieurs fois. Malgré cela, elle était toujours connue comme Mademoiselle Swanson. Elle s’est mariée avec son premier mari, Wallace Berry (acteur américain), à l’âge de 17 ans. Deux ans après, ils se sont divorcés, suite à son avortement, provoqué par Wallace. Elle était mariée 6 fois. Son dernier mariage était en 1976. Aussi, avait-elle une relation avec Joseph Kennedy. Mademoiselle Swanson est décédée le 4 avril, 1983, à New York.

Sa vie professionnelle

Elle a débuté sa carrière en 1914, avec le film "The Song of Soul". Elle a voulu participer juste pour s’amuser. Suite à ce film, les producteurs lui ont proposé d’autres rôles par exemple dans le film "His New Job". En 1916, elle a déménagé à Californie et elle a eu des rôles dans les comédies de "Mack Sennet". En 1919 Gloria a signé avec Paramount Picture.
Elle a joué dans des films comme "Don’t change your husband", "Male and female", "The Affairs of Anatol". C’est en 1950, qu’elle est devenue encore plus célèbre, avec Sunset Boulevard. Elle a participé à seulement 3 films après "Sunsent Boulevard".
Cependant, elle était connue comme une femme qui aimait les voyages, écrire des articles, faire des sculptures et des peintures. Elle est devenue préconisatrice des sujets concernant la nutrition et la santé.
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MARDI 16 FÉVRIER 2016

Boulevard du crépuscule - Sunset Boulevard, Billy Wilder (1950)

Norma Desmond, grande actrice du muet, vit recluse dans sa luxueuse villa de Beverly Hills en compagnie de Max von Meyerling, son majordome qui fut aussi son metteur en scène et mari. Joe Gillis, un scénariste sans le sou, pénètre par hasard dans la propriété et Norma lui propose de travailler au scénario du film qui marquera son retour à l'écran, Salomé. Joe accepte, s'installe chez elle, à la fois fasciné et effrayé par ses extravagances et son délire, et devient bientôt son amant.

De ses balbutiements à ce début des années 50, Hollywood aura connu bien des mutations pour maintenir intact son attrait, du faste du cinéma muet des années 20 à la révolution du parlant en passant par la rutilance du technicolor. Ces basculements se seront fait par la grâce d’artistes de talents et bien évidemment de stars alors élevées au rang de déité en ces heures où le septième art était le divertissement le plus populaire. Pour préserver son éclat et faire sa mue au fil des décennies, l’industrie hollywoodienne aura dû sacrifier ses icônes désuètes pour en élever d’autres, possédant désormais une histoire faire de gloires et de destin brisées. C’est sur ce le poids de ce passé que se penche Billy Wilder avec Sunset Boulevard et c’est ce qui fait l’originalité du sujet, Hollywood s’étant déjà penché par la fiction sur ses coulisses mais le plus souvent en s’inspirant d’une réalité contemporaine comme avec What price Hollywood (1932) de George Cukor ou Une étoile est née (1937) de William A. Wellman. 

L’acuité du regard de Billy Wilder viendra à la fois de son statut d’étranger observant avec une certaine distance le manège hollywoodien, celui de l’ex scénariste ayant connu les vaches maigres et gravit lentement les échelons et enfin celui du réalisateur à succès ayant désormais la hauteur d’observer ce qui l’a précédé. Le point de départ viendra de son coscénariste Charles Brackett imaginant une vedette oubliée du muet souhaitant faire son comeback. S’y ajouteront bientôt des éléments plus retors avec la relation avec un homme plus jeune, l’entremêlement entre fiction et réalité hollywoodienne avec le casting de Gloria Swanson et  Erich von Stroheim ainsi qu’un regard cruel et quasi documentaire avec un tournage dans les vrais studios Paramount et un guest de Cecil B. DeMille dans son propre rôle.

Tout ce croisement de drame, d’ironie et de cruauté est contenu dès l’ouverture où Joe Gillis (William Holden) commente de manière sarcastique sa propre scène de crime et observe son cadavre flottant dans une piscine. Il nous contera donc ce qui l’a conduit à ce moment fatal, Wilder retrouvant (l’emphase, le mystère et l’étrangeté en plus) la narration distanciée en voix-off de son classique du film noir Assurance sur la mort (1944). Scénariste fauché, sans inspiration et aux abois, Joe Gillis en fuyant ses créanciers échoue après avoir crevé un pneu dans une villa fantomatique situé sur Sunset Boulevard. Les lieux s’avèreront certes êtres habités mais n’en contiendront pas moins des spectres du passé avec la gloire oubliée du muet Norma Desmond (Gloria Swanson). 

Celle-ci ne vit que dans le souvenir de sa magnificence passée qu’elle maintient avec un intérieur tenant autant du musée que du mausolée entièrement à sa gloire. Les photos, objets et le luxe d’un autre âge lui maintient l’illusion de sa grandeur, son valet Max (Erich von Stroheim) entretenant la chimère en écrivant de fausses lettres d’admirateurs. Après avoir jadis dompté les hommes par sa beauté et son prestige, c’est en vampirisant un Joe Gillis démuni que Norma va déployer son emprise. 

Gloria Swanson déploie l’expressivité et l’outrance théâtrale d’un jeu hérité du muet mais teinté d’un malaise et d’une folie où son personnage semble constamment se regarder, en perpétuelle représentation sans jamais laisser poindre un éclair de lucidité. Wilder use d’ailleurs d’une lumière surexposée et de composition de plan issues du muet pour capturer le personnage dans son monde intérieur, le retour au réel se faisant par un plan d’ensemble désamorçant l’effet, la photo ténébreuse de John F. Seitz ou par un champ contre champ sur le regard consterné d’un interlocuteur. Le réalisateur rend même concret ce dispositif lors de la scène où Norma Desmond retourne sur un plateau de la Paramount. 

Un vieil éclairagiste la reconnaît et braque son projecteur sur elle, attirant une nuée d’admirateurs comme au temps de sa gloire. Seulement en parallèle on découvrira que Norma ne doit se retour qu’à un besoin accessoire et non pas pour un nouveau rôle. Le moment est pathétique, le projecteur s’éteignant et les fans s’éloignant alors que se révèle la supercherie, maintenant Norma dans un fantasme qui ne doit surtout pas être estompé – superbe face à face avec Ceci B. DeMille usant du décor de Samson et Dalila (1950) qu'il vient de terminer.

Tous les protagonistes s’accrochent à une obsession qui n’a que finalement peu à voir avec l’art. Norma est désormais un pantin narcissique rendue folle par l’adulation d’antan, Max un esclave sans volonté si ce n’est d’entretenir l’éclat bien éteint de celle dont il fut l’époux et le metteur en scène et ne pouvant survivre à sa muse. Wilder pousse d’ailleurs loin le mimétisme avec le réel puisque Gloria Swanson fut en partie responsable de la déchéance d’Erich von Stroheim qu’elle fit renvoyer de Queen Kelly (1929), dont on voit un extrait dans Sunset Boulevard lorsque Norma Desmond se projette ses anciens succès. Partagé entre démence et lucidité quant à sa décrépitude, Norma tient donc Joe par le bienfait matériel et le chantage affectif. Le cynisme résigné et la pitié de celui-ci s’estomperont pourtant au contact de Betty Schaefer (Nancy Olson) le ramenant à des sentiments purs et à l’inspiration artistique. C’est un être encore en construction et hésitant, regardant encore vers l’avenir quand d’autres s’accroche anxieusement au passé. 

Toute l’imagerie du film oscille ainsi dans cet entre-deux. L’atmosphère se fait presque gothique et oppressante dans la villa de Norma Desmond, sinistre vestige et personnage à part entière tandis l’illusion hollywoodienne se conjugue au présent dans la romance naissante entre Joe et Betty qui arpentent de nuit les ruelles factices du studio Paramount. Ce sont finalement les fantômes du passé, les monstres qu’Hollywood à façonné par sa capacité d’oubli qui vaincront lors d’un final désormais légendaire où Norma Desmond retrouve les feux des projecteurs pour de mauvaises raisons. All right, Mr. DeMille, I'm ready for my close-up… Deux décennies plus tard et à son tour du côté des fossiles, Wilder donnera une superbe variation de ce classique avec Fedora (1978).
http://chroniqueducinephilestakhanoviste.blogspot.com/2016/02/boulevard-du-crepuscule-sunset.html
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BOULEVARD DU CRÉPUSCULE
Réalisateur : Billy Wilder
Acteurs : William Holden, Gloria Swanson, Erich Von Stroheim, etc.
Année : 1950
Durée : 1h50
Projection au ciné-club : le 20 novembre 2012
I. PRÉSENTATION
a. Biographie

Né en Pologne (1906), grandi à Vienne, puis scénariste à Berlin. Marqué par le cinéma américain, en particulier celui de Lubitsch - « seul Dieu », et commence à écrire (comme nègre) quelques scénarii. Fuit l'allemagne nazi en 1933. Arrive à Hollywood où il continue d'écrire. Il rencontre Lubitsch, écrit pour lui et commence à réaliser. Il avait déjà réalisé un film en 1934, film français titré Mauvaise Graine, mais il commencera véritablement sa carrière à Hollywood en 1942 avec Uniformes et jupons courts, tout en continuant d'écrire des scénario, en particulier de ses propres films. Il deviendra rapidement un des plus grands réalisateurs de comédie d'Hollywood ; ses succès lui permettront de produire ses propres films et ainsi de garder une relative indépendance. Beaucoup de ses films marqueront l'époque, avec en particulier Sept ans de réflexion (avec Marilyn Monroe en 1955) puis Certains l'aiment chaud (toujours avec Marilyn Monroe en 1959). Mais son cinéma est aussi marqué par le film noir dont il devient l'un des plus grands représentant à Hollywood avec son film de 1944 Assurance sur la mort, qui devient un modèle du genre, puis avec Boulevard du crépuscule (1950). Il enchainera ensuite les réalisations avec en moyenne un film par an jusqu'à la fin des années soixante. Il prendra définitivement sa retraite en 1981 après son dernier film Victor la gaffe et mourra d'une pneumonie en 2002.

b. Réception et récompenses

Lors des premières projection dans différentes salles à travers les États-Unis, le film reçoit des critiques satisfaisantes mais dès que les premières impressions arrivent à Hollywood, le ton change. Le film contient une cinglante critique du star-system et du fantasque de ceux, et surtout celles, qui en furent les premières représentants, ce qui fît grincer des dents l'ensemble de la profession. Mais malgré cette très mauvaise réception de la part de ses pairs, le film est indéniablement une réussite, la critique l'encense et les festivals le plébiscitent. On notera en particulier onze nominations aux Oscars dont trois remportés pour le meilleur scénario original, la meilleur direction artistique et la meilleur musique.

Il devient alors l'un des films les plus représentatif du film noir ; genre né à Hollywood au début des années quarante (Le faucon maltais, Huston 1941) et déclinant dès la moitié des années 50 (La soif du mal, Welles 1958). Aujourd'hui, l'importance cinématographique de Boulevard des crépuscule semble intacte et il est considéré par la Bibliothèque du Congrès comme l'une des 25 premiers films « culturellement significatifs ».

c. Pistes

J'ai dit que Boulevard du crépuscule est un film noir, mais j'ai également dit que Wilder était surtout connu pour ses comédies. Ce qui nous intéressera ce soir ce sera de voir en quoi ce film marque un rapprochement entre les deux. Non pas qu'il s'agisse d'un film comique, mais que la critique que Wilder fait d'Hollywood en utilisant le film noir tend à renverser l'angoisse de la fatalité, typique de ce genre, en une ironie subtile et acérée.

II. ANALYSE
a. L'ironie, art critique

J'ai parlé d'ironie, d'un film noir, si noir qu'il en devenait ironique. Et c'est cette idée que je vais tenter d'éclaircir.

En général, le film noir est caractérisé par une ambiance sombre, angoissante, des personnages torturés, tournant en rond, exprimant l'horreur de leur perdition, seuls, proche d'une mort qui semble les attirer comme un point de mire orientant et dominant leurs actions. Le film noire traite donc d'abord de la fatalité, autant par des atmosphères que des personnages. Le fatal d'un destin mais aussi des rapports entre les personnages, perclus par des passés obscurs, des mensonges, des secrets qui concourent à des amours contrariés. Tout ces codes, Wilder les reprend et les met en scène avec précision et efficacité. Mais il ne s'arrête pas là, il ne fait pas qu'utiliser des codes, il les surutilise, il en abuse en les accentuant, il surcode chaque trait, chaque ton, chaque lumière. Et c'est ainsi que le comique émerge. Rien n'est drôle à proprement parlé, l'ambiance est pesante, le huis-clos implacable, et pourtant quelque chose nous porte à sourire. Bien entendu, plus de 60 ans nous sépare du film et il y a toujours le risque de tomber dans l'incongruité d'un cinéma vieilli, stéréotypé par le pillage de ses successeurs. Wilder reprend des codes mais les sacralise, il condense le film noir en un unique film qui marquera l'histoire du cinéma. Boulevard du crépuscule est donc éternel parce qu'il incarne le cinéma de son époque, mais c'est aussi pourquoi il peut paraître si désuet, parce qu'il a tant été inspirant, et copié. Mais outre l'aspect clichée, ce qui nous porte à sourire provient, il me semble, du héros Joe Gillis et de ce qu'on pourrait appeler sa compromission désinvolte.

Deux choses se rencontrent dans ce personnage : la lucidité et la compromission. La lucidité est un moyen pour Wilder d'assurer un regard détaché sur la situation et de ne pas tomber dans un film d'angoisse pur où le spectateur serait d'emblée pris au piège dans une descente aux enfers programmée. Au contraire, ici, la fin du film est donnée dès les premières minutes. Joe permet donc un point de vue extérieur à l'étrangeté de l'existence et de l'univers de Norma Desmond, lui donne un air décalé proche du grotesque, un fantasque dont le caractère mégalomaniaque confond au délire. À travers ses yeux nous voyons une maison d'un autre monde dont les habitants semblent s'être perdus dans leurs propres fantasmes. Mais ce regard perplexe face à une atmosphère et des situations si incongrues, laissent place au deuxième caractère de Joe. Bien que lucide, bien que malicieux, il est pris au jeu que lui propose Norma. Mais cette emprise n'est pas due à une manigance extérieure, Norma n'est pas une manipulatrice de génie attirant dans ses rets un jeune scénariste naïf et fragile. Si Joe est pris au jeu c'est parce qu'il le choisit consciemment. Joe est le symbole de l'Amérique hollywoodienne, débordant d'ambition et sûr de lui. Or cette assurance n'est pas liée à une stabilité morale ou, encore moins, à une attache solide dans le monde. Cette assurance n'est qu'une confiance absolue dans son talent d'escrocs. Ce qui motive Joe avant tout c'est de gagner de l'argent et de devenir célèbre. Il est l'incarnation typique de l'American way of life qui, par-delà les compromissions et les faux-semblants poursuit le bonheur de la richesse et de la gloire. Joe est donc lucide, mais sa lucide ne repose que sur le froid calcul d'une compromission profitable. Voilà pourquoi il est tout aussi amusant de voir la bizarrerie d'une star déchue, qu'il est angoissant de se rendre compte que cet amusement tourne fatalement à la perte de contrôle et à la déchéance généralisée. Joe est lucide et joueur mais son arrivisme prendra le dessus.

Le thème de l'argent a donc un double impact dans le film : il est à la fois la cause de la déraison de Norma, et le motif de l'avilissement de Joe. L'argent est le moteur du Fatal comme le déclin en est sa conséquence. Et si le film de Wilder peut sembler caricatural ce n'est pas parce qu'il amplifierait grossièrement et artificiellement les traits de ses personnages et l'ambiance des situations ; la caricature découle plutôt d'une volonté de dérouler une histoire qui serait comme l'aboutissement, les conséquences ultimes, d'une industrie dominée par l'argent : le cinéma. Le cinéma crée et détruit par et pour l'argent. La star et le réalisateur ne sont que les produits collatéraux des films, ils appartiennent à part entière à l'engrenage de la production et leur existence répond à la même contingence que celle des films auxquels ils participent. Dans Boulevard du crépuscule se rencontrent deux générations, l'une, celle de Norma, déjà oubliée, et dont l'oubli participe d'une incompréhension de ce qu'elle était et du caractère à la fois étrange et grotesque de sa persistance, et l'autre, celle de Joe, pas encore reconnue, pleine d'idées et d'énergie, et qui cherche à accéder à tout prix aux feus de la rampe. À tout prix, c'est-à-dire au mépris de la génération précédente. L'assurance de Joe passe d'abord par la suffisance de celui qui pense déjà avoir tout compris, de celui qui ne se remet jamais en question et dont la lucidité devenant prétention lui masque la réalité de la situation. Et cette réalité consiste précisément dans l'emprise de l'ancienne générations sur lui. Il se croit brillant et novateur par lui-même et croit avoir fait table rase du passé, de créer ex nihilo sans avoir besoin de s'appuyer sur ce que ses pères ont déjà construits. Le cinéma parlant serait absolument nouveau, ne devant plus voir ce que le muet avait apporté. Wilder dénonce cette attitude, lui le scénariste de films muets, incarnant le classicisme hollywoodien. C'est pourquoi, formellement, son film n'est ni original ni audacieux, il est loin des prouesses technique d'un Hitchcock, et cela ne l'intéresse pas. Sa critique n'a pas besoin d'artifices nouveaux, il lui suffit de montrer ce qui est déjà là, dans les codes sanctifiés par Hollywood. Hollywood est en lui même une machine écrasante qui broie au fil des modes successives autant les films que leurs protagonistes. À chaque nouvelle génération de films meurt l'ancienne. Ce serait ça la fonction de la mise en abime que propose Wilder, l'abime d'un cinéma vu par lui-même, et celui où ce regard déjà porté vers la prochain succès, la prochaine star, laisse le précédent dans l'ombre définitive des limbes d'un passé toujours déjà dépassé.

La mécanique de Wilder est donc double. Deux tensions qui capturent le spectateur. La première incarnée par Joe et qui consiste en un regard lucide et extérieur qui pourtant se laisse attirer et embarquer jusqu'à la mort ; et la seconde, celle d'un abîme incarnée par Norma, d'une démesure pitoyable, fantasque, caricaturale et déclinante et qui pourtant révèle la réalité du cinéma Hollywodien dans ce qu'il a de brillant, de glorifié, mais aussi dans ce qu'il a de féroce et d'implacable.

Autrement dit, une tension d'ordre gravitationnelle : Norma serait l'étoile dont la lumière déclinante attire celle grandissante de Joe et qui, devenant trou noir, le capture définitivement sous son horizon, sans qu'il n'ait le temps de s'en apercevoir ; et une tension d'ordre temporelle : pris dans l'élan d'un Hollywood à son apogée, Joe est face à l'incarnat d'un passé écrasé et oublié, signe de sa propre perte, comme fatalité d'un engrenage impitoyable.

Mais ces deux tensions ne peuvent fonctionner ensemble que parce que Wilder fonde son film sur un réalisme jusqu'au boutiste. C'est en effet parce qu'elle est réaliste que la caricature n'est pas comique mais ironique : Norma et Joe ne sont pas des personnages burlesques, ils signifient un constat, celui d'un monde caché mais essentiel. L'ironie consiste non pas en un déplacement ou une accentuation, mais en un redoublement de la réalité. Le réalisme de Wilder est tel qu'il se renverse et laisse apparaître l'horreur de la réalité. Ce renversement est rendu possible par le caractère circulaire de la machinerie hollywoodienne : comme nous l'avons déjà sous-entendu, les personnages du film sont les producteurs d'un système qui les a eux-mêmes générés (pas d'acteur, ni de scénariste sans le cinéma, et pas de cinéma sans acteur ni scénariste). Mais ce cercle est lui-même en mouvement, pris dans la rotation du temps : les stars passent de mode comme le cinéma change de style. Cette circularité est à la fois la raison de l'abime et la force de l'attraction ; et Wilder a su en rendre compte en réunissant les deux moments du cercle : la phase montante de Joe et celle descendante de Norma. Et le génie de Wilder c'est d'avoir doublé cette réunion pas un réalisme brouillant la frontière entre la réalité et la fiction. L'ironie, pour fonctionner, doit redoubler le réel, c'est-à-dire qu'elle doit faire passer la fiction pour réel de manière à ce que le réel ne paraisse plus fictionnel. C'est ainsi qu'il peut éviter une ironie seulement comique et qu'il instaure un indiscernable propice à la critique : Norma est trop caricaturale pour être réelle ou trop réelle pour être caricaturale ?

b. Le réalisme

La preuve du réalisme peut d'abord être apportée par les indignation que la film a suscité à Hollywood :

Louis B. Mayer (producteur de muet) : « Comment as-tu pu faire ça ? Tu déshonores le monde qui t’a fait et qui t’a nourri. Tu mériterais le goudron et les plumes avant de fuir Hollywood. »

Mae Murray (actrice): « Nous étions des poufiasses, mais aucune n’était si cinglée. »

Il y aurait donc en effet une exagération de la part de Wilder. Mais cette exagération est-elle une exacerbation du caractère donné au personnage de Norma, où est-ce plutôt un effet lié au seul fait de montrer, pour la première fois, la réalité du caractère des stars au cinéma ? Autrement dit, le film de Wilder ne serait-il pas un miroir jeté au regard de ceux qui ne se voient pas tels qu'ils sont réellement ?

Ce qui est certain, c'est que Wilder a choisi avec précaution les personnes qui ont travaillé sur le film :

Swanson qui joue Norma, a été l’une des actrices les plus révérées de l’ère du muet, pour sa beauté, son talent, et son mode de vie extravagant. Au sommet de sa carrière, en 1925, il se disait qu’elle recevait jusqu’à 10 000 lettres d’admirateurs en une semaine. Elle a également vécu sur Sunset Boulevard, dans un palais italianisant raffiné, de 1920 à la fin des années 1930. Elle a en fait plus d’un point commun avec le personnage de Norma Desmond. Comme lui, elle s’est révélée incapable d’assurer habilement sa reconversion dans le cinéma sonore. La ressemblance va jusqu'au fait que sa collection personnelle de photographies a servi à décorer la maison de Norma Desmond, contribuant à ce que le passé fictif de Desmond ressemble à la carrière bien réelle de Swanson. Il y a aussi le fait que plusieurs personnages secondaires jouent leur propre rôle, en particulier les « figures de cire » dans lesquels figure Buster Keaton. Nous pouvons également noter que les lieux de tournage sont pour la plupart des lieux authentiques et que le décorateur du film est aussi un décorateur très prisé par les star pour l'aménagement de leur intérieur. Enfin, il est évident que le personnage de Joe recèle une part autobiographique.

Tout cela concourt à l'idée que Wilder réalise sont film dans le véritable souci d'un réalisme du détails, où chaque élément doit confondre à la réalité. Derrière le drame, la noirceur du film procède d'un réalisme d'un Hollywood assombri par la logique à la fois écrasante et glorifiante du star-system. Le Fatal ne serait donc pas d'abord celui d'une folie personnelle incarnée par Norma, mais celui de l'industrie du cinéma hollywoodien lui-même comme contenant intrinsèquement une noirceur proportionnée au brillant des paillettes.

c. Fin du muet, déclin de stars

En dernier lieu, il nous reste à comprendre ce en quoi consiste le déclin de Norma. Nous l'avons jusqu'à présent inclus avec l'ascension de Joe, dans un cercle typiquement hollywoodien, faisant et défaisant les succès, les carrières et les personnes selon la logique du marché du cinéma. Mais ne pourrions-nous pas voir dans Norma l'incarnation d'un renversement particulier, d'un moment de l'histoire du cinéma qui ne serait pas si anodin, et donc d'un déclin particulièrement dévastateur. Un déclin qui ne serait pas seulement l'amorce d'un renouveau, mais bel et bien l'annonce d'une fin. La fin de Norma comme le signe de la fin d'un monde.

Nous avons déjà vu que Norma incarne d'abord l’avènement du star system. Avec elle nait l'idée même de star, elle n'a donc aucun recul, elle est totalement prise dans ce fait social nouveau qui la submerge, et par lequel toute son existence est emportée. Norma est La star par excellence. Ainsi, si elle peut paraître la fin de quelque chose ce serait parce qu'elle aurait été le début de cette même chose. Avec Norma s'ouvre et se ferme un monde. Mais un monde qui n'est pas l'idée de star puisque le star-system perdurera. Non, ce qui se ferme avec Norma ce serait plutôt les premières star, et donc les stars du muet. Norma est le cinéma muet hollywoodien.

Erich von Stroheim, l'ancien producteur, amoureux castré devenu valet, quant à lui, serait le témoin de l’avènement-destruction de ce monde, et le gardien de sa persistance. Il est aussi une figure déchu du muet, mais sa déchéance n'est pas liée à un changement de mode, elle est liée à l'émergence du star-system qui, avec Hollywood, a pris le pas sur les films eux-mêmes. Alors que la gloire du film revenait au réalisateur qui mettait en scène des acteurs, avec Norma et ce qu'elle incarne, ce sont les acteurs qui sont arrivés au premier plan et le star-system qui a prévalu sur les films eux-mêmes. On ne va plus voir un film parce qu'untel l'a réalisé, mais parce qu'untel y joue. On ne va pas voir une fiction, mais admirer une célébrité. Et cela, von Stroheim l'a compris et a été fasciné, à tel point qu'il a préféré dévouer sa vie aux stars plutôt qu'aux films en voyant dans les stars la véritable persistance du cinéma muet. Ce qui symbolise le cinéma muet ce ne sont pas les films muets, mais les stars elles-mêmes. Et Norma en est l'icône absolue.

En titrant son film Sunset Boulevard, Wilder situe donc son film dans un lieu mythique, originaire, mais dont la gloire fût aussi grande qu'éphémère. Et la fin du muet, comme brûlé par sa propre fulgurance, ne laisserait derrière lui que ce qui aura été l'excroissance de cette fulgurance : le star-system. La fin du muet serait en quelque sorte la fin du cinéma lui-même, mais une fin sans fin, persistant par transformations successives, persistant par les seuls artifices du cinéma (le sonore, les stars). Un déclin sous perfusion, maintenu par le fantasme d'une gloire encore présente. La gloire hallucinée de Norma, comme celle starisée d'Hollywood. Aux artifices préservant l'hallucination de Norma, répondrait les artifices techniques dont se pare le cinéma post-muet. Le cinéma aurait fabriqué son propre monde dans le star-system comme raison suffisante à son existence, comme Norma aurait fabriqué son propre monde comme raison suffisante à la sienne. Ce monde est constitué de codes, d'une maîtrise totale, d'une mise en scène très précise. Le monde de Norma se confond avec celui du cinéma, elle organise sa maison comme un plateau, elle dirige ses invités comme on dirigerait des acteurs. Norma se perd dans le cinéma lui-même, et cherche dans le scénario qu'elle commande à Joe, la persistance de ce qu'elle sait déjà terminé, comme le cinéma croit voir dans le parlant le renouveau de ce que le muet a vu décliner.

Mais comment comprendre que le sonore marque la fin du muet, qu'est-ce que le parlant aboli ? Parce qu'a priori nous pourrions penser que le parlant ajoute quelque chose au muet, sans pour autant le détruire.

Ce qu'il nous faut saisir ici, c'est qu'il y a une unité des sens, une synesthésie. Je reprends cette idée à Merleau-Ponty, dans la Phénoménologie de la perception, et plus particulièrement la page 281 qui évoque birèvement l'exemple du cinéma. Dans le monde vécu, chaque sens ne vient pas s'ajouter à un autre, mais c'est le senti qui forme d'un coup ce que nous percevons. Ainsi, ajouter du son ce n'est pas seulement adjoindre des données supplémentaires, mais c'est modifier l'ensemble du senti. En ce sens, le cinéma parlant n'ajoute pas des voix et des bruits à ce qui n'était que silence, il propose un autre spectacle, une autre expérience du cinéma. Lorsque Norma arrive sur le plateau, ce à quoi elle est d'abord confrontée c'est aux modifications considérables des conditions de tournage. Le parlant implique une nouvelle approche de la réalisation. Et ce que cela implique d'abord, c'est, il me semble, une réduction de la place de la star dans le processus de réalisation. L'artifice sonore rogne sur l'importance de l'acteur. Nous avons montré que la fin sans fin du cinéma hollywoodien, ce déclin qui n'en finit pas, ne peut persister que par l'artifice. L'artifice de la star, déjà présent pour le muet, puis celui technique du son (et nous pourrions aujourd'hui ajouter celui des effets spéciaux, du son surround, du numérique, du relief, etc.). Ainsi ce sontt bien les nouveaux artifices qui prennent à chaque fois le pas sur les anciens, et la star Norma n'est que le premier de ces artifices. C'est pourquoi elle incarne le cinéma des années 1910-30, comme le sonore marquera les années suivantes, puis les effets spéciaux les suivantes jusqu'au relief aujourd'hui. Si au temps du muet les spectateurs allaient voir des stars, aujourd'hui, si certains vont encore voir des stars, d'autres vont aussi voir des effets spéciaux, et d'autres du relief, etc. Il ne s'agit pas de dire que chaque artifice chasse le précédent, mais qu'ils s'ajoutent et modifient à chaque fois l'importance du précédent en offrant une nouvelle expérience cinématographique. Norma est désuète en tant qu'elle était une star du muet, mais surtout en tant qu'elle est une star qui ne sait pas parler. Ce n'est pas la star qui n'a plus cours, mais c'est le parlé qui à la côte. Une star aphone ne peut plus être une star. Comme aujourd'hui, une star qui ne saurait pas jouer sur fond vert.

Ainsi Wilder, à travers Norma, a voulu filmer dans un film parlant ce qu'est une star du muet et donc ce que le cinéma parlant a perdu. Norma incarne dans Sunset Boulevard non pas le déclin du muet, mais bel et bien ce qui serait le muet dans le parlant. Norma est le cadavre du muet transposé dans le parlant. Voila pourquoi elle peut paraître si étrange et déconnectée. Son existence n'est pas caricaturée, elle est seulement en décalage. Et Wilder a su trouver le moyen de rendre compte de ce décalage : non pas par une manière de jouer propre au muet, ce qui aurait tourné au burlesque dans un film parlant, mais par une manière d'être propre aux stars du muet et qui correspond à ce qu'elles incarnaient à l'écran : l'exacerbation des mimiques, la démesure des expressions, le faste et l'exagération des gestes.

La fin du monde de Norma marque donc la fin d'un cinéma qui aura amorcé la fin du cinéma. La création du star-system comme moteur d'un déclin sans fin et persistant par des artifices multiples se surajoutant les uns aux autres. Norma est la figure de ce déclin comme elle accumule les artifice pour se convaincre de sa survie.

Par Michaël Crevoisier
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Boulevard du crépuscule (Billy Wilder, 1950) ★★★★½ – Critique & Analyse

Quelque part au panthéon du cinéma américain, trône fièrement Boulevard du crépuscule, classique incontestable et incontesté de Billy Wilder. Un monument que j’avais déjà visionné il y a trois ans, et mon exploration actuelle de la filmographie du cinéaste américain donnait le prétexte idéal pour revoir ce film, et j’en profite alors pour en parler, car il convenait bien de lui accorder l’attention qu’il mérite.


Fiche du film

Affiche de Boulevard du crépuscule (1950)
Affiche de Boulevard du crépuscule (1950)
  • Genre : Drame
  • Réalisateur : Billy Wilder
  • Année de sortie : 1950
  • Distribution : William Holden, Gloria Swanson, Erich von Stroheim, Nancy Olson
  • Synopsis : Norma Desmond, grande actrice du muet, vit recluse dans sa luxueuse villa de Beverly Hills en compagnie de Max von Mayerling, son majordome qui fut aussi son metteur en scène et mari. Joe Gillis, un scénariste sans le sou, pénètre par hasard dans la propriété et Norma lui propose de travailler au scénario du film qui marquera son retour à l’écran, Salomé. (SensCritique)

Critique et Analyse

William Holden et Gloria Swanson dans Boulevard du crépuscule (1950)
William Holden et Gloria Swanson dans Boulevard du crépuscule (1950)

Parler de grand film en citant une des œuvres de Billy Wilder est presque une évidence. A l’époque où il réalise Boulevard du crépuscule, il a déjà réalisé plusieurs grands films, notamment Assurance sur la mort et Le Poison, mais il a encore beaucoup de chemin à parcourir, et ce nouveau métrage va constituer un tournant majeur dans sa filmographie. Nous voici donc embarqués dans une sombre virée dans la nuit et le passé, dans l’antre de souvenirs souvent enfouis aux fins fonds de la mémoire, et pourtant encore bien vivaces. Une virée similaire à celle effectuée quelques années auparavant dans Assurance sur la mort, suivant la même mécanique, commençant par la fin, présentant d’emblée le drame final, comme pour planter ce décor voué à la destruction.

« Boulevard du crépuscule est un film de fantômes, faisant entrer Joe et le spectateur dans un monde de souvenirs, de songes et de lubies presque irréel, ayant l’allure d’un étrange rêve dont on ne peut plus s’extirper une fois entré dedans. »

Les voitures se faufilent dans les rues entourées d’immenses villas, vestiges majestueux et exubérants d’une époque de faste et de prospérité. Et rares sont les lieux à aussi bien porter leur nom, tant l’atmosphère qui émane de ce lieu est crépusculaire. Crépuscule des temps, d’une époque, du cinéma et de la vie, terre des rois et reines éphémères, terre de cinéma, de ses origines, devenue un musée ambulant que les passants traversent et arpentent parfois avec une certaine curiosité. Un lieu presque hanté, où subsistent les fantômes restés dans une époque à laquelle tout le monde a tourné le dos depuis vingt ans. Boulevard du crépuscule est un film de fantômes, faisant entrer Joe et le spectateur dans un monde de souvenirs, de songes et de lubies presque irréel, ayant l’allure d’un étrange rêve dont on ne peut plus s’extirper une fois entré dedans.

Gloria Swanson et William Holden dans Boulevard du crépuscule (1950)
Gloria Swanson et William Holden dans Boulevard du crépuscule (1950)

On avait déjà vu Wilder mêler le réel à l’imaginaire dans certains de ses précédents films, notamment dans certaines séquences du Poison, mais Boulevard du crépuscule pousse la démarche beaucoup plus loin. La demeure de Norma est immense, comme un temple accueillant les souvenirs d’une époque oubliée. Les amis de Norma, joués par des anciennes vedette du cinéma muet, parmi lesquelles figurent Buster Keaton, sont qualifiés de « figures de cire ». Et Norma, elle-même, s’apparente à une sorte de fantôme, un esprit étrange et dérangé, emprisonné dans son temps et ses souvenirs. C’est sans conteste dans son ambiance que le film de Billy Wilder s’avère brillant et impressionnant, manifestant magnifiquement la nostalgie et le désespoir pour se donner des airs de sombre conte sur le sort réservé aux acteurs, le danger de la notoriété, et les effets du temps sur le monde.

« Gloria Swanson propose ici une prestation mémorable, hallucinée et impressionnante. »

Car si le cinéma est le principal moteur de Boulevard du crépuscule, et que l’on y revient toujours, il ne s’agit pas de ne parler que de lui, mais plutôt d’en faire un levier. En effet, Billy Wilder propose ici un film qui montre toutes les dérives de l’industrie du cinéma, sa mémoire courte mais, dans le fond, de parler de gloire, d’accomplissement, et, surtout, de la peur de l’oubli, de ne laisser aucune trace dans le monde après notre départ. Et, à ce jeu, Gloria Swanson propose ici une prestation mémorable, hallucinée et impressionnante, d’autant plus saisissante et touchante que l’histoire de Norma est également la sienne. Rendue presque folle par un monde qui l’a glorifiée avant de l’abandonner du jour au lendemain, elle est l’incarnation, quelque part, de ce qu’est devenu le cinéma, pendant que Joe s’apparente davantage à une projection de Billy Wilder, qui se fait une place comme il peut dans le milieu, acteur et observateur de ce monde étrange. Reste alors, pour le spectateur, l’image d’un monde étrange où l’éclat des dorures s’éteint sous les couches de poussière.

Entre hommage et critique, hypnotisant et effrayant, réaliste et imaginaire, Boulevard du crépuscule impressionne et captive, face à tant de maîtrise et de puissance. Porté par son casting impressionnant et inter-générationnel, Gloria Swanson en tête, c’est une oeuvre majeure que signe Billy Wilder, excellant dans le cynisme et l’humour noir, n’hésitant pas à égratigner le milieu dans lequel il travaille, pour mieux rendre hommage à celles et ceux grâce à qui le cinéma est devenu un art aussi populaire et universel. « We didn’t need dialogue. We had faces ! »


Note et avis

4.5/5

Billy Wilder signe une oeuvre majeure avec Boulevard du crépuscule, mêlant rêves et réalité, passé et présent, magnifiée par l’inoubliable prestation de Gloria Swanson.

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  Le 17 Nov 2016 à 07:00

Le plus grand film jamais réalisé sur Hollywood ? Un polar cent pour cent retors avec son narrateur mort ? Une fable gothique et fantastique sur les fantômes d’un royaume disparu ? Tout cela, oui. Et bien d’autres choses encore. Boulevard du Crépuscule est un chef-d’œuvre dont chaque vision ouvre de nouvelles portes sur un monde beau et terrible.

CINÉMA DANS LE CINÉMA

Pour aimer Boulevard du Crépuscule, nul besoin de connaître Hollywood, ses mythes et ses rites, ses arcanes et ses coulisses. Tout y est immédiatement compréhensible et palpable : le désarroi d’un scénariste ne parvenant pas à « placer » ses projets et n’ayant plus un sou en poche pour payer sa voiture ; la folie douce d’une star du muet oubliée retranchée dans sa grande maison comme en un tombeau, entourée des souvenirs de ce qu’elle fut ; la protection rapprochée d’un majordome aux gants blancs qui fait tout ce qui est en son pouvoir pour maintenir l’illusion de la gloire de sa maîtresse… Mais si l’on connaît l’interprète enfiévrée de Norma Desmond, Gloria Swanson, ex-star de la Paramount, qui en fut un des piliers fondateurs avant d’être balayée comme tant d’autres par l’arrivée du parlant ; si l’on sait que le film qu’elle regarde sur l’écran de son salon n’est autre que Queen Kelly, œuvre pharaonique et inachevée de Eric Von Stroheim qui marqua la fin de la carrière de réalisateur de ce dernier, par ailleurs interprète de Max Von Mayerling, le factotum lui servant de serviteur, de chauffeur, de joueur d’orgue et, dans cette scène précise, de projectionniste ; si l’on reconnaît les trois amis joueurs de cartes de Norma, parmi lesquels le grand Buster Keaton, dont le dialogue se résume à une phrase répétée deux fois : « Je passe » et, dans leur propre « rôle », le réalisateur Cecil B. De Mille, la journaliste Hedda Hopper et le studio de la Paramount (par ailleurs producteur du film), alors chaque scène, chaque réplique se pare d’une aura tragique dont la vérité n’est jamais loin.

LE PREMIER PLAN

Un ruban d’asphalte et des sirènes hurlantes, des voitures à gyrophare précédées de motards et une voix off qui nous informe que nous sommes à Hollywood, Los Angeles, Californie, à cinq heures du matin, qu’un meurtre a eu lieu, impliquant une grande star. C’est presque du documentaire : combien de fois cette scène a-t-elle vraiment eu lieu dans les rues bordées de palmiers conduisant aux riches villas des vedettes ? Combien de fois cette scène a-t-elle mené au constat d’un décès, puis à une version de l’histoire remaniée par les studios et acceptable pour la une des journaux ? D’ailleurs la voix off continue en ce sens : « Mais avant d’entendre des récits déformés et outranciers, avant que les échotiers d’Hollywood s’en emparent, vous aimeriez peut-être connaître les faits, toute la vérité. »

DE L’AUTRE CÔTÉ (DU MIROIR)

Pourquoi ce plan en contre-plongée d’un corps flottant dans une piscine ? Nous ne sommes plus dans le documentaire, car qui irait filmer au fond d’une piscine ? Nous sommes dans la fiction racontée comme une vérité, et mise en scène pour nous dire au-delà des mots et des faits, SA vérité. Elle commence avec cet inconnu, ce scénariste auteur d’une ou deux séries B. Un homme qui voulait passer de l’autre côté du miroir et qui y est bel et bien, les yeux ouverts, en train de regarder le rien, le fond de la piscine. La mise en abyme peut désormais commencer.

LA MORT QUI RÔDE

Donc, c’est un mort qui raconte l’histoire. C’est une première au cinéma, une idée totalement originale et osée, qui sera ensuite reprise par plusieurs réalisateurs, dont Sam Mendes dans American Beauty (2000) et, non sans malice, car il y a un twist final, par Martin Scorsese dans Casino (1995). Le narrateur, Joe Gillis, est mort, et les habitants de la villa, eux-mêmes, ne sont vivants qu’à leurs propres yeux. Dès que Joe pénètre dans la gigantesque demeure qui ressemble à une maison hantée (et aussi à une prison avec ses larges grilles), on lui parle de cercueil, car le majordome le confond avec l’homme venu apporter de quoi enterrer la dépouille du compagnon de Norma Desmond : un chimpanzé. Norma Desmond et son majordome, ancien réalisateur, sont « morts » pour Hollywood : Joe reconnaît la première, mais pas le second. Car le souvenir des actrices s’évanouit moins vite que celui des metteurs en scène. Joe accepte de réécrire de façon anonyme le scénario de Norma sur la vie de Salomé (cette femme séductrice tentatrice et sanguinaire qui réclama la tête de saint Jean-Baptiste sur un plateau), il devient ce que l’on nomme en anglais un « ghostwriter », littéralement un écrivain fantôme…

LES GRIFFES DE LA NUIT

Norma Desmond est un fantôme du passé, et en quelque sorte un vampire qui se nourrit du sang de son amant. Si elle ne plante pas ses crocs dans son cou, elle l’enserre à toute occasion de ses ongles longs et laqués comme des griffes : lorsqu’ils regardent le film, son bras tentacule se coule le long de celui de Joe et les ongles semblent s’y planter ; lorsqu’il se penche pour lui souhaiter la bonne année, les doigts de Norma agrippent le col du manteau (qu’elle lui a acheté) et ses bras l’enferment contre elle ; lorsqu’elle lui sèche le dos au sortir de la piscine, la serviette se referme comme une grille de prison dont le verrou serait ces deux mains qui caressent autant qu’elles maintiennent fermement… Dans le plan final, Norma descend le grand escalier et, s’adressant à la caméra, au réalisateur et aux « merveilleux spectateurs assis dans le noir », elle tente de les attirer à elle de ses mains griffant l’air.

QUI EST LE COUPABLE ?

Si Boulevard du Crépuscule peut être considéré comme un polar, avec son atmosphère vénéneuse, sa musique omniprésente comme un personnage à part entière, son cadavre inaugural et la révélation finale du meurtrier, le coupable est à chercher ailleurs. La grande responsable est l’usine à rêves, cette machine qui crée (des stars, de l’illusion, de l’adoration) et broie, qui vénère et oublie, qui promet et ne tient pas. Mais Billy Wilder et son coscénariste Charles Brackett ne font pas un procès à charge : ils aiment ce monde, en connaissent les excès et limites, en dessinent les méandres et les travers. Les dialogues, brillants, élégants, frappés au coin d’une ironie dévastatrice disent tous les paradoxes du système et des êtres qui l’habitent. Boulevard du Crépuscule reste, aujourd’hui encore, un superbe portrait d’Hollywood, amoureux et conscient, sans concession.

LA RÉPLIQUE

«— Vous êtes Norma Desmond ! Vous étiez une grande star !

(You’re Norma Desmond. You used to be a star ! You used to be big !)

— Je SUIS une grande star, ce sont les films qui sont devenus petits.

(I AM big. It’s the pictures that got small.) »

Boulevard du Crépuscule, c’est à la fois ce qui change – le monde, l’industrie, la logique commerciale, l’attente des spectateurs – et ce qui, jamais, ne changera : la vanité, l’ambition, l’espoir, l’amour de l’art.

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Trois raisons de (re)voir “Boulevard du crépuscule” de Billy Wilde

Publié le 11/11/16

Le classique de Billy Wilder, portrait au vitriol 

1950. Le cinéma muet est mort depuis longtemps. Joe Gillis (William Holden), scénariste aux dents longues endetté jusqu’au cou, se réfugie par hasard chez Norma Desmond (Gloria Swanson), vieille gloire tombée aux oubliettes. Elle l’embauche pour écrire le scénario de ce qui doit être son come-back. C'est le point de départ de Boulevard du Crépuscule (Sunset Boulevard), l'un des chefs d'œuvre de Billy Wilder. Pourquoi (re)voir ce classique parmi les classiques ?

Avant Sunset Boulevard, jamais œuvre aussi corrosive n’avait été réalisée sur Hollywood. Wilder se reconnaissait sans doute un peu en Joe Gillis, lui qui avait eu des difficultés pour vendre ses premiers scénarios en Allemagne, avant de signer celui des Hommes le dimanche (1930). En 1933, au moment de la prise de pouvoir par Hitler, il émigre aux Etats-Unis. Avec son complice Charles Brackett, il connaît le succès comme scénariste pour Lubitsch (La Huitième femme de Barbe-BleueNinotchka). La Paramount lui donne sa chance en tant que réalisateur dès 1942 (Uniformes et jupons courts). Dans l’intrigue de Sunset Boulevard, le studio accepte même d’être mentionné explicitement, preuve de la confiance totale accordée au cinéaste.

A l’origine, le film devait s’ouvrir à la morgue, avec cadavres qui parlent (dont celui de Gillis), une scène finalement supprimée en raison des réactions négatives du public lors des projections-tests (les spectateurs riaient...). Pour Wilder, l’usine à rêves de Hollywood est une fabrique de monstres à l’égo surdimensionné. Exemple : Norma Desmond rencontre le despotique Cecil B. De Mille (dans son propre rôle), sur un (vrai) plateau de la Paramount, tournant (vraiment) Samson et Dalila. Le plus affreux des deux n’est, alors, pas forcément celui qu’on croit.

Voix-off, femme fatale, destin implacable : on présente souvent (et à juste titre) Sunset Boulevard comme un monument du film noir. C’est aussi un remarquable film d’horreur. Poursuivi par deux types qui veulent saisir sa voiture, Gillis subit une crevaison et se gare (coïncidence ou fatalité ?) dans l’allée de Norma Desmond, échappant in extremis à ses créanciers. Il découvre une résidence d’un autre âge, totalement défraîchie : court de tennis à l’abandon, piscine vide squattée par les rats. Les visiteurs de la star déchue sont des momies du cinéma muet : Anna Q. Nilsson, H. B. Warner et Buster Keaton lui-même, venus pour une partie de cartes. Même si Max, le valet (Erich von Stroheim) s’évertue à nettoyer, la demeure tient davantage du manoir gothique que de la villa huppée. Elle sent la poussière à plein nez (les costumes extravagants élaborés par Edith Head et les décors pompiers sont une réussite). C’est un lieu hors du temps, hanté par une star déchue qui rejoue ad libitum ses grands rôles de jadis. Dans la dernière scène, on la voit descendre les escaliers en diva, filmée par Max : les figurants autour d’elle paraissent figés, comme appartenant à un autre espace-temps.

Impossible, pour le héros, de quitter la propriété : il est comme englué, pris dans une toile d’araignée géante. Il devient l’objet sexuel de Desmond, vamp grotesque, à la fois pathétique et risible, une freak digne de Tod Browning. La composition tout en retenue de William Holden (typique de l’après-guerre) contraste avec celle, volontairement outrancière, de Gloria Swanson (typique du muet). Avec l’arrivée du parlant à Hollywood à la fin des années 1920, ce jeu, tout en gestes exagérés et mimiques appuyées, est devenu anachronique. Presque difforme.

Dans cet univers mortifère, le personnage le plus attachant reste peut-être Max von Mayerling : le valet polyvalent de Norma Desmond (homme de ménage, chauffeur, organiste), qui est en fait un ancien réalisateur de films muets. Il est incarné, avec une sobriété absolue, par Erich von Stroheim, dont le charisme évoque ceux de Boris Karloff ou Bela Lugosi grande époque. Ce personnage, c’est le fantôme de lui-même. Stroheim était un réalisateur renommé à l’époque du muet, mal aimé des studios à cause de ses dépassements de budgets : la version originale des Rapaces (1924) durait près de neuf heures, avant d’être mutilée à montage pour être réduite à deux. En 1929, il avait dirigé Swanson dans Queen Kelly, l’un des films qui tourne en boucle dans Sunset Boulevard. L’arrivée du parlant sonne le glas de sa carrière de metteur en scène – son dernier film, Hello, Sister ! , date de 1933 – et il joue alors les seconds rôles de luxe ou les têtes d’affiche de séries B (La Cible vivante, d'Anthony Mann, 1944). « Il y avait trois jeunes réalisateurs prometteurs en ce temps-là : D. W. Griffith, Cecil B. De Mille et Max von Mayerling », déclare Max à Gillis. Par « Max von Mayerling », il faut bien sûr comprendre « Erich von Stroheim ». Sunset Boulevard sera son dernier film américain. Billy Wilder lui rend un vibrant hommage en lui redonnant, in fine, la place qui lui est due : derrière la caméra.

Boulevard du crépuscule de Billy Wilder

Intérêt
Ce film mythique de Billy Wilder sur l’univers de Hollywood est récemment revenu en pleine lumière lors de la sortie de Mulholland Drive de David Lynch qui s’en est largement inspiré. Ce film source - qui doit être revu - a conservé toute son aura et continue de fasciner.


Table des matières [cacher]
5. Bande annoBoulevard du crépuscule (1950) ou Sunset Boulevard (dans sa version originale anglaise) est devenu l'un des plus éloquents témoignages des déboires des studios hollywoodiens à une époque cruciale de leur histoire: au croisement de l'apogée du film noir, de l'arrivée du cinéma en couleur et de la disparition du cinéma muet. Bien que le film de Billy Wilder demeure une fiction, ce dernier a été conçu en mettant en scène de véritables personnages de l'histoire du cinéma des décennies qui ont précédé sa réalisation. Zoom sur un classique où le cinéaste a bâti une habile mise en abyme dont le principal récit enchâssé est celui d'Hollywood tout entier.

Le chef-d’oeuvre de Wilder s’ouvre sur des images du Sunset Boulevard de Los Angeles dont le titre est inspiré.

Joe Gillis (William Holden), scénariste déchu, vient d’être retrouvé mort dans la résidence de Norma Desmond (Gloria Swanson), située dans les hauteurs de la célèbre artère qui traverse la ville. Desmond, ancienne effigie des studios Paramount et grande star du cinéma muet devenue méconnue depuis l’arrivée du son, n’est toutefois pas nommée dans la première scène du film. Plutôt, Gillis, narrateur en voix-off, nous annonce d’entrée de jeu que le film nous révèlera toutes les mésaventures qui l’ont menée à se retrouver mort dans la piscine d’une ancienne star que nous nous apprêtons à connaître.

Déjà, une telle structure non linéaire brillait par son originalité à l’époque. Plus encore, la désormais célèbre introduction de Boulevard du crépuscule est aujourd’hui associée à un plan mythique maintes fois repris dans la culture populaire: celui de la dépouille de Gillis flottant dans la piscine, observée par les enquêteurs (voir galerie photo ci-dessous).

Une rencontre fortuite qui viendra tout changer

Au fil de la narration de Gillis, qui nous raconte sa propre histoire du début à la fin, on comprend que ce dernier a du mal à gagner sa vie comme scénariste et qu’il est poursuivi par deux huissiers venus récupérer son automobile. Alors qu’il tente de les semer, Joe Gillis se retrouve, un peu par hasard, devant une élégante et mystérieuse résidence sur Sunset Boulevard. Il entre donc dans ce manoir pour se cacher et pour réparer sa voiture tombée en panne, et se retrouve dans une situation qui surpasse toutes ses attentes: la propriétaire de la maison n’est nulle autre que Norma Desmond, qu’il reconnaît tout de suite…

Cependant, quelque chose ne tourne pas rond. L’actrice, pourtant très célèbre, vit seule avec Max (Erich von Stroheim), son majordome. Le manoir semble en décrépitude. Ce qu’il en reste est extrêmement kitsch. La décoration est ostentatoire et désuète. Les deux résidents, à la fois louches et élégants, parce que toujours vêtus en tenues de soirées, se gavent de champagne et de caviar tous les soirs.

Gillis est toutefois intrigué. Il entame donc une conversation avec Desmond afin de comprendre pourquoi cette actrice qu’il pensait connaître mène un train de vie aussi solitaire et étrange.


Fasciné par l’actrice, il décide alors de l’aider à rédiger un scénario sur lequel elle travaille depuis longtemps. En échange, Desmond héberge Gillis, ce qui lui convient bien, puisqu’il est criblé de dettes et qu’il doit se cacher de ses huissiers.

La rencontre entre les deux artistes donnera lieu à des scènes mémorables qui finiront par symboliser un tournant marquant de l’histoire du cinéma.

Raconter l’histoire d’Hollywood avec de l’autodérision

Boulevard du crépuscule est en effet profondément inspiré de l’histoire du cinéma et de la culture visuelle de son époque. Or, plutôt que d’agir en drame moralisateur, il divertit et présente beaucoup d’humour.

C’est principalement à travers Desmond et Max que le spectateur peut réfléchir aux déboires de l’univers déjanté qu’est Hollywood. Desmond est interprétée par Gloria Swanson, l’une des plus grandes stars du cinéma muet hollywoodien. Contrairement à son personnage, cependant, c’est elle-même qui a mis fin à son entente avec les studios Paramount et qui est devenue, dans des circonstances pour le moins complexes, moins sollicitée avec l’avènement du cinéma parlant.

Desmond, toutefois, apparaît comme une victime du système hollywoodien. Elle est éprise d’une folie grandissante, constatant avec horreur que les studios Paramount ne la désirent plus…

Son majordome Max occupe lui aussi un rôle à forte charge symbolique. Ce personnage serait d’ailleurs inspiré de la carrière de l’acteur qui l’incarne, Erich von Stroheim. Ce dernier, ayant réalisé plusieurs films, dont un long-métrage avec Swanson comme tête d’affiche, est demeuré boudé des producteurs américains, et il s’est fait oublié par la critique et le cinéma populaire de son vivant avant d’être reconsidéré, des décennies plus tard, par l’Histoire.

Justement, on apprend, dans Boulevard du crépuscule, que Max est en fait l’ex-mari de Desmond, et qu’il avait précédemment réalisé certains de ses films les plus importants. Rabaissé au rang de majordome, il agit comme symbole de la gloire d’Hollywood qui repose avant tout sur la célébrité plutôt que sur l’inventivité artistique. La ville n’a d’ailleurs bien peu de pitié pour ses réalisateurs.

Alors que ces sujets auraient pu être traités gravement et de manière intellectuelle, Billy Wilder a plutôt favorisé une approche humoristique. En effet, son film présente certainement de nombreux codes esthétiques du film noir (sobriété, voix-off, histoire de crimes, personnages typés, mystères, etc.), mais s’inscrit quand même dans le genre de la comédie. D’ailleurs, le personnage de Desmond nous fait rire avec sa gestuelle théâtrale, ses exagérations incessantes et sa naïveté exacerbée.

La folie de l’actrice, bien que reposant sur des idées sombres (la société de perdition et de cruauté qu’est Hollywood), devient charmante. C’est ainsi qu’elle (à la fois Swanson et Desmond) assume merveilleusement la mythique réplique: « I am big. It’s the pictures that got small!»

C’est véritablement cela que Wilder a voulu dénoncer avec son film. Dans le contexte du Code Hays,  une loi de censure puritaine imposée à Hollywood, tout en considérant l’avarice et la soif de célébrité de certains producteurs, Wilder a su nous emmener dans l’envers du décor. Desmond et Max sont devenus de ridicules parodies d’eux-mêmes, embourbés dans les failles d’un système qui les a abandonnés.

Billy Wilder au sommet de son art

Si Boulevard du crépuscule est devenu un classique du septième art, ce n’est pas seulement parce que ce dernier s’est intéressé au paradoxes d’Hollywood, c’est aussi parce qu’il les a mis en scène dans les règles de l’art.

Tous les éléments d’un excellent film ont été combinés pour rendre justice à l’ambition de son récit. Les acteurs livrent des performances à la fois justes et touchantes. La direction de la photographie, menée par John F. Seitz, présente des mouvements de caméra qui révèlent constamment de nouveaux espaces qui parlent d’eux-mêmes. La musique, composée par Franz Waxman, est dramatique et percutante.

Et que dire du scénario, d’une intelligence rarement égalée dans les films noirs de l’époque! Les dialogues sont empreints d’une qualité littéraire, d’une poésie remarquable et d’un réalisme juste, rendant efficacement la réalité représentée. Voilà qui est approprié pour la critique sociale que sous-tend le film. Certaines répliques sont, de fait, demeurées très célèbres.

Justement, vers la fin du film, Desmond est au sommet de sa panique, alors que Gillis est sur le point de la quitter, dans un revirement de situation qu’elle n’attendait pas du tout. Par peur d’être laissée à elle-même, encore une fois, elle décide de tuer le scénariste. Lorsque les policiers arrivent, elle est en crise. Elle ne parle que de films et de caméras. Elle est comme possédée, déconnectée du geste qu’elle vient de commettre.

On la fait alors descendre des escaliers pour qu’elle sorte de chez elle, en prétendant qu’on l’attend pour tourner un nouveau film en bas. Devant les journalistes qui brûlent d’envie de photographier l’actrice devenue criminelle malgré elle, elle s’exclame: «Alright Mr. DeMille (un réalisateur qui l’avait autrefois dirigé), I’m ready for my close up!»

Évidemment suivie d’un close-up et d’une passe de violon des plus dramatiques, cette scène est devenue iconique du plus grand rôle de Swanson, concluant Boulevard du crépuscule avec brio.

Pour consulter nos précédentes chroniques «Zoom sur un classique» et ainsi avoir votre dose bihebdomadaire de septième art, suivez le www.labibleurbaine.com/Zoom-sur-un-classique.

1. Analyse


Ce film réalisé en 1950 par Billy Wilder est d’une rare richesse tant par ses dialogues vifs, spirituels et percutants que par ses thèmes empruntant au film noir, à l’étude quasiment clinique de la perte du sens de la réalité et de la folie, voire de la mort l’emportant sur la vie des illusions. Par ailleurs, il est la charge la plus corrosive que l’on ait jamais livrée contre le Hollywood du cinéma, cette « fabrique à rêves ». Film source qui inspira Mulholland drive [1] à David Lynch (il est à noter que le patronyme Gordon Cole donné par Lynch à l’enquêteur du FBI de son film Twin Peaks : Fire walk with me (1992) [2] figure au générique du film de Wilder) et, sans doute, le très caustique S1mOne (2000)[3] de Andrew Niccol. Boulevard du crépuscule dénonce tour à tour la mythomanie et les caprices des vedettes consacrées, l’ingratitude et la cruauté des studios à leur égard et la versatilité du public. Plus profondément, il souligne la terrible confusion entre vie et illusion, entre réalité et fiction, dont le cinéma hollywoodien est la plus grande caricature.

Mythomanie et caprices définissent en effet l'univers de Norma Desmond, l'idole déchue du cinéma muet. Recluse dans son somptueuse demeure aux incroyables, immenses et nombreuses pièces surchargées de meubles, de tableaux et de bibelots - reflet symbolique de son narcissisme et de ses extravagances -, enfermée dans ses souvenirs, vieillissante, elle ne vit plus que par son passé glorieux, confond illusions et réalité, et finit par se laisser aller au mirage d'un retour au cinéma par l'idylle impossible avec un jeune scénariste Joe Gillis (William Holden) qui est, pour sa part, avant tout soucieux de confort matériel et prêt, pour ce faire, à jouer les gigolos.

Ingratitude des studios qui ont abandonné cette Norma Desmond qui fut pourtant leur figure de proue et leur rapporta, par le succès de ses films, tant de bénéfices. Cruauté terrible des studios que Billy Wilder rend concrète en n’hésitant pas à utiliser, dans leur propre rôle, des célébrités du cinéma démodées, voire à demi-oubliées (has been disent crûment les Américains), au moment du tournage de son film, qu’il s’agisse précisément de Gloria Swanson, ancienne idole du cinéma muet, jouant son propre personnage sous le nom de Norma Desmond ; de Eric Von Stroheim célèbre cinéaste en disgrâce interprétant dans le film Max, l’ex-réalisateur des films de Norma Desmond, devenu son chauffeur ; ou encore de Cécil De Mille, cinéaste mythique, dans son propre rôle de Cécil De Mille !

Quant à la versatilité du public, elle consiste moins dans son oubli de ses anciennes idoles que dans sa passivité à ne pas vouloir pérenniser leur gloire, comme le montre le - bref - retour final de Norma Desmond sur le plateau du tournage d'un film. Cette versatilité ne fait d'ailleurs que faire écho à celle de Hollywood pour qui tout est éphémère et passager dans un univers fondée sur la seule utilisation mercantile des talents, tout film étant considéré, d'abord, comme un produit qui peut rapporter de l'argent.

Ce film d’une grande lucidité et terriblement cruel - mais aussi teinté d’un humour d’autant plus ravageur qu’il est distancié - porte un regard décapant sur Hollywood (on rappellera la phrase terrible de Norma en réponse à : « Je vous reconnais. Vous étiez une grande. » « Je suis une grande. Ce sont les films qui sont devenus petits. »). Plus généralement, Hollywood invite trop souvent à confondre apparence et réalité. Que l’on songe à l’étonnant procédé qui structure le film : c’est un mort qui parle et raconte, c’est une voix d’outre-tombe qui commente les images que voit le spectateur. Première confusion paradoxale ! Plus surprenant encore, ce sont des acteurs consacrés (Gloria Swanson, Eric Stroheim, Cécil B. de Mille ou Buster Keaton) qui jouent leur propre rôle dans le film, entretenant ainsi la confusion la plus totale entre cinéma et réalité ! (1) Mais il s’agit aussi d’un merveilleuse célébration du cinéma, évidente lorsque Norma retrouve les gens du cinéma sur les plateaux et qu’ils la célèbrent avec une chaleur non feinte.

Note :

(1) Comment ne pas songer à la citation que Jean-Luc Godard affirme emprunter à André Bazin et qu’il inscrit au générique de son film Le Mépris (1963) : « Le cinéma substitue à notre regard un monde qui s’accorde à nos désirs. » ? (En fait, cette citation est celle du critique Michel Mourlet - « Le cinéma est un regard qui se substitue au nôtre pour nous donner un monde accordé à nos désirs... (1959) » - et a été citée de façon inexacte par Godard.)

2. Synopsis


Le cadavre Joe Gillis (William Holden) flotte sur l’eau d’une piscine dans une magnifique propriété hollywoodienne. Une voix off, précisément celle de Joe, se propose de raconter les événements qui ont précédé cette scène. Alors qu’il n’était qu’un scénariste inconnu et désargenté, les circonstances l’ont fait rencontrer une ancienne actrice célèbre du muet, Norma Desmond (Gloria Swanson). Celle-ci a besoin de lui pour relancer sa carrière ; il dépend d’elle pour vivre dans le luxe. Par intérêt et opportunisme, il flatteNorma, devient son amant et concocte un scénario qui est pourtant refusé par le grand réalisateur Cécil B. de Mille. Joe, attiré par Betty, souhaite alors défaire sa liaison avec Norma pour se sortir de cette fausse relation et recouvrer sa liberté. Mais Norma ne l’entend pas ainsi.