mon cinéma à moi
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THE SHOP AROUND THE CORNER (Rendez-vous) – Ernst Lubitsch (1940)
En 1939, Lubitsch parlait de la nécessité de faire des films en rapport avec » le monde réel ». En 1940, il tourne sur quatre semaines et avec moins de 500 000 dollars The Shop around the corner, dont il dira : « Pour la comédie humaine, je n’ai rien produit d’aussi bon… Je n’ai jamais fait non plus un film dans lequel l’atmosphère et les personnages étaient plus vrais que dans celui-ci »
La « vérité » de l’entreprise vient d’abord, bien sûr, de son enracinement autobiographique. Quoique The Shop… soit inspiré à l’origine d’une pièce hongroise brillamment métamorphosée par Raphaelson, la maroquinerie de M. Matuschek à Budapest ne doit pas être sans rapport avec les magasins de confection de Berlin familiers au petit Lubitsch. Le cinéaste a gardé très présente à l’esprit l’atmosphère de ces modestes commerces où l’on vit en famille : « Le film a un thème universel et raconte une histoire simple. Les sentiments existant entre le patron et ses employés sont les mêmes à travers le monde entier, selon moi. Chacun a peur de perdre son emploi, et chacun sait à quel point les petits soucis humains peuvent mettre cet emploi en danger. Si le patron a un peu de dyspepsie, il vaut mieux ne pas lui marcher sur les pieds ; mais quand tout va bien pour lui, le personnel au complet reflète sa bonne humeur. » [Lubitsch – Jacqueline Nacache – Ed. Edilig (1987)]
Ainsi, comme Ninotchka à son retour de Paris Lubitsch découvre la nostalgie. Ce vague regret qui planait déjà sur le Paris doux-amer d’Angel répand désormais sa langueur sur tout le petit peuple de « la boutique au coin de la rue » – soit au coin de ma rue, de votre rue, de toutes les rues du monde. Car nous y voilà : cette « shop around the corner », par son anonymat même, atteint rapidement les dimensions du mythe. Sous prétexte de parler des petites gens, de montrer des êtres vrais, loin des palaces et des casinos, Lubitsch crée autour d’eux, et pour eux, un univers encore plus idéal et exemplaire que les Paris, Vienne ou Monte-Carlo de ses films précédents. Maintenant les sans-grade ont aussi droit à leur paradis, à la bulle aux parois de cristal dans laquelle les enferme le cinéaste. [Lubitsch – Jacqueline Nacache – Ed. Edilig (1987)]
Lubitsch ne s’est pas plongé dans le petit peuple – d’où, d’ailleurs, il vient -, tout au plus dans la vision que Hollywood forge de ces gens simples, une vision idyllique, est-il besoin de le préciser. La « bulle », c’est la boutique de M. Matuschek, lieu central du décor (on ne s’en éloigne que rarement, et pour des endroits anonymes : café, chambre meublée, hôpital), à l’intérieur de laquelle la réalité est transformée par les us du commerce comme elle l’était dans Trouble in Paradise (Haute Pègre) par les règles du savoir-vivre. Il n’y a pas ici d’hommes et de femmes mais un patron, des vendeurs, une caissière, un coursier. Dans un judicieux article, Yann Tobin compare tout le personnel à une troupe de théâtre et assimile le film à « la préparation d’un show ». Comment mieux dire que nous sommes ici aux antipodes de la réalité, dans ce monde protégé de Lubitsch où même les dissonances concordent à l’harmonie finale ? Or, conformément à la grande tradition lubitschienne, on peut difficilement accumuler plus de dissonances, d’erreurs et de fausses interprétations que dans le scénario de The Shop… – sauf peut-être dans celui de To be or not to be. [Lubitsch – Jacqueline Nacache – Ed. Edilig (1987)]
Si The Shop… marque le couronnement d’un grand cinéaste américain, c’est parce que Lubitsch, avec la complicité de Raphaelson, y confirme qu’il a complètement maîtrisé l’art de manier et s’approprier les stéréotypes – une règle fondamentale dans la grammaire de la comédie américaine. Il sait prendre des êtres monochromes et les habiller de mille nuances irisées : ainsi Klara, la petite vendeuse, qu’un sentiment irraisonné de supériorité fait parfois se comporter comme une princesse ; ou M. Matuschek, que sa profonde bonté n’empêche pas de s’aveugler au point de commettre la pire des erreurs… [Lubitsch – Jacqueline Nacache – Ed. Edilig (1987)]
Répliquera-t-on que Lubitsch était déjà un stéréotype ? Pas plus que les lieutenants souriants, les escrocs de luxe et les comtesses ruinées aux mille expédients. De si parfaites alliances de qualités et de défauts font des personnages uniques et non des types. Nous en trouvons la preuve en rapprochant par-delà les années Schuhpalast Pinkus (Le Palais de la chaussure Pinkus 1919) et The Shop…, qui présentent de curieuses similitudes dans l’intrigue. On se souvient que Sally Pinkus, interprétait par Ernst Lubitsch, était à la fois lâche, séducteur, hypocrite et arriviste, et qu’aucun autre être autour de lui n’avait de consistance. Or tout se passe dans The Shop… comme si Pinkus s’était fragmenté en plusieurs personnages qui illustrent ses différentes facettes. L’un complètement positif – Kralik, la réussite par l’honnêteté -, l’autre complètement négatif – Vadas, l’arrivisme par la flagornerie – et, entre les deux, deux silhouettes ambivalentes : Pirovitch lâche et tendre, Pepi hâbleur et généreux. Pourquoi cet éclatement ? Parce que le spectateur américain de 1940 ne peut s’identifier à un Pinkus qui est à la fois tout le bien et tout le mal. Il a besoin de raccrocher à des êtres emblématiques, le bon Kralik, le mauvais Vadas, qui seuls peuvent permettre aux Pirovitch et aux Pepi d’exister. Pepi, c’est Pinkus au sommet de son triomphe, exhibant fièrement les atours qui sont le signe de sa réussite. Pirovitch, c’est un Pinkus vieilli, qui aurait raté toutes les occasions, à qui il ne reste qu’une douce lâcheté et une terrible lucidité sur lui-même : « L’autre jour M. Matuschek m’a traité d’imbécile. Que pouvais-je faire ? J’ai répondu « Oui, Monsieur Matuschek, je suis un imbécile » – je ne suis pas fou ! » Et c’est bien sûr Felix Bressart qui prête à ces répliques tout son génie de Groucho triste. Si l’on voulait mesurer la distance entre le Lubitsch berlinois et le cinéaste américain de 1940, elle serait sans doute égale à celle qui sépare Pinkus de Pirovitch. De la caricature juive à l’humour juif : il n’a pas fallu à Lubitsch moins de dix-huit ans d’exil pour atteindre ce stade ultime de la sagesse. [Lubitsch – Jacqueline Nacache – Ed. Edilig (1987)]
La nostalgie de The Shop…, c’est aussi la conscience du temps, du vieillissement et de la mort, qu’on perçoit à travers le personnage de M. Matuschek, dont tout le film ne raconte guère que la défaite. Ce n’est pas un hasard si c’est Pepi, le personnage le plus ouvertement comique du film, qui sauve (hors champ) son patron du suicide. Ce sauvetage sonne faux, un pur artifice pour empêcher le film de basculer dans le tragique : de telles erreurs ne sont pas permises dans une comédie sentimentale de la MGM ! Mais ce n’est qu’un sursis : M. Matuschek mourra tout de même de solitude et d’inaction, comme le laisse prévoir cette déchirante scène de veille de Noël où Frank Morgan donne à son personnage toute sa pitoyable grandeur. [Lubitsch – Jacqueline Nacache – Ed. Edilig (1987)]
Ces accès de lucide mélancolie, tellement nouveaux chez Lubitsch, ont souvent permis d’évoquer un film qu’il admirait, Make Way for Tomorrow (Place aux jeunes) de Leo McCarey. Mais si toute la leçon de The Shop… est aussi « Place aux jeunes », le ton reste plus sobre et retenu que dans le bouleversant film de McCarey. Après tout, nous sommes chez Lubitsch, et l’œuvre a d’autres enjeux que la tristesse d’un vieil homme. Et d’abord il s’agit de faire vivre sous nos yeux cette boutique de Budapest. Le pari est tenu dès l’ouverture, une sorte de lever de rideau où tous les employés, arrivant devant le magasin, suivent un rituel à travers lequel chacun se dévoile. Au bout de ces quelques minutes, nous les connaissons depuis toujours, nous avons mis à nu les rapports de pouvoir, d’amitié, de haine : c’est une scène d’exposition au sens le plus classique du terme (extrait n°1). [Lubitsch – Jacqueline Nacache – Ed. Edilig (1987)]
L’intense activité que nous pressentons dans ce groupe ne va pas cesser de se préciser, de se ramifier tout au long du film – l’activité du commerce, elle, restant très modérée. En effet, à l’exception de la grande vente de Noël, on aperçoit bien peu de clients dans la boutique, ce qui semble moins imputable à la crise économique qu’à un manque d’intérêt général pour la clientèle… Et si tous les articles restent en stock avec la même constance que les fameux coffrets à cigarettes musicaux, lesquels se promènent d’un bout à l’autre de l’aventure, cristallisant tour à tour l’ambition, l’échec, l’amour et la colère, on comprend que M. Matuschek estime faire preuve de philanthropie en employant six personnes – « au lieu de quatre dans la boutique d’à côté » ! [Lubitsch – Jacqueline Nacache – Ed. Edilig (1987)]
L’éternel triangle vaudevillesque s’installe, à ceci près qu’il se compose de Kralik, de Klara, et d’un être imaginaire auquel Kralik va se faire un plaisir de donner vie, et dont il se sert même pour faire son propre éloge auprès de la jeune fille ! Ces petites gens-là ont en vérité autant de talent pour marivauder que ducs et comtes ! Kralik maîtrise d’autant mieux cet art lorsqu’il a perdu angoisse et naïveté, et tient en main les ficelles de la situation : il devient alors assez roué pour la mettre lui-même en scène, tandis que Lubitsch s’efface derrière ses personnages. Il réapparaît, cependant, in extremis, le temps que James Stewart soulève son pantalon pour prouver à une Margaret Sullavan incrédule l’impeccable rectitude de ses mollets. Un plan facétieux, digne du Lubitsch allemand, et qui ramène à leurs justes proportions toutes ces romantiques péripéties. [Lubitsch – Jacqueline Nacache – Ed. Edilig (1987)]
LES EXTRAITS
FICHE TECHNIQUE DU FILM
Ernst Lubitsch est l’un des grands stylistes du cinéma américain. Sa renommée internationale, il la doit à ce que l’on a depuis baptisée la « Lubitsch’s touch », un style brillant où se mêlent l’allusion subtile, l’élégance et le brio des dialogues et de la mise en scène, la satire ironique. et légère des faiblesses de la société, plus spécialement dans les rapports entre hommes et femmes.
A la fin de l’année 1945, Lubitsch, qui avait rencontré de graves problèmes de santé, est autorisé par son médecin à reprendre son poste derrière la caméra. Cluny Brown (La Folle ingénue) est adapté d’un roman populaire à succès de Margery Sharp – source qui n’a rien de commun avec les pièces hongroises dont Lubitsch est friand.
Dernier projet d’Ernst Lubitsch, ce film de 1948 réunit la star Betty Grable et le séducteur Douglas Fairbanks Jr dans une romance musicale où l’humour le dispute sans cesse au merveilleux.
Dans une maison de rendez-vous parisienne, Anthony Halton rencontre une très belle et mystérieuse jeune femme, qui s’enfuit à la fin de la soirée. Plus tard, à Londres, il retrouve l’inconnue sous les traits de la respectable lady Maria Barker, épouse de lord Barker, homme politique très occupé. Maria est sur le point de suivre Anthony pour toujours ; mais lord Barker apprend la vérité et survient à temps pour persuader sa femme de revenir près de lui…
Sortie aux États-Unis en mars 1932, la quatrième comédie musicale de Lubitsch confirme l’attrait exercé sur le public par Jeanette MacDonald et le titi parisien Maurice Chevalier.
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