mon cinéma à moi
[LE BLOG OÙ LE CINÉMA D'HIER RESTERA TOUJOURS À L'AFFICHE]
OUT OF THE PAST (La Griffe du passé) – Jacques Tourneur (1947)
Le titre même du film évoque pleinement le cycle noir : le protagoniste Jeff, incarné par Robert Mitchum, marqué par le destin, porte sur son visage cette fatalité qui se lit dans son regard sombre et sans joie ; Jane Greer fait une très belle prestation dans le rôle de Kathie, la femme érotique, et destructrice ; le scénario de Mainwaring réussit, quant à lui, à , déterminisme implacable qui resserre le présent et le futur de Jeff, grâce au procédé du flash-back, enfin, les éclairages sombres du chef opérateur, Nicholas Musuraca, un familier des films noirs, soulignent parfaitement la sensibilité tragique de Tourneur. [Encyclopédie du film Noir – Alain Silver et Elizabeth Ward – Ed Rivages (1979)]
Out of the past commence en plein jour, mais les ténèbres s’annoncent avec l’arrivée de l’étranger (Paul Valentine) dans la petite localité californienne de Bridgeport. L’homme recherche Balley (Robert Mitchum), le propriétaire de la station-service. Installé depuis peu, Balley mène une vie calme avec son amie Ann (Virginia Huston) et jouit de revenus confortables… jusqu’au moment où l’étranger le retrouve. [Film Noir 100 All-Time Favorite – Paul Duncan, Jürgen Müller – Edition Taschen – (2013)]
Comme beaucoup de films noirs, Out of the past de Jacques Tourneur, traite de l’emprise du passé sur le présent, de choses vécues sur lesquelles il est impossible de revenir ou que l’on ne peut oublier. Le gangster Whit Sterling (Kirk Douglas) avait confié à Balley, jadis détective privé à New York, la mission de lui ramener sa fiancée Kathie (Jane Greer), mais Bailey était tombé amoureux de la jeune femme et s’était enfuit avec elle. Fisher (Steve Brodie), un ancien partenaire du détective, avait retrouvé le couple, mais avant de les trahir, Kathle l’avait tué d’une balle de pistolet et était repartie seule avec l’argent volé à Sterling. Bailey s’était alors installé à Bridgeport où il semblait avoir retrouvé la tranquillité. Jusqu’à ce fameux jour où il voit arriver Joe, l’homme de main de Sterling, qui vient lui annoncer que son patron désire lui parler. [Film Noir 100 All-Time Favorite – Paul Duncan, Jürgen Müller – Edition Taschen – (2013)]
Dans la voiture, Balley révèle son passé à Ann tandis qu’ils se dirigent vers la maison de Sterling sur le lac Tahoe. Dans la pénombre, la voix calme et grave de Bailey s’élève comme dans un rêve pour évoquer ses souvenirs. À partir de ce moment, l’aspect visuel du film se transforme. L’obscurité devient de plus en plus présente et peu à peu s’installe une atmosphère d’incertitude, d’insaisissable, de fantastique, qui rappelle les films d’épouvante de Tourneur du début des années 1940. Bailey poursuit son récit, il parle de sa rencontre avec Kathie, une rencontre sur laquelle plane une ombre fatidique. Lors de leur rendez-vous vespéral devant les filets de pêcheurs étendus sur la plage, au Mexique, le spectateur pressent que Bailey ne pourra jamais se détacher complètement de la jeune femme. Quand Bailey, après sa virée nocturne, atteint la demeure de Sterling et referme derrière lui le lourd portail en fer forgé, le passé l’a définitivement rattrapé. Un peu plus tard, Kathie est de nouveau face à lui. Elle est retournée chez Sterling. Mais tout n’est pas oublié pour autant. [Film Noir 100 All-Time Favorite – Paul Duncan, Jürgen Müller – Edition Taschen – (2013)]
La mélancolie attachante du personnage principal de Out of the past explique en grande partie l’ascension du film au statut de chef-d’œuvre : Robert Mitchum est non seulement l’un des héros les plus laconiques du film noir, mais aussi l’un des plus fatalistes. Bailey n’a aucune chance d’échapper à son passé et il semble le savoir avant même que Sterling ne le retrouve. Lorsqu’au début du film, on le voit allongé avec Ann sur les bords du lac en train de lui dessiner leur avenir sous des couleurs riantes, son visage désabusé est en totale contradiction avec ses paroles. Plus tard, lorsqu’il tente de contrecarrer les plans meurtriers de Sterling et parvient à le faire douter de Kathie, ses actes manquent visiblement de conviction. Comme si, à l’intérieur de lui-même, il s’était déjà résigné et qu’il voulait prouver que, quoi qu’il fasse, il ne pourrait échapper à son destin. [Film Noir 100 All-Time Favorite – Paul Duncan, Jürgen Müller – Edition Taschen – (2013)]
Cette apparente contradiction entre désir d’agir et apathie, que Mitchum sait incarner comme nul autre acteur, caractérise le paradoxe qui règne dans le film et lui confère son aspect impénétrable. Ainsi Kathie, la femme fatale, nous apparaît sous les traits d’une vamp glaciale, mais peut se montrer vulnérable à tout instant. Ann fait preuve d’une combativité et d’une sensualité inhabituelles pour une gentille fille de province et Sterling lui-même se révèle sympathique à certains endroits. [Film Noir 100 All-Time Favorite – Paul Duncan, Jürgen Müller – Edition Taschen – (2013)]
Tourneur relativise le manichéisme des personnages qui, aux yeux des contemporains, rend un certain nombre de films noirs si schématiques. Ce léger ébranlement du modèle traditionnel des bons et des méchants laisse également son empreinte sur le style visuel du film. Lorsque le chef opérateur Nicholas Musuraca, qui a déjà filmé Cat People (La Féline, 1942) pour Tourneur, fait flotter sur les scènes tournées en plein jour et en extérieurs une menace latente grâce à son éclairage subtil, il bouscule par là même certaines certitudes visuelles du cinéma hollywoodien : brusquement, la petite ville ensoleillée de Bridgeport perd son aspect idyllique. Et le côté petit-bourgeois et mesquin de ses habitants, aux yeux desquels Bailey est toujours resté un étranger dont il faut se méfier, préfigure déjà le climat aux relents fascistes qui envahira de nombreuses petites villes américaines dans les films des années 1950. Bailey y cherchera un refuge en vain. [Film Noir 100 All-Time Favorite – Paul Duncan, Jürgen Müller – Edition Taschen – (2013)]
Si Out of the past est un film clé du cycle noir, cela ne veut pas dire qu’il n’ait aucune faiblesse. L’intrigue est beaucoup complexe, surtout dans les séquences de San Francisco, et le ton s’enfle parfois d’une solennité lassante. La meilleure partie est sans doute le flash-back du début, rappelant The Killers de Hemingway et sa version cinématographique, due à Siodmak. Dans cette séquence la narration captivante de Jeff, sa première vision de Kathie s’engouffrant dans la pénombre d’un café mexicain, l’interlude romantique sur la plage et leur fuite désespérée installent une atmosphère d’un noir très pur. En revanche, dans la seconde partie du film, le scénario trop long de Mainwaring souligne grossièrement la capitulation de Jeff devant son destin et la duplicité de Kathy. L’apogée dramatique du film – l’un des moments les plus forts sur le plan visuel – a lieu lorsque Kathie abat Fisher ; Jeff se retourne brusquement sous le choc de la révélation. La vraie nature de Kathie lui est enfin dévoilée. [Encyclopédie du film Noir – Alain Silver et Elizabeth Ward – Ed Rivages (1979)]
Malgré ses petits défauts, on peut dire que Out of the past et Criss Cross (Pour toi j’ai tué, Robert Siodmak, 1949) sont les deux films qui évoquent le mieux le motif qui est au cœur du cycle noir : la destruction d’un homme fondamentalement bon par une femme corrompue. Dans ces deux œuvres, l’héroïne hésite entre deux hommes et l’histoire s’achève par la mort des trois membres du trio ; de plus il y a toujours un flash-back qui retrace la chute du héros. Mais ces deux films sont très différents, y compris dans la conception des flash-back. Dans Criss Cross, Steve Thompson est déjà hanté par le souvenir d’Anna, sa première femme, lorsqu’il évoque le moment où il la revit entrer dans une boîte de nuit et comprit que son désir pour elle renaîtrait avec sa force première. [Encyclopédie du film Noir – Alain Silver et Elizabeth Ward – Ed Rivages (1979)]
Dans Out of the past, Jeff raconte sa première rencontre avec Kathie, ce qui rend son aventure plus immédiate pour le spectateur. Mais la différence la plus fondamentale entre ces deux flash-back est que Jeff sait, en relatant son aventure, que Kathie le détruit. Le film retrace le cours des événements qui l’amènent petit à petit à accepter son destin. Thompson, lui, malgré ses expériences douloureuses avec Anna, réussit à se convaincre qu’il a encore confiance en elle et ne comprend vraiment sa nature traîtresse que dans la toute dernière scène. [Encyclopédie du film Noir – Alain Silver et Elizabeth Ward – Ed Rivages (1979)]
Ces deux visions différentes ont malgré tout un point commun : la femme elle-même. Les films noirs sont pleins de personnages féminins destructeurs, et ceux où l’amour enracine les meilleurs aspects du héros, et non les pires, sont rares : They Live by Night (Les Amants de la nuit, Nicholas ray, 1948), par exemple. Dans les autres, Criss Cross, Angel Face (Un si doux visage, Otto Preminger, 1952), Hell’s Island (Les Iles de l’enfer, Phil Karlson,1955) et Double indemnity (Assurance sur la mort, Billy Wilder, 1944), l’amour des femmes mène à la mort. Pitfall (Andre DeToth, 1948), Nightfall (Poursuites dans la nuit, Jacques Tourneur, 1957), The Big sleep (Le Grand sommeil, Howard Hawks, 1946) et Chinatown (Roman Polanski, 1974), évoquent, eux, un autre aspect du même thème. Le héros s’attend à être trahi mais s’aperçoit plus tard qu’il a tort. Cette méfiance ne peut d’ailleurs être aussi radicalement menaçante, ou destructrice, que les véritables trahisons, telles qu’on les trouve dans Out of the past car la vision noire s’accommode moins facilement d’une erreur d’appréciation du héros que de sa fatale obsession. [Encyclopédie du film Noir – Alain Silver et Elizabeth Ward – Ed Rivages (1979)]
Out of the Past est un sommet de la carrière du réalisateur Jacques Tourneur, ainsi que de son directeur de la photographie Nicholas Musuraca. Le genre allait si bien à Tourneur qu’il est criminel qu’il n’ait réalisé qu’un seul autre véritable film noir, Nightfall. Né à Paris mais élevé en Amérique, Tourneur était le fils d’un éminent metteur en scène français, Maurice Tourneur, qui avait réalisé quantité de films en France et à Hollywood. Jacques grandit sur les plateaux, et, vers le début des années 1940, un producteur de la RKO à l’esprit novateur, Val Lewton, lui donna une opportunité de passer derrière la caméra. Le duo produisit une remarquable série de films fantastiques à petit budget qui restèrent célèbres pour leur sens visuel inspiré : Cat People, I Walked with a Zombie et The Leopard Man. La jungle n’étant qu’à quelques encablures de Dark City, il semble évident que Tourneur aurait pu exceller dans le crime drama, mais on préféra lui confier pléthore de films en costumes de deuxième ordre, tels que Stars in My Crown, Anne of the Indies et Way of the Gaucho. [Dark City, Le monde perdu du film noir – Eddie Muller – Rivages Ecrits / Noirs (2015) ]
L’HISTOIRE
Dans la petite ville de Bridgeport en Californie, Jeff Bailey (Robert Mitchum) dirige une station-service aidé par un garçon muet, Jimmy (Richard Webb). Jeff fait la cour à Ann (Virginia Huston). Joe Stefanos (Paul Valentine) vient dire à Jeff qu’un gangster du nom de Whit Sterling (Kirk Douglas) veut le voir. En se rendant chez Sterling, qui habite au bord du lac Tahoe, Jeff raconte l’histoire de sa vie à Ann. Il fut autrefois détective privé et s’appelait Jeff Markham ; on lui demanda de retrouver la maîtresse de Sterling, Kathie Moffet (Jane Greer), qui avait tiré sur son amant et avait pris la fuite en emportant 40.000 dollars.
Jeff l’avait retrouvée à Mexico mais était tombé amoureux d’elle et avait cru à ses protestations d’innocence. Ils partirent vivre à San Francisco jusqu’au jour où Fisher, un associé de Sterling finit par retrouver leur trace. Kathie avait tué Fisher ; Jeff comprit alors qu’elle avait menti et que c’était bien elle qui avait volé l’argent. Après avoir perdu toutes ses illusions, Jeff décida de commencer une vie nouvelle à Bridgeport. En arrivant chez Sterling, Jeff rassure Ann avant qu’elle ne reparte : Kathie n’est plus rien pour lui. Mais il est surpris de la retrouver chez Sterling ; elle lui confie en aparté que Sterling la fait chanter avec le meurtre de Fisher et la force à rester avec lui. Le gangster oblige alors Jeff, en usant également du chantage, à recueillir des informations sur un comptable qui faisait autrefois partie de son gang et l’a trahi : Eels (Ken Niles). En fait Sterling prévoit de faire tuer Eels par Stefanos et de faire accuser Jeff du meurtre.
Quand Jeff découvre le plan, il essaie vainement d’empêcher le crime. Il se rend compte par la suite que Sterling ne possède aucune preuve réelle mais des documents falsifiés qui établissent également sa responsabilité dans le meurtre de Fisher. Pourchassé pat la police, Jeff revient à Bridgepoint et revoit Ann qui n’a pas perdu confiance en lui. Après avoir échappé à Stefanos, Jeff va voir Sterling ; celui-ci accepte de dénoncer Kathie comme la meurtrière de Fisher. Mais cette dernière tue Sterling puis demande à Jeff de s’enfuir avec elle. Il fait semblant d’accepter sa proposition mais alerte la police. Tous deux se font tuer alors qu’elle tente de forcer un barrage. Jimmy réussit à faire croire à Ann que Jeff a toujours aimé Kathie, pour qu’elle puisse l’oublier et refaire sa vie.
Niciun comentariu:
Trimiteți un comentariu