Un soir, un train, André Delvaux (1968). Couleurs, 91 minutes.
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Mathias Bremen (Yves Montand) est professeur de linguistique dans une université belge, situé en Flandres. Lorsque débute le film, Mathias voit son cours abrégé : les étudiants flamands manifestent contre la présence de francophones dans leur université. Se sentant peu concerné par ces événements, le professeur en profite pour rentrer plus tôt chez lui, et passe chercher sa compagne, Anne (Anouk Aimé), au théâtre, où elle travaille comme décoratrice. Mathias a une conférence prévue en soirée : en attendant de prendre le train, il se promène avec Anne. Celle-ci veut l’accompagner, Mathias tente de l’en décourager, mais n’y parvient pas.
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Jusqu’ici, tout va bien.
Bercé par le train qui traverse un paysage enneigé, Mathias s’assoupit bientôt. C’est le ralentissement du convoi qui le tire de sa torpeur. Constatant qu’Anne n’est plus dans le compartiment, il part à sa recherche, et croise dans le couloir le professeur Hernhutter, une vieille connaissance. Lorsque le train s’arrête totalement en pleine cambrousse, les deux enseignants descendent et rejoignent sur le bas-côté Val, un ancien étudiant de Mathias. Tous trois ont l’intention de gagner la locomotive, mais le train part soudain. Voilà les trois hommes abandonnés dans ce coin de campagne, loin de tout… La nuit tombe…
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Plus tard, ils atteindront un village, peuplé de gens fuyants et parlant une langue incompréhensible… Comment procéder pour se faire comprendre ? Pour rentrer chez soi ?
vol1-u-roman-vo.jpgUn soir, un train est l’adaptation du roman éponyme de l’écrivain belge Johan Daisne (1912-1978), représentant du réalisme magique wallon. Deux de ses romans ont portés à l’écran : d’abord L’Homme au crâne rasé (1948) puis Un soir, un train (1948), tous deux précisément par André Delvaux, en 1965 pour le premier roman, 1968 pour le second.
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Sous ses atours de film fantastique, Un soir, un train traite de l’incommunicabilité entre les êtres – y compris et surtout au sein d’un couple. Les scènes figurant Mathias et Anne ensemble sont significatives : l’un et l’autre monologuent, chacun de son côté, et lorsqu’ils dialoguent enfin, ils peinent à se comprendre. Le lieu de l’action n’est pas non plus anodin : la Belgique, divisée en deux par une frontière linguistique, où (pour autant que je sache) Wallons et Flamands ne font pas forcément l’effort d’apprendre la langue de l’autre. Quant au dernier quart du film, se déroulant dans cette ville étrange où les gens ont un comportement aussi incompréhensible que leur langue, il préfigure très fortement Épépé (1970), roman de Ferenc Karinthy racontant les déboires d’un linguiste dans une ville inconnue peuplée de gens dont la langue défie toutes ses tentatives de compréhension (au demeurant, le roman est excellent et a récemment bénéficié d’une réédition chez Zulma : lisez-le !).
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Dès le générique et sa chanson hantée, un sentiment de tristesse va imprégner le film. Une ambiance accrue par le visage mélancolique d’Anouk Aimé et l’air de chien battu d’Yves Montand, ainsi que par les paysages hivernaux traversés par le train. On pourrait se trouver aussi bien en Belgique qu’aux confins des steppes asiatiques, comme le commente le professeur Hernhutter à ce sujet.
Baignant dans une atmosphère de réalisme magique, Un soir, un train retombe cependant sur ses pieds dans ses dernières scènes. Les événements étranges vécus par Mathias depuis sa descente du train trouvent un sens. De fait, un indice sur le dénouement est donné en cours de film, mais peut passer inaperçu aux yeux du spectateur inattentif (que j’étais lors de ma première vision). Un dénouement qui ne surprendra pas les amateurs de littérature fantastique et de nouvelles à chute, mais l’intérêt ne se situe pas là : ce n’est pas un film de M. Night Shyamalan… Par ailleurs, la scène se déroulant au théâtre d’Anne, où Mathias fait une remarque sur la nature du texte joué (Elckerlijc, pièce en vieux néerlandais datant de la Renaissance, où la Mort, sur ordre divin, fait voyager un monsieur tout-le-monde) s’avère elle aussi porteuse d’un sens métaphorique. L'ensemble acquiert une dimension tragique qui achève de rendre le film inoubliable.
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Une remarque annexe : la copie du film que je me suis procurée est un fichier .avi très probablement créé à partir du repiquage d’un enregistrement VHS, lors d’une diffusion du film à la télévision, du temps où les magnétoscopes existaient. Est-ce dû à la diffusion ou à la cassette ? L’image vidéo y prend des airs de palimpseste, avec d’autres images apparaissant en transparence : des pages de livre, une publicité pour Panzani… Ces images rémanentes intervenaient de manière judicieuse par moment (souvent non), et laissaient l’impression d’une autre réalité, sous-jacente et inaccessible, effet non dénué d’à-propos quant au twist final d’Un soir, un train.
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https://books.google.ro/books?id=H-uSh3a_HdsC&pg=PA49&lpg=PA49&dq=delvaux+film+un+soir+un+train+blog+en+francais&source=bl&ots=_GBVyK-He0&sig=ACfU3U2nbHSGvrbXO_vTQusrkOBgaOrXQQ&hl=fr&sa=X&ved=2ahUKEwiNxJ6vjeTpAhVvyaYKHRL_BHUQ6AEwA3oECCgQAQ#v=onepage&q=delvaux%20film%20un%20soir%20un%20train%20blog%20en%20francais&f=false
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Un soir, un train par Daisne

Marcel Brion (Préfacier, etc.)Maddy Buysse (Traducteur)Jacques De Decker (Auteur de la postface, du colophon, etc.)
EAN : 9782870279601
108 pages
Éditeur : COMPLEXE (16/02/2003)

Le sommeil gagne un compartiment, un wagon, un train entier. Que signifie cet étrange phénomène ? Le narrateur se trouvera deux compagnons, un aîné et un cadet, pour vivre une aventure dont la dimension prendra, au-delà d'un symbolisme évident, un sens métaphysique. L'univers de Daisne est à double fond. En surface, la réalité quotidienne, banale, qu'il perçoit avec une fidélité scrupuleuse. Daisne a le regard sans faille du vrai romancier. Rien ne lui échappe, tout est consigné de ce que le monde offre en spectacle. Mais, justement, cette réalité immédiate n'est, pour Daisne, qu'un spectacle. Il y a, derrière tout cela, les coulisses, une réalité seconde, une machinerie dérobée au témoin distrait, une magie. Proche des romantiques allemands et des romanciers d'aventure anglais, admirateur sans réserve de Pierre Benoît, autour duquel il a construit un roman se déroulant pour une grande part dans le Pays basque, Johan Daisne, qui s'éteignit à Gand en 1978, appartenait à la lignée des conteurs purs, des princes de l'imaginaire.
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Mercredi, 9 Octobre, 2002

LA MORT D'ANDRÉ DELVAUX

Le réalisateur belge André Delvaux est mort vendredi soir d'une crise cardiaque, alors qu'il participait à une rencontre mondiale sur l'art à Valence (Espagne). Né en 1926 à Héverlé, près de Louvain, cet homme, dont la culture n'avait d'égale que la modestie, avait étudié la philologie germanique et le droit à l'Université de Bruxelles tout en pratiquant le piano et la composition au Conservatoire royal. La musique restera une de ses passions, ses films en témoignent, mais se verra vite rejointe par une autre quand, professeur de langues, il fait tourner des films en 16 millimètres à ses élèves, dès 1956. Se prenant au jeu, il anime, là encore avec dix à quinze ans d'avance, un séminaire sur le langage cinématographique à l'Université de Bruxelles, tout en réalisant divers courts métrages dont, pour la télévision, des séries consacrées à Fellini (1960), Jean Rouch (1962), au cinéma polonais (1964) et aux métiers du cinéma (Derrière l'écran est une sorte de " making off " des Demoiselles de Rochefort).
La consécration vient dès son premier long métrage, tourné en flamand, l'Homme au crâne rasé, en 1966. Le cinéma belge est alors terra incognita, bien des spectateurs ayant oublié que Jacques Feyder était belge et que, avant Delvaux, Paul Meyer et Henri Storck avaient déjà donné des ouvres majeures. Cette histoire d'amour fou, à la rencontre du surréalisme et de descriptions précises mais hypothétiques comme en produit alors le nouveau roman, marque à elle seule l'entrée d'un cinéma authentiquement belge sur la scène internationale. Un soir un train, film francophone réalisé deux ans plus tard, confirme l'importance de Delvaux. Sa petite musique intérieure s'affirme dans une grande attention à la composition plastique, aux sons, aux bruits, dans un voyage hors des lieux et du temps qui voit se rencontrer comme dans un brouillard Yves Montand et Anouk Aimée. C'est toujours entre rêve et réalité, entre passé et présent, dans une Flandre automnale prégnante plus que présente, que se déroule Rendez-vous à Bray (1971), tiré d'une nouvelle de Julien Gracq, où le héros devient pianiste et accompagnateur de films muets, ce que fut Delvaux à la Cinémathèque royale. Après Belle (1973), qui porte à sa quintessence la manière de l'auteur, l'ouvre devient plus rare, se résumant à trois titres importants, Femme entre chien et loup, en 1979, Benvenuta, en 1983, et l'Ouvre au noir, d'après Marguerite Yourcenar, en 1988. Cela n'a en rien diminué une activité par ailleurs foisonnante. André Delvaux était ce discret voisin de palier à la voix douce et au costume passé, dont vous mettez vingt ans à découvrir qu'il est célèbre, mais il était partout (le lieu de son décès en témoigne), ambassadeur de la culture belge dans ce qu'elle a connu de meilleur. N'aurait-il réalisé que les films qu'on ne cite jamais (son magnifique court métrage consacré au grand peintre Dierick Bouts, en 1975, ou To Woody Allen from Europe with Love, en 1980) que son nom mériterait d'être retenu.
Jean Roy