L'HISTOIRE
1937, la sècheresse sévit à Los Angeles. JJ Gittes, un petit détective spécialisé dans les constats d'adultère, est engagé par la troublante Evelyn Mulwray qui soupçonne son mari, fonctionnaire du service des eaux, d'entretenir une maîtresse. Obligeant, Gittes de tarde pas à surprendre Mulwray en compagnie d'une femme. L'histoire fait la une des journaux, et le détective découvre alors qu'on l'a utilisé pour discréditer Mulwray, fonctionnaire intègre opposé à la construction d'un réservoir d'eau.
ANALYSE ET CRITIQUE
A l'instar de Howard Hawks, Roman Polanski est un cinéaste capable d'aborder tous les genres avec brio. Du fantastique (Rosemary's Baby, Le Locataire) au drame historique (Le Pianiste), en passant par le thriller (Frantic), la comédie horrifique (Le Bal des vampires) ou encore le film de pirates (Pirates), Polanski multiplie les expériences cinématographiques tout en y insufflant un style unique. Un style teinté d'espièglerie, de mystère, de perversion et de folie qu'il applique une nouvelle fois en 1974 lorsqu'il réalise Chinatown.
Chinatown ou les tribulations de Jake Gittes, détective privé dans le Los Angeles des années 30, se pose comme un véritable hommage aux plus grands films noirs. On y retrouve la complexité scénaristique propre au genre avec une structure labyrinthique de l'intrigue : au départ Jake Gittes est engagé par une femme soupçonnant son mari d'adultère. Jusque-là rien de bien original. Mais voilà, le mari en question est retrouvé mort, la femme n'est pas son épouse, et cette dernière est retrouvée par Gittes avec laquelle il noue une relation tumultueuse... A l'origine, le scénario signé Robert Towne était extrêmement riche avec une multitude de personnages, une intrigue à tiroirs, et promettait un film capable de rivaliser en terme de complexité avec des sommets du genre comme Le Grand sommeil (Howard Hawks) ou Le Faucon maltais (John Huston). Mais si Polanski est intéressé par ce genre, il ne souhaite pas pour autant faire une croix sur la façon dont il a toujours abordé la caractérisation de ses personnages. En effet, Roman Polanski n'est pas un adepte de la multiplication des protagonistes, il préfère concentrer son regard sur un groupe restreint et décide donc de réécrire le scénario avec Towne. Il peut ensuite s’attaquer à la réalisation et signer à cette occasion son grand retour à Hollywood.
Doté d'un budget conséquent pour l'époque, Chinatown offre une reconstitution à la fois riche et soignée du L.A. des années 30. De ce point de vue, la direction artistique est une vraie réussite et permet à Polanski de filmer l'immensité de la mégalopole californienne avec un réalisme saisissant. L'histoire imaginée par Robert Towne se déroulant en pleine sécheresse, Polanski décide de plonger son décor dans le vent, la poussière, et de l'éclairer constamment sous la lumière du soleil. De ce point de vue, il faut souligner le magnifique travail de John A. Alonzo, qui signera plus tard la photographie du Scarface de Brian De Palma. Dans Chinatown, la lumière est omniprésente et paraît brûler la pellicule accentuant ainsi l'ambiance oppressante qui pèse sur Jake Gittes. Côté interprétation, on retrouve Jack Nicholson et Faye Dunaway en têtes d'affiche. Il paraît bien difficile de décrire la qualité de leur performance respective sans tomber dans l’excès de superlatifs. Rappelons simplement qu’ils furent tous les deux nommés pour l'Oscar et auraient amplement mérité cette récompense. A leurs côtés, Polanski a la merveilleuse idée de donner un rôle à John Huston, rattachant ainsi son film à la grande histoire du film noir.
Enfin comment évoquer Chinatown sans parler de Jerry Goldsmith, dont la bande originale et son fameux Love Theme concourent évidemment à la beauté troublante de ce film si singulier ? Je vous invite donc à (re)plonger dans l'ambiance envoutante de Chinatown, sublime hommage aux plus grands films noirs et œuvre profondément marquée par la griffe Polanski. Ceux qui apprécieront pourront ensuite découvrir la suite (The Two Jakes) réalisée avec un peu moins d’ambition mais beaucoup de talent par Jack Nicholson en personne.
DANS LES SALLES
DISTRIBUTEUR : SPLENDOR FILMS
DATE DE SORTIE : 21 novembre 2012
EN SAVOIR PLUS
Article écrit par Justin Kwedi
Le film noir rétro et retors de Roman Polanski n’a rien perdu de son attrait infectieux.
https://www.iletaitunefoislecinema.com/ressortie-chinatown-de-roman-polanski/
https://www.iletaitunefoislecinema.com/ressortie-chinatown-de-roman-polanski/
Le mal, son attrait, son pouvoir insidieux et maléfique est un des thèmes de prédilection de Roman Polanski. Il ne l’aura jamais plus subtilement exploité que durant sa trop courte (pour les raisons que l’on sait) carrière américaine avec les chefs-d’œuvre que sont Rosemary’s Baby (1968) et Chinatown (1974). Dans Rosemary’s Baby, Polanski intégrait ce mal dans la quiétude d’un foyer ordinaire et en frappait la plus innocente des créatures avec une Mia Farrow oppressée par une menace démoniaque ou sa propre folie, symbolisée par l’enfant qu’elle portait. Cette dimension maternelle annonce en tout point Chinatown, cauchemardesque parabole sur les origines du Mal avec cette évocation trouble des fondations de la ville de Los Angeles.
Le script de Robert Towne s’inspire du drame qui frappa Los Angeles le 12 mars 1928 lorsque le barrage construit par l’ingénieur William Mulholland (et reliant l’aqueduc de L.A. à Owens Valley pour alimenter la ville en eau) céda, tuant plus de 400 habitants de la ville voisine de Santa Paula. Mulholland vit sa carrière brisée du jour au lendemain et surtout son nom sali par des rumeurs de corruption, et la L.A. moderne dont il fut l’inventeur toujours associée à ses fondations sanglantes. Dans Chinatown, le scénario divise Mulholland en deux personnages signifiant sa dualité : les bienfaits du bâtisseur indomptable avec Hollis Mulwray (dont le nom est un anagramme de William Mulholland) et le riche entrepreneur corrompu avec Noah Cross (John Huston) dont le prénom détourne sous un jour néfaste la métaphore biblique. C’est ici un Noé malfaisant qu’incarne Huston, reconstruisant le monde pour sa propre richesse après le déluge et comme le révèlera le terrible final, sera le père non plus d’un peuple aimant mais celui d’une progéniture qu’il a souillée. Tout débute dans un ton de film noir classique revisité par le Nouvel Hollywood avec une enquête policière sur une histoire d’adultère qui va mener bien plus loin le détective privé Jack Gittes (Jack Nicholson). Le scénario tortueux de Robert Towne nous promène dans une intrigue prolongeant par la fiction les conséquences du drame de 1928 où des nantis détournent l’eau de la ville pour irriguer les terrains de la Northwest Valley. Ces terrains acquis à un prix dérisoire enrichiront leurs propriétaires corrompus lorsque ceux-ci seront incorporés à Los Angeles, mégapole aux racines viciées.
Ces grands enjeux s’illustrent cependant sous un angle étouffant et malsain par Polanski qui selon sa règle habituelle amène tous ses développements narratifs par le seul regard de son héros Jake Gittes. Le ton trivial et la désinvolture de Gittes cède au mystère puis à la menace lorsque l’ampleur du complot se dévoile. Jack Nicholson en cynique soudain guidé par la quête de la vérité trouve le rôle qui fera de lui une star et Faye Dunaway victime et manipulatrice incarne une troublante femme fatale. La photographie ocre de John A. Alonzo, plutôt lumineuse pour un film noir, s’éloigne pourtant de l’imagerie ensoleillée associée à Los Angeles. Les couleurs semblent toujours légèrement desaturées comme dans un mauvais rêve et sans céder à l’étouffement urbain du genre, Polanski délivre un malaise équivalent dans son usage des grands décors naturels environnants. Des coups de feu surgissent d’une paisible orangeraie, un cadavre est repêché d’un cours d’eau et le bientôt lucratif désert offre une désolation déprimante.
Le quartier de Chinatown est le berceau, le guide et l’aboutissement de tous ces maux qui rongent la ville. Cette facette est subtilement amenée par divers dialogues ramenant Jake Gittes à son passé de flic dans cette zone de non droit. C’est là que culminent les péchés de la Cité des Anges où les autorités ont fini par tolérer le crime pour plus de confort (et où il est sous-entendu que Jake a perdu un être cher dans la belle scène d’amour avec Faye Dunaway) et que le drame final se jouera dans l’indifférence. Le drame familial sordide au parfum d’inceste initie donc la tout aussi trouble grandeur naissante d’une ville mythique.
Grand succès publique et critique, Chinatown sera nominé pour onze Oscars (dont ceux des meilleurs acteurs pour Jack Nicholson et Faye Dunaway), Robert Towne remportant celui du meilleur scénario original (souvent qualifié d’un des meilleurs jamais écrits) quand bien même celui-ci fut largement réécrit par Polanski et le producteur Robert Evans, notamment sa fin tragique. Towne voyait Chinatown comme le volet d’une trilogie où la corruption tournerait autour des ressources sur l’eau, le pétrole puis la terre. De grandes ambitions qui tourneront court avec l’échec du deuxième volet tardif The Two Jakes (1990) réalisé par Jack Nicholson.
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