ROMAN PArticle écrit par
Maryne Cervero
https://www.iletaitunefoislecinema.com/le-locataire-roman-polanski-1976/
L´art de réduire l´extraordinaire biographie d´un grand cinéaste contemporain à ses frasques médiatiques : Roman Polanski à travers le prisme amer des gros titres de la presse à scandale.
De deux choses l’une : ou bien on a lu le synopsis du documentaire avant d’aller voir le film, ou bien on a préféré laisser plus de place au plaisir de la découverte. Dans les deux cas, la déception est grande, tant le film ressemble à un assemblage, méticuleux certes, mais férocement élitiste, de tous les faits divers que la presse à scandale a retenu des agissements de Roman Polanski. Ici, si le réalisateur est wanted et desired, ce n’est pas parce qu’il a bâti une carrière extraordinaire à la seule force de son talent, mais bel et bien parce qu’au fil de sa vie, son nom a plusieurs fois été associé aux gros titres d’un nombre incalculable de tabloïds peu scrupuleux.
Présenté comme un biopic non autorisé du cinéaste, Roman Polanski : Wanted and Desired prouve sans détours que comme toujours, il est plus facile et plus rentable de parler des frasques d’une célébrité, fût-elle la plus respectable autorité du pays, que de s’essayer au documentaire sincère et honnête. Cependant, n’allons pas mentir en hasardant un jugement erroné : Marina Zenovich manifeste un excellent potentiel en signant un reportage soigné et maîtrisé, présentant des images d’archives savamment choisies et somme toute relativement pertinentes.
Pourtant, malgré ces précautions non négligeables, le scepticisme persiste. On ne peut s’empêcher de penser que le film laisse échapper quelque chose d’essentiel, un on-ne-sait-quoi d’objectif et de libéré des habituels carcans médiatiques. Marina Zenovich semble oublier, le temps d’un documentaire, que la caméra est un instrument à double tranchant, à la fois fenêtre ouverte sur l’univers de l’indicible, et cadre austère traçant une frontière risquée entre ce que l’observé vit et ce que l’observateur voit. Délaisser le côté artiste pour sublimer le côté people.
« Les célébrités sont des personnes comme les autres, mais pour les artistes, c’est une autre paire de manches », semble dire Marina Zenovich, qui manipule les images pour offrir une sorte de « biographie médiatique » aux allures de coffre à ragots faisant l’apologie du voyeurisme.
« Les célébrités sont des personnes comme les autres, mais pour les artistes, c’est une autre paire de manches », semble dire Marina Zenovich, qui manipule les images pour offrir une sorte de « biographie médiatique » aux allures de coffre à ragots faisant l’apologie du voyeurisme.
Dans l’esprit du spectateur, le film s’achève comme une leçon sur le crédo ambigu de « l’originalité à tout prix » : oui, il est tout à fait possible de réaliser un documentaire sur un grand cinéaste contemporain en utilisant 300 fois le mot « judiciaire » et 15 fois le mot « cinéma ». Roman Polanski en fait les frais dans ce reportage expérimental, qui prend un malin plaisir à éclipser les belles empreintes que le réalisateur franco-polonais, pourtant parti de rien, a su laisser dans le monde du septième art.
OLANSKI : WAArticle écrit par Géraldine Pioud
Les trois premiers longs métrages de Polanski, ou comment les obsessions du cinéaste ont-elles été couchées sur pellicule.
Sortie en coffret DVD le 19 Mars 2008.
Édité chez Opening
Édité chez Opening
Roman Polanski est l’un des rares cinéastes à pouvoir se targuer d’un tel parallélisme entre vie personnelle et vie artistique. D’ascendance juive, l’enfant, alors prénommé Raymond, sera le témoin des atrocités de la guerre. Né en France, il part en Pologne avec son père en 1936. Sa mère meurt en déportation en 1941. L’horreur qui marque sa prime jeunesse représente une des clés de ses oeuvres : des personnages sont souvent immatures, qui se débattent dans l’absurde et essaient de surmonter la fatalité (comme en témoigne Le pianiste, Palme d’Or à Cannes en 2002, certainement le film le plus intime du réalisateur) . Polanski développe les thèmes forts de l’aliénation mentale, de la paranoïa, du bizarre, du malsain, dans un souci constant de décrire des personnages grotesques qui luttent contre la malédiction, au travers d’un univers filmique dense et foisonnant.
La carrière de Polanski oscille entre traumatismes causés par la seconde guerre mondiale et aléas tragiques d’une vie proche de ses films. Elle commence véritablement avec le plus sordide et aussi le plus mémorable de ses films, Le couteau dans l’eau (1962), écrit avec Jerry Skolimowski, qui transcende le genre du huis-clos. Intégralement tourné à bord d’un bateau, le film est une lutte incessante entre les hommes et les classes. Le cinéaste libère ses obsessions les plus profondes, son angoisse et sa peur de l’autre. Pièce matricielle de son oeuvre, Le couteau dans l’eau conditionne la suite de sa carrière.
Deuxième long métrage de Roman Polanski, Répulsion date de 1965. À l’époque, Catherine Deneuve devait son naufrage délirant à ses troubles intérieurs. Mais le film se garde bien de trancher. Derrière la caméra, Polanski entretient le doute, amenant à se demander si un pareil monde, nullement monstrueux, mais juste sinistre (des personnages aigris -à l’image de ceux que l’on trouvaient quelques années auparavant en 1939, dans Derrière la façade, de Georges Lacombe et Yves Mirande) est vraiment vivable. Dans ce film (qui appartient à ce qui l’on pourrait appeler le trilogie paranoïaque de Polanski avec Rosemary’s baby et l’excellent Locataire) se dégage déjà une certaine puissance malsaine, point d’orgue de la maîtrise cinématographique du cinéaste. Le montage peint une réalité extérieure agressive qui se confond avec le personnage de Catherine Deneuve.
Définitivement attaché à des personnages complexes, Roman Polanski distille le parfum de la suspicion dans le très réussi Cul-de-sac (1966). Sur une île déserte en Irlande, qui évoque déjà Le bal des vampires, deux gangsters vont partager le quotidien d’un couple. Entre doutes et manipulations, chacun accomplira l’impensable, et les rires d’angoisse côtoient alors les peurs ancestrales. Huis-clos qui fait naître de nouvelles complicités, ce vaudeville est un parfait exemple de tragi-comédie. Un sentiment permanent d’inquiétante étrangeté appuyé par la bande son de Krzysztof Komeda.
Un coffret DVD indispensable donc, Article écrit par Alexis De Vanssay
<< La solitude est un cercueil de verre >> Ray Bradbury
Depuis sa petite enfance, la vie de Roman Polanski est une tragédie. Toute son existence a été une révolte contre la haine et l’enfermement et toujours, dans son art, il a sublimé le désespoir .
Depuis sa petite enfance, la vie de Roman Polanski est une tragédie. Toute son existence a été une révolte contre la haine et l’enfermement et toujours, dans son art, il a sublimé le désespoir .
Roman Polanski, sa vie, son œuvre sont placés sous le signe de l’enfermement, de la réclusion. Si cette dernière est bien réelle depuis quelques semaines pour le cinéaste, c’est surtout le thème majeur qu’il déclinera dans l’ensemble de son travail. Que ce soit la folie, la solitude ou bien la détention concrète – celle de Szpilman dans Le Pianiste –, les films de Roman Polanski sont habités par cette idée, qu’il confiera à ses interprètes.
D’abord, il y a l’enfance tragique, celle du ghetto de Cracovie, la mort de sa mère à Auschwitz dont il ne se remettra jamais. Même si Polanski se « refuse à cette référence : il déteste qu’on s’apitoie » (1), comment expliquer son retour en Pologne quarante ans après et sa décision de tourner Le Pianiste – qui raconte l’histoire vraie du compositeur Wladyslaw Szpilman, survivant du ghetto de Varsovie – sinon pour exorciser ce traumatisme initial, celui de la Shoah ? On dit que l’Art sublime les douleurs les plus intimes et les plus profondes. Rien n’est moins sûr ici, car l’assassinat de sa mère dans une chambre à gaz est une première mort pour le petit Roman. Très vite pourtant, il découvrit le cinéma et il eut l’intuition qu’il pouvait exploiter ses propres blessures, les soigner sur un écran, faire des films pour apaiser sa souffrance.
La solitude, l’enfermement : thème polanskien central donc. Dans Rosemary’s baby (1968), Mia Farrow est impressionnante dans le rôle d’une femme esseulée au bord de la folie. Dans Lune de fiel (1992), Polanski montre à quel point une passion amoureuse peut-être destructrice et même mortelle. Un mur se construit simultanément autour du couple puis entre les amants eux-mêmes. La violence des uns crée la solitude des autres. Le Locataire (1976) fait le récit d’un homme qui subit la pression exercée par son voisinage, des violences réelles et fantasmées aussi, et finit par se suicider. Dans le Bébé de Rosemary toujours, il y a les cauchemars de l’héroïne, symptômes de la folie et autre forme de prison. Le huis clos qui concentre l’action et intensifie le drame est parfaitement utilisé par Polanski dans La jeune fille et la mort (1994). Sigourney Weaver (magistrale) s’enferme dans la violence, la vengeance. Autre réclusion.
Le cinéaste va donc s’évertuer dans ses œuvres à regarder la nature humaine (et sa condition). Cette nature est plûtot mauvaise. Balayant les critiques qui le taxent de pessimiste, il s’exprime en ces termes : « Je crois qu’il faut seulement parler de réalisme, il n’y a pas tellement de raisons de croire que l’homme est bon. »
Roman Polanski a donc connu la tragédie européenne dans son horreur incommensurable. Un peu plus de 20 ans plus tard, il connaîtra la tragédie américaine avec l’assassinat de Sharon Tate, sa femme alors enceinte de huit mois, dans des conditions particulièrement atroces. Désespéré, il décidera de continuer à vivre. Pour lui, pour son Art. On le lui a reproché. Il faut croire que l’hallali est un sport qui traverse sans une ride les décennies. Lorsqu’un fou tue votre femme, devenez-vous par votre résiliance un être peu recommandable ?
En ce mois d’octobre 2009, Roman Polanski est incarcéré dans une prison qui aura constitué la trame principale et commune de son existence et de son œuvre. Sa vie a toujours été une tentative d’évasion qu’il aura réussie, toujours. Pour notre plus grand bonheur et le sien. Souhaitons que cette fois-ci encore, il en réchappe.
Notes: (1) Pierre Billard, in Le Point, 29 octobre 1979, p.131.
puisquTHE GHOST WRITER
Article écrit par Ariane Allard
Un thriller tout en tension, plus personnel qu’il n’y paraît de prime abord. Roman Polanski manie aussi bien l’élégance que l’ironie. Ours d’argent au Festival de Berlin 2010.
D’abord, et pour tout dire, il y a la tension dramatique. Soutenue, permanente, confondante. Cette opacité hypnotique et joueuse, que seule (ou presque) la dextérité d’Hitchcock a su imposer au récit cinématographique. "Great" ! Impossible, ici, de s’y soustraire, que l’on soit cinéphile vétilleux ou spectateur juste ravi. Ensuite, comme après-coup, percent l’ironie, le clin d’œil tragicomique, l’effet de miroir du nouveau film de Roman Polanski. Reste que cette seconde lecture ne brouille pas nécessairement l’efficacité primaire, superbe, de son thriller. Et c’est tant mieux !
Bon, d’accord : ça n’est pas complètement un hasard si le cinéaste célébré du Pianiste a choisi de rebondir sur ce jeu de pistes grinçant, évoquant "mine de rien" le lynchage médiatique d’une icône (un ex-Premier ministre, en l’occurrence). Et ça n’est pas neutre, non plus, si ce personnage charismatique et britannique – hello Tony Blair ! – est forcé de rester aux Etats-Unis pour échapper à la justice de son pays. De l’usage du contrepied… Mais pour mémoire, rappelons qu’avant d’être son film, The Ghost Writer a d’abord été le roman du journaliste politique Robert Harris (L’Homme de l’ombre). Et, surtout, que Polanski l’a réalisé avant d’être interpellé par la police helvète en septembre dernier, rattrapé alors par la justice américaine qu’il fuit depuis plus de trente ans.
Donc ? Donc nul sens de la divination – et nul plaidoyer pro domo surtout – pour cet artiste aux vies multiples et polémiques. Juste une inclination habile et élégante pour la transcendance : ce que l’on appelle, littéralement, la mise en scène (et ce que l’on attend d’un bon cinéaste, quel qu’il soit). Que l’on ne s’y trompe pas : on connaît trop l’implication de cet homme d’images dans l’élaboration du scénario – son tandem avec feu Gérard Brach fait aussi partie de sa légende – pour ne pas s’attendre, ça et là, à des pistes à double détente. Évidemment. En outre, puisqu’il a achevé la post-production de son long métrage à distance, de sa prison dorée de Gstaad, là même où il est assigné à résidence, on devine que cette situation extrême a forcément influencé son "final cut". Est-ce bien utile, pour autant, de débusquer une mise en abîme derrière chaque dialogue ou chaque plan ? Sûrement pas. Car une fois posé ce contexte (singulier, en effet), il n’en reste pas moins que The Ghost Writer est, d’abord et avant tout, un film noir d’excellente facture !
Classique et classieux
Pour preuves, ses références non seulement assumées mais diablement maîtrisées aux classiques du genre. Or donc, voici un héros ordinaire, naïf, sans attaches mais attachant (le fameux "nègre" un rien "loser", finement interprété par Ewan McGregor) qui se trouve plongé au cœur d’un jeu politico-médiatique tordu à souhait. Aux frontières du réel (Blair et son engagement aveugle dans la guerre en Irak), de la fiction (l’ex-Prime minister est dévoré par la passion du théâtre pendant ses années de fac, tiens donc, les politiques seraient-ils des marionnettes ?) et de la satire.
Dépassé le joli candide ? Il l’est forcément – et nous avec, le récit étant mené à la première personne – quand bien même il tente de déceler la logique de cette curieuse affaire : voilà pour le suspens, jalonné de roueries et de faux semblants. Cherchez la femme, alors ? "Of course, dear !", puisque comme dans tout bon polar à la Chandler, c’est elle la maîtresse trouble de ce jeu en forme de spirale. Coup de chapeau, d’ailleurs, aux deux comédiennes impeccables, presque impénétrables, que sont Kim Catrall et Olivia Williams. Est-ce à dire que ce Ghost-Writer serait un Polanski par trop sous influence(s) ?
Sans doute, les amateurs de ses premiers longs métrages n’y retrouveront pas leur inquiétante étrangeté et/ou leurs cadrages paranoïaques. En revanche, ceux qui s’ennuient quelque peu, depuis 2002, face à l’académisme plus convenu du Pianiste ou d’Oliver Twist, se réjouiront de ce sursaut bienvenu dans la noirceur. En effet, l’un des grands atouts (et attraits) de ce nouvel opus, c’est son sombre décor insulaire, sa météo dépressive, battue par les vents (le jardinier qui s’entête, tel un Sisyphe balnéaire, à vouloir balayer la terrasse). Son univers de bord de mer et de plages à l’abandon au fond, avec ses vieux témoins bizarres, surgis de nulle part, son atmosphère de ports et de ferries noctambules comme autant de trafics et de transits possibles : c’est peu dire qu’un sentiment oppressant d’isolement, voire de cul-de-sac (tiens tiens…), prédomine tout le long.
En cela, The Ghost Writer rejoint bien les thématiques originelles, obsessionnelles, de l’insondable monsieur Polanski. Cinéaste cohérent… dans l’ambiguïté (du mal, notamment). De fait et pour finir, l’extraordinaire maison où se terrent, sur cette île tempétueuse, le Premier ministre et son staff, cette villa-bunker ressemble autant à un refuge qu’à une prison. Dont il faudra bien sortir un jour, pour affronter la vérité, quel qu’en soit le prix… Espace glaçant et métonymique, tout en contrastes (d’un côté, le béton labyrinthique de son architecture moderne, de l’autre ses immenses baies vitrées qui ne laissent entrer, pourtant, que peu de lumière et de transparence) : elle est idéalement emblématique du trouble distillé par le film. Tout simplement parce qu’elle s’inscrit dans la tradition du thriller "hitchcockien", s’imposant comme la figure fascinante d’un dispositif embrouillé mais impeccable, et qu’elle entre aussi, parallèlement, inévitablement, en résonance avec la vie réelle du cinéaste aujourd’hui.
Niciun comentariu:
Trimiteți un comentariu