duminică, 19 ianuarie 2020

Visconti-Morte a Venezia

Mort à Venise 

Voir : photogrammes
Genre: Film épique
Thème : Venise
(Morte a Venezia). Avec : Dirk Bogarde (Gustav von Aschenbach), Björn Andrésen (Tadzio), Mark Burns (Alfred), Silvana Mangano (Mme Moes, la mère de Tadzio), Nora Ricci (la gouvernante), Romolo Valli (le gérant de l'hotel), Marisa Berenson (Mme von Aschenbach), Carole André (Esmeralda). 2h11


Le professeur Gustav von Aschenbach, compositeur et chef d'orchestre, arrive sur l'île du Lido à Venise et s'installe au Grand Hôtel des Bains. C'est un établissement de luxe fréquenté par le meilleur monde. Fatigué, malade, le professeur berce sa solitude, convoque ses souvenirs et observe les clients. Il remarque une famille polonaise et surtout un adolescent aux traits fins, Tadzio. Troublants échanges de regards entre l'homme et l'enfant.
Ému, désorienté, Aschenbach décide de quitter Venise mais un incident prosaïque survenu à la gare le pousse à retourner à son hôtel. Il est de plus en plus fasciné par la beauté physique de Tadzio et par l'harmonie de ses gestes, de son corps.
À plusieurs reprises, son esprit s'évade vers le passé : il revoit sa femme, sa fillette, un ami avec qui il discute sur l'essence ambiguë de la beauté. Il évoque également ses déboires de chef d'orchestre, une brève visite dans une maison de passe, la mort de sa fille.
Mais c'est surtout le présent qui l'obsède : les allées et venues de la famille polonaise, la présence envoûtante de Tadzio, son attitude énigmatique, ses jeux sur la plage, parfois violents, avec des camarades.
Un bruit se répand dans la ville : le choléra serait aux portes de Venise. Aschenbach s'informe, s'inquiète. Ses interlocuteurs le rassurent mais il voit bien que les services municipaux entreprennent un travail systématique de désinfection. Dans le salon de coiffure de l'hôtel, Aschenbach s'abandonne aux mains d'un visagiste qui s'emploie à le rajeunir en utilisant de la poudre, de la teinture, des fards, des cosmétiques.
Le professeur déambule dans la cité, guettant le passage de la famille polonaise et s'écroule en riant au pied d'une fontaine. Le lendemain matin, il apprend que les Moes sont sur le point de quitter la ville. Maquillé, il s'installe sur la plage du Lido. Il regarde Tadzio qui lui lance un appel muet. Puis, saisi de malaise, il s'effondre. Les maîtres-nageurs emportent son corps inanimé.

Le film est une adaptation de la nouvelle de Thomas Mann, La mort à Venise, éditée en 1912. Gustav von Aschenbach, le personnage principal de celle-ci, est un écrivain d'une cinquantaine d'années. Thomas Mann qui connaissait Gustav Mahler pensait néanmoins au compositeur, décédé un an auparavant, en écrivant sa nouvelle. Il lui a conservé son prénom. Visconti qui a rencontré l'écrivain allemand et rêvait depuis longtemps d'adapter sa nouvelle, ne fait ainsi que restituer à Gustav von Aschenbach sa profession initiale. Gustav Malheur ayant une conception très apollonienne de sa musique, le discours sur l'art n'en est que plus limpide.
Trois flashes-back pour une problématique sur l'art et trois autres pour un retour sur une vie, par nature insatisfaisante.
Le premier flash-back est introduit par un zoom-avant qui, au lieu de se terminer par  Aschenbach en gros plan, se décadre pour saisir la pancarte du grand hôtel des bains. Il explique le contexte de la venue d'Aschenbach à Venise. Celui-ci, épuisé par sa vie de compositeur et chef d'orchestre est venu se reposer sur l'ordre de son médecin. Le flash back-final expliquera aussi que la crise cardiaque est due à une représentation catastrophique d'une œuvre jugée trop cérébrale par le public. Le second flash-back, lors du diner d'Aschenbach, explique en effet la différence de conception de l'art entre Aschenbach et son ami et disciple récalcitrant, Alfred. Pour l'un, l'art véritable vient d'une construction cérébrale alors que pour l'autre, plus dionysiaque, c'est la confrontation avec la nature qui importe. Le troisième flash-back précisera qu'Aschenbach se cantonne à une vie ascétique, pour suivre le programme qu'il s'est fixé et fuit tout contact avec ce qui pourrait le troubler. C'est le souvenir de cette discussion qui pousse Aschenbach à quitter Venise pour ne pas succomber au charme vénéneux du jeune adolescent androgyne, le Polonais Tadzio, qui semble incarner l'idéal de beauté à laquelle il a désespérément tenté de donner expression dans ses créations.
Le retour vers le grand hôtel correspond  à l'apparition du cholera, métaphore de la force destructrice du désir. Aschenbach se réjouit du contretemps qui l'oblige à annuler son départ : il va enfin savourer l'abandon à son désir. Dans le même moment, il voit un homme s'écrouler. Il comprendra plus tard qu'il s'agissait là d'une première victime du cholera.
Après une brève journée de bonheur surgissent les flashes-back plus sombres. Les jeux dans les champs avec sa femme et sa fille se terminent par un plan de ciel sombre de mauvais augure. Le jeu maladroit de La lettre à Elise au piano par Tadzio rappelle à Aschenbach sa rencontre triste avec Esméralda la jeune prostituée qui jouait le même air aussi maladroitement. Un autre flash-back, sorti aussi d'une autre nouvelle de Mann, Docteur Faustus, montrera la mort de la fillette d'Aschenbach.
Donner à voir l'art et la nature dans le même plan
Visconti pare sa méditation sur le sens de la vie, de l'art et de la beauté des plus beaux atours. Nombres de scènes préfigurent l'adaptation qu'il préparait d'À la recherche du temps perdu de Marcel Proust. Le Grand Hôtel des Bains du Lido rappelle le Grand-Hôtel de Balbec, les fards d'Aschenbach rappellent ceux du baron de Charlus, sa mort subite devant l'illumination de ce que pourrait être la simple beauté artistique, la sensation retrouvée, rappelle celle de Bergotte devant le petit pan de mur jaune de Vermeer. L'adagietto de la symphonie nº 5 de Mahler, principalement sur des images de la lagune (l'arrivée de l'Esmeralda, le départ en vaporetto vers la gare, le retour depuis la gare, la marche dans Venise en proie au Cholera) et une photographie qui évoque souvent huiles et aquarelles de William Turner renforcent la magnificence de l'œuvre.


L'arrivée sur la Lagune de l'Esmeralda
(voir : photogrammes)
Tadzio, qui ne cesse de regarder von Aschenbach, est moins l'ange de la mort qui indiquerait le chemin vers l'inaccessible beauté, moins Narcisse qu'une variation sur Ganymède, réputé être le plus beau des mortels. Quand Zeus l'aperçu, il se transforma en aigle pour l'enlever, en faire son amant et l'échanson des dieux. Celui qui verse le vin, devient la médiation vers le monde dionysiaque qui manque à Aschenbach pour se réconcilier avec la nature. Le plan de la fin, Tadzio indiquant l'horizon, est donc un appel pour être enlevé vers le ciel. Thomas Mann étant féru de culture classique, Visconti donne à Tadzio une posture provenant de la statuaire grecque. Aschenbach, trop vieux, ne peut accomplir se rêve et seul l'art, l'appareil photographique insistant au premier plan, peut nous montrer la voie d'une beauté de la nature magnifié par l'art qui, tout en révélant l'insuffisance du monde, en fait aussi la tragique beauté.

Tadzio n'est Ganymède


... que par la grâce de l'art (voir : photogrammes )
Trop tard
Plus qu'en tout autre film de Visconti, la révélation que quelque chose vient trop tard est exprimée aussi clairement et magnifiquement. Aschenbach et Tadzio se rencontrent trop tard comme le vieux prince Fabrizio Salina et Angelica Sedara dans Le Guépard. Pris à temps, cette révélation d'une réconciliation entre le monde sensible et la construction intellectuelle aurait conduit Aschenbach vers moins de certitudes et l'aurait ouvert à une musique moins cérébrale. Cette révélation sensible et sensuelle d'une unité de la Nature et de l'Homme vient trop tard alors que le sablier a fini de s'écouler et qu'il est alors vain de méditer sur le sens de la vie.
Cette révélation tragique fait exploser le monde cristallin mis en scène par Visconti. Il est constitué par la vision peu amène du monde aristocratique des riches, celui du grand hôtel des bains avec ses rites, son diner servi à heures fixes, ses plagistes, ses longues soirées sur les terrasses. Ce monde est un cristal fermé sur sa beauté : on met dehors un client dès qu'il a payé sa note et expulse les saltimbanques. Von Aschenbach y est venu pour s'y reposer non pour composer même si Tadzio l'inspire et qu'il écrit probablement sur la plage lorsque se fait entendre l'unique extrait de la 3e symphonie de Mahler. C'est un cristal synthétique, parce qu'il est hors de l'histoire et de la nature. Dans ce cristal s'accomplit un processus de décomposition qui le mine du dedans, l'assombrit, l'opacifie.
Le gondolier menaçant ou les dents pourris du saltimbanque méchant redoublent en effet le processus intérieur dans lequel est pris Aschenbach. En ouvrant son cœur à son désir pour Tadzio et le monde sensible de la passion, il se laisse envahir par le choléra, métaphore du danger d'un monde dionysiaque. L'odeur pestilentielle qui recouvre la ville tout comme la vision d'une Venise en flamme préfigurent peut être la décomposition de toute l'aristocratie d'avant 1914 sans qu'il soit besoin d'en évoquer plus concrètement la destruction. De toute façon, il est trop tard pour ce monde là. Les images sublimes de Venise, de ses canaux ou de la pace saint Marc, de jour comme de nuit, n'en sont que plus intensément ressenties.
Jean-Luc Lacuve le 20/05/2015.
=========================================================

Critique de film] Mort à Venise de Visconti : voir Venise et mourir!

30112018
death in venice tadzio
Si dans le chef-d’oeuvre de Shakespeare, le fossoyeur commence à travailler le jour de la naissance de Hamlet c’est parce que c’est en venant au monde que le jeune Prince commence à mourir. Le sablier du temps contient cette poussière que l’on deviendra tous après la mort. L’horloge du temps est en marche, et même si l’artiste tente de tuer la mort à travers sa création, c’est la mort qui a le dernier mot. Le temps est ce que l’homme essaie vainement de tuer mais qui finit par le tuer.
Dans Mort à Venise, le compositeur Von Aschenbach (qui signifie « ruisseau de cendres » en allemand) a rendez-vous avec la mort.
Son sort est scellé dès les premières images du film lorsque l’on voit une funeste fumée noire qui s’échappe du bateau qui le mène à Venise. En outre, la lourde malle qui l’accompagne dans son voyage peut apparaître comme son propre cercueil puisqu’elle en a la couleur, la forme et porte ses initiales. De plus, le batelier qui le mène vers la rive a des allures de Charon. Aschenbach finit par accepter de se laisser guider par le gondolier « passeur d’âme » qui veut lui imposer son chemin, tout comme il demeure à Venise au Lido après avoir appris l’existence de l’épidémie de choléra. Cette attitude apparaît comme l’acceptation de la fatalité annoncée d’emblée par le film.
Remarquons encore que le premier flashback nous montre Aschenbach juste après une crise cardiaque. Le personnage rencontre la mort de façon plus directe au milieu du film dans le hall de gare, quand un homme s’effondre sous ses yeux, dans l’indifférence générale.
Mort à Venise est un film de 1971 qui a remporté le Prix du 25ème anniversaire du Festival de Cannes. Il figure comme le testament philosophique de Luchino Visconti, son chant du Cygne. Le réalisateur est décédé quelques années plus tard en 1976. Adapté du roman de Thomas Mann La mort à Venise, Luchino Visconti a pris la liberté de transformer le personnage principal, Gustav Von Aschenbach, en compositeur alors qu’il campait l’alter ego de Thomas Mann dans le roman, un écrivain solitaire. Et c’est en s’inspirant librement de la vie de Gustav Malher que Visconti imagine un avatar du célèbre compositeur Autrichien. Servi par Dirk Bogarde dans l’un de ses plus grands rôles et par le jeune Bjorn Andresen, Mort à Venise apparaît comme un sommet du 7ème art.
Ce film crée une osmose parfaite entre les couleurs du Tintoret, la musique de Malher, l’écriture de Thomas Mann, la plastique de Michel Ange et le génie de Visconti.
Sur les conseils de son médecin, Aschenbach, vieux compositeur solitaire après la disparition de sa femme et de sa fille, cherche à Venise le souffle de l’inspiration. Mais c’est le souffle du Sirocco qui répand la mort que le compositeur va trouver. Aschenbach fait donc deux rencontres à Venise : la beauté et la mort. Il croise le chemin de la beauté incarnée par Tadzio, un jeune aristocrate Polonais en villégiature avec sa mère et ses soeurs à l’Hôtel des bains. Cet adolescent personnifie l’innocence, la jeunesse, la pureté et la perfection vers laquelle le musicien a essayé de tendre à travers sa musique. Le vieux musicien tente d’atteindre la Beauté, depuis toujours, dans son art, mais la découvre sur le visage innocent d’un enfant. Le choc est d’autant plus violent qu’il fait écho à une vieille querelle qu’il avait eu avec son ami Alfried sur la question préalable à toute recherche de la beauté : faut-il la chercher ou la créer?
Contrairement à son ami Alfried qui affirmait que la Beauté surgit à l’improviste et qu’elle n’est en aucun cas le fruit d’un labeur, Aschenbach pense que la Beauté ne peut être que issue du travail de l’imagination de l’artiste et qu’elle naît de ses seules facultés spirituelles.
Tout le paradoxe du film tient dans ce parallèle saisissant entre l’art de Visconti et les propos d’Aschenbach. Si le film donne raison à Alfried dans le fond, Visconti  met en application les théories d’Aschenbach dans la forme pour sublimer l’œuvre de Thomas Mann et atteindre la perfection sur le plan esthétique.
Le génie de Visconti est d’avoir su trouver le langage approprié pour exprimer la beauté indicible et les sentiments ineffables qu’elle inspire, et,  par une symbiose de l’image et du son magistralement maîtrisés, d’évoquer l’angoisse, la mélancolie, le désir jamais comblé.
Par un jeu de zooms avant et de zooms arrière, le réalisateur réussit à nous sensibiliser par ces mouvements immobiles de la caméra au magnétisme et au trouble que Tadzio suscite chez le vieux compositeur. Visconti parvient à nous montrer toutes les émotions que le personnage dissimule et se cache à lui-même. Il utilise des lents travellings pour dire la mélancolie d’une fin de vie, le bonheur de tutoyer la beauté incarnée et le malheur de ne l’atteindre jamais comme cet horizon que désigne Tadzio à la fin du film à l’instar du génie de la mer.
Les vers de Platon :
« Celui dont les yeux ont vu la Beauté
A la mort dès lors est prédestiné »
sont placés en exergue dans le film, afin de souligner l’importance de l’attrait qu’exerce la beauté physique sur le héros vieillissant, Gustav von Aschenbach. Comme si, hors de la caverne de Platon, l’illusion d’avoir été avait tué le courage d’affronter l’éblouissement de la beauté.
A Venise, Aschenbach a donc rendez-vous avec la mort dans cette ville carnavalesque où elle se dissimule derrière un masque mortuaire. Ce film est en quelque sorte la chronique d’une mort annoncée et nous parle de l’amour du beau au temps du choléra. Car si la beauté rêvée peut être dépassée par la beauté réelle, la mort devient inéluctable  pour l’artiste, convaincu de sa défaite.
Cette perfection fugitive, le temps ne pourra que l’altérer, la corrompre, la détruire, l’anéantir. Il faut mourir de manière à ce que l’image demeure  inviolée dans sa gratuité. Mort à Venise en liant dans une même étreinte du regard les ravages de l’amour et ceux de la mort nous indique une impitoyable morale : nous mourons de ce que nous aimons.
Comment échapper au feu quand on ne peut s’empêcher d’aimer si fort la lumière ?
Il y a un antagonisme entre ce vieil homme austère et ce jeune adolescent qui batifole sur la plage. Au Lido, Visconti décrit un hôtel fréquenté par une clientèle cosmopolite en 1911 avant que la guerre, symbolisée par l’épidémie du choléra, ne fasse sombrer l’Europe dans la déliquescence. Loin de montrer le désir charnel du musicien pour un jeune éphèbe, ce film met plutôt en exergue une allégorie de la beauté à travers ce jeune adolescent. Tadzio est ange, or le héros ne peut pas éprouver du désir pour un ange. Il ébranle Aschenbach dans ses convictions les plus profondes selon lesquelles la beauté ne serait pas dans la nature qui est laide et souillée mais serait plutôt le fruit du travail rigoureux et acharné de l’artiste. Or le beau ne se crée pas il se trouve. « Il y a des fleurs partout pour qui veut bien les voir » disait Matisse. Le beau ne se prouve pas, il s’éprouve. Visconti filme Venise de l’aube au crépuscule, de la magnificence à la putréfaction. Après le cinéma muet, puis le cinéma parlant, il réinvente un cinéma silencieux dans lequel chaque plan est un tableau en mouvement. Le début du film offre une ouverture somptueuse sur la lagune façon Turner rythmée par l’adagietto de la cinquième symphonie de Malher.
Ce film est un chef-d’oeuvre car son interprétation peut-elle même faire l’objet d’une interprétation. Loin de décrire la passion folle d’un vieux compositeur qui se décompose dans une lente agonie, Visconti raconte un combat, cosmogonique, métaphysique, le combat entre Apollon et Dionysos, le combat entre l’idéal et les passions. Le combat entre l’horizontalité parfaite de la lagune — qu’accompagne à merveille la cinquième symphonie de Mahler et que vient couronner la courbe lente du soleil — et le dédale des rues sinueuses de Venise, blanchies d’une chaux nauséabonde, infestées du mal invisible, pernicieux qui ronge l’âme et le corps.
Il y a une analogie entre la beauté de la ville et l’artifice cosmétique qui donne l’illusion de la beauté et de la jeunesse retrouvée. Ils apparaissent comme un voile qui recouvre la mort. La poudre blanche qui enduit le visage du héros à la fin du film n’est pas sans rapport avec la chaux blanche utilisée pour désinfecter les rues de Venise : c’est la même dérisoire protection contre un mal qui ronge la vie.
Subjugué par la grâce du jeune Tadzio, Aschenbach a le cœur « rempli et agité d’une tendresse paternelle, de l’inclination émue de celui dont le génie se dévoue à créer la beauté envers celui qui la possède » écrit Thomas Mann. Mais lorsqu’il succombe, finalement, et qu’il meurt, affaissé sur sa chaise, le visage perlant des gouttes noires de la coquetterie, le jeune garçon, silhouette sombre sur une mer rose nacrée, lui indique le chemin de la lumière, le seul, finalement, que l’artiste a toujours voulu emprunter. Tadzio devient l’ange de la mort.
Dans la brume de Venise et le faste rococo des grands hôtels 1900, Visconti filme l’apparition du désir incandescent comme une révélation fatale.
Tadzio qui exerce un pouvoir de fascination sur Aschenbach est plutôt à considérer comme un symbole ou une prosopopée. Ce film raconte le naufrage de la vieillesse qui rêve de beauté absolue, de jeunesse, de vie. Des flashbacks font référence aux réminiscences du passé d’Aschenbach, avec sa femme et sa petite fille dont les boucles blondes ne sont pas sans évoquer celles de Tadzio. Il a d’ailleurs exposé dans sa chambre d’hôtel un portrait de sa fillette dont les traits ressemblent étrangement à ceux de Tadzio. Au seuil de l’éternité, Aschenbach pose donc sur Tadzio un regard parternel, bienveillant et affectueux. Comme celui de Alexandre dans L’Eternité et un jour lorsqu’il rencontre un jeune réfugié Albanais. Tadzio incarne une beauté androgyne, angélique qui lui rappelle son paradis perdu avec sa fille et sa femme. Il est le symbole de l’innocence et de l’enfance. Il fait des entrechats, baguenaude avec des camarades sur la plage et sa jeunesse insolente contraste avec la solitude du vieux compositeur. C’est cette vision fugace de la beauté qui arrache Aschenbach à sa déréliction.
Jamais Aschenbach n’adresse la parole à Tadzio malgré la fascination qu’il lui inspire et le jeu de regards qui s’instaure entre les deux protagonistes. Il cherche plutôt à le protéger du choléra et de l’épidémie qui décime la ville en mettant en garde la mère de l’enfant. Il l’implore de fuir la mort avec ses enfants dans un élan de tendresse paternelle.
Le cinéaste nous livre une méditation sur la nature de l’art qui trouve un point d’équilibre entre instincts dionysiaques et sérénité apollinienne.
C’est en évoquant le temps qui passe et la mort que Visconti réalise un chef d’oeuvre qui l’ouvre à l’immortalité des artistes de génie. A la fin du film Tadzio pointe le doigt en direction du firmament entre le bleu du ciel et le bleu de la mer vers cette ligne d’horizon infinie où le musicien a été en quête toute sa vie de l’inaccessible étoile.
Quand on aime le cinéma, on peut voir « Mort à venise » et mourir!
================================================================

http://lecinedeneil.over-blog.com/article-mort-a-venise-1971-luchino-visconti-122462122.html

Mort à Venise (1971) Luchino Visconti

par Neil 15 Février 2014, 06:45 1970's






Fiche technique
Film italien
Titre original : Morte a Venezia
Durée : 2h11
Genre : désir contrarié
Scénario : Nicola Badalucco, d'après l’œuvre de Thomas Mann
Image : Pasqualino De Santis
Musique : Ruggero Mastroianni
Avec Dirk Bogarde (Gustav Von Aschenbach), Silvana Mangano (La mère de Tadzio), Björn Andresen (Tadzio), Marisa Berenson (Mme Von Aschenbach), Romolo Valli (Le directeur de l'hôtel), Carole André (Esmeralda)...

Résumé
 un compositeur vieillissant vient chercher à Venise une atmosphère propice à l'épanouissement de son art. N'y trouvant aucune inspiration, sa passion se réveille à la vue d'un jeune adolescent. (allocine)

Mon avis beauté juvénile et passion interdite

Depuis pratiquement trente ans Luchino Visconti règne avec quelques-uns de ses compatriotes sur le cinéma transalpin quand sort sur les écrans Mort à Venise. Il prépare ce projet depuis bien longtemps, on peut y voir déjà une trace des recherches du metteur en scène dans une rencontre qu'il fit avec Thomas Mann en 1951. L'auteur germanique lui parla alors des thématiques de son roman, lui disant que par exemple il ne souhaitait pas particulièrement, au départ, parler d'homosexualité mais plutôt évoquer le dernier amour de Johann Wolfgang von Goethe pour une jeune fille de 16 ans. Le réalisateur italien adapte le roman à sa manière, faisant du personnage principal non pas un écrivain mais un compositeur.






Ce simple fait prend tout son sens quand on sait que Thomass Mann était un grand admirateur de Gustav Mahler, mort juste avant son voyage à Venise, que le héros du roman se prénomme Gustav et que le film utilise régulièrement la Cinquième symphonie de Mahler. Sur le bateau qui l'amène à Venise, le compositeur Gustav Von Aschenbach somnole doucement. En vue de leur destination, un homme grimé l'interpelle et l'accueille de façon vulgaire. Le compositeur fait fi de ses remarques désobligeantes et se met en quête d'une gondole pour rejoindre le Lido, où se trouve sa destination, le Grand Hôtel des Bains. Se ravisant, il demande au gondolier de l'amener à la station de bateaux pour prendre un vaporetto mais celui-ci refuse.

Arrivé au Lido, le gondolier s'enfuit avant d'être payé par peur de la police : il n'avait pas de permis. Gustav Von Aschenbach arrive alors à l'hôtel et s'installe dans sa chambre, guidé par le concierge, un homme servile. Il se retrouve enfin seul et se souvient de ses derniers moments en Allemagne, où un malaise cardiaque violent a conduit son médecin à lui conseiller une cure de repos absolu.
 À première vue, rien ne nous surprend dans le fait que Luchino Visconti fut amené à adapter Mort à Venise. L'aristocrate italien, qui n'a eut de cesse de personnages en fin de règne, ne pouvait que se retrouver dans les écrits du grand romancier allemand de la décadence.






Et son univers flamboyant se marie a priori parfaitement avec la splendeur vénitienne ; or, le réalisateur utilise ce cadre à contre-emploi, ne nous montrant que de rares images de la ville, toutes en décomposition, désertées et en proie à la maladie. En contraste, nous pouvons admirer le décor luxueux du palace dans lequel de riches personnalités profitent de leur villégiature. Mais là encore, Luchino Visconti y instille un goût de déchéance en la personne d'un chanteur édenté au teint cadavérique. Comme le titre l'indique, la mort poursuit inexorablement son ouvrage. L'autre thématique majeure de Mort à Venise, forcément liée à celle-ci, se retrouve dans la confrontation binaire entre une jeunesse resplendissante et la vieillesse, implacable et cruelle, que l'on farde pour vainement la cacher.

Gustav Von Aschenbach se retrouve démuni quand, ne l'attendant plus, il se retrouve face à cet avatar de la beauté pure qu'est ce trop jeune adonis dont il s'éprend malgré lui. Point d’obscénité dans cette relation qui ne sera pas consommée, juste l'ange de la mort, hautain face à un artiste en pleine crise d'inspiration. Par l'intermédiaire d'un dispositif récurrent de zoom, le spectateur se retrouve, dans Mort à Venise, lui aussi dans la position du voyeur devant les courbes de cet objet du désir que l'on ne saurait voir. Pour l'incarner, nous trouvons le jeune et joli Björn Andresen dans un rôle qui va le marquer à vie, tandis que l'excellent Dirk Bogarde poursuit ici sa collaboration fructueuse avec Luchino Visconti, et nous offre une fois de plus un rôle magnifiquement torturé.

Ma note : ****
Mort à Venise (1971) Luchino Visconti
21 mai 2006
MORT A VENISE de LUCHINO VISCONTI

Descendant d'une vieille famille de Lombardie, le comte Luchino Visconti naît à Milan le 2 novembre 1906 et s'intéresse très tôt au théâtre et à l'opéra, au point d'envisager une carrière de musicien. Sa rencontre à Paris avec Jean Renoir le familiarise avec les techniques et les possibilités qu'offre le cinéma à ses exigences d'esthète et à son goût prononcé pour l'art. Sympathisant communiste, il s'engage dans la résistance, est arrêté par la gestapo et échappera de peu au peloton d'exécution. Après la guerre, il réalise un documentaire de propagande communiste Jour de colère, puis revient au théâtre et met en scène des oeuvres de Cocteau et de Sartre. Ce n'est que dans les années 50 qu'il renoue avec la caméra et tourne avec Alida Valli  son premier chef-d'oeuvre Senso. Entre deux tournages, il travaille pour la Scala de Milan et met en scène des Opéras chantés par les plus grandes voix de l'époque, dont celle de La Callas.
Au cinéma, il ne cesse plus de s'imposer avec des films comme Rocco et ses frères ( 1960 ),  Le Guépard  ( 1962 ), Sandra ( 1965 ),  Les Damnés ( 1969 ), tous couronnés par de nombreux prix. Après Mort à Venise en 1971, il tournera encore  Le Crépuscule des dieux  ( 1972 ), une biographie de Louis II de Bavière avec Helmut Berger et Romy Schneider et  Violence et passion  ( 1974 ) avec Burt Lancaster et Silvana Mangano. Il s'éteint à Rome le 17 mars 1976.                            
                                                                               Mort à Venise, film lumineux et complexe est, sans nul doute, l'un des plus grands chefs d'oeuvre du 7ème Art. Inspiré d'un roman de l'écrivain Thomas Mann, lui-même influencé par la philosophie empreinte d'un pessimisme qui s'enivre de la fascination de la mort et du néant de Schopenhauer, il est une longue méditation sur l'ambiguïté de l'artiste confronté à son art et sur la mort, envisagée comme une force de séduction et d'immortalité. Les vers de Platon : " Celui dont les yeux ont vu la Beauté / A la mort dès lors est prédestiné " - sont placés en exergue dans le film, afin de souligner l'importance de l'attrait qu'exerce la beauté physique sur le héros vieillissant Gustav von Aschenback, saisi à Venise d'une soudaine et fatale passion pour un gracieux adolescent, prénommé Tadzio. Le musicien vit une sorte de révélation lors de sa rencontre avec la splendeur presque irréelle de ce jeune polonais. Elle lui fait prendre conscience que la beauté naît d'une apparition impromptue, non de la cogitation présomptueuse et laborieuse de l'artiste. La création et la contemplation artistiques élèvent l'individu au-dessus de lui-même et le font participer à la vie universelle, seule authentique.  "La beauté et la grâce de la figure humaine, une fois associées, sont la performance la plus haute de l'art plastique". Si la beauté rêvée peut être dépassée par la beauté réelle, la mort devient inéluctable  pour l'artiste, convaincu de sa défaite. Ainsi la dernière scène du film, où le vieil homme, assis, regarde l'enfant qui s'éloigne à la rencontre de la mer et semble l'entraîner vers l'ultime voyage. Tout est suggéré dans ces non-dits, rythmés de silences, ceux mêmes de la contemplation, de l'extase caressé par une caméra devenue regard, célébrant  la perfection esthétique du jeune éphèbe.

file_13_25.jpg                                                                                  
       Le producteur avait suggéré à Visconti que le garçon soit remplacé par une nymphette, pensant que celle-ci aurait eu l'avantage de rappeler la Lolita de Nabokov, mais Visconti s'y refusa avec raison, donnant à son film une dimension plus contemplative d'une beauté intemporelle et sublimée, celle d'un amour  interdit qui conduit inéluctablement à la mort, puisque rien n'est plus possible en ce monde. La vie ne vient-elle pas de donner le maximum d'elle-même : cette perfection fugitive que le temps ne pourra que défaire, corrompre, détruire. Il faut mourir de manière à ce que l'image demeure  inviolée dans sa gratuité, comme si le désir immense s'était suspendu en sa propre vision.
L'histoire du film est centrée sur les états d'âme et les dilemmes intérieurs éprouvés par le héros et rendus plus intenses et crédibles par le recours aux souvenirs et aux réminiscences. Un musicien ( inspiré de Gustav Malher dont la Cinquième Symphonie accompagne le film de façon grandiose ) arrive à Venise et croise à l'hôtel des bains, où il est descendu, un jeune garçon d'une surprenante beauté qui le subjugue immédiatement. Leur relation se réduira à un jeu de regard, mais n'en troublera pas moins le musicien, qui voit subitement toutes ses convictions remises en question. Il tente de fuir, puis décide de rester, de prolonger son séjour, alors qu'une épidémie de choléra s'annonce et que la ville elle-même parait s'engloutir dans les eaux, ainsi qu'un navire en perdition. Tout est subtilement évoqué de cette lente érosion à laquelle le temps condamne les êtres et les choses, alors que la beauté traverse cette réalité sordide, pareille à un ange exterminateur. On voit dans le gondolier un passeur d'âme, dans le visage maquillé de poudre blanche d'Aschenback son fantôme dérisoire, dans les calli désertées et putrides une cité qui s'abandonne à l'oubli, dans l'hôtel, que les estivants s'apprêtent à quitter, un monde en train de disparaître, mort annoncée d'une époque que la guerre va bientôt déchirer et ouvrir aux lendemains inquiétants du XXe siècle.

visconti68.jpg
L'atmosphère rappelle celle que Marcel Proust nous décrit dans sa  Recherche. D'ailleurs le cinéaste ne cachait pas son admiration pour l'écrivain français, dont il aspirait à porter l'oeuvre à l'écran. Lui seul aurait été en mesure d'adapter cette oeuvre difficile, parce que sa sensibilité, sa notion du temps, son esthétisme étaient proches de ceux de l'auteur du Temps Retrouvé. A l'urgence temporelle correspondait, chez l'un et chez l'autre, un isolement toujours plus grand, la fascination du désir qui ne peut être satisfait, l'encerclement dans des lieux que seule l'imagination nous permet de franchir. Le recours aux zooms, que l'on a reproché au cinéaste d'user à l'excès, est une façon de défier le temps, de le remonter à volonté, de jouer de la mémoire et du souvenir, de refuser à l'action d'être prisonnière de la durée. Le seul enfermement du film est celui du désir qui clôt la vie, lui donne sens et l'ouvre sur un horizon plus vaste : celui d'une invitation au voyage sur les eaux, lieu de transition par excellence. Alors que, par ailleurs, on assiste à la lente agonie des choses dans une ville qui a perdu jusqu'à ses reflets, semble gagnée par la porosité, les moisissures, les putrescences d'une épidémie rampante. Le génie de Visconti, dont l'oeuvre figure au plus haut du palmarès cinématographique, est d'avoir su trouver le langage approprié pour exprimer la beauté et les sentiments ineffables qu'elle inspire, et,  par l'image et le son magistralement utilisés, d'évoquer l'angoisse, la mélancolie, le désir jamais comblé. Je crois que ce film est celui qui m'a le plus bouleversée, car il est l'oeuvre d'une vie, celle qui surpasse son auteur et  l'ouvre à l'immortalité des artistes de génie.

http://tarasconbienetre.unblog.fr/2015/05/19/mort-a-venise-une-merveille-de-visconti-hier-sur-arte/

Mort à Venise : une merveille de Visconti (hier sur Arte)

Posté par jacques LAUPIES le 19 mai 2015
DSC_0123-1
la beauté pure
DSC_0110-1
la beauté lointaine
DSC_0124-1
le tourment et la fin
Quand une œuvre vous touche profondément on en viendrait à regretter qu’il  n’y ait pas qu’une chaine de télé pour imposer une œuvre à tout le monde.
Visconti est l’un de ces rares créateurs qui semblent se rapprocher de la perfection dans cette possibilité d’expression artistique que représente le cinéma.
Atteindre un tel niveau  suppose probablement non seulement ait trouvé le matériau nécessaire dans la nouvelle de Thomas Mann mais au delà il ait su faire vivre au travers du personnage central Gustav, toute la souffrance, tous les tourments qui peuvent émaner d’un certain nombre de grands intellectuels, à un point tel que l’on a de la peine à imaginer qu’il ne s’identifie pas lui-même à ce personnage.
Car peut-on créer uniquement à partir de l’observation sans se fourvoyer. Avec Visconti il est clair qu’il traduit le monde dans lequel il vit, avec ses propres interrogations, ses passions et les tabous que la société génère. Une société qu’il perçoit dans son mouvement avec ses contradictions, ses peurs, ses hypocrisies. Et cela sans nul doute parce que l’analyse marxiste, dans toutes ses dimensions n’était pas étrangère à cette perception.
On peut supposer que les tourments du personnage de Gustav, homme vieillissant, naissent du fait de son art incompris (ne pourrait-on faire un parallèle avec celle du politique, du philosophe, voire finalement de tout individu dont le message, l’expérience, sont bafoués) Mais il y a bien plus que cela qui domine tout et met en évidence les vraies causes de nos tourments : le ressenti de la beauté qui nous bouleverse, l’amour, le désir sous toutes ses formes qui en résultent. Autant de conséquences qui nous exposent au refoulement auquel nous contraint notre statut d’être social.
J’ai lu quelque part que Visconti n’avait pas voulu traiter d’homosexualité et à fortiori de pédophilie dans ce film et que même il s’en défendait. Cependant même si dans les flash back ou il affronte sa conception de la création à celle de l’un de ses amis, je ne pense pas que l’on puisse réduire le film à une telle vision. Il va bien au delà
Le personnage souffre sans doute de créativité non pleinement assumée mais aussi d’affectivité et disons le crument d’un sexualité non assumée qui en découle. Bien sur il y a  des lien entre l’ensemble des aspects de la vie d’un homme, ses activités sociales (la il s’agit d’activité artistiques) et la conscience qui en découle, sauf qu’il y a ce fameux inconscient, le fameux ça que s’efforce de traduire Dick Bocarde. Un inconscient qui ne peut être décrypté que par celui ou celle qui a été confronté à l’amour interdit, à l’échec créatif, au refoulement !
Il n’est donc pas sur que le film puisse être compris par tous, car il suppose d’entrer dans les méandres de réflexions intellectuelles auxquelles tous les spectateurs peuvent ne pas vouloir où tout simplement n’avoir pu s’être aventuré. A moins que, forts d’une expérience (ou de plusieurs) ils aient pu les aborder sans risque de se perdre. Et en cela les « non intellectuels » sont nombreux… 
Certains prétendent que le personnage du jeune Tadzio n’est pas partie prenante dans la « révélation » qui frappe le compositeur (l’écrivain dans le livre) Je n’étonnerai personne en disant que rien n’est moins sur. Mais je me garderai bien de généraliser préférant m’en tenir à la diversité de motivations qui peuvent déterminer le comportement de l’adolescent(e) dont la beauté ne saurait laisser insensible un adulte.
Mais je ne suis pas de ceux qui diront : « Celui dont les yeux ont vu la Beauté / A la Mort dès lors est prédestiné», citation dans « Variations sur le mythe de Ganymède dans Mort à Venise de Thomas Mann et de Luchino Visconti » par Joanna Rajkumar http://books.openedition.org/pupo/1783?lang=fr
Si nous sommes tous prédestiné à la mort, il nous appartient, tant que précisément la beauté des choses, des pensées (et des corps entre autres) nous sont accessibles et parfois données, de lutter contre cette mort, sans pour autant en ignorer l’issue !
Mort à Venise : une merveille de Visconti (hier sur Arte) img-1-small700
Ex-libris
<< In memoriam. Philémon et Baucis : une histoire... >> 26 janvier 2010
Un personnage de Thomas Mann : Tadzio, l'Ange de la Mort.
 Qui ne se souvient de la beauté angélique de Tadzio, le jeune éphèbe aimé de Gustav von Aschenbach, « l’adolescent délicieux dont il s’était épris », dans Mort à Venise (1972) de Luchino Visconti, adapté de La Mort à Venise (1912) de Thomas Mann ?
tadzio-noir-et-blanc-taille-reelle.jpg



Quand on se remémore la création du personnage romanesque et sa postérité cinématographique et littéraire, on ne peut que remarquer combien ce héros est marqué au sceau de la beauté et de la mort. Voici, en effet, comment Thomas Mann lui-même explique à Luchino Visconti en 1951 la genèse de sa nouvelle : « L’histoire est essentiellement une histoire de mort, mort considérée comme une force de séduction et d’immortalité, une histoire sur le désir de la mort […] Ce que je voulais raconter à l’origine n’avait rien d’homosexuel ; c’était l’histoire du dernier amour de Goethe à soixante-dix ans, pour une jeune fille de Marienbad : un histoire méchante, belle, grotesque et dérangeante qui est devenue La Mort à Venise. »

On connaît l’intrigue. C’est l’histoire de Gustav von Aschenbach, un écrivain allemand au nom de cendres, qui part en voyage à Venise et séjourne au Lido, à l’Hôtel des Bains. Il y fait la rencontre d’un jeune adolescent polonais, Tadzio, qui le fascine. Obsédé par son image, et dans une Venise en proie au choléra asiatique, il le suit dans les rues et sur la plage du Lido, où il mourra.

D’emblée, le texte évoque la mort. Dans le chapitre I, Aschenbach, errant dans Münich, voit les monuments funéraires et les pierres tombales édifiées par des tailleurs de pierre, tandis que sur l’édifice byzantin d’une chapelle mortuaire s’inscrit en lettres d’or une invitation à la mort : « Ils entreront dans la maison de Dieu » et « Qu’ils reçoivent la vie éternelle. » (p. 17). Le narrateur le décrit comme le « poète de tous ceux qui à la frange de l’épuisement travaillent, qui sont accablés, usés déjà, et qui tiennent debout encore […] (p. 28). Cet artiste créateur est en proie « à l’exaltation de vie » que l’art lui donne mais c’est « une flamme qui consume plus vite ». Quant à sa femme, elle est morte jeune.

Quand l’écrivain arrive à Venise, il se rend au Lido dans une gondole vénitienne et c’est comme s’il voyageait aux rivages de l’Hadès : « Etrange embarcation, héritée telle quelle du Moyen Age, et d’un noir tout particulier comme on n’en voit qu’aux cercueils […] cela suggère l’idée de la mort elle-même, de corps transportés sur des civières, d’événements funèbres, d’un suprême et muet voyage. » (p. 39). Il s’agit bien là de la préfiguration de sa mort (p.39). Plus loin, au chapitre V, alors qu’il est attablé place Saint-Marc, il respire soudain « un arôme particulier […] une odeur pharmaceutique douceâtre, évoquant la misère, les plaies et une hygiène suspecte » (p. 79), qui est « l’odeur de la ville atteinte de maladie » (p. 81). Le même soir, après le dîner, des chanteurs ambulants viennent donner l’aubade aux estivants de l’Hôtel des Bains et Aschenbach se trouve pris dans les rets d’un charme étrange où la beauté de Tadzio et la menace de la maladie sont intimement mêlées : « Mais les éclats de rire, l’odeur d’hôpital qui montait vers lui et le voisinage du beau Tadzio, se confondaient en un enchantement où sa tête et son esprit se trouvaient prisonniers dans un réseau magique qu’il ne pouvait ni rompre ni écarter » (p.91). Eros et Thanatos, les deux faces de la vie d’Aschenbach, sont ici inextricablement liées. Alors qu’il a été mis au courant par un Anglais d’une quarantaine prochaine éventuelle, il renonce égoïstement à prévenir la famille de Tadzio, afin de le garder auprès de lui (p. 96).

Après avoir rêvé au « Dieu étranger » Dionysos, qui se livre  avec satyres et bacchantes à une bacchanale meurtrière(p. 99), après avoir mangé des fraises, « marchandise trop mûre et molle », sans doute porteuse de mort (p. 103), Aschenbach se rend sur la plage où flotte un voile noir posé sur un appareil de photos (p.105). C’est là, assis sur une chaise longue, qu’il a rendez-vous avec sa mort, Tadzio, aux yeux « couleur crépusculaire ». L’adolescent aimé devient « le psychagogue pâle et charmant » qui tend la main pour lui indiquer les lointains (p. 107).



Ce n’est que vingt ans après leur rencontre en 1951 que  Luchino Visconti entreprendra l’adaptation de la nouvelle de Thomas Mann. On sait que Mahler le compositeur était mort le 18 mai 1911, une semaine avant le voyage de Mann à Venise, qui lui inspira sa nouvelle. Revenant aux sources de celle-ci, Visconti fait de Gustav (prénom de Mahler) von Aschenbach un musicien et évoque par des flash-back et l’image d’un petit cercueil blanc la mort de la fille du compositeur, emportée dans sa prime jeunesse par le typhus. Il choisit comme musique le célèbre adagietto de la Cinquième Symphonie du grand musicien.

Visconti a remarquablement su rendre cette impression de mort imminente, notamment dans la scène où on voit le personnage vieillissant dans un salon obscur, près d’un piano, tandis que résonne l’adagietto. Dirk Bogarde, l’interprète d’Aschenbach, analyse ainsi  la scène en usant de la métaphore du sablier : « Nous ne réalisons la chute du sable que lorsqu’elle touche à sa fin. […] C’est au dernier instant, lorsqu’il n’est plus temps, que naît en nous l’envie de méditer. »  C’est ce que Gilles Deleuze a appelé le « trop tard » chez le réalisateur italien. Souvent dans ses films, apparaît le moment où intervient « l’idée ou plutôt la révélation que quelque chose vient alors qu’il n’est plus temps ». Ainsi Tadzio survient dans la vie d’Aschenbach alors qu’il n’est plus qu’un vieux beau qui se fait teindre les cheveux. Il ne pourra plus que le contempler et se perdre.

Dans le livre et le film, la mort s’avance masquée comme au carnaval de Venise : du guitariste et chanteur, bouffon et sans âge, émane un inquiétant parfum de phénol (p. 89) ; les rumeurs de choléra asiatique sont sans cesse démenties : « Une épidémie ? quelle épidémie ? Le sirocco est-il une épidémie ? » (p. 90). Quant à Aschenbach, il redevient « un adolescent en fleur » grâce à la teinture noire de ses cheveux, au khôl, au fard, à la crème et à l’eau de Jouvence (p. 101). Il devient alors le double du vieux beau rencontré sur le bateau lorsqu’il arrive à Venise et dont il avait découvert avec horreur qu’il était « un faux jeune homme » (p. 34).

Tout le film baigne dans l’atmosphère mortifère d’un amour voué à la mort tandis que Venise agonise dans les miasmes du choléra asiatique.



Pour en revenir à Tadzio, on sait que ce personnage a vraiment existé. En effet, dans la revue Twen, le traducteur polonais de Thomas Mann, Andrzej Doegowski, rapporte en 1964 que le baron Wladyslaw Moes serait en réalité le jeune garçon qui servit de modèle à l’écrivain allemand. Né en 1900, mort en 1986, il est celui que Thomas Mann rencontra au cours d’un voyage à Venise au printemps 1911. Père de deux enfants, il vécut plus longtemps que l’auteur ne l’avait imaginé (« Il est très délicat, il est maladif, pensa Aschenbach [lorsqu’il découvre Tadzio à l’Hôtel des bains]. Il est vraisemblable qu’il ne vivra pas vieux. ») et il repose dans sa propriété familiale, dans la région de Poznan, à l’ouest du pays.
Wladyslaw_Moes.
Le baron Moes l’a d’ailleurs reconnu lui-même : « Ce jeune garçon, c’est moi ! Je suis allé autrefois à Venise- et m’on m’y appelait Adzio, parfois également Wladzio. Mais dans le roman, ça s’est transformé en Tadzio… » « Tadziou ! Tadziou! » (p. 66). C’est la « forme de tendresse » de ce prénom dont la musique résonne harmonieusement aux oreilles d’Aschenbach : « […] ce nom qui avait l’air de dominer la plage comme un mot d’ordre et, avec ses consonnes douces, son ou final prolongé avec insistance, avait quelque chose de tendre et de sauvage à la fois (p.54) » Le « modèle » de Tadzio poursuit en ajoutant : « Tout y est, jusqu’à mon costume ; tout est minutieusement décrit, aussi bien nos habitudes tantôt agréables, tantôt pénibles ; et aussi les grosses plaisanteries auxquelles je me livrais avec mon ami [Jaschou], sur la plage. »
Les recherches entreprises par le spécialiste des oeuvres de Mann qu’est Doegoswki révèlent encore que la famille Moes aurait bien quitté Venise dès que se déclarèrent les premiers symptômes de l’épidémie de choléra.
Et Katia Mann, dans son ouvrage, Thomas Mann, Souvenirs à bâtons rompus, confirme les dires du baron polonais. En arrivant à l’hôtel des Bains au Lido de Venise où les Mann séjournaient fréquemment, son mari est attiré par un adolescent. Voici comment elle décrit la scène et évoque le jeune héros : « […] le garçon d’environ treize ans, très charmant, beau comme le jour, toujours vêtu d’un costume marin à col ouvert et d’un très joli tricot. Sa vue frappa beaucoup mon mari. Il eut tout de suite un faible pour cet adolescent, qui lui plut extraordinairement, et il n’a cessé de l’observer sur la plage, lui, ainsi que ses camarades. Il ne l’a pas suivi dans tout Venise, cela non, mais le garçon l’avait fasciné et il y pensait souvent. » Selon elle, son mari « transfér[a] à son héros Aschenbach la plaisir réel que lui causait la vue de ce très charmant garçon, et il a stylisé ce plaisir pour en faire une passion éperdue. » Katia Mann, dans un souci de respectabilité, gomme ici les penchants homosexuels de son époux, que lui-même confesse pourtant dans ses Notes quotidiennes du soir à n’ouvrir que vingt ans après ma mort, et qui furent publiées en 1955.
On ne peut résister au plaisir de relire le merveilleux portrait que fait le narrateur du jeune garçon « aux cheveux longs qui pouvait avoir quatorze ans », la première fois qu’Aschenbach le voit : « La pâleur, la grâce sévère de son visage encadré de boucles blondes comme le miel, son nez droit, un bouche aimable, une gravité charmante et quasi divine, tout cela faisait songer à la statuaire grecque […] Les ciseaux n’avaient jamais touché sa splendide chevelure dont les boucles, comme celles du Tireur d’épine, coulaient sur le front et plus bas encore sur la nuque […] » (p. 45) et plus loin : «  […] Aschenbach, plus encore que la veille, fut frappé d’étonnement et presque épouvanté de la beauté vraiment divine de ce jeune mortel. Le garçon portait aujourd’hui une légère blouse de cotonnade rayée bleu et blanc, qu’un liseré de soie rouge sur la poitrine et autour du cou séparait d’un simple col blanc tout droit. Mais sur ce col, d’ailleurs peu élégant et n’allant guère avec l’ensemble du costume, la tête, comme une fleur épanouie, reposait avec un charme incomparable- une tête d’Eros aux reflets jaunes de marbre de Paros, les sourcils gravement dessinés, les tempes et les oreilles couvertes par la chevelure sombre et soyeuse dont les boucles s’élançaient à angle droit vers le front. » (p.49).
Plus tard, après la publication de La Mort à Venise, Erika Mann, la fille de l’écrivain reçut une lettre de Wladyslaw Moes qui disait se reconnaître, sa famille et lui-même « dépeints trait pour trait » dans la nouvelle. Gilbert Adair, qui a écrit The real Tadzio, explique par ailleurs que, même dans la Pologne communiste, le baron Moes resta un dandy jusqu’à la fin de sa vie. Il s’étonna cependant toujours que son image  littéraire, faite de jeunesse, de beauté et marquée par l'Antiquité grecque, ait pu susciter une telle fascination.
La suite du récit ne fera que confirmer la première impression d’éblouissement éprouvée par Aschenbach. Tadzio deviendra un « petit Phéacin » (p. 49), un « éphèbe » (p. 52), Critoboulos (p. 53),Clytos, Céphale, Orion (p. 74), Hyakinthos… Aschenbach découvre dans l’adolescent « l’essence du beau, la forme en tant que pensée divine, l’unique et pure perfection qui vit dans l’esprit » (p. 68). Il ressent « l’angoisse sacrée » de l’homme d’élite qui voit apparaître « une face divine, un corps parfait » (p. 69). Il transpose la beauté de Tadzio dans l’écriture d’ « une page et demie de prose raffinée », se donnant alors encore l’illusion que « le dieu Eros vit dans le Verbe » (p. 71). Mais c’est bien ce culte de la beauté idéale  et le refoulement des émois sensuels qui précipitent la décadence du romancier. Son aspiration à une beauté apollinienne, formelle et morale, est vaincue par le retour de la passion dionysiaque qui le conduit à la mort. 

Tadzio-et-Aschenbach.

En 1970, pour trouver le garçon blond susceptible d’interpréter Tadzio, Luchino Visconti fait un périple dans l’Europe de l’Est et du Nord, en Hongrie, en Pologne en Finlande. Dès son passage à Stockholm, il repère Björn Andresen. Quand il le voit, raconte Philippe Besson, dans un article de Paris-Match de mars 2005, « le doute n’est pas permis. Il est bien l’enfant blond […]. Il est bien cet ange de mort, à la grâce légère et fière […] Il est celui que Visconti décrit comme devant être l’incarnation, le symbole même de la beauté. »  Mais le metteur en scène poursuit son voyage et ne révèle son choix définitif qu’après avoir auditionné tous les garçons blonds qu’il avait remarqués. On reconnaîtra que la magie du film tient en grande partie au charme tout à la fois candide et pervers de ce jeune acteur.
Dirk Bogarde, le grand comédien anglais, avouera le sentiment de malaise qu’il éprouva lorsqu’il fit la connaissance du comédien: « J’ai ressenti moi-même quelque chose de bizarre. Quand j’ai vu pour la première fois Andresen, dans le salon de l’Hôtel des Bains… c’était l’Ange de la Mort ! Il était en face de moi ! Dès lors, j’ai gardé le silence tout le temps, je ne parlais avec personne, j’étais complètement seul, tous les jours, tous les soirs. Avec Aschenbach, j’ai découvert une tristesse énorme et profonde. » Il semblerait que, si la fascination de la beauté a joué sur Visconti, elle ait aussi fortement impressionné Bogarde.
Philippe Besson nous apprend cependant que Björn Andresen demeura marqué à jamais par ce rôle qui lui colla à la peau comme une (belle) tunique de Nessus. Lorsqu’il rencontre à Paris en janvier 2005 l’écrivain français, celui qui fut Tadzio a 50 ans. Il explique que, lors de l’audition avec Visconti, il était naïf mais que si Visconti l’a impressionné, il ne lui a pas fait peur. Il ne perçoit pas de prime abord que le cinéaste italien le choisit pour sa beauté, beauté dont il ne sait à qui il la doit puisqu’il est un enfant sans père.  Puis il comprend que c’est cela qui fascine ceux qu’il rencontre. S’il avoue n’en avoir jamais profité, il remercie cependant Dirk Bogarde, l’interprète d’Aschenbach, de l’avoir défendu contre les tentatives de manipulation et « les appétits d’ogre » de Visconti.
Il confesse avec amertume à Philippe Besson que toute sa vie, après ce film, il n’a été qu’ « un objet dans le regard des autres ». Il ajoute ne pas regretter d’avoir interprété Tadzio mais que, s’il avait connu les conséquences de ce rôle, il ne l’aurait jamais accepté. Son refuge, il le trouvera dans la musique de Chopin, passant parfois dix heures par jour au piano et déployant des efforts incommensurables « pour rester vivant ». Ainsi, il est clair que l’interprétation du personnage de Tadzio fut source d’enfermement pour Björn Andresen et qu’elle conditionna toute sa vie future.
La magie fascinatoire de Tadzio opéra ensuite sur Claude D. Georg. Celui-ci ayant vu le film de Visconti n’eut de cesse de rencontrer le jeune homme pour l’emmener de nouveau à Venise puis à Paris. Mais, le jeune acteur n’était pas Tadzio… Georg a raconté cette étrange aventure dans un livre intitulé La Rose et le Lotus. Il y explique comment, dans la salle de cinéma, lui qui ne connaissait ni Visconti ni Thomas Mann et ignorait tout de Gustav Mahler, s’identifia mystérieusement à Aschenbach : « […] par un transfert inouï je m’identifiais à lui. Je devenais l’Autre, celui qui […] avant le dîner découvrait dans le grand salon où l’orchestre jouait une valse viennoise la beauté stupéfiante d’un jeune Polonais, qui se complaisait sur la plage à observer admiratif l’adolescent merveilleux, qui s’épuisait dans une Venise malade du choléra à la poursuite du garçon complice de son manège équivoque, qui enfin sur sa chaise s’effondrait, mort dans une lumière de fin du jour après que le divin Tadzio lui eut désigné de son bras levé l’Infini, avant de s’élancer vers la mer immense. »
D’autres écrivains encore sont tombés sous le charme de Tadzio. C’est le cas de Gilbert Adair, déjà évoqué ci-dessus, et parti en quête du jeune norvégien dans The real Tadzio (2001), ouvrage qu’Allen Barra commente dans un article daté du 2 décembre 2003, intitulé Oh Boy. Tadzio, Adzio, and the secret history of Death in Venice. Adair est aussi l’auteur de Amour et Mort à Long Island (1998), roman inspiré par la nouvelle de Thomas Mann, qui revisite les thèmes de Mort à Venise. Cet ouvrage a été porté à l’écran par Richard Kwietniowski.
Enfin, on n’aurait garde d’oublier l’opéra en deux actes composé par Benjamin Britten en 1973, Death in Venice, et créé le 16 juin 1973 à Snape, pendant le festival d’Aldelburgh en Angleterre. Xavier de Gaulle, le biographe de Britten, explique que ce dernier, très désireux d'adapter la nouvelle de Thomas Mann, se refusa à voir le film de Visconti afin qu'on ne l'accuse pas de plagiat. Lors de la création de cet opéra, le ténor Peter Pears, compagnon du musicien, y tenait le rôle d’Aschenbach. Il a souligné l’importance pour Britten de cette oeuvre, résumant selon lui la quête artistique et personnelle du compositeur et que l’on peut considérer comme son testament. Le musicien anglais a su illustrer l’évolution de la contemplation d’Aschenbach qui, de spirituelle et esthétique, devient peu à peu trouble et sexuelle. On notera avec intérêt que c’est en octobre 1971 que Britten et Peter Pears sont à Venise et que le premier partage avec Thomas Mann la fascination pour la Cité des Doges. Comme Aschenbach, dans le film de Visconti, Britten est alors un musicien amoindri et malade. Et comme Aschenbach contemple Tadzio, Britten admire Pears, dont les monologues, accompagnés sobrement par le piano, structurent la narration de l'opéra. Quant à Pears-Aschenbach,  il regarde Tadzio, dont le rôle est muet, mais qui danse sur une musique de gamelan. L’incommunicabilité entre les deux personnages est ainsi particulièrement symbolique.
Adolescent polonais devenu le héros d'une nouvelle allemande, interprété par un jeune acteur norvégien qui suscita la passion chez un cinéaste italien et un écrivain français, à l’origine d’avatars littéraires ou musicaux, Tadzio est un personnage dont la fascination amoureuse et mortifère n’est pas près de s'éteindre.
Les pages renvoient à La Mort à Venise, suivi de Tristan et de Le Chemin du cimetière, Thomas Mann, Le Livre de Poche, n°1513.
A voir :
Morte a Venezia, (Mort à Venise), Luchino Visconti, 1971.
Alla ricerca di Tadzio (A la recherche de Tadzio), Luchino Visconti, Documentaire, Travail préparatoire au tournage de Mort à Venise, 1970.
Sources:
http://membres.lycos.fr/thomasmann/tadzio.htm
http://www.arte.tv/fr/mouvement-de-cinema/Luchino-Visconti
http://fr.wikipedia.org/wiki/La_Mort_%C3%A0_Venise_(nouvelle)
http://www.classiquesnews.com/dossiers/lire_article.aspx?article=569
http://www.philippebesson.com/vuluentendu_lu_philippe_paris_match.htm


23 janvier 2013

Mort à Venise (1971) de Luchino Visconti


TITRE ORIGINAL : « MORTE A VENEZIA »

Mort à VeniseAu tout début du XXe siècle, un compositeur allemand vieillissant se rend à contrecœur à Venise pour un séjour de repos prescrit par son médecin. A l’Hôtel des Bains où il réside, il croise un adolescent polonais dont la beauté le fascine immédiatement… Mort à Venise est l’adaptation d’un court roman de Thomas Mann (1). C’est une œuvre traversée de nombreux thèmes forts (la recherche de la beauté, le désir, l’Art, l’isolement, le temps qui passe, la mort) où Visconti réalise une symbiose parfaite entre la forme et le sujet. C’est sur la beauté que cette symbiose est la plus évidente : par les costumes et les mouvements de caméra (superbes travellings), Visconti montre qu’il est dans le même type de démarche que son personnage qui a entièrement voué sa vie à la musique. Et surtout, en s’inspirant de Gustav Mahler pour ce même personnage, il réussit la plus belle fusion entre un film et sa musique, l’une des associations les plus parfaites (2)Mort à Venise n’est pas qu’une réflexion sur l’art et la beauté, ou encore sur le désir/fascination qui perturbe toutes nos certitudes : Visconti introduit de manière très forte les thèmes du temps, du déclin, de la mort. Le titre ne laisse aucun espoir et la citation qui ouvre le film est plus sombre encore (3). Visconti était alors lui-même très marqué par ces thèmes. Les images de Venise sont crépusculaires, exprimant la fin d’un monde, l’épidémie de choléra symbolisant la guerre qui approche. Avec peu de dialogues, Mort à Venise est un film qui se déroule lentement, tout en manifestant une forte présence.
Acteurs: Dirk BogardeSilvana ManganoBjörn AndrésenMarisa BerensonRomolo Valli
Voir la fiche du film et la filmographie de Luchino Visconti sur le site IMDB.
Voir les autres films de Luchino Visconti chroniqués sur ce blog…
(1) Visconti s’est également inspiré d’un autre roman de Thomas Mann, Le Docteur Faustus, pour les conversations sur beauté et la séquence de la maison close. On peut également penser qu’il a puisé son inspiration dans A la recherche du temps perdu de Proust, notamment pour certaines des séquences de l’hôtel.
(2) Adagietto de la 5e symphonie (4e mouvement) de Gustav Mahler. Cette symphonie a été composée entre 1901 et 1903 par le compositeur, soit la même époque que celle de Mort à Venise.
(3) « Celui qui a contemplé de ses yeux la beauté est déjà voué à la mort. » (Citation d’August von Platen-Hallermünde, poète allemand du début du XIXe)

4 réflexions sur « Mort à Venise (1971) de Luchino Visconti »

  1. Nous en parlons vraiment différemment, vous et moi, même si je l’ai presque autant aimé que vous. Ne souhaitant pas trop en dévoiler à vos lecteurs, je voulais revenir sur un point que vous abordez: cette épidémie de choléra. Quand je l’ai découverte dans le film, m’a semblé d’abord le fruit de l’imagination du compositeur. J’ai trouvé l’idée de Visconti plutôt incongrue, mais je me suis dit que c’était aussi l’élément déclencheur d’un rapprochement plus significatif avec qui-vous-savez.
    Qu’en pensez-vous ?
    Quelle que soit l’interprétation, je crois que je continuerai d’aimer « Mort à Venise ». Et dire que l’Hôtel des Bains a été transformé en complexe immobilier de luxe…
  2. C’est le propre des plus beaux films de pouvoir être abordé de façons très différentes… A mon humble petit avis, il ne faut pas voir dans Mort à Venise une simple histoire d’attirance physique d’un homme mûr pour un jeune garçon. Tadzio est ange… on ne fait pas l’amour avec un ange !
    Non, ce compositeur a dédié sa vie à son art, la musique. C’est un créateur. Toute sa vie a été consacrée à la recherche de la beauté absolue. Et tout à coup, elle se présente à lui, au moment où il s’y attend le moins. Et il se sait pas quoi faire de cette irruption dans sa vie, car elle remet en cause beaucoup de son existence. C’est pour cette raison que lui reviennent toutes ces discussions théoriques avec son ami. Ces discussions sont un peu ronflantes mais à la base il y une vraie question, la question préalable à toute recherche de la beauté : faut-il la chercher ou la créer ?
    Il ne sait pas quoi faire de cette beauté qui se présente à lui. C’est donc plus un problème conceptuel que simplement physique. Il ne tente d’ailleurs pas d’entrer en contact avec « l’ange » malgré les invitations et les regards. A un seul moment, il fait le parallèle avec une prostituée qu’il a connue comme pour tenter de remettre cela dans un schéma plus simple, plus rassurant pour lui, mais il est forcé de repousser l’idée.
    Quant au choléra, c’est avant tout la mort. Elle marque toute cette histoire. Elle est inéluctable et annoncée : dans le titre déjà, puis dès les premières images (cette fumée très noire qui sort de la cheminée du bateau qui l’emmène à Venise) et dans cette étonnante scène du gondolier qui le mène de force à sa destination, sorte de « passeur d’âmes » qui le mène vers la mort… etc.
    Une mort annoncée et désirée… Comme nous l’indique la citation en ouverture, comment pourrait-il vivre après avoir contemplé la beauté absolue ? Il sait qu’il ne pourra la transcrire dans sa création, arriver à une telle perfection. Donc sa vie, pour lui, n’a plus de sens. Son seul désir est que la beauté lui survive, qu’elle ne meure pas.
    Mort à Venise est un film qui ne pourrait sortir aujourd’hui… enfin, si peut-être, mais il faudrait prendre autre chose qu’un jeune garçon pour symboliser l’ange… 😉
    J’ai lu sur votre blog que l’Hôtel des Bains allait disparaître… Dommage.
    Comme certainement d’autres d’amateurs de cinéma, je suis allé le voir lors d’un voyage à Venise. Il était bien entendu moins séduisant que dans le film, en bordure de rue, avec ces énormes grillages qui ferment les plages privées italiennes.
  3. L’épidémie de choléra fait écho au déclin de ce vieil homme comme les provocations du jeune garçon accentuent son côté pitoyable illustré cruellement par la scène du maquillage.Je crois également que le personnage du jeune homme est plutôt, en effet, à considerer comme un symbole . Le naufrage de la vieillesse qui rêve de beauté absolue, de jeunesse, de vie donc . Comme la fin d’un monde et d’une vie à Venise accompagnée de cette superbe musique neo romantique qui accompagne si bien la déchéance. Superbe et infiniment tragique !
  4. CONTAMINATION
    Il y a des villes comme ça qui cristallisent des métaphores comme celle de la beauté telle Venise vouée un jour à disparaitre engloutie dans les flots qui l’ont vu naitre de la main de l’homme. Des villes décors, théâtre et opéra, romans et films, ou généralement on vient du monde entier en lune de miel. Ne serait-ce pas plutôt une ville musée faite pour y mourir, comme Hemingway et son double dans « Au-delà du fleuve et sous les arbres »?
    Venise cité lacustre mortifère est peu à peu gangrénée par le bacille du choléra amené par les bateaux du port, et que l’on tente de masquer en la déguisant – ne sommes nous pas dans une ville carnavalesque? – par un désinfectant fait de chaux blanche nauséabonde que la municipalité répand sur les places
    Gustav von Aschenbach, le protagoniste, que l’on a vu enveloppé d’un plaid dans une chaise sur le pont du bateau, costume de lin blanc, panama, lunettes, y débarque pour se reposer en villégiature car il est en convalescence, accablé d’un mal indéfini. On sait que chez les malades la sensibilité est souvent accrue et principalement celle de la beauté qui se présente comme un chemin à suivre. Aschenbach la rencontre sous la forme des apparitions successives d’un ange jeune adolescent étranger qu’il va se mettre à suivre dans le dédale des canaux, comme Scottie filait Madeleine avec fascination dans l’hypnose en spirale irrépressible de Vertigo. Ici convalescent rime avec adolescent
    il y a aussi des films comme ça, qui échappent à la raison habituelle et dont on ne peut faire le tour d’un commentaire
    De la nouvelle d’à peine cent pages de Thomas Mann parue en 1912, après un bref séjour à Venise l’année précédente où il rencontre un jeune noble polonais adolescent qu’il nommera Tadzio dans sa nouvelle, Luchino Visconti tire un film de 2h15 (et encore se passe t’il des deux premiers chapitres) dont il garde le cadre historique du début de siècle. L’ouverture, passant du bleu profond de la nuit au glissement à travers les premières brumes matinales qui s’estompent sur l’entrée du bateau glissant sur le grand écran de la lagune comme dans une toile de Turner sur l’adagio de Gustav Malher est en soi prodigieuse de métamorphose de cette beauté d’un monde qui va contaminer tout le cours du film jusqu’à sa chute. A cette époque Visconti travaille sur l’adaptation d' »A la recherche du temps perdu » et cela se sent à bien des égards
    La ville devient de plus en plus suffocante, lépreuse, tandis qu’Aschenbach s’affaiblit de plus en plus, suffocant. Il attendait plus ou moins que quelque chose au soir de sa vie (lui) arriva, mais ne s’attendait pas à être foudroyé par l’ange en plein coeur. Cette révélation de l’ordre du mystère vient trop tard, il ne peut que prendre conscience qu’il passe à coté, qu’il est passé à coté, qu’il est trop tard malgré tous les masques de carnaval dont on le pare (chez le barbier), mais n’est-ce pas là plutôt un masque mortuaire pour achever la métamorphose. Aschenbach se rajeunit-il ou s’approche t’il d’avantage de la mort? « Et maintenant le signor peut tomber amoureux sans crainte » lui dit son embaumeur en ajoutant une fleur à la boutonnière
    Mort à Venise est rempli de zooms combinés à des travellings qui instaurent des mouvements perpétuels de circulation, de longs plans sans dialogue, de poses et de musiques dans des pastels d’images et des brillances décoratives qui accompagnent l’errance, la solitude et la mort d’Aschenbach sur la plage de l’hôtel des Bains, à coté de l’appareil photo planté seul sur son trépied, face au miroir scintillant de l’eau, le regard tourné en direction du geste du bras de l’ange
    Méditatif, contemplatif, mélancolique, symbolique et toute sorte d’épithètes qualificatifs s’appliquent au film car on y parle rarement en premier des acteurs tant ils s’amalgament à l’entreprise du récit viscontien, certes il faut reconnaitre la performance sur le fil de Dirk Bogarde mais on songe que Visconti aurait pu l’interpréter lui même, tout comme on l’a déjà dit pour le prince du Guépard ou le vieil amateur d’art misanthrope de Violence et passion, autant de testaments possibles du cinéaste

lis Mort à Venise (Visconti, 1971): Analyse d'une oeuvre livre

Êtes-vous trouver un Mort à Venise (Visconti, 1971): Analyse d'une oeuvre?
Mort à Venise (Visconti, 1971): Analyse d'une oeuvre e-book peut être lire gratuitement. Lecture livres électroniques gratuits Mort à Venise (Visconti, 1971): Analyse d'une oeuvre. Gratuit téléchargeable eBook Mort à Venise (Visconti, 1971): Analyse d'une oeuvre. Saisir maintenant e-books Mort à Venise (Visconti, 1971): Analyse d'une oeuvre.


Mort à Venise (Visconti, 1971): Analyse d'une oeuvre

Mort à Venise (Visconti, 1971): Analyse d'une oeuvre

Auteur : Eric Dufour;Laurent Jullier
Editeur : Vrin (2018-07-18)
ISBN-13 : 9782711628360
Album : 152 Pages
Langue : Français
Dimension : eBook includes PDF, ePub and Kindle version

MORT A VENISE de LUCHINO VISCONTI

Publié le 29 octobre 2010 par Abarguillet
Corbis Sygma  

 Descendant d'une vieille famille de Lombardie, le comte Luchino Visconti naît à Milan le 2 novembre 1906 et s'intéresse très tôt au théâtre et à l'opéra, au point d'envisager une carrière de musicien. Sa rencontre à Paris avec Jean Renoir le familiarise avec les techniques et les possibilités qu'offre le cinéma à ses exigences d'esthète et à son goût prononcé pour l'art. Sympathisant communiste, il s'engage dans la résistance, est arrêté par la gestapo et échappera de peu au peloton d'exécution. Après la guerre, il réalise un documentaire de propagande communiste Jour de colèrepuis revient au théâtre et met en scène des oeuvres de Cocteau et de Sartre. Ce n'est que dans les années 50 qu'il renoue avec la caméra et tourne avec Alida Valli  son premier chef-d'oeuvre Senso. Entre deux tournages, il travaille pour la Scala de Milan et met en scène des Opéras chantés par les plus grandes voix de l'époque, dont celle de La Callas.
Au cinéma, il ne cesse plus de s'imposer avec des films comme Rocco et ses frères ( 1960 ),  Le Guépard  ( 1962 ), Sandra ( 1965 ),  Les Damnés ( 1969 ), tous couronnés par de nombreux prix. Après Mort à Venise en 1971, il tournera encore  Le Crépuscule des dieux  ( 1972 ), une biographie de Louis II de Bavière avec Helmut Berger et Romy Schneider et  Violence et passion  ( 1974 ) avec Burt Lancaster et Silvana Mangano. Il s'éteint à Rome le 17 mars 1976.
  
Collection Christophe L.
    VIDEO

Mort à Venise,
 film lumineux et complexe est, sans nul doute, l'un des plus grands chefs d'oeuvre du 7ème Art. Inspiré d'un roman de l'écrivain Thomas Mann, lui-même influencé par la philosophie empreinte d'un pessimisme qui s'enivre de la fascination de la mort et du néant de Schopenhauer, il est une longue méditation sur l'ambiguïté de l'artiste confronté à son art et sur la mort, envisagée comme une force de séduction et d'immortalité. Les vers de Platen : " 
Celui dont les yeux ont vu la Beauté / A la mort dès lors est prédestiné " - sont placés en exergue dans le film, afin de souligner l'importance de l'attrait qu'exerce la beauté physique sur le héros vieillissant Gustav von Aschenback, saisi à Venise d'une soudaine et fatale passion pour un gracieux adolescent, prénommé Tadzio. Le musicien vit une sorte de révélation lors de sa rencontre avec la splendeur presqu' irréelle de ce jeune polonais. Elle lui fait prendre conscience que la beauté naît d'une apparition impromptue, non de la cogitation présomptueuse et laborieuse de l'artiste. La création et la contemplation artistiques élèvent l'individu au-dessus de lui-même et le font participer à la vie universelle, seule authentique.  "La beauté et la grâce de la figure humaine, une fois associées, sont la performance la plus haute de l'art plastique". Si la beauté rêvée peut être dépassée par la beauté réelle, la mort devient inéluctable  pour l'artiste, convaincu de sa défaite. Ainsi la dernière scène du film, où le vieil homme, assis, regarde l'enfant qui s'éloigne à la rencontre de la mer et semble l'entraîner vers l'ultime voyage. Tout est suggéré dans ces non-dits, rythmés de silences, ceux mêmes de la contemplation, de l'extase caressé par une caméra devenue regard, célébrant  la perfection esthétique du jeune éphèbe.
Le producteur avait suggéré à Visconti que le garçon soit remplacé par une nymphette, pensant que celle-ci aurait eu l'avantage de rappeler la Lolita de Nabokov, mais Visconti s'y refusa avec raison, donnant à son film une dimension plus contemplative d'une beauté intemporelle et sublimée, celle d'un amour  interdit qui conduit inéluctablement à la mort, puisque rien n'est plus possible en ce monde. La vie ne vient-elle pas de donner le maximum d'elle-même : cette perfection fugitive que le temps ne pourra que défaire, corrompre, détruire. Il faut mourir de manière à ce que l'image demeure,  inviolée dans sa gratuité, comme si le désir immense s'était suspendu en sa propre vision.
L'histoire du film est centrée sur les états d'âme et les dilemnes intérieurs éprouvés par le héros et rendus plus intenses et crédibles par le recours aux souvenirs et aux réminiscences. Un musicien ( inspiré de Gustav Malher dont la Cinquième Symphonie accompagne le film de façon grandiose ) arrive à Venise et croise à l'hôtel des bains, où il est descendu, un jeune garçon d'une surprenante beauté qui le subjugue immédiatement. Leur relation se réduira à un jeu de regard, mais n'en troublera pas moins le musicien, qui voit subitement toutes ses convictions remises en question. Il tente de fuir, puis décide de rester, de prolonger son séjour, alors qu'une épidémie de choléra s'annonce et que la ville elle-même parait s'engloutir dans les eaux, ainsi qu'un navire en perdition. Tout est subtilement évoqué de cette lente érosion à laquelle le temps condamne les êtres et les choses, alors que la beauté traverse cette réalité sordide, pareille à un ange exterminateur. On voit dans le gondolier un passeur d'âme, dans le visage maquillé de poudre blanche d'Aschenback son fantôme dérisoire, dans les calli désertées et putrides une cité qui s'abandonne à l'oubli, dans l'hôtel, que les estivants s'apprêtent à quitter, un monde en train de disparaître, mort annoncée d'une époque que la guerre va bientôt déchirer et ouvrir aux lendemains inquiétants du XXème siècle.
L'atmosphère rappelle celle que Marcel Proust nous décrit dans sa  Recherche. D'ailleurs le cinéaste ne cachait pas son admiration pour l'écrivain français, dont il aspirait à porter l'oeuvre à l'écran. Lui seul aurait été en mesure d'adapter cette oeuvre difficile, parce que sa sensibilité, sa notion du temps, son esthétisme étaient proches de ceux de l'auteur du Temps Retrouvé. A l'urgence temporelle correspondait, chez l'un et chez l'autre, un isolement toujours plus grand, la fascination du désir qui ne peut être satisfait, l'encerclement dans des lieux que seule l'imagination nous permet de franchir. Le recours aux zooms, que l'on a reproché au cinéaste d'utiliser à l'excès, est une façon de défier le temps, de le remonter à volonté, de jouer de la mémoire et du souvenir, de refuser à l'action d'être prisonnière de la durée. Le seul enfermement du film est celui du désir qui clôt la vie, lui donne sens et l'ouvre sur un horizon plus vaste : celui d'une invitation au voyage sur les eaux, lieu de transition par excellence.  Alors que, par ailleurs, on assiste à la lente agonie des choses dans une ville qui a perdu jusqu'à ses reflets, semble gagnée par la porosité, les moisissures, les putrescences d'une épidémie rampante. Le génie de Visconti, dont l'oeuvre figure au plus haut du palmarès cinématographique, est d'avoir su trouver le langage approprié pour exprimer la beauté et les sentiments ineffables qu'elle inspire, et,  par l'image et le son magistralement utilisés, évoqué l'angoisse, la mélancolie, le désir jamais comblé. Je crois que ce film est celui qui m'a le plus bouleversée, car il est l'oeuvre d'une vie, celle qui surpasse son auteur et  l'ouvre à l'immortalité des artistes de génie.
Pour prendre connaissance de mes autres critiques sur des films de Visconti, cliquer sur leurs titres :   Senso   Le Guépard   Ludwig ou le crépuscule des dieux.

2 juin 2011

MORT A VENISE

MORT A VENISE



Italie-mort-venise-luchino-visconti-L-2.jpg









Adapté du roman éponyme de Thomas Mann.

à Venise, 1911...

Dans l'hôtel de luxe où il loge, Gustav von Aschenbach, compositeur vieillissant, meurtri par le décès de son unique et jeune enfant, malade, déchu et traversant une période de crise existentielle, en villégiature (très librement inspiré de Gustav Mahler), est troublé par un jeune adolescent androgyne, Tadzio, issu d'une famille de la haute société polonaise, qui semble incarner l'idéal de beauté éthérée à laquelle il a désespérément tenté de donner expression dans ses créations.
Ce déconcertant garçon ayant, par des regards croisés, pris conscience de sa fascination, l'artiste rêve de l'aborder, et en vient à remettre en question les certitudes de sa vie tout entière.
Dans une ville qu'il sait en proie à une épidémie de choléra cachée par les autorités qui ne tiennent pas à ce que les touristes partent, Aschenbach, au lieu de fuir, s'enfonce dans la déchéance (songeant à alerter la famille du jeune Polonais), puis meurt sur la plage du Lido après avoir une dernière fois contemplé Tadzio, son bien-aimé à qui il n'aura jamais osé parler...


  Italie-Mort-a-Venise-Tadzio.jpg

Le film que je vis à sa sortie, seul et en secret, à l'insu de mes parents, me bouleversa alors que j'étais adolescent. Il est une très intelligente adaptation de la nouvelle de l'écrivain autrichien Thomas Mann (1913).
Mais Visconti transforme ce petit chef d'oeuvre initial de la littérature de langue allemande du début du XXème siècle, en faisant d'Aschenbach un musicien et non un écrivain, en introduisant des flash-backs venus d'une autre oeuvre de Mann, Le Docteur Faustus, ainsi que, bien évidemment, des éléments de son imaginaire personnel liés à ses origines aristocratiques et italiennes.
Le rapport de ce film, comme de toute l'oeuvre de Visconti, avec À la recherche du Temps perdu, de Marcel Proust, est frappant. L'Hôtel des Bains du Lido rappelle le Grand-Hôtel de Balbec, les fards d'Aschenbach rappellent ceux du baron de Charlus, sa mort celle de Bergotte...
La présence obsédante de la musique de Gustav Mahler (1860-1911), en particulier le superbe et mélancolique adagio de la Symphonie n°5, est le changement le plus remarquable qu'apporte Visconti à l’œuvre de Mann.
Il y a un léger infléchissement du sens, du texte au film : la nouvelle de Mann dit le conflit, dans l'Art, entre Dionysos et Apollon ; le film de Visconti insiste plus sur la révélation d'un "trop-tard", c'est-à-dire sur le conflit, proprement cinématographique, de la Beauté et du Temps. On peut aussi voir dans ce film une dimension sociale : ce sont les rapports de classes de l'époque qui se laissent voir dans la confrontation entre la clientèle de l'hôtel, le personnel et les Vénitiens.

Italie-Mort-venice-Tadzio-portrait-N-B-col-officier.jpg


"Qui a contemplé de ses yeux la Beauté, est déjà voué à la Mort..".
Thomas Mann.
L'artiste vieillissant était venu se ressourcer dans l'antique Cité des Doges, ancienne puissance commerciale et maritime, riche, splendide, majestueuse et fière. Il y rencontrera, dans la chaleur malsaine d'un des derniers été de paix, la beauté et la mort,sous les traits charmants  d'un éphèbe d'une beauté troublante qui l'ébranlera jusqu'au plus profond de lui-même. Une passion l'envahira, lui procurant des sentiments troubles, une brûlure douloureuse et enivrante,étrangère, inconnue jusqu'alors; une morsure dans l'âme. Mortelle... 

Alfried : "La Beauté naît, selon toi, de tes seules facultés spirituelles ?"
Aschenbach : "Nieras-tu que le Génie de l'Artiste puisse la créer ?"
Alfried : "Oui, c'est le pouvoir que je lui dénie."
Aschenbach : "D'après toi notre labeur d'artiste..."
Alfried : "Ton labeur ! La Beauté fruit du labeur ! Quelle illusion ! Non ! La Beauté jaillit d'un éclair et ne doit rien aux cogitations de l'artiste ni à sa présomption !"



Italie-Livre-Mort-Venise.jpg



Adaptation austère et contemplative de la nouvelle « la Mort à Venise » de Thomas Mann, Mort à Venise (Prix du 25ème Anniversaire du Festival de Cannes) figure bien souvent comme le testament de Luchino Visconti puisqu'il laisse transparaître toutes les obsessions et préoccupations, développées de façon très aboutie, de ce cinéaste, véritable artiste de génie, personnage de fascination et de scandale pour ses moeurs et son goût raffiné de la décadence. Mort à Venise, incompris par certains à son époque (... et actuellement toujours), a d'ailleurs été l'objet d'une polémique pour la pédophilie qu'il expose. Certes l'histoire laisse suggérer un peu cet aspect là du film mais les réflexions que mettent en place ce chef d'oeuvre cinématographique balaye rapidement cette idée.



Italie-Luchino-Visconti--1936_.jpg


La morgue aristocratique d'un membre d'une des plus anciennes familles de la noblesse italienne, dissimule en fait une angoisse obsessionnelle provoquée par la révélation du "trop tard".

Paradoxalement, même s'il s'agit d'une adaptation cinématographique, Mort à Venise est quelque peu autobiographique ou du moins en fait un film très personnel car cette œuvre place la figure de l'artiste comme l'élément central du film, autour duquel gravite plusieurs thèmes en relation avec l'Art ainsi que la Beauté, la fuite du Temps et la Mort qui rattrape le personnage principal, Aschenbach, tout comme il semble rattraper Visconti qui mourra cinq ans après la réalisation de son chef-d'oeuvre ultime et absolu.

Italie-mort-a-venise-1970-06-g.jpg


Par un jeu subtil de séduction et d'espièglerie, Tadzio chamboule le coeur et l'esprit de l'artiste qu'est Aschenbach, (magnifiquement joué par Dirck Bogarde). Ce jeu, presqu'innocent (?) mais cruel, se révèlera fatal pour cet homme malade qui aura chercher toute sa vie, dans une tension tragique, l'expression la plus sublime de la Beauté, de la Jeunesse et de l'Amour, sans pouvoir les étreindre...


 Italie-Mort-Vanise.jpgItalie-Mort-Venise-Bjorn---sisters.jpgItalie-Mort-Venise-Bjorn-Andresen--3-.jpg



 Tadzio (Bjorn Andresen).



Italie-mort_a_venise_-5.jpg

« Dans une histoire comme Mort à Venise, une histoire de regards, le zoom m'aidait beaucoup pour donner cette impression que le regard s'approche d'un être, d'une personne... C'est la nécessité à un certain moment de m'approcher un peu de quelque chose. Au lieu de couper et de m'approcher comme on faisait d'habitude, comme la technique vous l'imposait. C'est plus pratique de faire ainsi.  Plus « pratique » et bien sûr aussi, plus sensé.
Le zoom qui présente le personnage principal au début du film permet véritablement de découvrir Aschenbach et d'entrer dans l'histoire : le zoom l'isole peu à peu de son environnement (sur le pont du bateau), et l'effet indique d'emblée la solitude et l'isolement du personnage. L'effet de zoom permet encore de donner l'impression de plonger dans une intériorité : c'est par un zoom que l'on pénètre dans les pensées et souvenirs d'Aschenbach, lorsqu'il est attablé au restaurant, non loin de Tadzio : le zoom prépare à la fois la voix off (le souvenir d'une discussion sur la beauté) et le flash-back qui suit.
Enfin, le zoom est sans doute le moyen le plus adéquat de décrire le regard d'Aschenbach sur Tadzio : il n'y a jamais de contact véritable entre eux, et ce n'est qu'en concentrant, en focalisant son regard sur le jeune adolescent que le musicien se rapproche de lui. Le zoom peut ici apparaître comme une métaphore de la fascination : comme le remarque Dominique Villain, « le zoom aspire son objet plus qu'il ne s'avance vers lui ».
Luchino Visconti; (L'oeil à la caméra).
La proximité de Tadzio n'est permise que par cette aspiration, cette concentration du regard retranscrite par le zoom.

La solitude d'Aschenbach enferme son regard sur Tadzio, inaccessible et idéalisé.

  Italie Mort Venise visconti



La métamorphose trompeuse d'Aschenbach en ce qu'il méprisait il n'y a pas si longtemps: le "vieux-beau". Cette transformation comico-pathétique reflète la toilette du mort.


Italie-Aschenbach.jpg

En proie à l'ennui, figé comme une statue grecque, l'adolescent fascine.
Il existe chez Visconti une rigueur maniériste qui, comme chez Hitchcock ou De Palma, équivaut à un langage cinématographique. Panoramiques et zooms ne font dans cette séquence que renforcer l'impact émotionnel du musicien face à la beauté du jeune homme. Les panoramiques se confondent alors à une certaine subjectivité du regard. Leur multiplication, associée aux zooms incessants, échappe à toute logique rationnelle. Visconti dépasse les limites de l'espace et renforce l'aspect sinueux du film.
En intérieur comme en extérieur, Mort à Venise est un parcours sans fin, physique et spirituel qui ne s'effectue que par le regard, qu'il soit celui des personnages ou celui de la caméra.



Italie-m-visconti68.jpg






 Italie-Mort-Venise-sylvana.jpg


 Silvana Mangano incarne la mère de Tadzio. Hiératique, angoissée...L'esthétique et le maniérisme de l'art de Visconti s'exprime pleinement dans ce rôle qui restitue l'état d'esprit de la haute société européenne de ce début de XXème siècle avec ses codes de conduite: retenue, pudeur, par lesquels cette caste entend se distinguer des parvenus.
Épouse d'un haut fonctionnaire particulièrement occupé par ses fonctions, (selon une indiscrétion d'un maître d'hôtel),absent dans l'histoire;  cette absence du père renforce la solitude de toute la famille et en particulier celle de l'adolescent cerné par des femmes (la mère, la gouvernante et les trois soeurs)... 





Italie-Mort----Venise.jpg


Italie-Mort-Venise-Tadzio-piano.jpg



Les solitudes de Gustav et de Tadzio s'aditionnent mais n'arrivent jamais à se compléter, malgré ou à cause de leurs désirs inachevés. Les interdits et les non-dits sont trop forts; seuls les yeux, "fenêtres de l'âme" parviennent parfois, en de précieux instants, furtivement, à exprimer l'indicible...



Italie-Mort-a-Venise-Tadzio-copie-1.jpg


 Italie-mort-a-venise-1970-13-g.jpg



Les moments où Tadzio sort de son cercle de femmes, qui ne sont jamais très éloignées, pour retrouver quelques jeunes gens de son âge, offrent à Gustav des scènes de jeux sur la plage de séduction-répulsion qui l'émeuvent et le blessent.  Le renvoient-elles à sa propre adolescence? A ce temps privilégié de l'insouciance apparente et des premiers émois?




Italie-Moert-a-Venise-Aschenbach.jpg




Faut-il alerter et provoquer le départ de l'être chéri ou bien se taire et prolonger le temps qui s'enfuit?
Venise la légendaire, lieu de villégiature de la haute société cosmopolite, est devenue un piège où souffle le siroco, vent chaud et fétide où se propagent les miasmes pestilentiels du Choléra qui dans le film, personnifie le spectre de la guerre qui approche et dispersera bientôt tout ce beau monde insouciant... 




 Italie-Mort-Venise-following-the-streets.jpg

Italie-mort-a-venise-1970-14-g.jpg


Gustav se surprend à suivre Tadzio dans le dédale des rues de Venise où l'étendue et la gravité de l'épidémie de choléra, symboles de la terrifiante apocalypse de 14-18 qui s'approche, se révèlent au grand jour malgré le silence des autorités et la censure de la presse. Par ce comportement suspect et inquiétant, il révèle à lui-même sa déchéance et sa misère, son désespoir aussi et la décadence où le conduit sa quête éperdue.


Italie-Mort-Venise-Chateau-de-sable.jpg


Italie-Mort-a-VeniseTadzio-tenu-par-l-epaule.jpgItalie-Mort-Venise-Bjorn-kissed-by-a-yung-boy.jpg

 Italie-mort-a-venise-3.jpg


Epuisé, Gustav von Aschenbach ("Ruisseau de cendres") meurt seul dans une chaise longue, sur une plage déjà désertée, en contemplant Tadzio qui traîne sa solitude. Le corps du musicien est rapidement emporté comme un sac lourdement rempli de rêves inavoués, afin de ne pas choquer les quelques clients de l'hôtel qui se sont attardés avant le coucher du soleil...



Tiraillé entre ses origines sociales ( très ancienne noblesse italienne) et la mode du "bourgeois gauchisant" qui sévissait avec tyrannie dans les milieux artistiques après 1945, la décadence de la haute société fut un leitmotiv dans la filmographie de Luchino Visconti.

« On m'a souvent traité de décadent. J'ai de la décadence une opinion très favorable, comme l'avait par exemple Thomas Mann. Je suis imbu de cette décadence. Mann est un décadent de culture germanique, moi de culture italienne. Ce qui m'a toujours intéressé, c'est l'examen d'une société malade. »
Luchino Visconti


Mort à Venise

Qui a contemplé de ses yeux la beauté est déjà voué à la mort.
- Thomas Mann -

Le scénario de «Mort à Venise», film récompensé à Cannes en 1971, est tiré du court roman de Thomas Mann, «La Mort à Venise», paru en 1913. Visconti repoussa à plusieurs reprises son adaptation, estimant que le projet exigeait de la maturité. Il concentre le roman autour de la relation entre Aschenbach, libre adaptation du personnage réel de Gustav Mahler, et Tadzio, un jeune adolescent polonais. Il s'inspire également d'un autre ouvrage de Thomas Mann, «Le Docteur Faustus» pour les conversations sur la beauté, ou la séquence du bordel, ainsi que de Proust pour le personnage du directeur de l'Hôtel des Bains qui évoque celui du Grand Hôtel de Balbec.

L'histoire

Juste avant la première guerre mondiale, un musicien allemand, Gustav von Aschenbach, se rend à Venise. En villégiature à l'Hôtel des Bains, il y croise un adolescent dont la beauté le fascine immédiatement. La rencontre entraîne une remise en question de ses certitudes morales et esthétiques. Son existence toute entière est chamboulée par le désir qui surgit. La relation demeure distante, réglée par le jeu des regards échangés. Le musicien tente de fuir ce désir en quittant Venise, mais un événement fortuit lui sert de prétexte pour revenir à son hôtel vénitien malgré l'épidémie de choléra qui sévit dans la ville. Il s'abandonne à la contemplation du jeune homme, tente de nier sa vieillesse et d'oublier la fièvre. Il meurt sur la plage presque désertée de l'hôtel, le regard tourné vers Tadzio.

La relation est barrée par des obstacles extérieurs (l’entourage de Tadzio) et des interdits moraux. L'homosexualité du désir renforce d’ailleurs la dimension de ces interdits. Ashenbach se satisfera des seuls regards et sourires échangés: le désir contrarié prend la voie de la sublimation. L’irruption de la beauté incarnée oblige Aschenbach à remettre en cause ses conceptions du beau qui sont pour lui fruits de la rigueur et de la discipline. Il comprend mieux l’avis opposé de son ami Alfried pour qui la beauté est un surgissement sensitif. Il ne peut cependant s’empêcher d’y apporter une part d’élaboration à travers le regard qu'il porte sur Tadzio et que favorise l'adolescent, qui «prend la pose». Visconti rapporte le point de vue de la beauté sublimée. Le zoom d’Aschenbach isole Tadzio et le transforme en icône d’Église auréolée de cierges construisant ainsi son image de la pureté et de la beauté angélique.

Ce film de Visconti est sans conteste un chef d’œuvre de plus à ajouter au sans-faute que constitue sa filmographie. L’image portée à sa quintessence favorise le projet. L’arrivée du vaporetto dans la lagune sur la musique de Mahler et les scènes dans la salle de réception de l’hôtel croulant sous les camaïeux d’hortensias au milieu desquels évolue l’aristocratie cosmopolite finissante de la Belle Époque en grandes toilettes sont à mettre au rang des pièces de maître du Septième Art.


Niciun comentariu:

Trimiteți un comentariu