miercuri, 22 ianuarie 2020

Pier Paolo Pasolini, marginalul


Pier Paolo Pasolini est un écrivain, poète, journaliste, scénariste et réalisateur italien, né le 5 mars 1922 à Bologne, et assassiné dans la nuit du 1er au 2 novembre 1975, sur la plage d'Ostie, près de Rome.
Son œuvre artistique et intellectuelle, éclectique et politiquement engagée, a marqué la critique. Connu notamment pour son engagement à gauche, mais se situant toujours en dehors des institutions et des partis, il observe en profondeur les transformations de la société italienne de l'après-guerre, et ce, jusqu'à sa mort en 1975. Son œuvre suscite souvent de fortes polémiques (comme pour son dernier film, Salò ou les 120 Journées de Sodome, sorti en salles l'année même de sa mort), et provoque des débats par la radicalité des idées qu'il y exprime. Il se montre très critique, en effet, envers la bourgeoisie et la société consumériste italiennes alors émergentes, et prend aussi très tôt ses distances avec l'esprit contestataire de 1968.
Avec plus de quatorze prix et neuf nominations, l'art cinématographique de Pasolini s'impose, dès 19612 avec notamment L'Évangile selon saint Matthieu, puis avec Les Contes de Canterbury.
Réalisateur
Longs-métrage de fiction
1961 : Accattone
1962 : Mamma Roma
1964 : L'Évangile selon saint Matthieu (Il Vangelo secondo Matteo)
1966 : Des oiseaux, petits et gros (Uccellacci e uccellini)
1967 : Œdipe roi (Edipo Re)
1968 : Théorème (Teorema)
1969 : Porcherie (Porcile)
1969 : Médée (Medea)
La « Trilogie de la vie » :
1971 : Le Décaméron (Il Decamerone)
1972 : Les Contes de Canterbury (I racconti di Canterbury)
1974 : Les Mille et Une Nuits (Il fiore delle mille e una notte)
1975 : Salò ou les 120 Journées de Sodome (Salò o le 120 giornate di Sodoma)


PASOLINI (Pier Paolo)

écrivain et cinéaste italien (Bologne 1922 - Ostie 1975).
Sa mort dans des circonstances particulièrement sordides (il fut assassiné par un voyou dans un terrain vague de la banlieue romaine) a conféré une touche suprême et tragique à l'auréole de poète maudit dont son œuvre, tant littéraire que cinématographique, portait la trace. Cette auréole de martyr, on la trouve aussi bien dans les imprécations lyriques des Cendres de Gramsci(poésie, 1957) que dans le chant homosexuel de Théorème (roman et film, 1968), dans ses traductions libres d'Eschyle ou de Plaute (théâtre) que dans ses écrits « corsaires », dans les vagabondages, plus légers en apparence, d'Uccellacci e uccellini ou du Décaméron, que dans la funèbre apothéose de Salo.Partout se fait entendre le même cri, plus ou moins étouffé, plus ou moins couvert par les simulacres narratifs : « Je suis... comme un serpent réduit en bouillie de sang... comme un chat qui ne veut pas crever » — un cri dont l'écho s'identifie à la limite avec la souffrance du Christ, liée à celle, complémentaire, de Judas l'Iscariote, telle qu'il l'a décrite dans sa version très personnelle de l'Évangile selon Matthieu (film, 1964). Cette œuvre, en fin de compte, « gêne tout le monde, en raison de la naïveté propre à Pasolini », ainsi que l'observe Roland Barthes à propos de Salo (son dernier film, une version moderne des Cent Vingt Journées de Sodome de Sade). Il importe de considérer Pasolini comme un authentique marginal,perpétuellement sur la ligne de feu des transgressions linguistiques (et esthétiques). Son itinéraire de poète et de cinéaste a quelque chose de désespéré et de suicidaire, tout en n'excluant pas une puissante nostalgie des codes traditionnels (Rossellini, Bergman...), qui ne permet pas de le rapprocher de Godard, par exemple : il a donné naissance à une série d'ouvrages disparates, pleins d'aspérités et de béances, irrécupérables et souvent fascinants.
Pier Paolo Pasolini est venu relativement tard à la mise en scène de cinéma, alors que sa gloire d'écrivain était déjà assurée (Alberto Moravia le tenait, dès la fin des années 50, pour le plus grand poète italien de sa génération). Il débuta en force avec Accattone, une fable néoréaliste cumulant les influences de De Sica et de Visconti, suivie d'un mélodrame freudien, Mamma Roma, aux accents bunuéliens. Le cinéma va devenir pour lui, selon ses propres termes, « la langue écrite de la réalité », lui permettant de traquer les vestiges des grands mythes universels, au travers de ses fantasmes personnels, le tout condensé, « syncrétisé » dans la gangue du lieu commun. Tous ses films seront à double face : à la fois simples et complexes, dérisoires et sublimes, pétris de réalité et ouverts sur l'abstraction, la grossièreté du matériau fournissant une caution paradoxale à la noblesse des intentions. Les plus intéressants ne sont peut-être pas les plus réussis, mais ceux qui avortèrent en cours de route, faute de cohésion externe, de « répondant » naturaliste — ou, plus simplement, d'acquiescement heureux à tous les stades de la réalisation : ainsi de Comizi d'amore (1965) ou des Carnets de notes pour une Orestie africaine (1975), réflexions sur le cinéma plutôt que films. L'inspiration en est chaque fois résolument composite, au sens architectural du terme : alternance de musiques profane et sacrée dans Il vangelo secondo Matteo, récits entrecroisés de Porcile, mélange de temps et d'espaces dans Edipo re et Medea. Après avoir dédié son Évangileà la mémoire de Jean XXIII, il scandalise une fraction de l'opinion catholique avec Théorème et en enthousiasme une autre au point de se voir décerner pour ce film le prix de l'OCIC ; la représentation des grands textes classiques ne l'empêche pas de brasser à pleine pâte pornographie, érotisme et scatologie, ni de faire appel à Maria Callas... pour un rôle quasi muet ! Dans un recueil de textes théoriques, il exalte « la nature profondément artistique du cinéma, sa force expressive, son pouvoir de donner corps au rêve, c'est-à-dire son caractère essentiellement métaphorique ». Son exégète Marc Gervais décrit le projet pasolinien comme « déchiré, contradictoire, marqué 
par une sorte d'hystérie apocalyptique mais qui, par les moyens de l'art, cherche sans cesse le lieu et l'instant de la réconciliation ». Cette vision « épico-religieuse » du monde a, fondamentalement, valeur d'exorcisme.

PASOLINI (Pier Paolo) (suite)

Une diversité prodigieuse de dons explique, sans doute, ce bel éclectisme, ces exercices de corde raide exécutés chaque fois avec une suprême élégance et une témérité qui laisse cois ses détracteurs. Le tout ne va certes pas sans maladresse, rançon d'une combinaison singulière d'amateurisme et de maniérisme : ces terrains vagues et ces dunes à perte de vue, ces accoutrements baroques et ces jeunes blondinets folâtrant, ces trognes tannées de figurants, ces chairs féminines lourdement étalées, voilà qui ne convainc pas toujours, et ne saurait satisfaire les tenants d'un art de générosité et d'harmonie, auquel pourtant il n'a cessé d'aspirer. Pasolini reste et restera un météore du cinéma contemporain, vrai « calme bloc ici-bas chu d'un désastre obscur ». Comme l'écrit un autre de ses commentateurs, Dominique Noguez, il y a désormais un mot qui dit bien « ce mélange de réalisme et de mythologie imaginaire, de sculpture moderne et de fausse préhistoire, toute cette féerie sous-prolétarienne, ce bric-à-brac de tiers monde, cet exotisme hétéroclite et superlatif, ce style d'Eisenstein marocain ou de Fellini de banlieue ouvrière. Ce mot n'existait pas avant Pasolini. Il existe désormais : pasolinien ».
Pasolini a, en outre, collaboré en tant que scénariste, coscénariste ou acteur à divers films, dont : la Fille du fleuve (M. Soldati, 1955), les Nuits de Cabiria (Le notti di Cabiria, F. Fellini, non crédité au générique, 1957) ; plusieurs films de Mauro Bolognini : Marisa la civetta,id. ; les Jeunes Maris, 1958 ; les Garçons, 1959 ; le Bel Antonio, 1960 ; ça s'est passé à Rome, id. ; La viaccia,1961 ; La commare secca (B. Bertolucci, 1962) ; Requiescant (C. Lizzani, 1967) ; Ostia (id., S. Citti, 1970) ; Histoires scélérates (Storie scellerate, S. Citti, 1973).

Films  :

Accattone (id., 1961) ; Mamma Roma (id., 1962) ; Rogopag (épisode La ricotta, 1963) ; la Rabbia (premier épisode, id.) ; Sopraluoghi in Palestina (DOC, 1964) ; l'Évangile selon Matthieu (Il vangelo secondo Matteo,id.) ; Conquête sur la sexualité (Comizi d'amore, 1965 [RÉ 1963]) ; Des oiseaux, petits et gros (Uccellacci e uccellini, 1966) ; les Sorcières (Le streghe, épisode de la Terre vue de la lune, 1967) ; Œdipe roi (Edipo re, id.) ; Capriccio all'italiana (épisode Che cosa sono le nuvole ?, 1968) ; Théorème (Teorema, id.) ; Appunti per un film indiano (TV, CMid.) ; Amore e rabbia (épisode La sequenza del fiore di carta, 1969 [RÉ 1967]) ; Porcherie (Porcile, 1970) ; Médée (Medea, id.) ; le Décaméron (Il Decamerone, 1971) ; les Contes de Canterbury (I racconti di Canterbury, 1972) ; les Mille et Une Nuits (Il fiore delle mille e una notte, 1974) ; Carnets de notes pour une Orestie africaine (Appunti per un Orestiade africana, 1976 [RÉ 1970]) ; Salo ou les Cent Vingt Journées de Sodome (Salo o le centoventi giornate di Sodoma, id.).
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Si l'appartenance de Pasolini au néoréalisme est manifeste avec Accattone et Mamma Roma, il sort néanmoins plus tôt encore que Federico Fellini de ce mouvement. Pasolini trouvait que Mamma Roma était une erreur, qu'il s'était répété. Il commence à définir son style propre à partir de La Ricotta, épisode du film à sketches Rogopag.
Pasolini revendique en effet la filiation néoréaliste mais s'estime de la seconde génération :
"Dans les films néoréalistes, il y a prédominance des plan-séquences, des plans généraux liés ensemble. Les rares gros-plans sont utilisés en fonction de leur efficacité expressive. La caractéristique idéologique de cette forme esthétique c'est l'espoir, l'espoir dans l'avenir. C'est une caractéristique de la révolution marxiste après la résistance. Et cela justifie un certain amour inconditionnel pour l'homme moyen chez de Sica et Rossellini.
Dans mes films il n'y a pas de plan-séquence, il n'y a pas de plans-généraux mis ensemble. Il n'y a jamais montage d'un plan-général avec un autre plan-général, caractéristique d'un film néoréaliste typique. Il y a prédominance des gros-plans, gros-plans frontaux, pas en fonction de la efficacité expressive mais en fonction de la sacralité. La caractéristique de cette forme idéologique, c'est le désespoir."
Gilles Deleuze, partant des théories de Pasolini sur le cinéma de poésie et la forme indirecte libre, propose d'appeler dicisigne, la subjectivité libre indirecte, cette conscience caméra, lorsque la subjectivité de l'image marque une immobilisation dans une forme esthétique supérieure. Ce sont les propos du philosophe qui sont retranscrits ci-après. Ils se concluent sur le fait que le cinéma de Pasolini a acquis le goût de faire sentir la caméra et dévellopé des procédés stylistiques qui témoignent de cette conscience réfléchissante qui doublent la perception d'une conscience esthétique indépendante C'est pourquoi nous rattacherons Pasolini à l'école baroque des puissances du faux placée sous la tutelle d'Orson Welles... le cinaste qui joue dans La Ricotta.
1 - Mise en scène
Pasolini pensait que l'essentiel de l'image cinématographique ne correspondait ni à un discours direct ni à un discours indirect, mais à un discours indirect libre. Il consiste en une énonciation prise dans un énoncé qui dépend lui-même d'une autre énonciation. Par exemple : "Elle rassemble son énergie : elle souffrira plutôt la torture que de perdre sa virginité. Le linguiste Bakhtine, à qui nous empruntons cet exemple pose bien le problème : il n'y a pas mélange entre deux sujets d'énonciation tout constitués dont l'un serait rapporteur et l'autre rapporté. Il s'agit plutôt d'un agencement d'énonciation, opérant à la fois deux actes de subjectivisation inséparables, l'un qui constitue un personnage à la première personne, mais l'autre assistant à sa naissance et le mettant en scène.
Pour Pasolini, une langue laisse d'autant plus affleurer le discours indirect libre qu'elle est riche en dialectes, ou plutôt que, au lieu de s'établir sur un "niveau moyen" elle se différencie en "langue basse et langue soutenue". Pasolini pour son compte appelle Mimesis cette opération de deux sujets d'énonciation dans le discours indirect libre. Peut-être ce mot n'est-il pas heureux, puisqu'il ne s'agit pas d'une imitation mais d'une corrélation entre forces dissymétriques. Pasolini tenait au mot Mimesis pour souligner le caractère sacré de l'opération.
Pour Pasolini, le cinéma de poésie c'est ceci. Un personnage agit sur l'écran et est supposé voir le monde d'une certaine façon. Mais en même temps, la caméra le voit, et voit son monde, d'un autre point de vue, qui pense, réfléchit et transforme le point de vue du personnage. Pasolini dit : l'auteur "a remplacé le bloc de vision du monde d'un névrosé par sa propre vision délirante d'esthétisme". Il est bon en effet que le personnage soit névrosé pour mieux marquer la naissance difficile d'un sujet dans le monde.
Mais la caméra ne donne pas simplement la vision du personnage et de son monde, elle impose une autre vision dans laquelle la première se transforme et se réfléchit. Ce dédoublement est ce que Pasolini appelle une "subjectivité indirecte libre". Il s'agit de dépasser le subjectif et l'objectif vers une forme pure qui s'érige en vision autonome du contenu. Nous ne sommes plus devant des images subjectives ou objectives. Nous sommes pris dans une corrélation entre une image-perception et une conscience caméra qui la transforme. C'est un cinéma très spécial qui a acquis le goût de faire sentir la caméra. Et Pasolini analyse un certain nombre de procédés stylistiques qui témoignent de cette conscience réfléchissante ou de ce cogito proprement cinématographique qui doublent la perception d'une conscience esthétique indépendante…. :
  • "le cadrage insistant", "obsédant" qui fait que la caméra attend qu'un personnage entre dans le cadre, qu'il fasse et dise quelque chose, puis sorte, alors qu'elle continue à cadrer l'espace redevenu vide : "laissant à nouveau le tableau à sa pure et absolue signification de tableau"
  • "l'alternance de différents objectifs sur une même image"
  • "l'usage excessif du zoom"
Ce qui caractérise le cinéma de Pasolini c'est une conscience poétique du sacré qui lui permet de porter l'image perception ou la névrose de ses personnages à un niveau de bassesse ou de bestialité, dans les contenus les plus abjects, tout en les réfléchissant dans une pure conscience poétique animée par l'élément mythique et sacralisant. C'est cette permutation du trivial en noble, actes communication de l'excrémentiel et du beau cette projection dans le mythe que Pasolini diagnostiquait déjà dans le discours indirect libre comme forme essentielle de la littérature. Et il arrive à en faire une forme cinématographique capable de grâce autant que d'horreur.

2. Biographie :
Pasolini est "une voix morale et prophétique de la nation", écrit Hervé Joubert-Laurencin dans l'excellent Portrait du poète en cinéaste. Pasolini s'engagea et s'exposa comme aucun artiste ne l'avait fait avant lui et personne peut être ne le fera jamais plus. Défenseur ardent du sud de l'Italie, sa prose de "combattant", d'homme blessé, de penseur paradoxal apparaît régulièrement en première page du Corriere della sera, où il signe une "Tribune libre". Dans Il Tempo illustrato, il publie une critique littéraire . "Je suis glacé, méchant, dit-il. Mes mots font mal. Le besoin obsédant de ne pas tromper les autres, de cracher tout ce que je suis, aussi."
Pasolini déteste toutes les formes d'autorité, celle de son père, officier de carrière, celle des fascistes et celle de la morale bourgeoise.
Le père de Pasolini en croit pas en Dieu et ne fréquente l'église que pour des raisons sociales. Sa mère, d'origine paysanne pratique une religion pour ainsi dire "naturelle". Pasolini n'a ainsi subit aucune pression religieuse, pas même d'éducation religieuse. C'est à la lecture d'Antonio Gramschi que Pasolini découvre le marxisme dont il devient un adepte convaincu, mais, par un paradoxe commun à beaucoup d'artistes italiens, peu de cinéastes seront aussi mystique que lui dans son adaptation des évangiles ou, quatre ans plus tard dans Théorème qui est l'histoire d'une visitation collective. "J'incline à un certain mysticisme, à une contemplation mystique du monde, c'est entendu, mais c'est par une sorte de vénératin qui me vient de l'enfance, l' irrésistible besoin d'admirer les hommes et la nature, de reconnaître la profondeur là où d'autres ne percoivent que l'apparence inanimée, mécanique, des choses. J'ai fait un film où s'expose à travers un personnage toute ma nostalgie du mythique, de l'épique et du sacré."
Ainsi,admirateur de Freud, Marx et des écritures a-til pu dire : L'histoire de la passion est "la plus grande qui soit" et les textes qui la racontent sont "les plus sublimes qui soient".
La voie du ghetto underground, élitiste, ou tout simplement "X", dans laquelle plus aucun frein ne vient relancer le scandale public n'a jamais attiré Pasolini à la fois intellectuellement exhibitionniste, et profondément civique, préférant toujours la transgression publique et "la pédagogie de masse"
Pasolini revendique "Le pastiche", le collage de "culture haute" et de "culture basse". Dans la trilogie de la vie, la culture haute correspond à une adaptation très intellectualisée de quelques uns des grands cycles narratifs de l'histoire de la culture et la culture basse correspond à l'érotisme populaire.
Premier roman Regazzi di vita en 1955, grand succès et scandale puis, en 1959, Une vie violente.
En septembre 1968, au Festival de Venise, Pasolini remporte le Grand Prix de l'Office catholique pour Théorème. Quelques semaines plus tard les bobines du film, qualifié d'obscène, sont saisies par la justice. Le Vatican désapprouve le prix.
"Pasolini pouvait être ferme et méchant, raconte Ninetto Davoli. Mais juste pour obtenir ce qu'il voulait. Dans L'Evangile selon saint Matthieu, pour obtenir les larmes de sa mère, qu'il faisait jouer, il lui a dit : "Rappelle-toi comment ton fils est mort !" [son frère Guido, décédé à la fin de la guerre]. Sinon, c'était un homme affable."
Pasolini a en horreur le monde marchand qui s'étend, il en prophétise les monstruosités. En 1975, dans ses chroniques du Corriere della sera, il parle d'un pouvoir consumériste "capable d'imposer sa volonté d'une manière infiniment plus efficace que tout autre pouvoir précédent dans le monde". Dans ces années de libération ­ de "fausse permissivité", dit-il ­, le cinéaste ne voit plus rien de joyeux. Le sexe devient "triste, obsessionnel". Et Pasolini juge que la "réduction du corps à l'état de chose" est un penchant tragique de la société des hommes. C'est cette lassitude, cette rage froide qui le mènent à Salo, adaptation des Cent Vingt Journées de Sodome, de Sade, un scénario sur lequel travaillait son ami Sergio Citti et qu'il reprend à son compte.
Les mois précédant sa mort, le rédacteur en chef du Corriere della sera affirme pourtant que Pasolini est en "état de grâce". Mais cette conscience aiguë se retourne contre lui. Le cinéaste souffre de moins en moins le commerce des hommes ("la solitude est la chose que j'aime le plus"). A son bel ami Ninetto, il dit : "L'argent a tout pourri, je veux partir me cacher..." Il ne croit plus à l'Europe et parle de vivre au Maroc. "La Trilogie de la vie était l'ultime espoir d'une période gaie, se souvient Davoli. Il avait pris conscience que le monde changeait de manière dramatique. Dans Le Décaméron, il entrait déjà en rébellion contre la société de consommation, mais tentait de dédramatiser le constat. Dans Salo, il n'essaie plus. Pour lui, c'était la fin d'un monde. Les gens n'arrivaient plus à se regarder en face."
Peu avant sa mort, Pasolini travaille comme jamais, il n'en semble pas moins triste, pessimiste, las, habité de pensées funèbres. Le 1er novembre 1975 peu après minuit, il est sauvagement assassiné par un jeune homme de 17 ans sur une plage d'Ostie. Tragique histoire de drague ? Manipulation politique ? La question ne sera jamais vraiment tranchée.
C'est en pleine polémique sur Salo, terminé peu de temps avant son assassinat, qu'on enterre Pasolini. En France, le film est interdit aux moins de 18 ans et, par décision du ministre de la Culture, Michel Guy, confiné à "une salle unique, de dimension restreinte, parisienne, loin des centres d'activité". En Italie, il est interdit pendant quelques mois. Les cinéastes et écrivains se mobilisent et font taire leurs désaccords pour venir rendre hommage au cinéaste le jour de la première projection publique, qui a lieu au festival de Paris.
Salo, oeuvre implacable d'un "visionnaire" en rupture, est souvent décrit comme testamentaire. Pasolini était un homme paradoxal. Dans la grande lassitude, il trouvait la matière de l'enthousiasme le plus créatif. Quelques jours avant sa mort, il disait : "Je suis un nouveau cinéaste. Prêt pour le monde moderne."

3- Bibliographie:
Hervé Joubert-Laurencin : Pasolini, portrait du poéte en cinéaste. Editions Cahiers du cinéma,1995.
  
 Biographie de Nico Naldini, publiée chez Gallimard.
  
 Les chroniques de Pasolini sont réunies dans Ecrits corsaires (Flammarion) et Lettres luthériennes (Points Seuil), et les critiques littéraires dans Descriptions de descriptions (Rivages poche).
Courts-métrages :1964 : Le mura di Sana
1965 : Il padre selvaggio
1968 : Notes pour un film sur l'Inde
1970 : Appunti per un romanzo dell'immondezza
1974 : Pasolini e... la forma della città
Longs-métrages :
1961Accattone 
Avec : Franco Citti (Vittorio, dit Accattone), Franca Pasut (Stella), Adele Cambria (Nannina). 2h00.
Vittorio, dit Accattone (le mendiant) est un proxénète amateur, de banlieue, hargneux, hypocrite et névrosé, qui s'est contenté de prendre la place d'un napolitain, Cicio, après l'avoir probablement dénoncé pour ses activités. Il survit grâce aux deux femmes ainsi volées qu'il est censé protéger : Nannina, l'épouse esclave aux multiples enfants pour le gîte et le couvert, et surtout Maddalena, la gagneuse qui fait le trottoir...
  
1962Mamma Roma 
Avec : Anna Magnani (Mamma Roma) Ettore Garofalo (Ettore, le fils), Franco Citti (Carmine)
Le jour du mariage de son souteneur, Carmine, avec une paysanne en principe enrichie, Mamma Roma, vieille habituée du trottoir romain, fête sa libération. Elle s'empresse de récupérer son fils, Ettore, mis en pension pendant seize ans à la campagne, car elle désire engager une vie honnête et rangée de petite bourgeoise respectable.
  
1963La ricotta 
Episode de Rogopag, film à sketches de Roberto Rossellini, Jean-Luc Godard, Pier Paolo Pasolini, Ugo Gregoretti. Avec : Orson Welles (le réalisateur), Mario Cipriani (Stracci, "haillons"). 0h35.
Stracci ("haillons") fait vivre sa nombreuse famille sur le panier repas que la production d'un film sur le Christ lui alloue en tant que figurant. Il joue le rôle du bon larron, le film est en couleurs et en tableaux vivants. Affamé il se jette sur du fromage blanc, la ricotta, et meurt d'indigestion sur la croix.
  
1963La rabbia 
En 1962, le producteur d’actualités cinématographiques Gastone Ferranti eut l’idée brillante de donner au cinéaste Pier Paolo Pasolini, déjà célèbre, l’accès aux archives de ses bobines d’actualités de 1945 à 1962, afin de répondre à la question : pourquoi cette peur d’une guerre partout dans le monde ?
  
1964Enquête sur la sexualité 
(Comizi d'amore). Avec : Pier Paolo Pasolini (l'interviewer), Lello Bersani (voix du speaker), Graziella Chiarcossi (la fiancée) et dans leur rôle , Ignazio Buttita, Adele Cambria, Camilla Cederna, Peppino Di Capri, Oriana Fallaci, Graziella Granata, Antonella Lualdi, Alberto Moravia, Cesare Musatti, Giuseppe Ungaretti. 1h30.
En 1963, Pasolini entreprend une traversée de l'Italie en posant toujours la même question: qu'en est-il de l'amour? Il en ressort un portrait de la société italienne de l'époque et une enquête sur la sexualité... une première à l'époque.
  
1964L'évangile selon saint Matthieu 
(Il vangelo secondo Matteo). Avec : Enrique Irazoqui (Le Christ), Margherita Caruso (Marie jeune). 2h17.
L'Annonciation, la naissance de Jésus dans une étable, la fuite en Egypte, la marche sur les eaux, sa mort sur la croix et la resurrection.
  
1965Repérages en Palestine pour l'Evangile selon Saint-Mathieu 
(Sopralluoghi in Palestina per il vangelo secondo Matteo). Avec : don Andrea Carraro, Pier Paolo Pasolini. 0h55.
Parti sur les traces du Christ, Pasolini cherche dans les lieux revisités et leurs habitants la confirmation du fait historique. Il prépare l'écriture de L'Évangile selon Saint-Matthieu. Mais les lieux saints sont devenus trop modernes. Il choisira le Basilicate, une des régions les plus pauvres et les plus arriérées du Mezzogiorno italien pour tourner l'Evangile.
  
1966Des oiseaux petits et gros 
(Uccelacci e uccellini). Avec : Toto (Innocenti Toto/ frère Ciccillo), Ninetto Davoli (Innocenti Ninetto / frère Nietto). 1h26.
Sur une route déserte, un homme (Toto) et son fils (Ninetto Davoli) marchent droit devant eux. Ils rencontrent un corbeau qui parle et les sermonne. Tout à coup les voilà transformés en moines de Saint François d'Assise au XIIème siècle. Leur mission : évangéliser tous les oiseaux : faucons et moineaux. Ils apprennent à chanter et à danser....
 
1967La terre vue de la lune 
(La terra vista dalla luna). Episode de Les sorcières, film collectif en cinq segments de Franco Rossi, Vittorio de Sica, Mauro Bolognini, Pier Paolo Pasolini et Luchino Visconti. Avec : Totò (Ciancicato Miao), Silvana Mangano (Assurdina Caì), Ninetto Davoli (Baciu Miao), Laura Betti, Luigi Leoni (Touristes).
Ciancicato et son fils Baciù pleurent la disparition de leur femme et mère, et en cherchent une nouvelle à condition qu’elle plaise à tous les deux. Ils rencontrent une veuve, une prostituée et une mannequin puis Assurda, une sourde-muette qui leur convient parfaitement. Le père l’épouse. Assurda remet à neuf sa misérable baraque mais il ne s’en satisfait pas et veut une maison plus grande. Il demande à Assurda de simuler un suicide du haut du Colisée afin de récolter l’argent des passants apitoyés. Malheureusement, Assurda glisse sur une peau de banane et meurt. De retour chez eux, Ciancicato et Baciù la trouvent en robe de mariée. Morte, elle continuera à s’occuper d’eux.
  
1967Œdipe roi 
Avec : Franco Citti (Œdipe/ le vagabond de l'Epilogue), Silvana Mangano (la mère de Pasolini dans le prologue/Jocaste). 1h44.
Un prologue muet reconstitue par quelques épisodes la petite enfance de Pier Paolo Pasolini dans les années 20 à l'époque de son complexe d'Œdipe : le père, jeune officier jaloux de l'amour que sa femme porte à leur fils, serre un soir les pieds de l'enfant jusqu'à le faire pleurer. La légende d'Œdipe roi de Thèbes est ensuite relatée, depuis son abandon dans le désert jusqu'à la découverte finale de l'inceste involontaire, et le départ pour l'exil du roi maudit qui, par son accouplement contre nature a apporté la peste dans le royaume. En marchant, Oedipe, qui s'est crevé les yeux, et le messager du royaume se retrouvent sous les arcades dites de la Mort à Bologne, en 1967, comme deux vagabonds : l'infirme joue de la flûte, ils traversent quelques lieux urbains puis on aboutit à la campagne, dans le pré où la mère donnait le sein à son bébé dans le prologue.
 
1968Comment sont les nuages ? 
(Che cosa sono le nuvole ?) Court-métrage du film collectif Caprice à l'italienne tourné avec Mauro Bolognini, Mario Monicelli, Steno et Pino Zac. Avec : Franco Franchi (Cassio), Ciccio Ingrassia (Roderigo), Ninetto Davoli (Othello), Laura Betti (Desdemone), Adriana Asti (Bianca).
La tragédie d'Othello transposée en spectacle de marionnettes.
  
1968Théorème 
(Theorema). Avec : Terence Stamp (l'invité divin), Massimo Girotti (Paolo), Silvana Mangano (Lucia), Anne Wiazemsky (Odetta). 1h45.
Un patron a donné son usine aux ouvriers. Cinq membres de la haute bourgeoisie industrielle milanaise, y compris la bonne, sont présentés dans leur morne activité quotidienne. Arrive un invité inattendu et inexplicable, un beau jeune homme au regard doux et planant qui s'incruste sans raison apparente dans la maison...
  
1969La séquence de la fleur de papier 
(La sequenza del fiore di carta). 3ème segment du film à épisodes La constation de Marco Bellochio, Bernardo Bertolluci, Jean-Luc Godard, Carlo Lizzani et Pier Paolo Pasolini.
Avec : Ninetto Davoli (Riccetto), Rochelle Barbini (La petite fille), Aldo Puglisi (La voix).
  
1969Porcherie 
(Porcile). Avec : Pierre Clémenti (le chef des cannibales), Franco Citti (son premier disciple), Jean-Pierre Léaud (Julian Klotz). 1h38.
Deux destins parallèles : celui d'un jeune homme qui vit dans une région désertique, pratique le cannibalisme et mourra condamné à être dévoré par des animaux ; celui d'un autre jeune homme, riche, qui révèle à sa fiancée sa monstrueuse passion pour les porcs, et mourra lui aussi dévoré par des animaux dans sa porcherie.
  
1969Médée 
(Medea). Avec : Maria Callas (Médée), Laurent Terzieff (les deux centaures), Massimo Girotti (Créonte), Giuseppe Gentile (Jason).
Le centaure Chiron, habitant d'une cité lacustre, raconte au petit Jason qui n'est encore qu'un enfant toute la légende qui précède la classique histoire de la toison d'or dont il sera plus tard le héros. Devenu un adulte rationnel et accompagné d'un Chiron d'apparence humaine, Jason se prépare à l'aventure.
  
1970Carnets de notes pour une Orestie africaine 
(Appunti per un'Orestiade africana). Avec : Gato Barbieri, Donald F. Moye, Marcello Melio, Yvonne Murray, Archie Savage. 1h12.
Pasolini confronte ses images, filmées en Tanzanie et montées avec des images d'archives, et ses thématiques avec les réactions d'étudiants africains.
  
1971Le Décaméron 
Avec : Franco Citti ("saint" Ciappellotto), Nonetto Davoli (Andreuccio), Pier Paolo Pasolini (Giotto).
Pasolini s'est inspiré de neuf contes (sur les cent du receuil de Boccace que se seraient racontés, au XIVè siècle, une dizaine de personnes bloquées aux portes de Florence, où sévissait la peste) qu'il a adapté en essayant de retrouver l'esprit d'une époque en familiarité avec la sexualité et la mort. Il les a tous déplacé de la Toscane à la Campanie, en utilisant, outre certains de ses interprètes préférés, des gens du peuple de Naples.
  
1972Les contes de Canterbury 
(I racconti di Canterbury). Avec : Hug Griffith (sir Janvier), Laura Betti (femme de Bath), Pier Paolo Pasolini (Geoffroy Chaucer). 1h50.
Dans l'Angleterre moyenâgeuse, un écrivain, Chauce, rassiste au récit d'une série d'histoires drôles et érotiques racontées dans une auberge par des pélerins venus en foule à la cathédrale de Canterbury. Il se réjouit de ce qu'il voit et entend, prend des notes et laisse aller son imagination.
  
1974Les mille et une nuits 
(Il fiore delle mille e una notte). Avec : Franco Merli (Noureddine), Ines Pellegrini (Zoumourroud), Tessa Bouchè (Aziza). 2h09.
Six histoires enchâssées. 1 : L'histoire cadre est celle de Zoumourroud, l'esclave semi-affranchie, et de Noureddine, le puceau. Ils s'achètent mutuellement au début du film, vivent leur nuit de noces, sont séparés par bien des péripéties, avant de se retrouver miraculeusement au finale. (2) : L'histoire du roi Haroun El-Rachid et de la reine Berhame.
  
1975Salo ou les 120 journées de Sodome 
(Salò o le 120 giornate di Sodoma). Avec : Paollo Bonacelli, (Le duc) Giorgio Cataldi (L'évêque), Umberto Paolo Quintavalle (Le président "Durcet"). 1h56.
Vestibule de l'enfer, cercle des manies, cercle de la merde, cercle du sang, quatrième cercle.

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