duminică, 19 ianuarie 2020

Neorealismul italian


 Vittorio De Sica, Ladri di biciclette, 1948

                                                       


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Dictionnaire Larousse du cinéma

NÉORÉALISME.

L'expression est due à Mario Serandrei, le chef monteur de Luchino Visconti, alors qu'il visionne les rushes de Ossessione. Elle indique un retour à l'invention de la réalité dont le cinéma de l'Italie fasciste a occulté ou travesti la représentation. La libre adaptation par Visconti d'un roman de James Cain, le Facteur sonne toujours deux fois, annonce, ou amorce, non pas un mouvement, ni une école, mais un moment, au demeurant très court, de concordance des thèmes, des regards portés sur l'Italie défaite et misérable ; la pratique, également, de procédés de production nouveaux, et ce n'est pas alors le moins important. Car on privilégie, faute pour une part de décors et de moyens, le tournage en extérieurs, dans la rue, en éclairage naturel, avec des acteurs pas nécessairement professionnels. L'Amérique latine, l'Algérie, le Free Cinema et la Nouvelle Vague en retiendront l'exemple et quelques-unes des leçons. Le réalisme, s'il est bien « nouveau » dans une production vouée aux « téléphones blancs » et à l'exaltation nationaliste, s'avère très vite d'autant moins univoque que les auteurs témoignent d'une vision originale. Le misérabilisme populaire d'un De Sica, les documentaires d'Antonioni, ou la dramatisation avec laquelle Rossellini fait oublier ses précédentes célébrations mussolino-patriotiques concourent à un climat général, ni concerté ni fortement théorisé. S'il ne domine que dans les années 40, son importance a été considérable, en opposition (avec aussi Lattuada, Vergano, Zavattini) à un retour du film d'évasion suscité par la fin de la guerre. Quelques films essentiels : Ossessione (Visconti, 1943) ; Rome ville ouverte (R. Rossellini, 1945) ; Paisa (id. 1946) ; Allemagne année zéro (id. 1947) ; Chasse tragique (G. De Santis, 1948) ; le Voleur de bicyclette (V. De Sica, id.) ; la Terre tremble (Visconti, id.) ; Riz amer (De Santis, 1949) ( ITALIE).

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Néoréalisme (cinéma) (w.fr.)

Le néoréalisme (en italien : neorealismo) est le nom du mouvement cinématographique qui fait son apparition en Italie au cours de la Seconde Guerre mondiale. En opposition parfaite avec l'insouciance et la légèreté de la période des « Téléphones blancs » (Telefoni bianchi), il couvre la période allant de 1943 à environ 19551.

Caractéristiques et précurseurs

La principale caractéristique de ce courant est de présenter le quotidien en l'état, en adoptant une position moyenne entre scénario, réalité et documentaire et en se servant souvent de gens de la rue à la place d'acteurs professionnels, en quelque sorte en romançant la « vraie vie ». La pénurie de moyens pour les films hors de la ligne du gouvernement fasciste avant sa chute en 1943 puis pour tous après, l'indisponibilité par manque de finances des plateaux de tournage après 1944 contraignent à tourner dans la rue, à acclimater les longs métrages dans les lieux authentiques : cela devient une sorte de code stylistique du néorealisme qui va puiser dans ces apparentes contraintes une incontestable qualité de vérité.

Les autres caractéristiques du néoréalisme sont d'une part, le déplacement du regard du réalisateur porté sur l'individu vers la collectivité (l'individu ne peut exister sans son contexte social, et ensuite on « zoome »), d'autre part, une prédilection pour la narration (on préfère raconter une situation plutôt que de mettre en scène une longue explication) et enfin, la prééminence de l'analyse lucide des scènes douloureuses et de la critique ouverte de l'autorité en place, cruelle ou indifférente.

Selon André Bazin, le néo-réalisme est l'école italienne de la libération. Pour ce critique, il s'agit de la libération du peuple italien de l'occupation des Allemands après la guerre, mais également une libération des conventions narratives et filmiques. De son côté, Deleuze utilise le néo-réalisme comme démarcation entre l'image-mouvement et l'image-temps. C'est la crise de l'image-action, le schéma sensori-moteur se perd. On ne sait plus pourquoi les personnages agissent, et le temps apparaît comme vecteur du récit.

La notion de nouveau réalisme tient à la nécessité de souligner le caractère réellement inédit du quotidien. Certains films, dans la période du muet, avaient déjà présenté quelques réelles connotations réalistes : Perdus dans les ténèbres (Sperduti nel buio) de Nino Martoglio en 1914 ou Assunta Spina de Gustavo Serena et Francesca Bertini en 1915, par exemple. Certaines œuvres d'Alessandro Blasetti comme Le Rappel de la terre (Terra madre) en 1931 ou 1860 en 1934 ambitionnaient de donner du pays une vision moins abstraite et empreinte de grandeur que ce que le régime mussolinien voulait donner. Les titres des films eux-mêmes, de par leur « extravagance » ou du moins leur originalité, sont comme des signes avant-coureurs d'un changement imminent : titres « hors normes » pour le Blasetti de 1942, Quatre pas dans les nuages (Quattro passi fra le nuvole) comme pour le De Sica de 1943 Les enfants nous regardent (I Bambini ci guardano). Quant aux personnages, une fille-mère, une femme adultère, un mari qui se suicide, voilà des sujets complètement « anormaux » eu égard au cinéma traditionnel, mais tellement quotidiens, tellement proches du «vécu ».

Avec Les Amants diaboliques (Ossessione) en 1943, une transposition sur les rives du Pô et dans les villes d'Ancône et de Ferrare du chef d'œuvre de James M. Cain, Le facteur sonne toujours deux fois, Luchino Visconti brise les tabous de la « pensée conforme » de façon encore plus brutale, en nous présentant une Italie vraie, habitée par la misère et le chômage, brimée par une police aveugle et vexatoire : passion, trahison, mort rythment une histoire racontée sans détours et sans craintes; la censure se cabre encore une fois, et le film connaît - notamment dans l'Italie du nord - des problèmes de distribution. Mais le chemin a été défriché et la voie est ouverte pour le néoréalisme, le genre artistique qui va marquer l'époque. Ce premier film de Luchino Visconti est communément considéré comme le premier film du courant néo-réaliste2.

L'influence de Cesare Zavattini
Si Leo Longanesi (it) qui, en 1935, dans la revue l'Italiano affirmait « il faut descendre dans les rues, dans les casernes, dans les gares : ainsi seulement, pourra naître un cinéma à l'italienne », semble être le théoricien, le père-fondateur du néoréalisme, c'est Cesare Zavattini qui va être le promoteur, le « metteur en scène » du mouvement. La conception du néorealisme trouve en effet sa raison d'être dans la théorie dite « zavattinienne » du cheminement, à savoir l'enregistrement du vécu quotidien de personnages choisis parmi des gens ordinaires : la caméra se met au service de la réalité et la filme, en faisant en sorte que les évènements journaliers finissent par se transformer en histoire. Ce procédé s'applique déjà dans le premier scénario de Zavattini, conçu en 1935 pour Je donnerai un million (Darò un milione) de Mario Camerini : ainsi, sous le couvert d'une fable, l'attention se porte sur l'univers des humbles et sur l'authenticité des sentiments, en complète opposition avec les thèses du régime.

Par la suite, le même discours « zavattinien » va se préciser quel que soit le sujet des films dont il écrit le scénario, de Avancez il y a de la place (Avanti c'è posto...) de Mario Bonnard ou Quatre pas dans les nuages (Quattro passi fra le nuvole) d'Alexandro Blasetti en 1942 jusqu'à Les enfants nous regardent (I Bambini ci guardano) en 1944 ou La Porte du ciel (La Porta del cielo) en 1945, ces deux derniers films étant dirigés par Vittorio De Sica avec lequel il instaurera une féconde collaboration, produisant quelques chefs-d'œuvre dont il sera question plus loin.

Zavattini était plus un auteur de films qu'un scénariste. Tout se passait comme si les réalisateurs travaillaient pour lui que l'inverse : il s'occupait du sujet et de la façon de le traiter, les réalisateurs se cantonnaient à la mise en scène. Il reste un personnage unique et inimitable du cinéma italien : batailleur et généreux, sincère jusqu'à la rupture, d'un courage intellectuel sans faille et constamment engagé dans un travail de recherche qui produisit des effets incomparablement bénéfiques sur des générations d'auteurs et leurs œuvres.

Les œuvres des auteurs
Rome, ville ouverte (Roma, città aperta, 1945), tourné avec des moyens de fortune (par exemple, en se servant de pellicule photo mis bout à bout) par Roberto Rossellini, est considéré comme le premier film néoréaliste. Néanmoins, en 1942, Les Amants Diaboliques (Ossessione) de Luchino Visconti annonce les prémices du courant.

L'expérience douloureuse de la guerre, le traumatisme de l'occupation, le souffle de la résistance trouvent ici une efficace présentation, même si ces sujets sont traités de façon mélodramatique voire populiste : l'impact en est de toute façon énorme, et montre la voie à toutes les grandes œuvres pour les trois années à venir.
Dans Sciuscià 3 en 1946, Vittorio De Sica enquête sur les désastres provoqués par la guerre dans l'esprit des plus faibles, les enfants du prolétariat.
Avec Païsa4 en 1946, Roberto Rossellini donne vie - en six épisodes de guerre et de résistance du sud au nord de l'Italie - à une sorte de fresque stylistique nerveuse et fragmentée sur l'Italie bouleversée de 1944.

Pour Chasse tragique (Caccia tragica) en 1947, Giuseppe De Santis utilise des moyens spectaculaires et romanesques pour mettre en scène, dans la plaine du Pô, une poursuite mouvementée entre bandits et paysans, animée d'un souffle épique digne d'Hollywood.

C'est dans un pays détruit et en reconstruction, dans Allemagne année zéro (Germania anno zero) en 1947, que Rossellini va explorer les dérives morales d'un pays par les yeux d'un enfant qui n'a connu que la misère durant sa courte vie et qui cependant continue de lutter pour survivre.

Vittorio De Sica offre avec Le Voleur de bicyclette (Ladri di biciclette) en 1948, à travers les péripéties d'un homme quelconque qui ne se résigne pas à son chômage forcé, le portrait attachant d'une nation suspendue entre espoirs et frustrations.

Tandis que Luchino Visconti propose une vision marxiste du roman Les Malavoglia (1881) de Giovanni Verga dans le merveilleux La Terre tremble (La Terra trema) en 1948, Giuseppe De Santis poursuit avec le célébrissime Riz amer (Riso amaro) en 1949 sa vision très personnelle d'un cinéma populo-réaliste, poussant à leur extrême certaines idées gramsciennes, mélangeant valeurs sociales et goût du mélodrame, idées progressistes et sensualité explosive.

Cependant, l'Histoire suit son cours : les élections de 1948 marquent une nette défaite de la gauche, condamnée à l'opposition après la parenthèse de l'après-Résistance. Le climat culturel, également, se met à changer : il prépare ainsi le lent mais inexorable déclin de l'expérience néorealiste.

Les derniers feux
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Un gouvernement modéré de tendance américanophile a été instauré, la rupture de la solidarité de l'après-guerre devient définitive : pendant que le capitalisme étend son emprise, un vent de conservatisme souffle sur le pays. La politique culturelle affiche un optimisme de façade, l'étalage des douleurs et des misères du peuple vaincu commence à déranger le pouvoir.

Vittorio De Sica, déjà au centre de polémiques pour ses précédentes œuvres, le découvre à ses frais pour le magnifique Umberto D. en 1952, lucide et rigoureuse description de la misérable solitude d'un retraité : on va lui reprocher de présenter la vie quotidienne dans une vision purement laïque, et les voix qui s'élèvent contre lui sont celles de jeunes politiciens de la Démocratie chrétienne appelés à faire carrière.

Exhortations superflues, car déjà les cinéastes abandonnent la structure néoréaliste comme si elle leur avait été une tunique de Nessos et se tournent vers d'autres expériences : c'est le cas de Vittorio De Sica, par exemple, qui préfère écouter les sirènes d'une carrière internationale avec réussite commerciale à la clé, en délaissant l'aspect de la prouesse artistique, qui, sans disparaître totalement, sera moindre que celle d'antan.

Plus complexe est le parcours suivi par Luchino Visconti : en 1951, Bellissima se présente comme l'épitomé du néoréalisme ainsi que de sa force critique, alors qu'avec Senso en 1954, il se tourne vers un réalisme bourgeois aux tonalités mélodramatiques, signant un travail magistral mais désormais loin des formulations exprimées dans la précédente trilogie (Les Amants diaboliques (Ossessione), La Terre tremble (La Terra trema), Bellissima).

Quant à Roberto Rossellini, son parcours est moins facilement classable : avec Stromboli (Stromboli, terra di Dio) en 1951, Europe 51 (Europa '51) en 1952, Voyage en Italie (Viaggio in Italia) en 1954, il semble se déplacer sur le terrain d'une foi pessimiste, assez éloignée de la confiance en l'Histoire ou des exigences progressistes.

Giuseppe De Santis, quant à lui, signe avec Onze heures sonnaient (Roma, ore 11) en 1951 sa plus belle réussite, avec un portrait d'ensemble des femmes à fort relief social et politique.

À ce point, on peut considérer que la veine du néoréalisme est épuisée : sa leçon se révélera précieuse pour le cinéma italien (Les Nuits de Cabiria de Fellini en 1957), qui rarement réussira, à part peut-être dans le début des années 1960 (Adua et ses compagnes d'Antonio Pietrangeli en 1960, Mamma Roma de Pasolini en 1962), à recréer une semblable harmonie avec les transformations sociales en cours.
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Bibliographie

André Bazin, Qu'est-ce que le cinéma ?, T. IV, Une esthétique de la Réalité : le néo-réalisme, Éditions du Cerf, collection « Septième Art », 1962
François Debreczeni, Heinz Steinberg, Le Néo-réalisme italien, revue Études cinématographiques, Minard éditeur, 1964
René Prédal, Le Néoréalisme italien, revue CinémAction n°70, Éditions Corlet - Télérama, 1994
Cesare Zavattini, Une idée du Néoréalisme, revue Positif, 2013
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 Le néoréalisme

Principaux cinéastes : Roberto Rossellini, Vittorio de Sica, De Santis, Federico Fellini , Michelangelo Antonioni, Luchino Visconti et Yasujiro Ozu , Satyajit Ray, Abbas Kiarostami.
peinture/cinéma : Color field peinting - néoréalisme : Mark Rothko - Roberto Rossellini

Sensation optique pure sans prolongement moteur, la grâce est possible.
A peine dix ans après sa naissance, le néo-réalisme est d'abord théorisé comme un mouvement social... déjà défunt (partie 1). Seuls les premiers films de Rossellini (Rome ville ouverte, Païsa ), de Vittorio de Sica (Sciuscia, Le voleur de bicyclette) ainsi et surtout que le cinéma de De Santis semblaient devoir en constituer le corpus restreint.

En 1957, contre ceux qui définissaient le néo-réalisme par son contenu social, André Bazin invoque la nécessité de critères formels esthétiques (partie 2). C'est sur cette dernière thèse, beaucoup plus pertinente que la précédente, qu'allait vivre la théorie du mouvement pendant plus de vingt cinq ans

En 1985, Gilles Deleuze donne une nouvelle vision du néo-réalisme. Il lui assure une place déterminante dans l'histoire esthétique en le faisant apparaître comme le premier mouvement du cinéma moderne et lui découvre des accointances avec le cinéma d'Ozu (partie 3).

A peine la seconde guerre mondiale terminée, le cinéma italien connaît une situation exceptionnelle. Dans aucun des autres pays engagés dans le conflit, la guerre n'a pas produit de rupture dans les cinémas nationaux. Les cinéastes d'après-guerre sont les mêmes que ceux d'avant-guerre et produisent le même type de film. En France, la situation est la plus caricaturale avec la perpétuation du réalisme poétique. Le néo-réalisme, en phase avec le changement moral et politique de son époque, est donc, assez naturellement, d'abord définit par son contenu social.

I - Le néo-réalisme, mouvement social :

En 1955, Carlo Lizzani définit le néoréalisme de "Mouvement général d'un groupe d'artistes vers la découverte humaine et spirituelle de notre pays". L'idée de découverte du pays, de cinéma miroir provient directement du marxisme. Pour le critique, le néo-réalisme ne constitue pas l'acte de naissance du cinéma italien. Il est lié à l'évolution du pays et du cinéma ; c'est une réponse au cinéma mussolinien. Les précurseurs sont deux cinéastes : Alessandro Blasetti (1900) et Mario Camerini (1895-1981) et deux revues "Il bianco et negro" et "cinema". Elles ont lancé le mot d'ordre du néo-réalisme : "il faut descendre dans la rue." De Sica est associé à son scénariste Cezare Zavattini (1902-1991) depuis Les enfants nous regardent (1944) qui décrit la désunion d'un couple : vie quotidienne, sans décors et sans stars. Mais il y manque le souffle révolutionnaire. Pour Zavattini, il n'est pas essentiel que les personnages prennent conscience de leur oppression. Dans Le voleur de bicyclette (1948), le héros ne comprend pas sa situation mais le spectateur en a conscience.

En 1960, Raymond Borde approfondit les thèses de Lizzani en sous-titrant son livre "une expérience de cinéma social". Le travail est exhaustif mais le ton pamphlétaire : goûts et dégoûts sont affirmés avec assurance. C'est un livre de combat. Borde exclut toute œuvre qui n'est pas précisément datée. Il faut des responsables faciles à désigner de l'injustice constatée. Il faut être dans la rue, dédramatiser au maximum. Les films jusqu'en 1949 reflètent bien la société et les problèmes sociaux. Ils racontent la guerre avec un souci d'appréhension globale de la société italienne et des problèmes de l'après guerre. La guerre a été durement ressentie en Italie. Rossellini a été porté par la force des événements comme Renoir en 1936, alors qu'il était plutôt humaniste. C'est un choc salutaire, idéologique et économique. La thématique de la pauvreté va de paire avec la pauvreté des moyens esthétiques. Les cinéastes seront néoréalistes pour réveiller le sens de l'humain et mobiliser le prolétariat. Il y a union sacrée politique (trêve du tripartisme) et homogénéité forte du cinéma en 1960. Borde s'intéresse plus à la thématique qu'à l'esthétique. La forme est sous évaluée. Se détache un "héros" : De Santis avec Pâques sanglantes et Riz amer. Visconti est jugé trop aristocratique, de Sica trop humaniste, Rossellini est pris comme tête de turc ; esthétique et thématique trop personnelle. Pour Borde le néoréalisme meurt après 1949.

La thèse du néo-réalisme comme cinéma social est encore aujourd'hui défendue par ceux qui, dans ce mouvement, sont sensibles à un ensemble de thèmes :

La dénonciation du fascisme et l'exaltation de l'action des partisans : Rome, ville ouverte, Païsa, Le bandit, Chasse tragique.
Le sous-développement du Mezzo giorno : La terre tremble, Pâques sanglantes
Le chômage dans les villes : Scussia, Le voleur de bicyclettes, Miracle à Milan, Onze heures sonnaient.
Les problèmes sociaux dans les campagnes : Le moulin du Pô, Riz amer.
La détresse des vieux : Umberto D, Le manteau.
La condition de la femme : Chronique d'un amour, Femmes entre elles, Courrier du coeur, La fille sans homme.
II - Le néo-réalisme, mouvement spiritualiste.

En novembre 1957, André Bazin publie son article "Les nuits de Cabiria : voyage au bout du néoréalisme". Il redéfinit le terme. Contre ceux qui définissaient le néo-réalisme par son contenu social, Bazin invoquait la nécessité de critères formels esthétiques.

Le néoréalisme c'est la primauté donnée à la représentation de la réalité sur les structures dramatiques. La réalité n'est pas corrigée en fonction de la psychologie et des exigences du drame, elle est toujours proposée comme une découverte singulière, une révélation quasi documentaire conservant son poids de pittoresque et de détails. L'art du metteur en scène réside alors dans son adresse à faire surgir le sens de cet événement, du moins celui qu'il lui prête, sans pour autant effacer ses ambiguïtés. Le réalisme ne se définit pas par ses fins mais par ses moyens, et le néo-réalisme par un certain rapport de ces moyens à leur fin.

Cette thèse est évidemment beaucoup plus riche que le catalogue des moyens auquel on réduit parfois ce mouvement :

1: Modicité du budget. 2 : Recours à la post synchronisation, les films sont tournés en muet. 3 : un tournage en décor réel. 4 : utilisation d'acteurs éventuellement non professionnels. 5: une certaine souplesse dans le découpage qui implique un recours fréquent à l'improvisation. 6 : simplicité des dialogues. 7 : une image assez grise, alignée sur la tradition documentaire. 8 : Utilisation fréquente des plans d'ensemble et des plans moyens et un cadrage proche de celui des actualités. 9 : le refus des effets visuels (surimpression, déformations, ellipses). 10 : un montage sans effet.

III - Le néo-réalisme : des images qui laissent sans réaction

Au lieu de représenter un réel déjà déchiffré, le néo-réalisme visait ainsi un réel à déchiffrer, toujours ambigu ; c'est pourquoi le plan-séquence tendait à remplacer le montage des représentations. Le néo-réalisme inventait donc un nouveau type d'image que Bazin proposait d'appeler l'"image-fait".

Cette thèse de Bazin était infiniment plus riche que celle qu'il combattait, et montrait que le néo-réalisme ne se limitait pas au contenu de ses premières manifestations

Mais les deux thèses avaient en commun de poser le problème au niveau de la réalité : le néo-réalisme produisait un "plus de réalité", formel ou matériel. Deleuze ne croit pas que le problème se pose au niveau du réel, forme ou contenu, mais plutôt au niveau du mental, en terme de pensée. La nouveauté de ce type de plan-séquence réside plutôt dans le fait que cette image empêche la perception de se prolonger en action pour la mettre en rapport avec la pensée.

Quand Zavattini définit le néo-réalisme comme un art de la rencontre, rencontres fragmentaires, éphémères, hachées, ratées, que veut-il dire ? C'est vrai des rencontres de Païsa de Rossellini ou du Voleur de bicyclette de De Sica. Et dans Umberto D, De Sica construit la séquence célèbre que Bazin citait en exemple :la jeune bonne entrant dans la cuisine le matin faisant une série de gestes machinaux et las, nettoyant un peu, chassant les fourmis d'un jet d'eau, prenant le moulin à café, fermant la porte du de la pointe du pied tendu. Et ses yeux croisent son ventre de femme enceinte, c'est comme naissait toute la misère du monde. Voilà que, dans une situation ordinaire ou quotidienne, au cours d'une série de gestes insignifiants, mais obéissant d'autant plus à des schémas sensori-moteurs simples, ce qui a surgit tout d'un coup, c'est une situation optique pure pour laquelle la petite bonne n'a pas de réponse ou de réaction. Les yeux, le ventre, c'est cela une rencontre.

Bien sûr, les rencontres peuvent prendre des formes très différentes atteindre à l'exceptionnel, mais elles gardent la même formule. Soit la grande tétralogie de Rossellini, qui, loin de marquer un abandon du néo-réalisme, le porte au contraire à sa perfection. Allemagne année zéro présente un enfant qui voit un pays devenu étranger et qui meurt de ce qu'il voit. Stromboli met en scène une étrangère qui va avoir une révélation sur l'île d'autant plus profonde qu'elle ne dispose d'aucune réaction pour atténuer ou compenser la violence de ce qu'elle voit, l'intensité et l'énormité de la pêche au thon ("c'était horrible..."), la puissance du volcan ("je suis finie, j'ai peur, quel mystère, quelle beauté, mon Dieu"). Europe 51 montre une bourgeoise qui, à partir de la mort de son enfant, traverse des espaces quelconques et fait l'expérience des grands ensembles, du bidonville et de l'usine ("j'ai cru voir des condamnés"). Ses regards abandonnent la fonction pratique d'une maîtresse de maison qui rangerait les choses et les êtres, pour passer par tous les états d'une vision intérieure, affliction, compassion, amour, bonheur, acceptation jusque dans l'hôpital psychiatrique où on l'enferme à l'issue d'un nouveau procès de Jeanne d'Arc : elle voit, elle a appris à voir. Voyage en Italie accompagne une touriste atteinte en plein cœur par le simple déroulement d'images ou de clichés visuels dans lesquels elle découvre quelque chose d'insupportable. c'est un cinéma de voyant, non plus d'action.

Ce qui définit le néo-réalisme, c'est la montée de situations purement optiques (et sonores, bien que le son synchrone ait manqué aux débuts du néo-réalisme), qui, se distinguent essentiellement des situations sensori-motrices de l'image action de l'ancien réalisme. C'est peut-être aussi important que la conquête d'un espace purement optique dans la peinture avec l'impressionnisme. On objecte que le spectateur s'est toujours trouvé devant des descriptions, devant des images optiques et sonores et rien d'autre. Mais ce n'est pas la question. Car les personnages, eux, réagissaient aux situations, mêmes quand l'un d'eux se trouvait réduit à l'impuissance, c'était ligoté et bâillonné, en vertu des accidents de l'action. Ce que le spectateur percevait, c'était donc une image sensori-motrice à laquelle il participait plus ou moins, par identification avec les personnages. Hitchcock avait inauguré le renversement de ce point de vue en incluant le spectateur dans le film. Mais c'est maintenait que l'identification se renverse effectivement : le personnage est devenu une sorte de spectateur. Il a beau bouger, courir, s'agiter, la situation dans laquelle il est déborde de toutes parts ses capacités motrices, et lui fait voir ou entendre ce qui n'est plus justiciable en droit d'une réponse ou d'une action. Il enregistre plus qu'il ne réagit. Il est livré à une vision, poursuivi par elle ou la poursuivant, plutôt qu'engagé dans une action

Ossessione (1942) de Visconti (distribué en France en 1952 seulement) passe à juste titre pour le précurseur du néo-réalisme (le terme de néoréalisme aurait d'ailleurs été lancé par le monteur du film) ; et ce qui frappe d'abord le spectateur, c'est la manière dont l'héroïne vêtue de noir est possédée par une sensualité presque hallucinatoire. Elle est plus proche visionnaire, d'une somnambule que d'une séductrice ou d'une amoureuse (de même plus tard la comtesse de Senso). La situation ne se prolonge pas directement en action, elle est d'abord optique et sonore, investie par les sens avant que l'action ne se forme en elle et en utilise ou en affronte les éléments. Ainsi l'arrivée du héros de Ossessione qui prend une sorte de possession visuelle de l'auberge ou bien, dans Rocco et ses frères, l'arrivée de la famille qui, de tous ses yeux et de toutes ses oreilles, tente d'assimiler la gare immense et la ville inconnue. ce sera une constante de l'œuvre de Visconti, cet inventaire du milieu, des objets, meubles, ustensiles

Tout reste réel dans le néo-réalisme (qu'il y ait décor ou extérieurs) mais entre la réalité du milieu et celle de l'action, ce n'est plus un prolongement moteur qui s'établit, c'est plutôt un rapport onirique. On dirait que l'action flotte dans la situation plus qu'elle ne l'achève ou la resserre. C'est la source de l'esthétisme visionnaire de Visconti. Et La terre tremble confirme singulièrement ces nouvelles données. Certes la situation des pêcheurs, la lutte qu'ils engagent, la naissance d'une conscience de classe sont exposés dans ce premier épisode, le seul que réalisa Visconti. Mais justement cette "conscience communiste" embryonnaire y dépend moins d'une lute avec la nature et entre les hommes que d'une grande vision de l'homme et de la nature, de leur unité sensible et sensuelle, d'où les "riches" sont exclus et qui constitue l'espoir de la révolution, au-delà des échecs de l'action flottante : un romantisme marxiste

Chez Antonioni, dès sa première grande œuvre Chronique d'un amour, l'enquête au lieu de procéder par flash-back, transforme les actions en descriptions optiques et sonores, tandis que le récit lui-même se transforme en actions désarticulées dans le temps (l'épisode de la bonne qui raconte en refaisant ses gestes passés ou bien la scène célèbre des ascenseurs). Et l'art d'Antonioni ne cessera de se développer dans deux directions, une étonnante exploitation des temps morts de la banalité quotidienne ; puis à partir de L'éclipse un traitement des situations limites qui les pousse jusqu'à des paysages déshumanisés, des espaces vidés dont on dirait qu'ils ont absorbé les personnages et les actions, pour n'en garder qu'une description géophysique, un inventaire abstrait.

Chez Fellini, ce n'est pas seulement le spectacle qui tend à déborder le réel, c'est le quotidien qui ne cesse de s'organiser en spectacle ambulant, et les enchaînements sensori-moteurs qui font place à une succession de variétés.

On a souligné le rôle de l'enfant dans le néoréalisme, c'est dans le monde adulte, l'enfant est affecté d'une certaine impuissance motrice, mais qui le rend d'autant plus apte à voir et à entendre.

En 1961, les tenants du néoréalisme semblent en perte de vitesse. Viva l'Italia de Rossellini ne convainc pas, pas plus qu'en 1962 Les séquestrés d'Altona de De Sica. La réalité nouvelle, liée à l'essor économique et à la naissance d'une société du spectacle et de la consommation, appelle d'autres témoignages, qui tendent à privilégier, au détriment des problématiques socio-politiques engagées, des considérations plus étroitement existentielles sur "l'aliénation". Les marxistes continueront pourtant de voir dans Elio Pétri et surtout son élève Francesco Rosi avec Main basse sur la ville et Salvatore Giuliano puis Olmi les continuateurs du néoréalisme alors que les spiritualistes fairont de Pasolini leur champion, clui-ci admettant seulement être d'une deuxième vague du néo-réalisme, très différente de la première dans ses moyens.

Précurseurs : Toni (1935) de Renoir, Les hommes du dimanche (Siodmak) Ossessione (1942) Visconti et Les enfants nous regardent (1942) De Sica.
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Bibliographie.

Gilles Deleuze : L'image-temps (Chapitre 1 : au-delà de l'image-mouvement), 1985
André Bazin : Qu'est-ce que le cinéma ? (ensemble des articles sur le néo-réalisme réunis sous le titre "Une esthétique de la réalité" dont celui de 1957 et celui où il nomme l'image fait, p. 128) , édition Cerf 7ème art, 1962, régulièrement réédité
Carlo Lizzani : Le cinéma italien, 1955.
Raymond Borde : Le néo-réalisme italien, une expérience de cinéma social, éditions la Cinémathèque suisse, 1960
René Prédal : Le néo-réalisme italien, CinémAction n°70, 1993
Gaston Haustrate : Les grandes écoles esthétiques, CinémAction n°55, avril 1990
Patrice Hovald : Le néo-réalisme italien et ses créateurs, Cerf 7ème art, 1959 (s'inscrit dans la politique des auteurs qui prédomine en France ; un chapitre par cinéaste. Courant esthétisant : la mise en scène peut révéler la transcendance des êtres. Le néoréalisme c'est avant tout prendre l'homme quotidien et contemporain pour objet de préoccupation. Sur la question de l'origine Hovald va au-delà de l'époque mussolinienne. Il y a une tradition néo-réaliste en Italie, une tradition littéraire : le vérisme de Giovanni Verga (1840-1922). On avait trop minoré l'influence extra cinématographique, le théâtre et l'opéra donnent la place au peuple. Précurseurs italiens les Russes, Vertov et son ciné-oeil, le réalisme français (Carné, Renoir, Duvivier).
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