miercuri, 15 ianuarie 2020

HENRI-GEORGES CLOUZOT-Les Diaboliques

HENRI-GEORGES CLOUZOT-LES DIABOLIQUES (1955)


HENRI-GEORGES CLOUZOT-Les Diaboliques

Les Diaboliques est un film français réalisé par Henri-Georges Clouzot, sorti en 1955, inspiré du roman Celle qui n'était plus de Pierre Boileau et Thomas Narcejac. Avec Simone Signoret,Véra Clouzot, Paul Meurisse, Charles Vanel
Henri-Georges Clouzot

BIOGRAPHIE

Henri-Georges Clouzot, né à Niort en 1907, souhaite entrer à l'École Navale de Brest mais y est refusé à cause de sa myopie. Poussé par ses parents, il essaye le droit puis Sciences-po, mais son milieu modeste lui interdit ces études. Il commence sa carrière professionnelle un peu par hasard à la maison Osso, signant des adaptations, des découpages, des dialogues, réalisant des versions françaises de films allemands puis signant des scénarios, comme ceux des Inconnus dans la maison (Henri Decoin) et du Dernier des six (Georges Lacombe) qui l'imposent, avant même qu'il ne devienne cinéaste, comme un spécialiste du cinéma policier. Passant à la réalisation en 1942 avec L'Assassin habite au 21, il est rapidement reconnu pour ses talents de directeur d'acteurs et la précision maniaque de sa mise en scène.
Il rencontre des difficultés après la Libération à cause de la noirceur du Corbeau qui lui vaut quelques années d'interdiction d'exercice. Après cette courte éclipse, il revient sur le devant de la scène avec Quai des orfèvresLe Salaire de la peurLes Diaboliques... autant d'œuvres marquantes du cinéma français d'après-guerre.
La fin de sa carrière est accueillie plus froidement par le public mais aussi par la critique, qu'elle soit institutionnelle ou dans le courant de la Nouvelle Vague. Clouzot se tuera à la tâche en essayant de monter son grand projet, L'Enfer. Il s'éteint en 1977 à l'âge de soixante-dix ans, terrassé par une crise cardiaque alors qu'il écoutait La Damnation de Faust. Son doigt pointait sur le livret ce passage : « Mon faible cœur s'arrête, puis se glace aussitôt. »
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RÉALISATEUR : Henri-Georges Clouzot
ACTEUR :
  • 1956 : Le Mystère Picasso
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  • Par Antoine Royer - le 27 octobre 2017 (DVDclassik.com)

  • 1955 : Les Diaboliques de HENRI-GEORGES CLOUZOT

    L'HISTOIRE

    Michel Delasalle dirige à Saint-Cloud un pensionnat pour jeunes garçons qui appartient à sa femme Christina, jeune femme à la condition fragile. Homme tyrannique et méprisant, il maltraite son épouse ainsi que sa maîtresse, Nicole, qui enseigne dans l'établissement. Poussée à bout par le comportement de Michel, les deux femmes décident de le tuer : un week-end de vacances, elles attirent Michel à Niort, lui font boire un soporifique et le noient dans une baignoire. Mais à leur retour à Saint-Cloud, des événements étranges ne cessent de rappeler aux deux criminelles la présence obsédante de Michel...
     

    ANALYSE ET CRITIQUE

    Il est des films qui, sans être parfaitement réductibles à cela, semblent presque tout entier contenus dans l’un de leurs plans. Pour Les Diaboliques, le plan en question montrerait une baignoire... mais dans un premier temps, gardons-nous d’en dire plus : lors de sa sortie au milieu des années 50, le film s’achevait sur un panneau à l’adresse du public réclamant de ne pas « être diabolique » et de garder pour soi ce qui venait d’être montré. Quelques années avant que Hitchcock n’impose des directives similaires pour PsychoseClouzot avait même demandé aux exploitants de cinéma d’interdire les allers-et-venues des spectateurs en fermant les portes de leurs salles... S’il n’était pas forcément le premier « film à twist » de l’histoire, Les Diaboliques peut être considéré comme l’un des premiers exemples d’un film soutenu par une campagne promotionnelle utilisant son mystère comme un moyen d’attiser la curiosité des foules. Le moins que l’on puisse dire est que cela fonctionna - et fonctionne d’ailleurs toujours largement : le film fut le plus gros succès public de la carrière de Clouzot, et plusieurs décennies plus tard, a réussi à imposer dans l’imaginaire collectif cette particularité de traitement : quand on parle des Diaboliques, surtout, il ne faut pas trop en dire... Le problème est qu’ici, on va en dire beaucoup trop, puisque l’on va abondamment commenter ce plan. Les lecteurs qui souhaiteraient poursuivre doivent donc être prévenus : nous allons, en images comme en mots, trahir le secret des Diaboliques
    Il reste moins de 5 minutes de film. Christina Dellassalle est seule (du moins le pense-t-elle) dans la grande pension. Depuis son lit, elle devine une lumière, puis une silhouette évoquant celle de son mari assassiné. Malgré sa condition cardiaque, elle se lève et marche péniblement dans les couloirs obscurs. Quelqu’un d’autre est là, et l’attire dans le bureau de Michel : le nom de celui-ci a été tapé, plusieurs fois, à la machine. Elle panique, et court se réfugier dans sa propre chambre. Dans la salle de bains, elle se fige de stupeur : derrière elle, Michel est là, immobile, sous l’eau de la baignoire. Puis le mort se relève, avec des yeux révulsés. Et Christina s’effondre.
     
    Avec Le Salaire de la peur, son film précédent, Henri-Georges Clouzot avait poussé à l’extrême sa démarche de formaliste, conscient de la puissance qu’une image, bien choisie et bien articulée, pouvait à elle seule déployer. Le plan de Michel sortant de l’eau, dans cette perspective, développe quelques mégatonnes : il s’agit probablement, toutes époques confondues, de l’un des plans les plus marquants de l’histoire du cinéma français, et ce qui demeure fascinant dans Les Diaboliques, vision après vision et longtemps après que le mystère se soit éventé, est la manière dont ce plan apparaît en quelque sorte comme le point de fuite où de multiples perspectives parallèles (autour de l’intrigue, des choix narratifs ou formels de Clouzot, du tournage du film, de la relation entre Henri-Georges et Vera...) finissent par converger et donner globalement du sens. A cet égard, il fallait que ce plan soit le plus proche possible du terme du film, et si l'on peut trouver les quelques séquences qui suivent un peu évacuées (quoique la toute dernière scène soit remarquable, nous y reviendrons), cette sécheresse était probablement indispensable. Concentrons-nous, donc, sur ce plan, puisqu’il raconte tout le reste.
     
    Et justement, de manière littérale, que ce plan raconte-t-il ? Que Michel bouge, soit. Mais pourquoi bouge-t-il ? Au moment de la réception frontale de ce plan, le cerveau du spectateur peut principalement l’analyser dans deux directions opposées, l’une d’entre elles étant immédiatement confirmée par les plans suivants (ce qui, pour autant, ne rend pas l’autre direction complètement dénuée d’intérêt) : soit Michel n’est pas mort, soit c’est un fantôme qui est revenu hanter Christina.
     
    Dans les plans suivants, parce qu’il enlève ses fausses pupilles et que Nicole le rejoint, on comprend que l’hypothèse surnaturelle doit s’effacer devant le pragmatisme froid de la machination : les diaboliques du titre, ce n’était donc pas le couple de mantes religieuses ayant manigancé l’assassinat de leur époux / amant (rayez la mention inutile), mais le couple Michel / Nicole ayant élaboré un stratagème particulièrement retors (et à l’efficacité contestable, tant il s’effondre vite) pour profiter des faiblesses cardiaques de Christina. Inévitablement, on se refait alors le film, pour essayer de comprendre à quel moment on a été dupés et essayer de se souvenir des éventuels indices qui auraient pu nous mettre la puce à l’oreille... Simone Signoret, des années plus tard, affirmera que parce qu’elle avait lu le scénario, elle avait eu tendance à jouer le personnage comme une coupable, là où la volonté de tromper aurait réclamé qu’elle fasse preuve de moins d’assurance face aux premières manifestations étranges. Mais en revoyant le film, on perçoit mieux à quel point, en réalité, la machination la plus redoutable est l’oeuvre de Clouzot (dont la mise en scène nous oriente constamment vers ce qu’il veut que l’on perçoive de la vérité) et, avant lui, de Pierre Boileau et Thomas Narcejac, les auteurs de Celle qui n’était plus, roman à l’origine des Diaboliques (1) - et ce quand bien même Clouzot a abondamment trahi l’oeuvre originale pour se l’approprier, ne conservant que la trame générale du triangle pervers (dans laquelle la victime est devenue un homme, et l’assassin à la santé fragile est devenu une femme, mais nous y reviendrons là aussi).
     
    Pour tout dire, il est presque dommage que les événements décrits dans le film reçoivent, in fine, une explication aussi rationnelle, car l’hypothèse surnaturelle avait de quoi se défendre - et même de quoi séduire. Parce que nous avons assisté au meurtre de Michel, cette hypothèse aurait même paradoxalement tendance à s’avérer plus acceptable que la réalité, qui nécessite que le spectateur accepte rétrospectivement d’avoir été l’une des victimes de la duperie. Surtout, les moyens mis en œuvre par Henri-Georges Clouzot pour illustrer les premières réapparitions de Michel lorgnent volontiers vers le fantastique, par exemple dans ses déclinaisons gothiques (le choix du huis clos dans un orphelinat déserté en témoignant à sa manière)... Il y a également dans le film une belle idée « spectrale », littéralement, dans l’impression laissée par le défunt sur la photo de classe, qui laisse planer un joli doute sur la nature de l’apparition. Il faut croire que la tentation du fantastique aura largement effleuré l’esprit d’Henri-Georges Clouzot et que celui-ci aura peiné à y renoncer, puisque lorsqu’il s’agira d’achever le film, il réécrira au dernier moment une ultime séquence mettant en scène l’élève Moynet, le mythomane ayant « combattu un lion à la Foire du Trône » : cette fin, joliment ouverte, entrebâille in extremis la porte du fantastique, suggérant la persistance des âmes damnées dans cette grande demeure sombre aux couloirs mystérieux...
     
    Mais revenons à notre fameux plan et à ce qu’on y voit : une baignoire remplie d’eau, et un mort qui se relève. Spontanément, on pourrait y percevoir une référence religieuse, notamment baptismale. Mais mis dans la perspective du film, ce n’est pas tout à fait ce qu’il raconte : car si l’eau est omniprésente dans Les Diaboliques, ce n’est jamais pour ses vertus purificatrices, mais au contraire pour sa capacité à dissimuler ou à laisser croupir. En écho contrasté au Salaire de la peur, film dominé par la roche et par le feu (à tel point que si l'on doit éteindre un incendie, on n’y utilise pas de l’eau mais de la nitroglycérine, et que si un personnage manque de se noyer, ce n’est pas dans l’eau mais dans du pétrole), Les Diaboliques est un film aqueux (2), qui suinte et sent la pourriture humide. Depuis ce plan initial qui voit la camionnette de Michel rouler dans une flaque boueuse en écrasant le bateau de papier construit par un enfant, jusqu’à cette piscine d’eau stagnante et opaque qui semble dans un premier temps comme avoir décomposé le corps de Michel, l’eau fait ici office de révélateur à la moisissure des coeurs : chaque personnage semble dilué dans le jus de son inhumanité, et Clouzot, portraitiste impitoyable quand il s’agissait de la médiocrité humaine, semble se régaler en peignant cette galerie de personnages haïssables et impitoyables.
     
    Le plus détestable, et le plus haut en couleur, étant probablement le Michel composé par Paul Meurisse, dont on peine à concevoir qu’il ait pu, il y a longtemps, « rendre Christina heureuse. » Rarement on aura entendu des répliques aussi cinglantes que celles qu’il jette, avec une violence inouïe, au visage de sa « petite ruine » d’épouse dans la première partie, à tel point que lorsque les deux femmes mettent en œuvre leur plan criminel (au bord de la piscine, tiens tiens), on a presque envie de les y encourager ! C’est donc ce Paul Meurisse que l’on retrouve, dans notre fameux plan, sortant de l’eau avec les yeux révulsés : comme pour enfoncer le clou, la légende du tournage contribua à celle du plan en question, puisque très vite, il se dit que Clouzot avait laissé Meurisse mariner dans une baignoire d’eau froide, refaisant le plan encore et encore comme pour mieux le torturer. Si le cinéaste avait, en effet, souvent un comportement de tortionnaire lorsqu’il entrait sur ses plateaux, la réalité a depuis été rétablie par les principaux concernés, et non seulement l’eau était chaude, mais Meurisse était qui plus est régulièrement séché et changé pour ne pas risquer de prendre froid. Les yeux révulsés, ça, par contre, il ne savait pas faire, et cela fut sur le plateau l’objet d’une remarque particulièrement humiliante de la part de Clouzot, qui attisa les tensions entre Meurisse et le clan Clouzot d’autre part (avec Simone Signoret, au milieu, qui avait bien du mal à trouver sa place).
     
    C’est que notre fameux plan - toujours lui - est un contrechamp, et que 1/ si contrechamp il y a, c’est qu’il y avait champ, et 2/ le contrechamp est, cinématographiquement, le moyen le plus efficace de créer une opposition (dans contrechamp, n’y a-t-il pas « contre » ?). Et dans le champ, il y a Christina / Vera qui se meurt. On ne va pas revenir ici sur le plan machiavélique propre à la diégèse, mais sur les autres histoires que ce contrechamp raconte :

    D’une part, il y a le mépris indescriptible que Paul Meurisse éprouvait à l’égard de Vera Clouzot qui n’était là, selon lui, que parce qu’elle était l’épouse du réalisateur (ce qui n’est pas faux, mais on en reparle de suite). Il ne lui trouvait aucun talent, et s’impatientait ouvertement du retard pris par la préparation des plans (Henri-Georges prêtait une attention particulière à la lumière tombant sur son épouse, visant à la mettre le plus possible en valeur) ou par la répétition des prises.

    Et d’autre part, il y a la relation étrange, irréductible aux mots ou aux idées simplistes, entre Henri-Georges et Vera. Il était, de l’avis de tous, fou amoureux d’elle et lui accordait une estime qu’il ne consentait que rarement : c’est d’ailleurs elle qui, une nuit, l’avait invité à lire l’oeuvre de Boileau et Narcejac en lui suggérant qu’il pourrait s’agir d’un film pour lui, alors qu’il ruminait son projet avorté sur la tauromachie. Et c'est pour elle qu'il a modifié la nature des protagonistes du roman de Boileau et Narcejac, afin de lui confier le rôle-pivot de la criminelle fragile. Pour autant, Vera Clouzot n’était pas comédienne et elle n’a tourné que trois films durant sa carrière, les trois pour son époux, et les trois pour des rôles de femme délaissée, humiliée, trahie, poussée à bout, épuisée... Vera Clouzot mourra en 1960 d’une crise cardiaque survenue bien trop tôt, à l’âge de 46 ans, et - quand bien même le raccourci a quelque chose d’indécent - il est difficile de ne pas projeter une partie de ses rôles dans l’image que l’on se fait de la femme réelle. Son rôle de Christina dans Les Diaboliques est, indéniablement, son plus beau rôle (sa participation au Salaire de la peur est anecdotique et sa prestation dans Les Espions est passablement agaçante), celui où sa fragilité et sa complexité ressortent le mieux, mais d’une manière presque morbide...
     
    Dans un supplément à l’édition du film parue en 2017 chez TF1 Video, Samuel Blumenfeld, interrogé sur la nullité effarante du remake américain qui sera fait des Diaboliques (Diabolique, en 1996, par Jeremiah Chechik), répond par ce qui semble être une lapalissade : « D’un côté, il y a un grand cinéaste, de l’autre, il y a un mauvais cinéaste. » L’assertion demande en réalité à être soutenue : si les films d’Henri-Georges Clouzot semblent à ce point lui appartenir, ce n’est pas seulement parce que ce perfectionniste notoire supervisait chaque élément de son œuvre jusqu’à ce qu’elle coïncide tout à fait à sa vision. C’est parce que, par-delà-même la maîtrise de l’acte créatif, ses films se nourrissaient de ce qu’il était, de son rapport au monde ou aux autres. Il y a, dans les films de Clouzot, tout ce qu’il dit et tout ce qui est dit de lui. Le fait que Les Diaboliques, et encore plus précisément, le plan autour duquel tout ce texte a tourné, soit à ce point entré dans la légende du septième art français n’a finalement rien du hasard heureux : on est loin d’avoir fini d’écouter tout ce qu’il raconte, tout ce qu'il murmure...
     
    (1) Le film n’a pas conservé le titre du roman dont il est tiré : un temps titré Les Veuves - ce qui fut jugé trop peu attractif - il emprunte son titre sans genre à un recueil de nouvelles de Jules Barbey d’Aurevilly, auteur qu’il n’adapte pas littéralement mais sous l’égide vaporeuse et immorable duquel Clouzot souhaitait délibérément se placer (jusqu’à ouvrir son film par une de ses citations).
    (2) Si l'on osait, on profiterait du terme pour signaler la présence, désormais célèbre, de Jean-Philippe Smet - alias Johnny Hallyday - parmi les jeunes pensionnaires.
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  • HENRI-GEORGES CLOUZOT, CINÉASTE

    UN LIVRE DE JOSÉ-LOUIS BOCQUET ET MARC GODIN
    Paru le : 1 juin 1996 Editeur : SIRENE
    H-G Clouzot CINÉASTE
    Paru initialement en 1993, aux éditions de ‘la Sirène’, Henri-Georges Clouzot cinéaste n’est pas un ouvrage facile à étiqueter : biographie ? Album photo ? Témoignages des proches du réalisateur ? Etude filmographique ? En fait, ce livre est un peu tout cela mêlé intelligemment, ce qui en fait un ouvrage indispensable pour les passionnés de cinéma. Ce document est d’autant plus précieux que c’est quasiment le seul qui présente l’un des plus grands cinéastes français du 20e siècle de façon aussi exhaustive.
    Henri-Georges Clouzot est né en 1907 et est décédé en 1977. De santé assez fragile, il fut à plusieurs reprises handicapé par sa petite santé, et il ne livra, en 35 ans de carrière, que onze films, presque tous bien connus du public français. Il toucha à de nombreux genres cinématographiques, et à chaque fois brilla par l’intelligence de ses intrigues et la perfection de sa mise en scène.
    Clouzot est un cinéaste en partie incompris du fait de sa personnalité difficile à cerner, et dont certains éléments biographiques, à l’instar de Hergé dans le monde de la bande dessinée, viennent jeter le trouble sur la bonne moralité du personnage. En effet, Clouzot fut accusé d’avoir ‘collaboré’ à sa manière, ayant travaillé pour la Continental, firme allemande, et ayant réalisé un film ‘anti-français’ avec Le corbeau (sorti en 1943). Le réalisateur, comme d’autres personnalités artistiques, sera violemment attaqué, et ne pourra tourner à nouveau que quatre ans plus tard, en 1947.

    De même, l’arrivée de la Nouvelle Vague, dans les années 60, sera assez fatale pour les ‘vieux de la vieille’ comme Clouzot. Evidemment, entre la méticulosité et le souci de perfection du réalisateur du Salaire de la peur et l’esprit de bâclage et d’amateurisme qui anime de nombreux jeunes cinéastes durant cette période, il y a un monde d’écart.
    Quoi qu’il en soit, rien n’est tabou dans l’ouvrage Henri-Georges Clouzot cinéaste : les problèmes évoqués ci-dessus sont mentionnés, replacés dans leur contexte, commentés par des personnes concernées. Beaucoup de témoignages, présentés sous forme de conversations croisées, permettent de suivre, de façon chronologique, la vie et l’œuvre de Clouzot, ce qui facilite dans de nombreux cas la corrélation entre les deux.
    Sont ainsi couvertes la genèse, la production et la sortie des onze longs-métrages du réalisateur, de L’assassin habite au 21 en 1942 jusqu’à La prisonnière en 1968. Ne sont pas oubliés les nombreux projets qui ne virent jamais le jour (il est impressionnant, d’ailleurs, de constater que Clouzot a cumulé plus de films non tournés que de films achevés) : un film avec l’écrivain Simenon, l’adaptation de ‘Chambre obscure’...
    La structure et le découpage du livre sont simples : la vie de Clouzot est proposée chronologiquement, et, à partir du moment où il passe derrière la caméra, ce sont ses films qui déterminent les chapitres et leurs titres. Deux exceptions notables au sein du chapitrage central : Le cheval des Dieux et L’Enfer, correspondant tous les deux à des projets plus ou moins achevés de Clouzot. Dans le premier, le titre correspond à un livre que le réalisateur écrivit, inspiré par son voyage brésilien avec son épouse Vera. N’ayant pu tourner un film, c’est vers le support littéraire que le cinéaste se tourna.
    L’Enfer retrace bien entendu avec minutie les événements de la production avortée la plus célèbre de Clouzot, qui, fut contraint d’abandonner son projet après avoir eu une attaque cardiaque.

    Hormis ces deux chapitres qui ne relatent pas la sortie officielle d’un film, le reste de l’ouvrage nous fait pénétrer dans l’univers sombre d’un des plus grands spécialistes du film noir français. Avec de nombreuses photos à l’appui (toutes en noir et blanc), les textes alternent récit objectif des faits et intervention de collaborateurs, comédiens ou proches de Clouzot. Curieusement, la plupart tiennent des propos relativement dénués de tout jugement ou critique négatifs envers le cinéaste perfectionniste, connu pour avoir été très dur avec les acteurs (Clouzot fut vraisemblablement un subtil mélange de deux de ses confrères cinéastes, Pialat et Kubrick). Un exemple, lorsque Bernard Blier parle de la célèbre ‘anecdote’ de la claque qu’il reçut lors du tournage de Quai des Orfèvres, voici la façon dont il présente les choses : "Il est aussi satanique qu’il a du talent. Il m’a foutu une baffe au cours des prises de vues. Il était ensuite plus embêté que moi. Que vouliez-vous que je fasse ? Si je tombe sur lui, je l’assomme. Je pèse 30 kilos de plus".

    De même, Suzy Delair, qui fut un temps la compagne du réalisateur, évoque dans ces termes leur séparation : "Nous nous séparons après Quai des Orfèvres. C’est moi qui pars ! J’ai vu accidentellement ses films à la télévision. Je crois que j’ai eu le meilleur Clouzot". L’une des forces du livre est de mentionner essentiellement des faits, et de ne tomber ni dans la critique facile (dresser un portrait sombre de Clouzot serait aisé pour ses détracteurs), ni dans l’admiration aveugle. Quiconque veut simplement en savoir plus sur le cinéaste sera à coup sûr servi par la lecture de ce livre.

    Enfin, chaque chapitre est complété par un résumé du film traité, et une revue de presse d’époque où là encore, les avis positifs comme les avis négatifs ont leur place.
    Une filmographie très complète est placée en annexe de l’ouvrage (elle inclut les réalisations pour la télévision – Clouzot filma en effet 5 concerts de Karajan – ainsi que des collaborations diverses). Puis les notes mentionnant les sources remplissent les dernières pages.

    Juste un mot sur la préface du livre, signée Francis Lacassin, dans laquelle nous apprenons que l’auteur, José-Louis Bocquet, n’est autre que le filleul de Henri-Georges Clouzot.
    Henri-Georges Clouzot cinéaste est donc un ouvrage à lire absolument pour qui veut mieux comprendre l’oeuvre du réalisateur. Entre la méthode de préparation de chaque film et les anecdotes de tournage, ce livre est un témoignage en même temps qu’un bel hommage en l’honneur d’un cinéaste qui a, hélas, trop peu tourné et dont certains films sont à redécouvrir, mais qui fait définitivement partie des grands du 7e Art.
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