joi, 7 mai 2020

ERNST LUBITSCH : CRÉATEUR DE STYLE


LES RÉALISATEURS

ERNST LUBITSCH : CRÉATEUR DE STYLE

THAT LADY IN HERMINE (La Dame au manteau d'hermine) - Ernst Lubitsch (1948)

Dans "La Comédie musicale"

ANGEL (Ange) - Ernst Lubitsch (1937)

Dans "Le Film étranger"

THE SHOP AROUND THE CORNER (Rendez-vous) - Ernst Lubitsch (1940)

Ernst Lubitsch est l’un des grands stylistes du cinéma américain. Sa renommée internationale, il la doit à ce que l’on a depuis baptisée la « Lubitsch’s touch », un style brillant où se mêlent l’allusion subtile, l’élégance et le brio des dialogues et de la mise en scène, la satire ironique. et légère des faiblesses de la société, plus spécialement dans les rapports entre hommes et femmes.
Ernst Lubitsch
Dans les années 1920 et 1930, chaque studio hollywoodien avait un style particulier, une sorte de « marque de fabrique » qui le distinguait des autres. Les films de la Paramount se rattachaient à la tradition européenne par la présence de vedettes et de cinéastes tels que Marlene Dietrich, Maurice Chevalier, Josef von Sternberg, Rouben Mamoulian et surtout Ernst Lubitsch. A la différence des autres cinéastes engagés dans le « studio system », personne n’imposa à Lubitsch les sujets de ses films, le choix des acteurs, le découpage final. Dès ses premiers films muets tournés aux Etats-Unis, dont The Marriage circle (Comédiennes, 1924), Forbidden paradise (Paradis défendu, 1924) et The Student Prince (Le Prince étudiant, 1927), l’immigré allemand avait su se gagner la faveur de Hollywood au point d’être considéré comme Américain à part entière. Aussi, au début du parlant, reçut-il carte blanche de la Paramount pour la réalisation de son premier film sonore, The Love Parade (Parade d’amour, 1929).
Première du film The Love parade au Criterion Theater de New York, le 19 novembre 1929
Lubitsch avait démontré qu’il n’avait pas besoin de la parole pour donner au spectateur l’impression d’un dialogue. Dans son film muet Lady Windermere’s Fan (L’Eventail de lady Windermere, 1925), une adaptation de l’œuvre d’Oscar Wilde, il n’utilisa pas une seule ligne du texte original, prouvant ainsi que les sous-titres pouvaient être superflus dans le cinéma muet. Avec l’avènement du sonore, Lubitsch se convertit au cinéma parlant et en exploita toutes les possibilités, en portant une attention particulière aux scénarios. Samson Raphaelson, le scénariste de Trouble in paradise (Haute pègre, 1932), de The Shop around the corner (Rendez-vous, 1940) et de beaucoup d’autres de ses réalisations racontait que quand il voyait la version finale des films, il ne savait plus si le « style Lubitsch » était le résultat de son propre travail ou celui du metteur en scène.
ON SET – Trouble in paradise (Haute pègre, 1932)
LA POINTE D’IRONIE
L’âge d’or du « style Lubitsch » correspond à la période de ses films parlants américains : The Love parade (Parade d’amour, 1929), Monte-Carlo (1930), Le Lieutenant souriant The Smiling Lieutenant, (Le Lieutenant souriant,1931), Trouble in paradise (1932), son film préféré) et Ninotchka (1939).
Ernst Lubitsch et Maurice Chevalier (The Smiling Lieutenant)
Mais quelle est donc l’essence du « style Lubitsch » ? De quoi s’ inspire-t-il ? Une anecdote, que Lubitsch se plaisait à raconter, permet de s’en faire une idée : en 1918, dans un Berlin ruiné par la guerre, un homme, épuisé par les privations, cherche à se suicider. Il achète donc une corde pour se pendre, mais celle-ci, comme d’ailleurs tout en ce temps-là, est de mauvaise qualité et se casse. Interprétant l’incident comme un signe du ciel l’exhortant à vivre, l’homme entre dans un bar et demande un café. Mais le café, lui aussi, est de mauvaise qualité, l’homme tombe malade et meurt. « Cette petite histoire – affirmait Lubitsch – me fit comprendre le pouvoir dramatique de l’ironie et je l’expérimentai dans mes premiers films tournés à Berlin. »
Ernst Lubitsch et Jeanette MacDonald (Monte Carlo, 1930)
Lubitsch commença sa carrière comme acteur de théâtre. Il menait une « double vie » : le jour, il aidait son père qui était tailleur, le soir, il jouait dans les spectacles de variétés de Berlin. Une place d’accessoiriste fut son premier contact avec le cinéma. Puis il y eut la rencontre déterminante avec Max Reinhardt qui lui offrit quelques rôles dans ses films. Lubitsch devint alors très populaire en interprétant le personnage du Juif Meyer dans de petites comédies qu’il écrivit puis dirigea ensuite lui-même. Il s’imposa enfin à l’échelon international avec une série de films costumés : Madame du Barry (1919), Anne Boleyn (1920), Das Weib des pharao (La Femme du pharaon, 1922), réalisations à grand spectacle, inspirées du cinéma italien de l’époque, dans lesquelles l’histoire est traitée de façon ironique. Ses acteurs préférés étaient Emil Jannings, Ossi Oswalda et surtout Pola Negri.
Mary Pickford et Ernst Lubitsch (Rosita, 1923)
En 1922, l’actrice-productrice Mary Pickford, qui désirait tourner un film sous sa direction, l’appela à Hollywood. Après mûre réflexion, Lubitsch et Mary Pickford s’accordèrent sur le choix de Rosita ; le film sortit en 1923. Bien que leur collaboration se révélât très difficile en raison de certaines divergences professionnelles, le film obtint un grand succès commercial et attira l’attention de la Warner qui offrit à Lubitsch un contrat pour cinq films.
Ernst Lubitsch et Mary Pickford (photo prise lors du tournage de To Be or Not to Be)
LE ROI DE LA COMÉDIE
Lubitsch pensa alors que pour plaire aux Américains, il devait réaliser des films « typiquement américains », même s’ils se passaient dans une Europe élégante et raffinée. Par typiquement américain, il entendait des sujets ayant trait à l’argent et au sexe, les deux valeurs auxquelles un Américain moyen attachait le plus d’importance. Le « style Lubitsch » trouva ainsi un terrain idéal. George Bernard Shaw disait : « Si vous voulez dire la vérité aux gens, il vaut mieux le faire en riant sinon ils vous tuent. » Et Lubitsch, en riant, dit la vérité sur la dignité royale dans The Love parade, sur l’amour et l’argent dans Monte-Carlo et Trouble in paradise, et également dans un des sketches de If I Had a Million (Si j’avais un million, 1932), sur le communisme et le capitalisme dans Ninotchka, le film qui lui donna l’occasion tant attendue de diriger Greta Garbo. « Ninotchka fut le seul film de Hollywood qui me permit d’être dirigée par un grand cinéaste », déclara ensuite la vedette.
Greta Garbo et Ernst Lubtisch (Ninotchka, 1939)
Les producteurs de la Paramount, qui avaient engagé Lubitsch en 1929, furent tellement frappés par son succès commercial que, dès 1934, ils lui confiaient la direction de la production. En effet, qui mieux que Lubitsch pouvait servir le style brillant et léger des films Paramount ? Mais Lubitsch ne se trouva pas à son aise dans ce rôle inhabituel pour lui et il reprit bien vite la mise en scène avec Angel (Ange, 1937), agréable variation sur l’adultère interprétée par Marlene Dietrich et Melvyn Douglas.
Margaret Sullavan, Ernst Lubitsch et James Stewart (The Shop around the corner, 1940)
AMOUR ET ARGENT
Si les années 30 sont considérées comme la période la plus faste de la carrière de Lubitsch, il n’en poursuivit pas moins ses activités au cours de la décennie suivante et avec autant de brio et de succès commerciaux : To be or not to be (Jeux dangereux, 1942), une brillante parodie antinazie avec Jack Benny et Carole Lombard ; Heaven can wait (Le Ciel peut attendre, 1943) avec Gene Tierney et Don Ameche, son premier film en couleurs ; Cluny Brown (La folle ingénue, 1946) avec Charles Boyer et Jennifer Jones, une satire de la mentalité anglaise d’avant guerre.
Marlene Dietrich et Ernst Lubitsch (Ange, 1937)
En 1947, Lubitsch commença à tourner That Lady in ermine (La Dame au manteau d’hermine, 1948), une histoire comique de fantômes, mais il ne put l’achever (Otto Preminger le termina à sa place) : souffrant depuis longtemps de crises cardiaques, il succomba après des attaques répétées, à l’âge de cinquante-six ans.
Fredric March et Ernst Lubitsch (Design for Living, 1933)
Nombreux furent les réalisateurs qui subirent son influence : Mal St. Clair, Frank Tuttle, Roy del Ruth, Frank Capra, Rouben Mamoulian, Preston Sturges, Lewis Milestone et Billy Wilder. Ses comédies et ses opérettes, surtout celles produites pendant l’âge d’or de la Paramount, révèlent sous un aspect brillant et léger un sens de la réalité pénétrant et ironique. Elles lui valurent cet hommage du metteur en scène Joseph L. Mankiewicz : « Dans le domaine de la comédie sophistiquée, Lubitsch n’eut pas de rival. »
Ernst Lubitsch
TÉMOIGNAGES
« Comment faire comprendre aujourd’hui la révolution qu’apporta A Woman of Paris (L’Opinion publique) alors que son influence s’est diffusée dans tant de films qui ont suivi ? De cette influence, Lubitsch fut le premier bénéficiaire. On peut dire qu’il n’y a pas un seul, mais deux Lubitsch : l’un avant, l’autre après la parution de A Woman of Paris. Le chef-d’ œuvre de Chaplin a créé un style dont Lubitsch s’inspira et dont on retrouve la marque dans ses meilleures comédies. Cette constatation ne diminue pas l’auteur de Trouble in paradise. Il n’y a pas à rougir d’avoir des maîtres. Se croire exempt de toute influence est le privilège des ignorants. De Lady Windermere’ s fan à To be or not to be, que d’invention aimable et de science de la comédie ! On souhaiterait qu’à son tour Lubitsch eût des disciples ! » René Clair
Heaven can wait (Le Ciel peut attendre, 1943)
« Pour maintenir l’équilibre merveilleux de la nature, Dieu accorda aux nations vaincues le don de l’Art. C’est ce qui arriva à l’Allemagne après la défaite de 1918. Avant Hitler, Berlin regorgeait de talents. Pendant cette brève Renaissance, les Juifs, non seulement d’Allemagne, mais aussi des pays voisins, apportèrent dans la capitale allemande un certain esprit qui fut probablement la meilleure expression de l’époque. Lubitsch fut un bon exemple de cette manière ironique d’affronter les grands problèmes de la vie. Ses films étaient pleins de cette finesse qui constituait l’essence particulière du Berlin intellectuel de l’époque. La force de cet homme était telle que, quand Il fut invité à travailler à Hollywood non seulement il ne perdit pas son style berlinois, mais il convertit l’industrie hollywoodienne à son mode d’expression. Hollywood est maintenant influencé par Lubitsch, ce qui signifie qu’il est influencé, indirectement, par le Berlin de sa jeunesse. » Jean Renoir
TO BE OR NOT TO BE (Jeux dangereux, 1942)
« Si vous me dites : « Je viens de voir un Lubitsch dans lequel il y avait un plan inutile » je vous traite de menteur. Ce cinéma-là, le contraire du vague, de l’imprécis, de l’informulé, ne comporte aucun plan décoratif, rien qui soit là « pour faire bien », non, on est dans l’essentiel jusqu’au cou. Sur le papier, un scénario de Lubitsch n’existe pas, il n’a aucun sens, après la projection non plus, tout se passe pendant qu’on le regarde. Nous étions là, dans l’ombre, la situation était claire, elle se tendait jusqu’à rompre au point que, pour nous rassurer nous-mêmes, nous anticipions la scène suivante en recourant évidemment à nos souvenirs de spectateurs, mais Lubitsch justement, comme tous les génies, habité par l’esprit de contradiction, avait lui-même passé en revue les solutions préexistantes pour adopter celle qu’on n’avait jamais utilisée, l’impensable, l’énorme, exquise et déroutante. » François Truffaut
TROUBLE IN PARADISE (Haute pègre, 1932)
« On a d’emblée le sentiment que Lubitsch a su très vite ce qu’il voulait faire. Il a acquis très tôt un point de vue et un style, et s’il a été contraint de faire quelques entorses à son programme, du moins furent-elles vénielles. Personne, moins que lui, n’a été gêné par les entraves de la production capitaliste. Il a su s’accommoder, en Allemagne comme à Hollywood, des méthodes existantes, et loin de s’y soumettre passivement, il a su les plier à ses propres desseins. A vrai dire, ces méthodes (et particulièrement celles en vigueur dans les studios de Hollywood) lui convenaient parfaitement, car il n’avait en rien l’âme d’un protestataire. Il était, avant tout, l’homme de spectacle. » Jean Domarchi
Ernst Lubitsch et Jennifer Jones (Cluny Brown, 1946)
LA « LUBITSCH’S TOUCH »
Billy Wilder, le célèbre réalisateur d’origine autrichienne considéré comme le successeur de Lubitsch, essaye d’expliquer, lors d’une interview avec Adrian Turner, en quoi consiste la célèbre « Lubitsch’s touch ».
ON SET – Forbidden paradise (Paradis défendu, 1924)
Le style Lubitsch est extrêmement difficile à définir. C’est comme si l’on se demandait pourquoi Greta Garbo est devenue la Garbo et Marilyn Monroe, Marilyn Monroe. Pour Garbo, par exemple, ce ne sont pas les années passées, laissez-moi le dire, à l’Académie suédoise d’art dramatique. C’est l’élément « x ». Si l’on avait su en quoi cela consistait, on aurait pu en produire en série…
BLUE BEARD’S EIGHTH WIFE (La Huitième Femme de Barbe-Bleue, 1938)
Le style Lubitsch se caractérisait surtout par l’élégance des idées, la manière très originale d’engager une scène, ou un dialogue. Je pense que son secret consistait à piquer la curiosité du public par quelques sous-entendus afin qu’il se sente complice. En d’autres termes, Lubitsch ne déclarait pas catégoriquement 2 + 2 = 4, mais il posait l’opération 1 + 3, laissant aux spectateurs le soin de trouver la solution, et le charme agissait.
THAT LADY IN ERMINE (La Dame au manteau d’hermine, 1948)
Quand je parle de Lubitsch aux étudiants de l’American Film Institute, je leur dis : « Écoutez-moi bien : je vous donne maintenant un thème à développer. En voici les éléments : un roi, une reine et un jeune lieutenant de l’armée royale. Je voudrais que vous me rendiez de manière dramatique le moment où le roi découvre que sa femme a une relation avec le lieutenant. » Il existe bien sûr mille façons de traiter une situation de ce genre… mais je suis prêt à parier que personne n’en trouvera une qui soit comparable à celle que Lubitsch inventa précisément dans The Merry Widow (La Veuve joyeuse, 1934) .
Jeanette MacDonald et Maurice Chevalier – MERRY WIDOW (La Veuve joyeuse, 1934)
La scène s’ouvre sur le roi et la reine au lit, le matin, juste au moment du lever. Le rôle du roi est tenu par George Barbier, un homme corpulent, celui de la reine par Una Merkel. Ils s’embrassent, se font des tas de cajoleries, puis le roi s’habille et sort de la chambre. Dans le couloir, il croise le lieutenant, Maurice Chevalier, qui lève son épée sur son passage en signe de respect. Chevalier s’assure que le roi est parti et entre dans la chambre. La porte se ferme. Dans les escaliers, le roi s’arrête. Il s’aperçoit qu’il a oublié son épée et son ceinturon et il retourne sur ses pas. Suspense ! Le roi entre dans la chambre. La porte se referme à nouveau et, cette fois encore, le public n’est pas admis à entrer dans ta pièce. Le roi sort avec le ceinturon et l’épée, toujours souriant. Tout en marchant il tente de boucler son ceinturon, mais celui-ci est trop étroit. Il retourne dans la chambre. Et cette fois le public entre avec lui dans la chambre et découvre, en même temps que lui, Chevalier sous le lit…
Je me rappelle encore le jour de son enterrement. Après la triste cérémonie, nous nous dirigions en silence, William Wyler et moi vers notre voiture. Je dis alors, histoire de rompre le silence : « Plus de Lubitsch. » Wyler répondit: « Pire. Plus de film de Lubitsch. » Comme nous avions raison. Depuis lors, nous qui l’admirions tant, nous avons essayé de découvrir le secret du style Lubitsch. Rien à faire. Avec de la chance parfois, nous avons réussi à insérer, çà et là, dans nos films, quelques mètres de pellicule qui étincelaient furtivement comme ceux de Lubitsch. Mais c’était « comme » Lubitsch, non pas « du » Lubitsch. Son art est perdu. Le magicien le plus élégant de l’écran a emporté son secret avec lui pour toujours. [La grande histoire illustrée du 7ème art – Editions Atlas (1983)]
Ernst Lubitsch

THE SHOP AROUND THE CORNER (Rendez-vous) – Ernst Lubitsch (1940)
En 1939, Lubitsch parlait de la nécessité de faire des films en rapport avec  » le monde réel ». En 1940, il tourne sur quatre semaines et avec moins de 500 000 dollars The Shop around the corner, dont il dira : « Pour la comédie humaine, je n’ai rien produit d’aussi bon…  Je n’ai jamais fait non plus un film dans lequel l’atmosphère et les personnages étaient plus vrais que dans celui-ci » 
CLUNY BROWN (La Folle ingénue) – Ernst Lubitsch (1946)
A la fin de l’année 1945, Lubitsch, qui avait rencontré de graves problèmes de santé, est autorisé par son médecin à reprendre son poste derrière la caméra. Cluny Brown (La Folle ingénue) est adapté d’un roman populaire à succès de Margery Sharp – source qui n’a rien de commun avec les pièces hongroises dont Lubitsch est friand.
THAT LADY IN HERMINE (La Dame au manteau d’hermine) – Ernst Lubitsch (1948)
Dernier projet d’Ernst Lubitsch, ce film de 1948 réunit la star Betty Grable et le séducteur Douglas Fairbanks Jr dans une romance musicale où l’humour le dispute sans cesse au merveilleux.
ANGEL (Ange) – Ernst Lubitsch (1937)
Dans une maison de rendez-vous parisienne, Anthony Halton rencontre une très belle et mystérieuse jeune femme, qui s’enfuit à la fin de la soirée. Plus tard, à Londres, il retrouve l’inconnue sous les traits de la respectable lady Maria Barker, épouse de lord Barker, homme politique très occupé. Maria est sur le point de suivre Anthony pour toujours ; mais lord Barker apprend la vérité et survient à temps pour persuader sa femme de revenir près de lui…
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Orson Welles / THE LADY FROM SHANGHAI

LE FILM NOIR


THE LADY FROM SHANGHAI (La Dame de Shanghai) – Orson Welles (1947)

« Si j’avais pu prévoir où tout cela me mènerait, je ne me serais jamais lancé dans cette aventure… si j’avais gardé ma lucidité je veux dire. Mais dès que je l’ai vue, dès la première minute, mon esprit chavira, et il me fallut pas mal de temps pour retrouver la raison. » La séduisante Elsa Bannister (Rita Hayworth) a tourné la tête du marin irlandais Michael O’Hara (Orson Welles). Envolés ses sens si alertes, sa vive intelligence. La belle blonde passe à travers Central Park dans une calèche, éblouissante, et O’Hara est aveuglé. Il l’aborde, lui demande une cigarette d’un air crâne, et déjà elle l’a pris dans ses filets. Dès lors son destin est scellé : pour la revoir, il s’engage sur le yacht de luxe de son mari, l’avocat renommé Arthur Bannister (Everett Sloane), et de son associé George Grisby (Glenn Anders), en partance pour une croisière au Mexique. Confronté à la tentation de la chair et à des situations bizarres, il finira au tribunal puis devant un révolver braqué sur lui… [Film Noir 100 All-Time Favorite – Paul Duncan, Jürgen Müller – Edition Taschen – (2013)]
THE LADY FROM SHANGHAI – Orson Welles (1947)
Certains films semblent tirés de la réalité : les protagonistes parlent comme bon leur semble, échangeant de futiles amabilités ; la caméra est fixée sur des images banales du quotidien (comme dans les légères comédies amoureuses d’Eric Rohmer). Dans d’autres films, en revanche, chaque phrase et chaque image, chaque plan de caméra est lourd de signification. The Lady from Shanghai fait manifestement partie de la seconde catégorie, le début du film nous éclaire parfaitement sur ce point : la rivière Hudson, le soir, un cadrage sur Central Park, où Elsa en robe blanche à pois semble briller dans l’obscurité naissante. Et la voix off d’O’Hara, son commentaire sombre et fataliste. Chaque image, chaque mot prononcé, chaque bruit semble annoncer une issue fatale. [Film Noir 100 All-Time Favorite – Paul Duncan, Jürgen Müller – Edition Taschen – (2013)]
THE LADY FROM SHANGHAI – Orson Welles (1947)
Cette narration métaphorique aux accents exaltés se poursuit : un bizarre « ménage à quatre » entre Q’Hara, Elsa, son mari, un homme infirme et insondable, et son associé un peu louche, se met en place dans un climat de désir sexuel et de violence latente, dans un huis clos à bord d’un yacht. Et O’Hara de raconter une histoire ô combien significative : un jour qu’il était parti à la pêche, la mer a tout à coup été infestée de requins. Lorsque l’un d’eux a été blessé, ses congénères l’ont déchiqueté, comme pris de folie à l’odeur du sang. Dans un village mexicain, Grisby propose à O’Hara, stupéfait, de le tuer. Là encore, la scène est très allusive : la caméra placée loin au-dessus des deux hommes est fixée sur les falaises escarpées, sur le gouffrequi s’ouvre sous leurs pieds. [Film Noir 100 All-Time Favorite – Paul Duncan, Jürgen Müller – Edition Taschen – (2013)]
THE LADY FROM SHANGHAI – Orson Welles (1947)
Des scènes de ce genre auraient pu générer un amas de platitudes et d’allusions lourdes. Mais le réalisateur, scénariste, producteur et acteur principal Orson Welles (Citizen Kane, 1941) se joue si magistralement des stéréotypes, des idées rebattues du film noir et du polar hard-boiled qu’il fait de  The Lady from Shanghai une caricature fascinante, un film d’une extraordinaire artificialité bourré de clins d’œil à son propre manque de naturel et de simplicité. [Film Noir 100 All-Time Favorite – Paul Duncan, Jürgen Müller – Edition Taschen – (2013)]
THE LADY FROM SHANGHAI – Orson Welles (1947)
Certains personnages en prennent pour leur grade : les deux avocats, des battants, purs représentants de l' »American way of life », y sont représentés comme de sales types dénués de scrupules. Et Rita Hayworth, le sex-symbol des années 1940 et encore en couple avec Orson Welles à l’époque du tournage (ils divorceront en 1947) fait figure de mante religieuse, dévoreuse d’hommes. La dernière scène du film restera aussi célèbre que celle de la douche dans Psychose (Psycho, 1960) : un bras de fer dramatique dans le palais des glaces d’un parc d’attraction de San Francisco. Résultat: des coups de feu, des bris de verre, et deux morts – O’Hara apprendra enfin la bouleversante vérité. [Film Noir 100 All-Time Favorite – Paul Duncan, Jürgen Müller – Edition Taschen – (2013)]
The Lady from Shanghai, surtout célèbre pour la séquence des miroirs, est un film noir insolite. A première vue, on pourrait le situer à l’opposé de la tradition des hard-boiled, reprise par Chandler et Hammett mais il possède certains éléments chaotiques et sombres que l’on retrouve chez deux écrivains. Elsa Bannister est une femme fatale originale dont la seule rivale pourrait être la Brigid O’Shaughnessy de Hammett. Les ressorts de l’action sont souvent incompréhensibles mais le style visuel de Welles, chargé d’exotisme, rend ce défaut accessoire. La mobilité des images est extraordinaire. On passe rapidement de la ville à la luxuriance tropicale des Caraïbes pour se retrouver dans une cour d’assises et, enfin, au cœur de Chinatown. Le complot, déconcertant et embrouillé, ne peut jamais faire sens ni pour Michael ni pour le spectateur. Il s’agit plutôt d’un cauchemar sauvage Illustré par Welles sur un mode d’enchaînement baroque. [Encyclopédie du film Noir – Alain Silver et Elizabeth Ward – Ed Rivages (1979)]
THE LADY FROM SHANGHAI – Orson Welles (1947)
L’illogisme de l’intrigue est lié, de manière souterraine aux racines du genre noir. La plupart du temps, Welles transcende les catégories pour créer son propre style mais par ailleurs, sa vision du monde est très complémentaire du style noir. Depuis Voyage au pays de la peur jusqu’à Touch of evil (La soif du mal), si l’on met de côté ses adaptations de Shakespeare, tous ses films ont une orientation noire. Son écriture cinématographique est souvent encline à saper les tendances fondamentales, du genre, ce qui explique les incohérences de The Stranger (Le Criminel) et, à un moindre degré, de The Lady from Shanghai. Mais dans la mesure même où le film est, malgré les apparences, très enraciné dans l’héritage du hard-boiled, caractérisé par une logique elliptique et impénétrable, il bouleverse et déconcerte constamment par sa narration quasi-romantique et la qualité des relations entre les personnages, toujours incertaine et ambiguë. The Lady from Shanghai se déconstruit radicalement devant le spectateur et le captive tout ensemble, sans lui offrir d’autre prise possible. [Encyclopédie du film Noir – Alain Silver et Elizabeth Ward – Ed Rivages (1979)]
THE LADY FROM SHANGHAI – Orson Welles (1947)
L’origine du film est l’objet de diverses affirmations rarement concordantes. En 1946, Orson Welles monte au théâtre une adaptation du Tour du monde en quatre-vingts jours, de Jules Verne. Au dernier moment, Mike Todd qui devait financer le projet – et qui en produira plus tard une version cinématographique – se retire de l’entreprise, laissant Welles dans une situation critique. Welles appelle alors Harry Cohn, le grand patron de la Columbia. Il a besoin de cinquante-cinq mille dollars pour retirer les costumes nécessaires à la pièce de la gare. [Le film noir – Patrick Brion – Editions de la La Martinière (2004)]
THE LADY FROM SHANGHAI – Orson Welles (1947)
Ailleurs, Welles parla de sommes et de titres différents, de cinquante mille dollars et d’un livre qui s’appelait The Lady from Shanghai, de vingt-cinq mille dollars et d’un roman policier nommé If I Die Before I Wake. C’est d’ailleurs de ce dernier que sera finalement adapté le film. Charles Higham rappela, de son côté, dans l’ouvrage qu’il consacra à Welles, que, bien que publié en 1938, If I Die Before I Wake ne parut pas en livre de poche avant 1962, la conception du roman ayant elle-même été une idée à la Welles. À l’époque, l’écrivain Sherwood King vivait à Chicago dans un meublé à cinq dollars la chambre. N’ayant pas de quoi payer son loyer, il fit un accord avec sa logeuse comme quoi, chaque semaine, telle Shéhérazade, il lirait à des invités un chapitre de son livre. Si ceux-ci étaient incapables de résoudre le mystère posé par l’intrigue, il continuerait à loger gratuitement dans sa chambre. C’est ce qui arriva ! [Le film noir – Patrick Brion – Editions de la La Martinière (2004)]
THE LADY FROM SHANGHAI – Orson Welles (1947)
L’échec du Tour du monde en quatre-vingts jours oblige donc Welles à tenir parole et à tourner un film pour Harry Cohn. Au départ, il ne doit s’agir que d’un petit film mis en scène en cinq semaines. La Columbia pense à Ida Lupino comme interprète féminine, Orson Welles à Barbara Laage, dont il veut promouvoir la carrière cinématographique. C’est alors qu’apparut la possibilité de confier le rôle principal à Rita Hayworthdont Welles était séparé. Rita Hayworth semblait favorable à cette idée. La Columbia tenait avant tout à faire ce que souhaitait sa principale vedette et d’un coup le film, de production de série B, devint une œuvre spectaculaire. [Le film noir – Patrick Brion – Editions de la La Martinière (2004)]
THE LADY FROM SHANGHAI – Orson Welles (1947)
Orson Welles décide de faire couper les opulents cheveux roux de Rita Hayworth par Helen Hunt. L’opération, supervisée par Welles lui-même, a lieu devant seize photographes. C’est Welles qui impose a Helen Hunt – et à Rita Hayworth – le blond platine des cheveux de l’actrice. Découvrant ce que Welles a fait de l’actrice la plus célèbre de la Columbia, Cohn, furieux, s’exclamera : « Oh, mon Dieu ! Qu’est-ce qu’a fait ce salaud ! » Welles écrit en soixante-douze heures, dans un motel de Catalina, le scénario du film et part tourner la majeure partie de celui-ci au Mexique, louant à cette occasion le Zaca, le yacht d’Errol Flynn, qui apparaît très brièvement dans le film. [Le film noir – Patrick Brion – Editions de la La Martinière (2004)]
THE LADY FROM SHANGHAI – Orson Welles (1947)
Tout en se donnant le rôle d’un héros manipulé, incapable de contrôler une action dont il risque de n’être jusqu’à la dernière séquence qu’une victime, Welles se plaît au passage à se venger de Nelson Rockefeller qui l’avait quelques années plus tôt financièrement trahi, en modelant sur lui le personnage de George Grisby. La scène du parc d’attractions est pour Welles l’occasion de rendre hommage au Cabinet du docteur Caligari, de Robert Wiene, qu’il avait revu avant de partir pour le Mexique. Soucieux de donner au film « l’apparence d’un mauvais rêve » – pour reprendre ses propres termes -, Welles n’hésite pas à employer par moments un style surprenant, ce qui est aussi évident lors de la rencontre de Michael et d’Elsa dans l’aquarium et de leur discussion dont les poissons sont les témoins, et naturellement dans la superbe séquence du théâtre chinois (…) [Le film noir – Patrick Brion – Editions de la La Martinière (2004)]
THE LADY FROM SHANGHAI – Orson Welles (1947)
Découvrant le film tel que l’avait tourné Welles, Harry Cohn commença par offrir mille dollars à qui lui expliquerait l’histoire, avant de tenter de voir comment il pourrait le modifier. Le fait que Welles ait été non seulement le metteur en scène et le scénariste mais aussi l’acteur principal du film – une prudente habitude d’Erich von Stroheim – empêchait la plupart des changements éventuels. Cohn se contenta de geler le film durant quinze mois, attendant pour l’exploiter que Rita Hayworth ait tourné une nouvelle œuvre, plus fidèle à son image de marque traditionnelle. [Le film noir – Patrick Brion – Editions de la La Martinière (2004)]
L’HISTOIRE
C’était l’histoire d’un marin irlandais sans principes, Michael O’Hara (un Welles baratineur), engagé par le célèbre avocat Arthur Bannister (Everett Sloane) comme skipper de son yacht, pour l’emmener de la côte est à la côte ouest. O’Hara se fait ferrer par la séduisante femme de l’avocat, Elsa, avec la naïveté d’un poisson. II ne voit pas que la vie l’a depuis bien longtemps vidée de toute substance. L’associé de Bannister, George Grisby (Glenn Anders) propose 5 000 dollars à O’Hara en échange d’une confession selon laquelle il l’aurait tué par accident. Grisby pourra ainsi disparaître et refaire sa vie avant que Bannister ne disculpe O’Hara. Mais Grisby est tué et O’Hara accusé – confession à l’appui. Sachant très bien ce qui s’est passé, Bannister offre à O’Hara un numéro de vaudeville en guise de défense. O’Hara réalise qu’il est cuit et s’échappe de détention provisoire. Plusieurs scènes brouillonnes plus tard, il apprend qu’Elsa est la vraie coupable. En compagnie de son mari vengeur (« C’est toi que je vise, l’amant ! »), elle brise en mille morceaux toute illusion dans la fusillade du Palais des Glaces, moment clé du film. O’Hara laisse Elsa à terre, mourante et en pleurs («Je ne veux pas mourir ! »), et s’en va vers le soleil levant. [Dark City, Le monde perdu du film noir – Eddie Muller – Rivages Ecrits / Noirs (2015)]
« Rita ne pouvait tout simplement pas apparaître comme la pin-up très connue ; elle avait besoin d’un look complètement nouveau. Alors nous l’avons teinte en blond platine et lui avons coupé les cheveux très courts. Je te laisse imaginer la tête du chef des studios Harry Cohn quand il s’en est aperçu ! » Orson Welles
LES EXTRAITS

Belle, cruelle et amorale, la femme fatale, personnage qui a toujours hanté l’imagination des hommes, a conquis sa place sur les écrans à la faveur du film noir des années 40. Nombreux furent ceux qui se laissèrent prendre au piège de sa vénéneuse séduction…
Rita Hayworth fut une actrice magnifique, une vamp éblouissante, une pin-up d’anthologie, et pourtant la postérité ne lui rend pas justice. Mais ce personnage de sex-symbol castrateur, façonné par Harry Cohn, le patron de la Columbia, était à cent lieues de la véritable Rita…
C’est au cours de l’été 1946 que le public français eut la révélation d’un nouveau type de film américain. En quelques semaines, de la mi-juillet à la fin du mois d’août, cinq films se succédèrent sur les écrans parisiens, qui avaient en commun une atmosphère insolite et cruelle, teintée d’un érotisme assez particulier : Le Faucon Maltais (The Maltese Falcon) de John Huston (31 juillet), Laura d’Otto Preminger (13 juillet), Adieu ma belle (Murder, My Sweet) d’Edward Dmytrick (31 juillet), Assurance sur la mort (Double indemnity)de Billy Wilder (31 juillet).
Du collant noir de Musidora à l’absence de dessous de Sharon Stone, l’accessoire ou son manque divinement souligné n’est jamais innocent et marque au fer rouge cette sublime pécheresse qui parcourt le cinéma, qu’il s’agisse du film noir hollywoodien qui en fit son égérie ou d’autres genres qu’elle hanta de son érotisme funeste. Car cette femme-là est fatale pour ceux qui l’approchent. Souvenirs de quelques figures mythiques entre Eros et Thanatos qui peuvent le payer cher dans un 7ème Art aux accents misogynes qui ne pardonnent pas.