duminică, 12 octombrie 2025

MARLENE DIETRICH : ANGE OU DÉMON

 

MARLENE DIETRICH: ANGE OU DÉMON


« Si Marlene Dietrich était un peu plus large, Mae West serait dans l’ombre. » Derrière cette phrase de Bosley Crowther, le controversé critique du New York Times, se cache une vérité : Mae West et Marlene Dietrich boxaient toutes les deux dans la catégorie des sex-symbols dérangeants, l’une provoquant par ses rondeurs clownesques et l’autre par ses inventions androgynes. Mae West, de mère bavaroise, s’exprimait très bien en allemand et parlait dans cette langue avec Marlene Dietrich, qu’elle appréciait beaucoup. Reines des cabarets enfumés, ces femmes très cultivées faisaient toutes deux partie de l’imaginaire fruste du soldat en campagne. Elles étaient en délicatesse perpétuelle avec la censure et captivaient le public par leur originalité et leur art de flirter avec les limites. Leur allure leur appartenait en propre, mais toutes deux furent lancées au cinéma par la Paramount, qui cherchait au début des années 1930 la relève de ses stars déchues après la fin du cinéma muet. Elles bénéficièrent l’une comme l’autre du talent du styliste maison Travis Santon. «  Entre le plateau et ma loge il y avait celle de Mae West. Quelle grande dame! (…) Elle fut pour moi un professeur, non, un roc auquel je m’accrochais, un esprit brillant qui me comprenait et devinait tous mes problèmes », écrit Marlene Dietrich dans ses mémoires. Cette dernière était en lutte contre le totalitarisme tandis que Mae West, avant d’être une icône gay, fut un défenseur résolu de la cause des Noirs. Les deux actrices finirent par être rejetées par Hollywood, l’une dans le cadre de la célèbre chasse aux sorcières du début des années 1950, l’autre pour ses audaces à l’écran. Mais leur mythe survécut : elles font toutes les deux partie des quinze plus grandes actrices de légende, selon l’American Film Institute. Elles étaient uniques. [Marlene Dietrich, combattante de l’amour -Hollywood, la cité des femmes – Antoine Sire (Ed. Actes Sud – Beaux-Arts – Institut Lumière) 2016]


Si Greta Garbo était « la divine », Marlene est « l’impératrice ». Elle l’est parce qu’on ne l’imagine guère sans le costume d’apparat qui sied à la fonction dans The Scarlet Empress (L’Impératrice rouge, 1934), évidemment, ou dans Dishonored (X27, 1931), Shanghai Express (1932), Blonde Vénus (1932), The Devil Is a Woman (La Femme et le pantin, 1935), tous de Josef von Sternberg. Il en va de même sous la direction d’autres réalisateurs : Rouben Mamoulian (Song of Songs [Cantique d’amour], 1933), Frank Borzage (Desire [Désir], 1936), Jacques Feyder (Knight without Armor [Chevalier sans armure], 1937), William Dieterle (Kismet, 1944), ou Orson Welles (Touch of Evil [La Soif du mal], 1958), où elle retrouve le costume de son personnage de Golden Earings (Les Anneaux d’or, Mitchell Leisen, 1947). Si Sternberg a façonné son personnage, au point d’affirmer, évoquant involontairement sans doute une célèbre formule de Flaubert, « Marlene n’est pas Marlene, c’est moi ! », en fait, le personnage existait à l’état naissant avant Sternberg – Der Blaue Engel (L’Ange bleu, 1930) est son quinzième film ! Il continuera d’exister après lui à l’écran, dans ses tours de chant et, souvent, dans la vie.

Un couple baudelairien

Maria Magdalena Dietrich, dite Marlene Dietrich, née à Berlin le 27 décembre 1901, a connu une longue carrière par rapport à la plupart des stars hollywoodiennes, tout particulièrement sa grande rivale Greta Garbo. Elle a incarné pendant plus de trente ans, à l’écran comme au music-hall, une image mythique et singulière de la femme, à la fois objet de culte amoureux et sujet lucide et dominateur.

Marlene Dietrich est la fille d’un officier de cavalerie. Son enfance à Weimar est à la fois protégée et marquée par la discipline. Elle manifeste très tôt des prédispositions pour le violon, mais doit abandonner l’espoir d’une carrière d’instrumentiste à la suite d’une maladie du poignet. Dans le Berlin en crise des années 1920, elle vit la bohème d’une jeunesse sans repères, jouant du violon dans les cinémas ou se produisant comme danseuse dans des tournées. Elle suit aussi des cours de théâtre avec un assistant de Max Reinhardt et débute au cinéma en 1923 (Der Kleine Napoleon [Le Petit Napoléon], Georg Jacoby), avant d’épouser l’année suivante un régisseur influent, Rudolf Sieber. Ses parures extravagantes, ses jambes et ses rôles provocants, parfois ambigus, la font remarquer. Des spectacles musicaux tels que Es liegt in der Luft, avec la très masculine Margo Lion, et des films comme Cafe Elektric (Filles d’amour, Gustav Ucicki, 1927) ou Prinzessin Olala (Princesse Olala, Robert Land, 1928) en font une vedette. Josef von Sternberg, frappé par la souveraineté de son regard, contrastant avec une très « vivante » sensualité, l’impose dans le rôle de Lola-Lola dans L’Ange bleu (1930), d’après le roman de Heinrich Mann. En l’espace de sept films, le metteur en scène va faire de la blonde et pulpeuse Allemande une star sophistiquée et « glamour », exhibant les tenues les plus troublantes et ambiguës : plumes, peau de gorille, robes drapées, fourrures, collants, smokings d’homme…

Parmi les admirateurs de Marlene, la majorité (surtout masculine) apprécie cette transformation, considérant que sa silhouette, dans L’Ange bleu, est encore lourde, sans grâce, trop « germanique ». C’est confondre un peu vite le personnage et l’actrice : lourdeur du corps et vulgarité font partie de l’entraîneuse Lola-Lola. Elles restent présentes dans certaines scènes de Morocco (Cœurs brûlés, 1930), où s’opère le remodelage de la star. Le point de vue, féminin (et féministe), de Louise Brooks rencontrant à Hollywood pour la première fois Marlene, « une jolie blonde bien en chair », est bien différent. « Ses beaux cheveux blonds étaient étroitement bouclés, elle portait une robe de gaze bleu ciel avec de lourds bas de soie allemands. À ma grande surprise, elle me dit bonsoir d’une voix chaude et amicale. Elle était encore tout à fait Lola-Lola de L’Ange bleu. Mais, à partir du moment où Cœurs brûlés fut distribué, toute ressemblance avec ce personnage magnifique s’évanouit à tout jamais. Dans la nouvelle Dietrich, si raffinée, il n’y avait plus trace d’heureuse vulgarité ou de générosité impulsive. Ses mouvements brutaux et dynamiques s’étaient atténués jusqu’à cette démarche majestueuse qu’elle avait entre les séances de pose photographiques. Elle n’osait plus jouer, de peur d’ouvrir ses yeux, à présent mi-clos et lourdement ombragés de faux cils. Et toute démonstration émotive eût nui à l’éclairage savant qui sculptait ses joues rondes… » Impitoyable, Louise Brooks conclut : « Chaque fois que je vois L’Ange bleu, je pleure un peu. »

Le couple cinématographique que forment durant cinq ans Marlene Dietrich et Josef von Sternberg mêle à une forme d’amour fou une étrange perversité, où voisinent fétichisme, ambiguïté sexuelle et masochisme. Une nouvelle écrite par Sternberg dans sa jeunesse, citée par Robert Benayoun, décrit un employé timide qui est fasciné par un mannequin de cire dans une vitrine, et rencontre bientôt une jeune femme, « réplique vivante de son idole ». Cette dialectique de l’idole sans vie et de la femme de chair est au cœur de la relation entre le Pygmalion et sa Galatée, comme elle demeurera la contradiction qui anime de bout en bout le mythe de Marlene.

Un personnage dédoublé

Dans X27, dans Shanghai Express, dans L’Impératrice rouge, le cinéaste s’emploie à magnifier la beauté de l’actrice, en recourant aux artifices de l’éclairage et du vêtement, en la fondant dans le décor, sans que la créature mythique cesse pour autant d’être une femme terrienne et charnelle. Dans La Femme et le pantin, d’après le roman de Pierre Louÿs, elle détruit moins ses deux amants qu’elle ne s’en prend à la vanité de leur code viril amoureux, tandis que dans Morocco, elle devient l’esclave d’un séduisant légionnaire au cœur dur. C’est dans Blonde Vénus que Sternberg touche au plus près l’opposition entre ses deux attitudes qui fonde le double personnage de Marlene. Pur objet de regard et de désir engoncé dans les costumes les plus inattendus – justifiant la description de la nouvelle Dietrich par Louise Brooks –, elle met le spectacle et la prostitution au service de l’amour conjugal et maternel. Sternberg joue merveilleusement de l’alternance entre la femme-décor et la femme d’intérieur dans des images qu’on croirait alors sortie d’un Heimat Film allemand. Pour lui, l’amour est à la fois une transformation de l’être aimé en objet de regard et l’acceptation du fait d’être statufié par le regard amoureux, pour la femme comme pour l’homme. « Ce qui est subversif dans la conception de Dietrich par Sternberg, écrit la critique féministe Molly Haskell, est qu’elle ne peut être enrôlée dans un camp idéologique-sexuel plutôt qu’un autre. Elle parodie les notions conventionnelles de l’autorité mâle et les règles du jeu sexuel sans détruire sa crédibilité en tant que femme. »

D’autres réalisateurs, après Sternberg, sauront magnifier le personnage de Marlene Dietrich sans l’affadir, comme Ernst Lubitsch (Angel, 1937), Billy Wilder (A Foreign Affair [La Scandaleuse de Berlin], 1948 ; Witness for Prosecution [Témoin à charge], 1957), Alfred Hitchcock (Stage Fright [Le Grand Alibi], 1950), Fritz Lang (Rancho Notorious [L’Ange des maudits], 1952). Son personnage ne cesse pourtant de devenir plus terrestre, jusqu’à la souillure physique (Destry Rides again [Femme ou démon], George Marshall, 1939) ou le corps à corps viril (Seven Sinners [La Maison des sept péchés], Tay Garnett, 1940). Marlene Dietrich perd en partie son originalité, rivalisant davantage avec d’autres femmes qu’avec la vanité masculine, lorsqu’elle incarne une entraîneuse ou une tenancière de saloon. Elle trouve son dernier rôle important dans Judgement at Nuremberg (Jugement à Nuremberg, Stanley Kramer, 1962). Dès 1937, elle avait refusé de revenir en Allemagne, malgré la demande pressante de Goebbels, avant de prendre la nationalité américaine et d’effectuer des tournées parmi les G.I.’s entre 1943 et 1945. Les Allemands ne le lui pardonneront qu’après 1960, à l’occasion d’un de ces tours de chant où Marlene devenait enfin son propre Pygmalion, et qu’elle allait poursuivre quelques années. Sa voix et son mythe illuminent le commentaire de The Black Fox : the True Story of Adolf Hitler (La Véritable Histoire d’Adolphe Hitler), montage de documents, qui remporte l’oscar du documentaire en 1962. Outre les documentaires qui lui sont consacrés, elle apparaît une dernière fois dans un film de fiction de David Hemmings en 1978, Just a Gigolo. Elle finit sa vie recluse et solitaire dans un appartement de l’avenue Montaigne à Paris. Elle s’éteint en 1992 et est inhumée à Berlin. [Joël Magny, « Marlene Dietrich (1901-1992) », Encyclopædia Universalis]


Dans une maison de rendez-vous parisienne, Anthony Halton rencontre une très belle et mystérieuse jeune femme, qui s’enfuit à la fin de la soirée. Plus tard, à Londres, il retrouve l’inconnue sous les traits de la respectable lady Maria Barker, épouse de lord Barker, homme politique très occupé. Maria est sur le point de suivre Anthony pour toujours ; mais lord Barker apprend la vérité et survient à temps pour persuader sa femme de revenir près de lui…

Dans les premières images, des représentants du Congrès américain survolent le Berlin en ruine de l’après-guerre. L’un d’eux commente l’aide américaine aux Berlinois en disant : « Donner du pain à celui qui a faim, c’est de la démocratie. Mais le faire avec ostentation, c’est de l’impérialisme. » Jean Arthur, missionnée pour vérifier la moralité des troupes d’occupation, découvre avec horreur les magouilles et la fraternisation entre occupants et occupés. Marlene Dietrich joue une ex-nazie reconvertie en chanteuse opportuniste, avec des dialogues pleins de sous-entendus sexuels avec un officier américain. Le film est un mélange de comédie insolente et de gravité, avec des scènes de Berlin en ruines filmées en 1947.

Eve est prête à tout pour prouver l’innocence de son ami Jonathan, surtout s’il s’agit de jouer la comédie. N’est-elle pas actrice ? Mais elle n’est pas la seule et le monde ressemble à un grand théâtre… Après un mélodrame en costumes d’époque, Under Capricorn, Hitchcock revient en cette fin des années 1940 à ses amours de jeunesse. Sa nouvelle œuvre a pour cadre Londres et s’inscrit dans la droite ligne des grandes comédies de sa période anglaise.

De tous les films de Welles, Touch of evil est sans aucun doute le plus noir, le plus cauchemardesque, encore plus kafkaïen que ne le sera Le Procès. La petite ville de Los Robles, une de ces bourgades frontières à mi-chemin entre les États-Unis et le Mexique, symbolise la corruption et la pourriture, physique et morale. On y assassine à la dynamite une puissance locale et sa compagne, on cherche à y vitrioler un policier et, à quelques kilomètres, le motel où se réfugie Susan est le lieu d’un véritable ballet diabolique où se mêlent la xénophobie, le sexe et la drogue.


Night Alter Night n’est pas resté dans l’histoire du cinéma comme un pur chef-d’œuvre, il s’agit même d’un film « nullissime » et tout à fait insignifiant. Pourtant, la dernière bobine de pellicule est marquée par la présence d’une femme qui a provoqué rien moins qu’une véritable révolution sexuelle dans la création artistique américaine.