HOWARD HAWKS
Son éclectisme l’a longtemps fait considérer comme l’un de ces excellents artisans hollywoodiens, capables de filmer n’importe quelle histoire, de s’adapter à toutes sortes de sujets, et de se plier aux exigences commerciales des grands studios californiens. Il est vrai que de The Road to Glory (L’ombre qui descend, 1926) à Rio Lobo (1970) Howard Hawks a tourné des westerns, des comédies, des films policiers, des films de guerre, des comédies musicales et même une superproduction à l’antique, sans parler d’un film de science-fiction de Christian Nyby, The Thing (La Chose d’un autre monde, 1951), dont il a entièrement supervisé la réalisation…
LECTURE ET RÉVISION
Au début des années 1950, les jeunes critiques français, qui avaient pour tribune Les Cahiers du cinéma ou l’hebdomadaire Arts, s’avisèrent que l’œuvre de Howard Hawks offrait une remarquable cohérence thématique et stylistique, et que le cinéaste avait lui-même produit la plupart de ses films. C’est à eux, indéniablement, que Howard Hawks doit d’avoir été reconnu comme l’un des grands auteurs du cinéma américain. Ces critiques voyaient en effet en lui un moraliste classique, une sorte de Corneille américain dont les films illustraient un humanisme aristocratique et viril. En 1954, François Truffaut devait ainsi écrire : «Son œuvre se divise en films d’aventures et en comédies. Les premiers font l’éloge de l’homme, célèbrent son intelligence, sa grandeur physique et morale. Les seconds témoignent de la dégénérescence et de la veulerie de ces mêmes hommes au sein de la civilisation moderne».
Pour avoir tiré Howard Hawks de l’indifférence et l’avoir placé au premier rang des cinéastes américains, François Truffaut et ses amis méritent sans conteste la reconnaissance des cinéphiles. Il n’est pas assuré, au demeurant, que leur « lecture » ait été la bonne. Dans un assez retentissant numéro « révisionniste » des Cahiers du cinéma, dix ans plus tard très exactement, Jean-Louis Comolli fera observer que, dans l’œuvre de celui qu’il appelle « le plus secret humoriste du siècle », il est abusif de distinguer comédies et films d’aventures. Selon Comolli, en effet, les films d’aventures de Howard Hawks ne sont rien moins que cornéliens et délivrent une vision de l’homme tout aussi sarcastique que celle que dispensent ses comédies, son intelligence suprême ayant été de donner le change en œuvrant à l’intérieur de genres généralement voués à l’héroïsme comme le western : « Hawks, de toute la distance qui le sépare de ses héros et de ses films, doit s’amuser beaucoup». [La grande histoire illustrée du 7ème art – Editions Atlas – 1982]
IRONIQUE ET CRUEL
Né le 30 mai 1896 à Goshen, dans l’Indiana, Howard Winchester Hawks a piloté des voitures de course et des avions avant de faire carrière dans le cinéma. Et, pourtant, il fait ses débuts dès 1917 en assurant la réalisation des dernières scènes d’un film interprété par Mary Pickford, The Little Princess. Tout en satisfaisant à sa passion pour la mécanique, il fréquentait déjà les milieux cinématographiques californiens, travaillant comme accessoiriste à la Famous Players Lasky pendant ses vacances universitaires.
Lorsqu’il est engagé sous contrat par William Fox, en 1925, et qu’il réalise The Road to Glory (L’ombre qui descend), son premier film, Howard Hawks peut se targuer d’une solide expérience professionnelle, ayant dirigé le département « scénarios » de la Paramount et contrôlé personnellement la production de plusieurs films.
Ce n’est toutefois qu’avec son second film, Fig Leaves (Sa Majesté la femme, 1926), que le cinéaste révèle cette ironie volontiers cruelle qui sera la constante majeure de son œuvre. Il s’agit d’une comédie allégorique dont la misogynie ne laisse pas d’être réjouissante: c’est avec une singulière alacrité que Howard Hawks nous raconte comment Ève, insatisfaite des conditions vestimentaires que lui offre le paradis, se retrouve au XXe siècle et tombe entre les mains d’un grand couturier new-yorkais, à qui elle inspire ses plus extravagantes créations. Le film décrit également de façon fort incisive les relations qui unissent la jeune femme à son mari, un honnête et brave Adam passablement dépassé par les exigences de son épouse : « J’ai simplement essayé de dire que les gens n’ont guère changé et qu’ils sont les mêmes aujourd’hui ». déclarera Howard Hawks au sujet de ce film qui annonce ses meilleures comédies.
Peu charitable à l’endroit des femmes, le cinéaste l’est moins encore lorsqu’il traite des attitudes de l’homme vis-à-vis du beau sexe. Loin d’être source de rédemption, l’amour n’est le plus souvent, pour l’homme, que source de dégradation : tel est le thème que Howard Hawks va illustrer dans la plupart de ses comédies, de Twentieth Century (Train de luxe, 1934) à Bringing up Baby (L’Impossible Monsieur Bébé, 1938), de His Girl Friday (La Dame du vendredi, 1940) à Man’s Favorite Sport (Sport favori de l’homme, 1964), qui présentent une stupéfiante galerie de personnages masculins que la femme pousse aux extrémités du ridicule, voire de l’abjection, comme dans Twentieth Century où le héros interprété par John Barrymore n’hésite pas à recourir au plus honteux simulacre (celui de sa propre mort) pour récupérer celle qui l’a abandonné, une comédienne brillamment incarnée par Carole Lombard. [La grande histoire illustrée du 7ème art – Editions Atlas – 1982]
L’ENNEMI DE L’HOMME
L’erreur de perspective commise par les premiers admirateurs de Howard Hawks ne pouvait que les conduire à sous-estimer ces comédies qui, selon eux, n’étaient que le pendant « négatif » de ses films d’aventures, considérés comme « positifs ». En réalité, les comédies de Howard Hawks constituent bel et bien l’axe de son œuvre : c’est en elles que s’expriment avec le plus de clarté les différentes facettes d’une vision du monde que l’on ne peut qualifier de « classique » que dans la mesure où elle s’apparente à celle des moralistes les plus cyniques et les plus caustiques du XVIIe siècle. Contrairement à ce que pensait François Truffaut, la dégénérescence et la veulerie des personnages masculins sont loin d’être seulement le fait de la civilisation moderne : elles pèsent sur l’homme en tant que tel, ainsi que le démontrent ces deux chefs-d’œuvre que sont Monkey Business (Chérie, je me sens rajeunir, 1952) et Gentlemen Prefer Blondes (Les hommes préfèrent les blondes, 1953).
Que la femme soit le principal ennemi de l’homme, c’est ce qui ressort, de toute évidence, de cette étincelante comédie musicale portée à l’écran par Howard Hawks. Tiré d’un roman célèbre d’Anita Loos, l’argument nous conte les aventures de deux danseuses de cabaret dont l’une court les milliardaires tandis que l’autre jauge les hommes à l’aune de leur musculature, et qui parviendront toutes les deux à leurs fins après des péripéties d’une franche immoralité.
Dans Gentlemen Prefer Blondes, les hommes ne sont que de grotesques pantins entre les mains de ces deux trépidantes aventurières respectivement interprétées par Marilyn Monroe et Jane Russell, à l’exception, toutefois, d’un étonnant gamin qui porte sur leurs manigances un jugement d’une extraordinaire lucidité, « le plus adulte de tous », comme Howard Hawks le fera lui-même remarquer.
Mais l’un des films les plus importants de ce bien surprenant cinéaste demeure sans doute Monkey Business, dont l’implacable logique caricaturale évoque, selon Jean-André Fieschi, celle de Swift. Le thème de la régression y est développé d’une manière particulièrement loufoque : inventeur d’un élixir de jouvence, un savant américain (Cary Grant) expérimente involontairement sur lui ainsi que sur sa propre épouse (Ginger Rogers), les effets de son invention. Le résultat, c’est une sorte de tableau de l’évolution à rebours, l’homme adulte retournant au niveau simiesque en passant, à vitesse accélérée, par tous les stades d’une dégradation dont la drôlerie est empreinte de noirceur.
Entre l’homme et l’animal, il est d’ailleurs permis de se demander si Howard Hawks, à tout prendre, ne préfère pas le second. Telle est, en tout cas, l’impression que donne Hatari ! (1962), l’œuvre la plus riche et la plus complexe qu’il ait peut-être réalisée. Dans ce film où des chasseurs de grands fauves africains, capables d’affronter victorieusement les plus grands dangers, se conduisent comme des enfants attardés dès qu’une femme entre en jeu, les animaux occupent peu à peu une place quasi prépondérante, que souligne en outre une malicieuse partition de Henry Mancini. La comparaison entre l’homme et l’animal, dans Hatari !, n’est pas tout à fait à l’avantage du premier. Gérard Blain, qui fut le partenaire de John Wayne dans ce film, devait du reste raconter que, pendant le tournage, Howard Hawks prenait manifestement beaucoup plus de plaisir à filmer les girafes ou les éléphants que les protagonistes de cette farce grinçante aux trompeuses apparences d’épopée cynégétique. [La grande histoire illustrée du 7ème art – Editions Atlas – 1982]
UN PESSIMISME TRAGIQUE
L’humaine bestialité, représentée sous une forme comique dans Monkey Business, était pure tragédie dans Scarface : Shame of a Nation (1932), film pour lequel Howard Hawks a toujours gardé une préférence.
La prédilection de Howard Hawks pour Scarface atteste l’idée profondément pessimiste qu’il se faisait de la condition humaine. La violence, qui devait lui inspirer, avec Sergeant York (1941), une parabole des plus ambiguës sur la guerre, était volontiers associée, chez lui, à la volonté de puissance. A cet égard, Land of the Pharaohs (La Terre des Pharaons, 1955) aurait pu être l’une de ses œuvres les plus significatives, tant le thème en est spécifiquement « hawksien ». C’est en effet l’histoire d’un monarque égyptien qui, ivre d’orgueil et soumis à l’influence perfide d’une maîtresse prête à tous les mensonges et à tous les crimes pour assouvir sa cupidité, va forger son propre malheur. Cette espèce de fascination de la mort, symbolisée par la construction de la Grande Pyramide, n’est sans doute, pour Howard Hawks, que l’ultime degré de la régression, son pessimisme n’étant tempéré par aucune perspective eschatologique.
La beauté du sujet et la participation de William Faulkner au scénario ont longtemps abusé les cinéphiles français. Malheureusement, Land of the Pharaohs, comme l’admettait parfaitement Howard Hawks lui-même, est une œuvre ratée et même, parfois, passablement ridicule. Dans un entretien publié dans Les Cahiers du cinéma, en janvier 1963, le cinéaste avouait : « Je n’aime guère le film. J’ignore comment parle un pharaon. Et Faulkner ne le savait pas davantage. Personne ne le savait. »
D’autre part, le Cinémascope lui avait posé des problèmes insurmontables : « Je ne trouve pas le Cinémascope satisfaisant. Il ne vaut que pour montrer de fastes masses en mouvement. Pour le reste, il distrait l’attention, empêche de se concentrer, rend très difficiles les effets de montage. (…) Je préfère les proportions 1 x 1,85, celles que nous avons employées pour Rio Bravo et Hatari !, ça vous donne juste un peu d’espace sur les côtés. Si les dimensions du Cinémascope étaient satisfaisantes, les peintres les auraient utilisées depuis des années – et ils sont tout de même dans le métier depuis plus longtemps que nous. »
CONNOTATIONS HOMOSEXUELLES
La question du style est capitale. Si Howard Hawks n’aime pas le Cinémascope, c’est parce qu’il filme l’homme en tant que tel, et que son environnement naturel ou historique n’a pour lui qu’une importance secondaire. Il utilise admirablement le plan rapproché et le plan moyen dans ses films les moins négatifs, c’est-à-dire ceux où l’homme limite les risques de déchéance en se réfugiant dans une activité professionnelle qui l’oblige à se maintenir à son plus haut niveau physique et moral possible, et en évitant de tomber dans les rêts de la femme, ce qui est rarement le cas. Alors, mais alors seulement, l’homme a quelque chance de donner le meilleur de lui-même, comme dans Only Angels Have Wings (Seuls les anges ont des ailes, 1939), superbe film d’aviation interprété par Cary Grant, Richard Barthelmess, Jean Arthur et Rita Hayworth, et dont les héros sont constamment sur une ligne de crête où le moindre écart peut les faire irrémédiablement chuter.
Déjà, dans l’admirable A Girl in Every Port (Poings de fer, cœur d’or, 1928), une extraordinaire garce incarnée par Louise Brooks menaçait de briser l’amitié de deux rudes marins au long cours (Victor McLaglen et Robert Armstrong), ces derniers ne trouvant leur salut qu’en envoyant la fille au diable.
S’il y a tant de connotations homosexuelles dans des films comme The Big Sky (La Captive aux yeux clairs, 1952) ou Red Line 7000 (Ligne rouge 7000, 1965), c’est que Howard Hawks n’a jamais cessé de rêver, en définitive, à un monde sans femme où l’homme, uni à l’homme par une communauté de fonction et d’action, échapperait enfin totalement à ses tentations. Ce rêve trouve une manière de réalisation dans Air Force (1943), film exclusivement masculin qui exalte l’accord absolu de l’homme et de la machine, leur rigoureuse interdépendance. Ainsi que l’écrit Jean-Louis Comolli, « alors que, dans les autres films d’aviation de Hawks, la machine était un moyen pour l’homme d’affronter le monde et de se posséder lui-même, elle devient ici le monde de l’homme », On peut dire que, dans l’œuvre de Howard Hawks, Air Force est le seul film qui puisse être légitimement qualifié d’épique. [La grande histoire illustrée du 7ème art – Editions Atlas – 1982]
SENTIMENT DE DÉRISION
Mais c’est tout de même un sentiment de dérision qui l’emporte à la vision de la plupart de ses films, parmi lesquels The Big sleep (Le Grand Sommeil, 1946) et Rio Bravo (1959) jouissent de la plus haute considération.
Adapté par William Faulkner, Leigh Brackett et Jules Furthman d’un roman de Raymond Chandler, The Big Sleep est un film noir d’une acidité exceptionnelle où les méandres de la plus ténébreuse des intrigues, loin de faire valoir le héros de Chandler idéalement incarné par Humphrey Bogart, ne révèlent guère, au contraire, que son impuissance à maîtriser les forces maléfiques qui se déchaînent autour de lui.
Quant au shérif de Rio Bravo, auquel John Wayne prête son impressionnante stature, il est encore plus ambigu. En effet, s’il réussit à débarrasser sa petite ville des malfaiteurs qui la terrorisent, c’est pour mieux se couvrir de ridicule en se laissant rouler dans la farine par la jeune femme qui a jeté son dévolu sur lui. On dirait même que Howard Hawks, comme pour souligner les limites des conventions héroïques attachées au western, lui décochait ses sarcasmes les plus féroces : c’est d’ailleurs indéniablement la comédie qui l’emporte sur le drame, dans Rio Bravo, en dépit des fusillades et d’une tension magnifiquement orchestrée.
C’est donc à contresens que l’œuvre de Howard Hawks a pu être comparée à celles de John Ford ou de Raoul Walsh : elle n’a ni la générosité unanimiste de l’une ni l’espèce de puissance tellurique de l’autre. Sèche, distante et ironique, elle n’en séduit pas moins par une intelligence dont l’acuité s’exprime dans un art qui allie l’économie des moyens à la subtilité du discours. [La grande histoire illustrée du 7ème art – Editions Atlas – 1982]
Niciun comentariu:
Trimiteți un comentariu