duminică, 9 octombrie 2022

IN A LONELY PLACE – Nicholas Ray (1950)

 



LE FILM NOIR / https://moncinemaamoi.blog/2022/10/09/in-a-lonely-place-le-violent-nicholas-ray-1950/

IN A LONELY PLACE (le Violent) – Nicholas Ray (1950)

Si Nicholas Ray est reconnu pour son intégrité et sa sensibilité rares, en particulier avec les acteurs, aucun de ses films n’est plus abouti ni plus profond que In a Lonely Place (Le Violent). Parmi les deux douzaines de longs métrages qu’il a réalisés, chacun contient des scènes inoubliables, à commencer par Rebel Without a Cause (La Fureur de vivre, 1955). Mais plus d’un demi-siècle plus tard, c’est In a Lonely Place qui sort le plus nettement du lot et garde le plus de vitalité.

Humphrey Bogart y incarne Dixon Steele, alias « Dix », un scénariste talentueux dont la carrière a été freinée par un penchant pour la boisson et un tempérament belliqueux. Interrogé par la police sur le meurtre d’une jeune femme, il parvient si bien à se mettre dans la peau d’un tueur et se montre si brutal dans ses déclarations qu’il éveille les soupçons, même s’il n’est pas arrêté, faute de preuves. « Je m’en vais, dit-il aux policiers, à moins que vous n’envisagiez de m’arrêter pour manque d’émotion. »

De l’autre côté de la cour vit une actrice, Laurel Gray (Gloria Grahame). Le soir du meurtre, elle a vu Dix en compagnie de la victime. Elle a perçu des bribes de leur conversation au sujet d’un projet de scénario, puis a entendu la jeune femme partir après minuit, témoignage qui sert d’alibi au suspect. L’un des enquêteurs (Frank Lovejoy) est un ancien camarade de régiment de Dix qui considère ce dernier comme un génie. Sa foi inébranlable en l’innocence de son ami, mise en doute par son supérieur en charge de l’enquête, renforce la conviction de Laurel. Car il existe un léger doute, même dans son esprit, quant à savoir si la victime était seule lorsqu’elle est sortie de chez Dix. Mais Laurel se fie à son intuition et tombe amoureuse de lui.

Dix a beau être un homme froid et contrariant quand la police le harcèle, il devient humain et chaleureux en compagnie de Laurel. Ses transformations, comme celles de la jeune femme constituent les ressorts de l’intrigue. Sceptique, le capitaine de police poursuit son enquête sur Dix, ce qui le soumet à une terrible pression psychique, bien que son amour pour Laurel l’inspire pour écrire. Le projet qui lui semblait être une histoire à l’eau de rose le soir où il en a discuté avec la victime a germé dans son esprit. (Selon de nombreuses sources, ses fameux vers qui commencent par « Je suis né quand elle m’a embrassé » n’étaient pas dans le script, mais ont été ajoutés par Ray.) Cependant, sa tendresse masque une facette effroyablement sombre de sa personnalité. L’extrême capacité d’observation qui lui permet de si bien percevoir les autres le rend également paranoïaque et diabolique quand il veut quelque chose, devine une motivation ou cherche à déceler un mensonge. En amour, il est la proie de ces trois impulsions. Laurel en a un avant-goût lorsqu’il la bombarde de questions incessantes. Elle est ensuite terrifiée par la violence que Dix – agacé par les policiers – manifeste un soir à l’encontre d’un automobiliste qui lui barre le passage. Le cri qu’elle pousse le ramène à la raison alors qu’il est à deux doigts de tuer cet inconnu. Malgré son amour pour lui, Laurel décide alors de le quitter. Trop effrayée pour refuser, elle accepte sa demande en mariage tout en se préparant à fuir. Lorsque Dix l’apprend, il se jette sur elle pour essayer de l’étrangler, scène qui constitue le point d’orgue du film.

Le scénario d’Andrew Soit est si bien ficelé qu’au fur et à mesure des événements, il est possible de réévaluer les scènes précédentes sans recourir au flash-back. Ayant vu Dix se comporter envers la victime avec la gentillesse bourrue qui est l’une des marques de fabrique de Bogart, le spectateur est convaincu qu’il ne peut être coupable de meurtre. À moins que… ? Comme Laurel, nous ne sommes pas persuadés qu’elle ait quitté seule son appartement. Il se pourrait que Dix soit coupable et que nous fassions comme elle preuve d’aveuglement. Ou alors ? Nous pourrions être au cœur d’une tragédie digne d’Othello. Notre héros pourrait être innocent, mais avoir libéré son potentiel meurtrier. Dans le roman de Dorothy B. Hughes, Dix étrangle réellement Laurel, ce qui était également prévu dans le scénario de Solt.

Pourtant, Ray imagine un tout autre dénouement. « Je ne peux pas faire une telle chose », confie-t-il à ses collaborateurs au sujet de la strangulation. « Je ne peux tout simplement pas. Les histoires d’amour ne se terminent pas forcément comme ça. Les mariages ne s’achèvent pas forcément ainsi. Ils ne sont pas obligés de finir dans la violence. » Il parle en connaissance de cause, puisqu’il est marié à Gloria Grahame, dont il se sépare sans bruit durant le tournage. (Ils se remettront ensemble par la suite, mais c’est une autre histoire.) Leurs émotions mitigées et leur discrétion réciproque lui donnent la force de montrer l’effondrement beaucoup plus profond du couple, assurant ainsi la postérité du film. Tous ceux dont on a déjà brisé le cœur ou qui ont brisé celui d’un autre se reconnaîtront dans le dénouement obsédant que nous propose Nicholas Ray[Film Noir 100 All-Time Favorite – Paul Duncan, Jürgen Müller – Edition Taschen – (2013)]


Comment un cycle de films américains est-il devenu l’un des mouvements les plus influents de l’histoire du cinéma ? Au cours de sa période classique, qui s’étend de 1941 à 1958, le genre était tourné en dérision par la critique. Lloyd Shearer, par exemple, dans un article pour le supplément dominical du New York Times (« C’est à croire que le Crime paie », du 5 août 1945) se moquait de la mode de films « de criminels », qu’il qualifiait de « meurtriers », « lubriques », remplis de « tripes et de sang »… Lire la suite


Connue l’indique son titre In a Lonely Place est un film noir original, triste et romantique malgré son intrigue policière brutale située dans une sorte de demi-monde douteux, avec des personnages colorés . Comme la plupart des films de Nicholas RayIn a Lonely Place traite de l’aliénation, de l’effort, de l’échec et de la destruction. L’amour sincère et passionné de Steele et Laurel ne peut véritablement modifier le cours des choses ; pas plus que l’action positive qu’ils exercent l’un sur l’autre. S’ils réussissent à se sortir, momentanément, du cynisme et de la dépression, ils retomberont dans la solitude malgré leur générosité et leur désir de s’entraider.

Pour Ray le monde est assombri par le manque de confiance ; c’est une maladie qui ronge ceux mêmes qui semblent les plus aptes à résister de par leur ouverture aux autres. C’est d’ailleurs la candeur même de Steele qui déclenchera partiellement l’ère des soupçons quand il dévoilera à Laurel l’aspect noir de sa personnalité.

Que le manque de confiance de Laurel finisse par tourner à la méfiance puis à la trahison, est rendu compréhensible par la structure du film. Jusqu’à la fin, le spectateur ne peut, lui non plus, être certain de l’innocence de Steele et finit par partager les doutes de Laurel et son étonnement devant sa double personnalité : charmant et attentionné, il peut aussi devenir mystérieusement brutal. La culpabilité de Steele et son angst donnent aux scènes d’amour et de sexualité une fragilité prévisible.

Malgré son caractère violent et cru, il y a aussi dans In a Lonely Place une veine naturaliste, exprimée surtout dans la peinture des deux héros amoureux mais qui ont, depuis longtemps, perdu leur innocence. On n’y trouve ni clairs de lune ni yeux humides comme dans les traditionnelles romances hollywoodiennes. Quand Steele dit à Laurel que l’amour est pour lui exactement cela – un type qui prépare son pamplemousse à une fille qui a les yeux encore gonflés de sommeil – il révèle un petit côté prolétaire. Steele est, fondamentalement, un romantique déchu qui se trahit dans cette réplique : « Je suis né quand tu m’as embrassé. Je suis mort quand tu m’as quitté. J’ai vécu quelques semaines quand tu m’as aimé ».

Au début du film, la conscience de l’inanité de son succès passé ajoute à l’angoisse de ses échecs présents. Si Laurel réussit à le sauver temporairement, c’est qu’elle le détourne d’une angoisse existentielle aiguë, exprimée par sa violence suicidaire. Dans la vision noire de Ray, des pulsions aussi destructrices court-circuitent l’élan sexuel et créateur. A l’image de ses scénarios exagérément mélodramatiques, Steele est un héros noir ballotté entre un passé brillant mais manquant de chaleur affective et un futur incertain, incapable d’établir une continuité dans sa vie, si ce n’est avec l’aide de Laurel. Il est bien, littéralement et métaphoriquement, seul. La dernière image, où Steele et Laurel se tournent le dos, les ramène à leur isolement. [Encyclopédie du film Noir – Alain Silver et Elizabeth Ward – Ed Rivages (1979)]


En apportant, dans le système hollywoodien, une vision romantique et désespérée de l’Amérique, Nicholas Ray s’est imposé comme l’un des auteurs les plus originaux de la génération d’après-guerre. Obsédé par la crise de la civilisation américaine et fasciné par la jeunesse, ce cinéaste romantique et écorché a laissé une œuvre qui, rétrospectivement, paraît singulièrement prémonitoire. Méconnu dans son propre pays, il est resté un mythe exemplaire pour bon nombre de cinéastes européens;


« Avant que l’inertie ne s’installe, il [Bogart] a joué un personnage d’une complexité fascinante, habilement réalisé par Nicholas Ray, dans un film dont le titre définissait parfaitement l’isolement de Humphrey parmi les gens. In a Lonely Place lui a donné un rôle qu’il pouvait jouer avec complexité car la fierté du personnage pour son art, son égoïsme, son ivresse, son manque d’énergie poignardé de coups de foudre de violence, étaient partagés également par le vrai Bogart. » Louise Brooks. Sight and Sound, hiver 1966/67, volume 36 numéro 1, « Humphrey et Bogey ».



L’HISTOIRE

Ecrivain et scénariste, Dixon Steele (Humphrey Bogart) ne trouve plus de travail à Hollywood à cause de son alcoolisme et de son caractère belliqueux. Un soir, il invite chez lui une fille qui s’occupe du vestiaire dans un bar pour lui raconter l’histoire de son dernier livre dont il voudrait faire un film. Elle lui fait du charme mais il refuse gentiment ses avances et la renvoie chez elle en taxi. Le lendemain, on la retrouve morte, son corps portant de violentes traces de coups. Steele est immédiatement suspecté et interrogé par la police mais sa nouvelle voisine, Laurel Gray (Gloria Grahame), affirme qu’elle a vu la fille repartir seule en sortant de chez lui. Steele est relâché bien qu’on continue à le soupçonner. Steele et Laurel finissent par tomber amoureux l’un de l’autre. Elle le pousse à se remettre au travail et Steele reprend confiance en lui. Mais son tempérament violent et jaloux ainsi que les continuels soupçons de la police affectent Laurel et sapent sa confiance en Steele ; elle se met à le suspecter. Ne se sentant plus soutenu, Steele devient de plus en plus violent et irascible. Elle lui promet de l’épouser mais est, en fait, terrifiée par lui. Le jour fixé pour les noces, elle tente de quitter la ville. Dans un accès de fureur meurtrière, il veut l’étrangler mais la sonnette du téléphone retentit. C’est la police ; l’assassin est le fiancé jaloux de de la fille du bar qui vient de passer aux aveux. Mais la nouvelle arrive trop tard. La méfiance et la violence ont séparé Steele et Laurel à jamais.


Les extraits


Smoking blanc, œillet à la boutonnière et verre de whisky à la main, dans le cabaret de Casablanca (1942), il égrène des souvenirs douloureux : le film, un des plus populaires au monde, a fait de Humphrey Bogart l’incarnation du romanesque hollywoodien dans ce qu’il a de meilleur. Borsalino sur l’œil, trench-coat serré, Bogart se passe dubitativement le pouce sur la lèvre. Un genre (le film noir), une époque (les années 1940) pourraient se réduire à cette icône.

Il y a quelque chose d’impassible dans son regard, son menton s’avance de manière royale. Elle ne peut pas être à notre portée. Mais ce n’est qu’un aspect de son numéro d’aguicheuse. Elle régalera d’un rire cristallin ou d’un trait d’esprit celui qui osera s’approcher. Malheureusement, ce dernier s’enfuit toujours, à peine s’est-il rendu compte de son désespoir.



« Ce n’est pas un film de gangsters, un récit sordide de sang et de misère, précise Nicholas Ray à ses producteurs, pour son premier film, mais l’histoire d’amour de deux jeunes gens qui n’ont jamais été correctement présentés au monde. » Terrifiés par le pamphlet social qu’ils sentent en filigrane (l’action se situe dans les années 30, en pleine crise économique), les responsables du studio RKO repoussent, remanient, censurent le scénario.

Ce film, que les années ont transformé en « western classique », certains le considéraient en son temps comme un « faux western », ou bien comme un « super western », le genre n’étant là que prétexte pour mieux déguiser un manifeste contre le maccarthysme. Avoué ou implicite, le critère de jugement est la fidélité au western.

L’œuvre de Nicholas Ray offre quelques réussites éblouissantes, dont le charme emporte les réserves que peuvent parfois susciter des conventions trop voyantes ou des facilités de scénario. Moins maîtrisé que le violent Johnny Guitar, moins constamment lyrique que l’envoûtant Wind across the everglades (La Forêt interdite), Party Girl (Traquenard), reste un de ses plus fascinants chef-d’ œuvre, grâce à la présence irradiante de Cyd Charisse, au comble de sa beauté.



GLORIA GRAHAME DANS DARK CITY (LE MONDE PERDU DU FILM NOIR)

Lorsqu’un flic ou un gangster avait besoin de réconfort ou d’un rencard payant, il partait faire un tour à The Retreat, une boîte de blues du quartier chaud où un gars pouvait savourer une bière à 35 cents tout en regardant des divertissements plus exotiques. A l’arrière, dans un box en cuir rouge, la reine déchue de ce monde interlope attend à jamais que quelqu’un vienne tenir sa promesse. Il y a quelque chose d’impassible dans son regard, son menton s’avance de manière royale. Elle ne peut pas être à notre portée. Mais ce n’est qu’un aspect de son numéro d’aguicheuse. Elle régalera d’un rire cristallin ou d’un trait d’esprit celui qui osera s’approcher. Malheureusement, ce dernier s’enfuit toujours, a peine s’est-il rendu compte de son désespoir.

Cette reine déchue, dans les films comme dans la vie réelle, était Gloria Grahame. Née Gloria Hallward en 1923 à Los Angeles, elle descendait de familles royales anglaises et écossaises. En 1944, Louis B. Mayer lui donna son nouveau nom en espérant peut-être en faire une déesse à la Greta Garbo, mais il ne comprit pas que Grahame ne pouvait entrer dans ce genre de moule : elle préféra devenir une impératrice accessible. Blonde Pever l’introduisit de manière prophétique : « Tu es destinée à rendre fous les hommes sages. » Elle se spécialisa d’abord en femme sensuelle et torride, tempérée d’un zeste d’étourderie. Elle apprenait son Shakespeare, mais s’ils voulaient qu’elle roule des hanches et batte des paupières comme une vamp, après tout, pourquoi pas ?

Sa première incursion à Dark City fut dans It’s a Wonderful Life (La Vie est belle), première et unique incursion de Frank Capra, réalisateur optimiste s’il en est, dans les rues de la ville (ne serait-ce que pour un quart d’heure terrifié). Elle jouait Violet Bick, une fille gentille et sexy qui, dans la vision cauchemardesque révélée par l’ange à Jimmy Stewart, devient la sombre pute de Pottersville. Elle fit forte impression, pour le meilleur et pour le pire. Elle raffermit sa position – d ‘actrice et d ‘entraîneuse – grâce à une nomination aux Oscars pour Crossfire (Feux croisés) : call-girl solitaire, elle est piégée dans une enquête sur un meurtre. Pour le réalisateur Edward Dmytryk, elle était « sacrément fêlée ». Pas de doute, il y avait de quoi devenir dingue quand on avait une formation de théâtre classique, un sens de l’humour acerbe, un esprit curieux et le désir d’incarner Lady Macbeth, mais qu’on se retrouvait enfermée dans des piaules aux papiers peints graisseux.

Pour Gloria, la seule manière de se tirer de Dark City aurait été de s’arranger pour jouer le rôle convoité de Billie Dawn dans l’adaptation de la Columbia de Born Yesterday (Comment l’esprit vient aux femmes), comédie à succès de Broadway. Tout s’écroula lorsque Howard Hughes, qui s’amusait comme un gosse à la tête de la RKO, refusa de la libérer de son contrat. Judy Holliday remporta le rôle et l’Oscar ; et Gloria dut se contenter de jouer une fille sexy dans la maison de jeu de Macao (Le Paradis des mauvais garçons). Elle connut le succès dans des seconds rôles de grands films tels que The Bad and the Beautiful (Les Ensorcelés)The Greatest Show on Earth (Sous le plus grand chapiteau du monde) et Oklahoma !, mais le grand rôle qui la ferait enfin exploser ne cessait de lui échapper. Dark City devint son adresse permanente : A Womans Secret (Secret de femmes), In a Lonely Place (Le Violent)Sudden Fear (Le Masque arraché)The Big Heat (Règlement de comptes)Human Desire (Désirs humains)Naked Alibi (Alibi meurtrier)Odds Against Tomorrow (Le Coup de l’escalier) plantent une galerie de femmes instables mais séduisantes, qui veulent toutes échapper au carcan d’un monde d’hommes, mais n’y arrivent jamais, piégées par leurs doutes et leurs névroses.

Dans sa vie personnelle, Grahame poursuivit le genre d’hommes difficiles et déterminés auxquels elle s’accrochait dans ses films, mais chacune de ses relations explosait lorsque ces hommes se révélaient aussi instables qu’elle. Elle se maria et divorça quatre fois, et eut une série d’amants plus longue que sa filmographie. George Englund, producteur et soupirant précoce de Gloria, expliqua son caractère insatiable et indomptable : « Avez-vous déjà vu une portée de chatons qui mangent dans des écuelles ? Il y en a toujours un qui relève la tête et regarde dans les autres écuelles par curiosité, et qui finit par bousculer les autres pour voir si c’est mieux chez eux. C’était ça, Gloria.»

Sa vie commença à prendre les mêmes teintes noires que ses films, et vice-versa. Son premier rôle de star, face à Humphrey Bogart dans In a Lonely Place, aurait dû faire d’elle une vedette de premier plan. Mais à Hollywood, la qualité de l’interprétation n’était jamais aussi intéressante que la vie privée de l’actrice ou de l’acteur. Son mariage avec Nicholas Ray, le réalisateur, tournait au vinaigre ; et pour satisfaire les producteurs, elle dut signer un contrat stipulant qu’elle se conformerait à toutes les exigences de Ray sur le plateau. Le film, méditation amère sur des rapports condamnés, était une métaphore à peine voilée de leur couple à la dérive. Ils se séparèrent en 1951, lorsque la curiosité féline de Gloria se traduisit par une liaison avec Anthony Ray, le fils de treize ans de son mari, issu d’un précédent mariage. Cet incident lui valut la réputation d’être, certes, impliquée professionnellement mais surtout déséquilibrée sur le plan personnel (vers vingt ans, Tony allait devenir le quatrième et dernier mari de Gloria, mais leur union ne dura pas) .

Au cours des années 1950, les producteurs continuaient à exploiter son sex-appeal, mais son apparence se mit à la travailler. Elle subit un grand nombre d’interventions chirurgicales sur sa lèvre supérieure, s’efforçant d’améliorer sa moue rebondie qui, pensait-elle, apportait énormément à sa séduction. Elle se mit à la musculation dans l’espoir de faire grossir sa poitrine que, contrairement à sa bouche, elle ne mutila pas au bistouri. Malgré tous ses efforts, le temps réclama son tribut. Les gars qui traînaient à The Retreat commencèrent à l’ignorer, au profit de gibier plus jeune. Sur scène, elle repoussa l’inévitable jusque dans les années 1970, où elle se mit à brader les restes de son image sexy dans des films d’horreur vulgaires. Elle passa ses dernières années à combattre le cancer à sa manière quelque peu narcissique, refusant catégoriquement tout traitement qui altérerait son apparence physique. Elle mourut en 1981, à cinquante-sept ans, d’un choc septique après qu’un médecin lui eut crevé les tripes en essayant de drainer son estomac malade. Ce fut une vie triste, mais pas tragique. Elle laissa, dans le quartier de Dark City où elle vivait, un legs unique, dont les lignes les plus poignantes du film noir dans la bouche d’Humphrey Bogart (dans In a Lonely Place) : « Je suis né quand tu m’as embrassé. Je suis mort quand tu m’as quitté. J’ai vécu quelques semaines quand tu m’as aimé [Dark City, Le monde perdu du film noir – Eddie Muller – Rivages Ecrits / Noirs (2015)]

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