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miercuri, 29 iulie 2020
1. Preston Sturges (1898-1959) / LADY EVE (1941)
STURGES (Edmond P. Biden, dit Preston)
scénariste et cinéaste américain (Chicago, Ill., 1898 - New York, N. Y., 1959).
Né dans une de ces grandes familles bourgeoises dont il ne cessera dans ses scénarios et dans ses films de dénoncer le ridicule et la frivolité, il délaisse les cosmétiques féminins auxquels sa famille le destine, pour devenir inventeur, puis écrivain. Après le succès théâtral de Strictly Dishonorable (1929), Hollywood lui ouvre ses portes. C'est Thomas Garner (William K. Howard, 1933), dont la structure narrative riche de retours en arrière et le sujet même annoncent Citizen Kane de Welles, qui établit avec force son originalité. Il écrit d'excellents scénarios, acides et drôles, déjà remplis de ces nababs excentriques et infantiles, de ces ingénues calculatrices, de ce petit monde américain qui sera le sien quand il viendra à la réalisation. La Bonne Fée (W. Wyler, 1935), Vie facile (M. Leisen, 1937), Remember the Night (id., 1940) sont sans doute, au titre de scénariste, ses plus grands titres de gloire. Il réussit alors à persuader les responsables de la Paramount de le laisser diriger un film. Gouverneur malgré lui et le Gros Lot, productions modestes, sans grandes vedettes, eurent, en 1940, un succès inattendu et, en l'espace de quelques mois, Preston Sturges devint l'un des réalisateurs les plus importants d'Hollywood et l'un des plus chers. Son œuvre se compose de huit productions Paramount qui lui apportent une brève mais éclatante renommée, puis de quatre productions indépendantes aux fortunes diverses et aux succès beaucoup moins probants qui l'obligent à terminer sa carrière en France, dans un relatif oubli.
Les onze films américains de Preston Sturges suffisent à faire de lui un des plus grands maîtres de la comédie américaine. Il mêle avec une virtuosité malicieuse les trouvailles de dialogue et les gags visuels pour atteindre, dans le genre comique, à une plénitude presque unique. Ses comédies sont très bavardes, très mouvementées et complètement folles. Les personnages extravagants sortent de nulle part, tel ce roi du hot-dog en grand chapeau qui vient jouer les bonnes fées pour Claudette Colbert (Madame et ses flirts, 1942), ces héros qui se dédoublent en jumeaux (encore Madame et ses flirts), ces petites pestes précoces et perverses (Diana Lynn dans Miracle au village, 1944) ou ces couards grandioses (Héros d'occasion, id.). Par son refus d'une logique traditionnelle, par son goût du bizarre, par son agressivité, le monde de Preston Sturges est proche de celui de Tex Avery.
Brève, son œuvre est pourtant riche et complète. Après deux films un rien languissants (pour lui) pendant lesquels il fait ses classes, il signe quatre chefs-d'œuvre réalisés en moins de trois ans (Un cœur pris au piège, Madame et ses flirts, Miracle au village, Héros d'occasion), un film-testament (l'admirable et profond Voyages de Sullivan), un échec de prestige (The Great Moment), trois films maudits (Quel mercredi !, 1947, stupéfiante analyse du comique de Harold Lloyd ; Infidèlement vôtre, 1948, une des comédies les plus originales, les plus neuves et les plus audacieuses qui se puissent voir ; Mamzelle Mitraillette, 1949, au Technicolor éblouissant et qui reste le film de Sturges où sa parenté avec le dessin animé est la plus évidente), et, enfin, un échec final assez discret (les Carnets du Major Thompson, 1955, qui contient pourtant des idées amusantes de distribution [Martine Carol, Jack Buchanan et Noël-Noël]).
Avec la méticulosité d'un Flaubert et la précision maniaque d'un Feydeau, Preston Sturges nous a livré un catalogue de la folie ordinaire qui est l'une des plus belles pages du cinéma hollywoodien des années 40.
Films :
Gouverneur malgré lui (The Great Mc. Ginty, 1940) ; le Gros Lot (Christmas in July, id.) ; Un cœur pris au piège(The Lady Eve, 1941) ; les Voyages de Sullivan(Sullivan's Travels, id.) ; Madame et ses flirts (The Palm Beach Story, 1942) ; Miracle au village (The Miracle of Morgan's Creek, 1944) ; Héros d'occasion (Hail the Conquering Hero, id.) ; The Great Moment (id.) ; Quel mercredi ! (Mad Wednesday, 1947) ; Infidèlement vôtre(Unfaithfully Yours, 1948) ; Mamzelle Mitraillette (The Beautiful Blonde From Bashful Bend, 1949) ; les Carnets du Major Thompson (FR, 1955).
De retour de la jungle brésilienne où l’avait conduit sa passion des serpents, Charles (Henry Fonda), scientifique célibataire, embarque sur le paquebot où l’attendent un redoutable trio d’escrocs, spécialisés dans les tours de cartes. Lui-même en connaît quelques-uns, assez pour se croire la main chanceuse quand ses arnaqueurs le laissent gagner. Ceux-ci, comme nombre de personnes sur le bateau, y ont foulé le pied spécifiquement pour le rencontrer - en raison de sa réputation d’héritier d’une grande marque de bière. Pour ce garçon rêveur venant de passer une année en Amazonie, l’argent coule littéralement à flot (manière également de conserver la sympathie à qui le détrousse : il est impossible de le saigner vraiment à blanc). Jean (Barbara Stanwyck), chargée de le séduire et le pousser à jouer auprès de son père (Charles Coburn), tombe amoureuse de ce garçon sage, en tous points dissemblables à elle. Faisant échouer une à une les tentatives de son paternel de plumer son fiancé, elle scelle une alliance... que le prétendant, découvrant l’identité de la voleuse, rompt d’une cruelle manière. Amère et bouleversée, la délaissée prépare une revanche, qui s’avérera une reconquête. Le coup bas était encore l'expression d'une attraction (« I need him like the ax needs the turkey. »)
Si Les Voyages de Sullivandemeure le plus célèbre classique de Preston Sturges, celui-ci aura réalisé la même année ce qui est son chef-d’œuvre. The Lady Eve est la contribution de Sturges à ce que Stanley Cavell, se penchant en détail et avec un enthousiasme particulier sur ce titre, appelle la comédie de remariage. Il s’agit bien pour l’héritier du houblon, ophiologue de son état, incarné par un Henry Fonda d’une troublante candeur, conquis par l’arnaqueuse de haut vol interprétée par Barbara Stanwyck, de sceller à nouveau, après découverte de l’identité et du passé de l’intéressée, un mariage avec celle-ci. Au mariage comme acte institutionnel, décret de la société, doit succéder l'acquiescement autonome, la réunion de deux parties émancipées. Ce renouvellement de l’union passe, comme le veut le genre, par l’humiliation du mari, répondant à une faute préalable par dédain moral. Mêlant le slapstick à la sophistication verbale, Sturges ponctue son trajet sentimental de purs instants burlesques. Chutes et éclaboussures ne manquent pas, obéissant à une logique rédemptrice où regarder son épouse en égale implique pour lui de faillir d’un piédestal. Images et métaphores (post)édéniques ne manquent pas plus pour illustrer cet humain rabaissement. Dans le canon de la comédie de remariage, le film se distingue cependant par l’étrangeté caractérisée de son intrigue, fondée sur un quiproquo identitaire à la fois invraisemblable sur le plan de la dramaturgie et vecteur d’une profonde vérité psychologique.
Jean, pour se venger, entend gagner sous une autre identité le cœur du nigaud... celle d’une aristocrate anglaise se présentant au domaine où il réside, sans changer quoi que ce soit à son apparence, sinon l’apparat vestimentaire et un faux accent british. Charles ne peut (ou plutôt ne veut) la reconnaître. Elle ressemble trop à son ex pour être elle. Son déni prend des proportions délirantes dans la rationalisation. Par un procédé aussi simple et aberrant, c’est toute la quête amoureuse, la répétition du même sous l’apparat de la nouveauté, un fond psychanalytique d’obsession pour l’image primitive ou platonicien de recherche de l’âme perdue, que le film laisse affleurer. Le plus étonnant étant que l'entier de son entourage (à l'exception de l'instance supposée constamment parer à sa naïveté sous la forme d'un laquais mi-tuteur mi-détective) "achète" également son accent grotesque et sa biographie bidon. De là un discours d’une étonnante virulence sur le jeu social, où la distinction, le rang valable, n’est affaire que de déguisement, de jeu de rôle, fondamentalement de mensonge (éhonté au besoin), sinon à soi, à tout le moins au reste d’un groupe. Le plan marche à merveille, ils sont mariés en deux semaines. Ce qui permet la sanction (une nuit de noces se retournant en un chapelet, visiblement interminable, d’anciennes relations énumérées au désarroi croissant du jaloux), aussitôt regrettée dès qu'infligée.
Ce qui pourrait s'en tenir à un marivaudage improbable prend dans les mains de Sturges, n’ayant pourtant jamais l’air d’y toucher, un conte philosophique doublé d’un enchantement plastique. Le sens de la composition dont il fait preuve cadre une réflexion sur la nature de la projection amoureuse, se permettant dans un écrin classique, à la mise en scène en principe invisible, des effets étonnants rendus, par une maestria frontale, acceptables... tel ce brouillage subjectif de la vision d’un homme littéralement aux pieds de sa partenaire (le floutage, effet plutôt malheureux dans une dispensable scène de tribunal des Voyages de Sullivan, trouve ici un emploi à la parfaite évidence). Il y a, plus que du glamour, une dimension sexy, directe et désarmante au jeu de séduction qu’il met en place. Au-delà de l’enjeu financier, ce qui met à mal, avant même son départ, l’équilibre d’un mariage tient ici à une disparité érotique (pour le dire vite, l’écart d’expérience flagrant entre l’amant et l’amante, au détriment du premier). L’animalité de chacun est au cœur du film, ne se privant pas d’un bestiaire à la symbolique proche de l’obscène (un serpent dont elle a la phobie, un cheval dérangeant de ses coups de tête leur idylle face à un paysage renvoyant à l'idéal d’un rapport sublimé). La conscience nous permet-elle de nous comporter différemment que des animaux ? se demande Charles, cherchant en lui une compréhension que son tempérament à cet instant lui refuse. Une position magnanime, un acte d'acceptation, mis au défi par les nerfs, des libidos, la glaise dont est faite l'animal humain.
En dépit de ce que son titre aux résonances bibliques, de l’image (en cartoon dès le générique) du reptile, pourraient laisser suggérer, jamais The Lady Eve ne fixe l’animal d’un côté de la barrière du genre. Dès l’ouverture en un éden tropical que l’explorateur quitte, son illusion d’être au-dessus de son propre corps est dévoilée : tandis qu’il se réjouit d’avoir passé une année en compagnie d’hommes habités comme lui par la passion du savoir, l’un d’entre eux fait ses adieux, colliers de fleurs à l’appui, à l’indigène dont il a visiblement profité. Ce n’est du reste pas lui, mais sa fiancée, qui a la terreur des ophidiens (lui en a fait la passion d’une vie). Sturges ne manque pas de déséquilibrer à maintes reprises ce qui ferait une démonstration caricaturale : tout naïf qu’il est, il a également connaissance de mauvais tours aux cartes... il n’est simplement pas au niveau de ses adversaires. Pas matérialiste pour un sou, il échoue cependant à voir les conditions qui lui permettent, à lui et non à elle, de se comporter honnêtement sans que cela n’implique de dilemme. Ce qui est en jeu pour le candide est la reconnaissance d'un privilège, l'accueil conséquent de la magnanimité - il a beau croire, il ne vaut pas mieux qu'elle (quand ils reçoivent une pomme sur la tête en montant l'échelle d'une croisière, tous les corps chutent). Et pas moins non plus (ironie finale du remariage : il est déjà marié, mais elle aussi).
Sturges, issu par ses parents d’une rencontre entre le monde de la haute culture européenne (la légende veut que sa mère ait rappelé à Isadora Duncan, proche amie, l'écharpe qui l'étrangla à la roue de son auto quelques minutes plus tard) et celui de l’entrepreneuriat courant les opportunités du nouveau monde, qui aimait à affecter l'inculture quand il était plus cultivé qu’à peu près quiconque à Hollywood, réfléchit tout au long d’une œuvre impertinente, s’évertuant (selon le principe élémentaire du satiriste) à paraître moins maligne et informée qu’elle ne l’est, sur les conditions matérielles d’une culture, la sublimation par un imaginaire embelli d’une réalité crue, jusqu’à un certain point indépassable. Raison pour laquelle il préférait au discours esthète celui des gens de divertissement ne revendiquant pas de chercher autre chose que ce qu’ils obtiennent parfois : du profit. Le paradoxe salutaire est qu’il fut, ce faisant, un immense esthète, autant qu’un penseur valable (et nullement réductionniste) de ce qu’est et de ce qui fait une culture. Ce paradoxe intenable, il ne le tiendra précisément pas. Ses grands films réalisés, Sturges disparaît rapidement des radars créatifs. The Lady Eve, par la brillance d'une mise en scène éclairant les recoins de psychés désirantes, est là pour en témoigner : aussi fort et sincèrement qu’il ait désiré être (et n'être rien de plus qu') un artisan de l’amusement, il se sera révélé dans cette recherche, et en payant le prix, comme un artiste authentique. Pour lui non plus, l'arnaque n'aura pas prise. "Let us be crooked but never common." =======================================
Avec The Lady Eve (Un cœur pris au piège, 1941), le cinéaste a l’occasion de diriger les stars Barbara Stanwyck et Henry Fonda dans une des plus brillantes comédies américaines qui fait se marier deux tonalités auparavant opposées par le genre : la sophistication et le burlesque. Sturges trouve son style, celui de la madcap comedy, c’est-à-dire la comédie échevelée dont la structure et la tenue empêchent de verser dans le décousu.
A travers une invraisemblable histoire de doubles aux évidentes connotations bibliques (H. Fonda est un herpétologue, Barbara Stanwyck s’invente une jumelle qui s’appelle Eve, elle lui jette une pomme à la tête à leur première rencontre… ), Sturges renouvelle profondément le topos du milliardaire amoureux de l’aventurière. Il traduit la déchéance du héros qui vit par deux fois la même aventure avec la même femme sans s’en apercevoir – exploit important – par une série de chutes qui, si elle rappelle celle du premier homme, évoque surtout le premier genre comique du septième art. [Preston Sturges ou le génie de l’Amérique – Marc Cerisuelo – PUF – 2002]
1940 sera une année particulièrement faste pour Preston Sturges, qui vient de faire des débuts retentissants comme metteur en scène. Au mois d’octobre, il donne le premier tour de manivelle de son troisième film, The Lady Eve (Un cœur pris au piège), alors même que sa première œuvre, The Great McGinty (Gouverneur malgré lui), vient tout juste de faire une sortie triomphale sur les écrans. Entretemps, il a encore réalisé Christmas in July (Le Gros Lot), avec pour vedettes Dick Powell et Ellen Drew. En effet, enthousiasmés par The Great McGinty, les responsables de la Paramount n’ont pas attendu que le film soit distribué pour confier à Sturges la mise en scène d’un autre de ses scénarios…
Succès aidant, Sturges aura droit pour The Lady Eve à une distribution prestigieuse. Henry Fonda sera prêté pour la circonstance par la 20th Century-Fox ; il doit avoir pour partenaire Paulette Goddard, star de la Paramount. Mais cette dernière déclarera forfait et sera remplacée au dernier moment par Barbara Stanwyck.
Fait exceptionnel dans la carrière de Sturges, qui écrivait toujours lui-même ses sujets, le scénario de The Lady Eve est tiré d’un récit de Monckton Hoffe (qui se verra d’ailleurs à cette occasion nommé pour l’Oscar du meilleur sujet). Toutefois, Preston Sturges apportera une touche très personnelle à son adaptation, s’inspirant notamment d’une aventure cocasse qui lui est arrivée un jour. Rencontrant à sa porte son ex-femme, il échangea plusieurs phrases avec elle sans tout d’abord la reconnaître…
Ce troisième film lui vaudra encore les suffrages du public. Les critiques voient alors en Sturges le nouveau maître de la comédie brillante et sophistiquée, à l’instar de Lubitsch. L’éblouissante interprétation d’Henry Fonda et de Barbara Stanwyck est également pour beaucoup dans les louanges décernées au film. Leur talent comique est salué comme une révélation, bien que l’un et l’autre aient alors une grande expérience de la comédie. Ils ont d’ailleurs déjà tourné ensemble dans le très curieux The Mad Miss Manton (Miss Manton devient folle, 1938), dirigé par Leigh Jason.
Fonda pour sa part a brillamment démontré ses aptitudes dans The Moon’s Our Home (Le Diable au corps, 1936), aux côtés de Margaret Sullavan. Mais les critiques ont la mémoire courte et se souviennent surtout de sa création dramatique de The Grapes of Wrath (Raisins de la colère, 1940) de John Ford. Il créera dans The Lady Eve un inoubliable personnage de jeune milliardaire timide et emprunté, perdant tous ses moyens devant les femmes et déclenchant par ses maladresses une avalanche de gags cocasses. il se taillera un tel succès que la Fox le fera aussitôt jouer dans cinq autres comédies.
Dans son film précédent, Remember the Night (1940), Barbara Stanwyck a incarné, sous la direction de Mitchell Leisen, une voleuse impénitente qui bénéficie de la mise en liberté provisoire – sous la tutelle d’un séduisant procureur (Fred McMurray) – à l’occasion des fêtes de Noël (un scénario déjà signé Preston Sturges). Elle sera à nouveau une aventurière – rachetée par son amour pour le jeune et timide héritier – dans The Lady Eve. Un rôle tout en or, où elle peut déployer tout son charme. On se souviendra notamment de la scène irrésistible où elle parodie les manières et le langage d’une aristocrate anglaise (conseillée en l’occurrence par une spécialiste, l’actrice britannique Heather Thatcher) .
Après cette brillante performance, Barbara Stanwyck retrouvera encore une fois Henry Fonda dans une comédie de la Columbia : You Belong to Me (Tu m’appartiens, 1941). La même année, elle incarne une pétulante chanteuse de cabaret qui initie un distingué philologue (Gary Cooper) aux subtilités du « slang » dans Ball of Fire (Boule de feu) de Howard Hawks. Avec tout l’abattage et la fantaisie qui ont séduit les spectateurs de The Lady Eve.
Lors de la sortie de The Lady Eve, les critiques ont été sensibles au ton extravagant, voire absurde, du récit, au mélange insolite de trouvailles sophistiquées et de gags burlesques. Howard Barnes, du New York Tribune, verra dans le film « un chef-d’ œuvre du non-sens ». Pour Bosley Crowther, du New York Times, Preston Sturges a élevé l’absurde au rang d’œuvre d’art : « On n’avait pas vu un tel feu d’artifice, une anthologie aussi éblouissante du non-sens depuis lt Happened One Night (New York-Miami, 1934). La comparaison est peut-être téméraire, mais les réussites comme The Lady Eve sont trop rares pour que l’on mesure trop prudemment ses propos. »
Aujourd’hui encore, le film n’a rien perdu de sa vivacité ni de son mordant. La meilleure preuve en est le laborieux remake réalisé en 1956 par Norman Taurog : The Birds and the Bees (Millionnaire de mon cœur). Il Y manquait l’inimitable style de Preston Sturges, sa légèreté pétillante et son ironie caustique.
L’HISTOIRE
A bord d’un transatlantique, Jean Harrington (Barbara Stanwyck), aventurière sans scrupule, s’efforce d’attirer l’attention de Charles Pike (Henry Fonda), un héritier milliardaire. La glace sera rompue grâce à un croc-en-jambe adroit. En compagnie de son père, « colonel » Harrington (Charles Coburn), tricheur professionnel comme elle, Jean s’apprête à « plumer » le trop naïf « pigeon » au cours d’une partie de cartes truquée, sous l’œil soupçonneux de Muggsy Murgatroyd (William Demarest), le garde du corps de Charles. Mais la jeune femme tombe amoureuse de la victime qu’elle a choisie. Elle veut tout lui avouer.
Cédant aux instances de son père et de son complice et associé Gerald (Melville Cooper), elle accepte d’attendre la fin du voyage pour révéler la vérité à Charles. Mugsy met le jeune homme en garde contre Jean et lui dévoile sa véritable personnalité. C’est la rupture. Jean a juré de se venger. Quelque temps plus tard, elle se rend à la réception donnée par les Pike, se faisant passer pour Lady Eve Sidwich, une aristocrate anglaise. Lady Eve tient les invités sous son charme. Charles, qui est présent, est à nouveau séduit, mais, voué aux catastrophes, il trébuche sur un meuble. Écartant les soupçons provoqués par cette extraordinaire ressemblance, il demande la main de lady Eve. Pendant leur lune de miel, Jean lui inflige le récit du prétendu passé amoureux de lady Eve. Bouleversé, Charles demande le divorce. Mais Jean n’ira pas jusqu’au bout de sa vengeance. Refusant l’argent de Charles, dont elle est toujours amoureuse, elle veut tout lui expliquer.
PRESTON STURGES : LE RIRE ET LA DÉRISION
Aussi brillant metteur en scène que scénariste, Preston Sturges va renouveler la comédie américaine. Son humour s’exercera souvent aux dépens de l’« american way of life ».
A sa naissance, le 29 août 1898, dans le quartier irlandais de Chicago, Preston s'appelle Edmond P. Biden, le fils d'un modeste représentant de commerce. Trop modeste d'ailleurs aux yeux de son épouse Mary qui a d'autres ambitions pour son fils et elle-même. Alors que Preston est encore tout petit, elle l'emmène dans ses nombreux voyages en Europe où elle entretient de très amicales relations avec Isadora Duncan, danseuse célèbre et controversée à l'époque.
En 1902, Mary divorce et épouse Solomon Sturges, un riche boursier qui adopte Preston et lui donne son nom. Désormais, Preston Sturges vit la moitié de l'année la vie de bohème de sa mère - à Paris en particulier où il étudie au lycée Janson de Sailly - et l'autre moitié à Chicago auprès d'un père qu'il admire et dont il s'efforcera toujours d'acquérir l'extraordinaire sens des affaires.
Puis, Mary divorce à nouveau et se remarie... En 1914, à seize ans, Preston est assistant metteur en scène d'" OEdipe-Roi ", le spectacle qu'lsadora Duncan présente à New York. Ensuite, il crée une fabrique de cosmétiques, fait la guerre dans l'aviation, retourne à la fabrique, invente un rouge à lèvres qui ne tache pas, se marie, fait faillite, se retire à la campagne, fait breveter des inventions qui resteront sans lendemain, divorce et, doucement, s'achemine vers la misère. En 1927, au bout du rouleau, il va demander conseil à son père adoptif: celui-ci lui donne quelque argent et lui procure des vêtements ' Mais Preston est épuisé, malade et doit se faire hospitaliser pour une appendicite.
Désormais, sa vie va prendre un autre cours. A l'hôpital, il se met à écrire. Ses deux premières pièces sont des succès à Broadway. Il est appelé à Hollywood par la Paramount. Il y acquiert très vite la réputation d'un excellent scénariste et d'un brillant dialoguiste. Il traverse les années 30 en travaillant avec des cinéastes comme William Wyler, Rouben Mamoulian, Mitchell Leisen, Frank Lloyd...
En 1940, il réussit à convaincre la Paramount de le laisser réaliser son premier film, Gouverneur malgré lui, qui recevra l'Oscar du meilleur scénario. Le succès est immédiat et, en quatre ans, Sturges réalise huit films, autant de triomphes dont il est l'auteur total, statut exceptionnel à l'époque. On voit en lui le brillant successeur d'Ernst Lubitsch et de Frank Capra. Ses films sont des satires drôles et acerbes de l'establishment hollywoodien, des moeurs politiques, des genres cinématographiques dont il bouscule les règles.
Mais le succès et l'autorité de Sturges lui valent beaucoup de jalousie et d'inimitiés. En 1942, il tint son propre rôle dans Au pays du rythme (Star Spangled Rhythm, George Marshall). En 1944, il quitte la Paramount et s'associe avec Howard Hugues pour produire ses films. Oh! Quel mercredi, où Harold Lloyd faisait sa rentrée, est un échec public, tout comme les deux derniers films que Sturges réalisa à Hollywood. De plus, il n'a vraiment pas le sens des affaires de son père adoptif et jette J'argent par les fenêtres...
Sturges, se sentant honni par la Mecque du cinéma, part en Europe et s'installe à Paris. Il n'y trouvera plus qu'une occasion de tourner un film, adapté d'un best-seller de Pierre Daninos Les carnets du major Thompson réunissait Martine Carol et Noël-Noël. Preston Sturges est mort le 6 août 1959 à Paris.
FILMOGRAPHIE :
1940
Gouverneur malgré lui
(The great McGinty)
Alors que la ville est en pleine élection, Dan McGinty, client à la soupe populaire, se voit proposer, par un acolyte du maire Tillinghast, de prendre la place d'électeurs morts dans plusieurs bureaux de vote contre deux dollars pour chaque voix déposée. Il revient voir le politicien corrompu qui l'a engagé avec 37 bulletins et reçoit 74 dollars. Impressionné par sa performance, le «Boss» l'engage comme encaisseur pour les rackets qu'il organise. Fort en gueule et peu scrupuleux, McGinty se distingue par les résultats inespérés qu'il obtient auprès des mauvais payeurs. Le jour où il s'avère que l'équipe sortante du maire, trop corrompue, ne sera pas réélue, le «Boss» a l'idée de présenter un «homme neuf» que personne ne connaît et McGinty se retrouve maire de la ville. Puis, les femmes votant désormais et n'aimant pas les célibataires, on organise son mariage blanc avec sa propre secrétaire, Catherine. Mais Catherine et McGinty tombent amoureux l'un de l'autre et la jeune femme infléchit petit à petit la morale de son mari. Et lorsque, poussé par les affairistes qui se trouvent derrière lui, McGinty se présente et est élu gouverneur de l'État, il décide de faire quelque chose pour combattre les taudis, la misère et l'exploitation des travailleurs. Il est aussitôt arrêté pour une affaire de pots-de-vin à l'époque où il n'était que maire. Grâce à la complicité d'un politicien, McGinty et le «Boss» prennent la fuite et se réfugient dans un petit pays d'Amérique Centrale.
1940
Le gros lot
(Christmas in July). Avec : Dick Powell (Jimmy MacDonald), Ellen Drew (Betty Casey), Raymond Walburn (Docteur Maxford), Alexander Carr (M. Shindel), William Demarest (M. Bildocker), Ernest Truex (M. J.B. Baxter), Franklin Pangborn (Don Hartman, l'annoceur radio), Harry Hayden (M. E.L. Waterbury, chef de bureau). 1h07.
Jimmy Mac Donald est un doux rêveur qui s'imagine déjà avoir gagné la somme de 25 000 dollars à un concours de slogans organisé par une marque de café. Trois de ses collègues de travail lui font une farce d'un fort mauvais goût, en envoyant un télégramme lui annonçant être le fameux gagnant...
(The Lady Eve). Avec : Henry Fonda (Charles 'Hopsie' Pike), Barbara Stanwyck (Jean Harrington / Lady Eve Sidwich), Charles Coburn (Colonel Harrington), Eugene Pallette (Horace Pike), William Demarest (Ambrose 'Muggsy' Murgatroyd), Eric Blore (Sir Alfred McGlennan Keith - 'Pearlie'), Melville Cooper (Gerald), Martha O'Driscoll (Martha), Janet Beecher (Janet Pike). 1h27.
Charles Pike, grand chasseur de papillons et fils d'un richissime roi de la bière americain, rencontre sur le bateau qui le ramene à New York la fatale beauté Jean Harrington en quête d'un mari. Mais si Charles connait bien les papillons, il connait mal les femmes, en particulier celle-ci qui le mene en bateau.
1941
Les voyages de Sullivan
(Sullivan's Travels). Avec : Joel McCrea (John L. Lloyd 'Sully' Sullivan), Veronica Lake (la fille), Robert Warwick (M. Lebrand), William Demarest (M. Jones), Franklin Pangborn (M. Casalsis), Porter Hall (M. Hadrian), Byron Foulger (M. Johnny Valdelle). 1h30.
John L. Sullivan, cinéaste, assiste à la projection d'un film avec ses producteurs. La dernière scène montre une lutte entre deux hommes, symbolisant la lutte du travail et du capital. Après la projection, Sullivan (auteur de comédies jusqu'alors) déclare qu'il doit d'abord apprendre la pauvreté et la misère avant d'entreprendre son prochain film " 0 Frère, où es-tu ?". Il veut réaliser des oeuvres plus " significatives". Habillé en clochard, il commence ses " voyages". Après avoir échappé à deux soeurs solitaires vivant dans une ferme isolée, il rencontre une jeune fille, starlette aux espoirs déçus, qui retourne chez elle. De retour aux studios, il entreprend un autre voyage avec sa nouvelle compagne. Ils vivent la vie des clochards, prenant des trains en marche, dormant dans des asiles de nuit, découvrant un autre monde... celui de la misère et de la souffrance. Enrichi par cette dernière aventure, Sullivan décide de distribuer des billets de 5 dollars à ces malheureux. Mais, à la suite de quiproquos, il est envoyé dans un camp de travail, dans les marais. Une vie de cauchemar commence pour lui, c'est l'enfer. Pourtant, un soir, lors d'une projection cinématographique organisée pour les bagnards, il découvre que les gens veulent rire avant tout. De retour à Hollywood, il va chercher à communiquer ce rire (la communion et la chaleur humaine) dans ses films.
1942
Madame et ses flirts
(The Palm Beach Story). Avec : Claudette Colbert (Geraldine 'Gerry' Jeffers), Joel McCrea (Tom Jeffers / Capitaine McGlew), Mary Astor (La Princesse Centimillia), Rudy Vallee (John D. Hackensacker III dit 'Snoodles'), Sig Arno (Toto), Robert Warwick (M. Hinch, du Ale and Quail Club), Arthur Stuart Hull (M. Osmond), Torben Meyer (Docteur Kluck), Jimmy Conlin (M. Asweld, du Ale and Quail Club)
La belle Gerry Jeffers constate que Tom et elle, cinq ans après leur mariage, ne sont pas loin de la faillite - financière du moins, car ils s'aiment encore. Que faire pour aider son mari, un inventeur dont les projets laissent perplexes les financiers ? L'argent tout est là ! Elle le comprend encore mieux quand le Roi de la Saucisse, petit vieux charmant et dur d'oreille qu'elle croise par hasard, lui donne une liasse de dollars. Elle propose à Tom d'user de sa silhouette pour rabattre le milliardaire qui débloquerait la situation, Pas question, dit-il ! Elle passe outre, préfère une séparation temporaire et part pour la Floride, paradis des riches. Le voyage en train est mouvementé : elle est en effet devenue la mascotte du club de la Bière et de la Caille, Un groupe de chasseurs bénéficiant d'un wagon spécial, avec chiens et fusils, prêts à tous les excès, surtout quand ils ont bu Elle leur échappe de justesse et tombe sur plus intéressant : John D. Hackensacker III, milliardaire désabusé qui dépense littéralement sans compter, puisqu'il note tout sur un petit carnet mais n'additionne jamais. John est séduit par Gerry; il lui fait connaître la Princesse, sa soeur, mangeuse d'hommes flanquée de sa présente conquête, Toto, qui parle une langue connue d'elle seule. Tom réagit et, aidé lui aussi par le Roi de la Saucisse, rejoint Gerry qui le fait passer pour son frère devant John et la Princesse. Cette dernière le dévisage avidement, prête à oublier Toto sur le champ... Gerry obtient de l'argent de John pour son "frère " l'inventeur. Seul problème: alors que le milliardaire chante une sérénade (coûteuse avec grand orchestre !) sous sa fenêtre, Gerry tombe à nouveau dans les bras de Tom, lis avouent tout aux Hackensacker. John maintient la subvention. même s'il a le coeur gros. La Princesse se sent un peu frustrée, elle aussi. Mais Tom et Gerry annoncent qu'ils sont tous deux jumeaux et que leurs répliques sont libres. Cela suffit pour former - temporairement - trois couples heureux !
1944
Miracle au village
(The Miracle of Morgan's Creek)
1944
Héros d'occasion
(Hail the Conquering Hero)
1944
The great moment
1947
Oh ! Quel mercredi
(The Sin Harold Diddlebock/Mad Wednesday).
Harold, ancien champion de football, perd son travail. Désespéré, il s'arrête dans un bar en ville pour boire et oublier son désarroi. Quand il se réveille, deux jours plus tard, il n'a plus aucun souvenir de ce qui lui est arrivé ces dernières 48h... et le voilà propriétaire d'un cirque !
1948
Infidèlement vôtre
(Unfaithfully Yours). Avec : Rex Harrison (Sir Alfred De Carter), Linda Darnell (Daphne De Carter), Rudy Vallee (August Henshler), Barbara Lawrence (Barbara), Kurt Kreuger (Anthony), Lionel Stander (Hugo Standoff), Edgar Kennedy (Détective Sweeney), Al Bridge (Le détective de la maison), Julius Tannen (O'Brien, le tailleur). 1h47.
Chef d'orchestre, Sir Alfred De Carter est heureusement marié à la belle Daphne. Mais, au retour d'une tournée en Europe, il sent poindre en lui un sentiment de jalousie, nourri par l'attitude d'August, son beau-frère, qui a pris la liberté de faire suivre Daphne en son absence. Alfred refuse de lire le rapport remis par Sweeney, le détective, et qui suggère que Daphne pourrait s'être compromise avec Anthony, le secrétaire de Sir Alfred. De plus en plus troublé, celui-ci rend visite à Sweeney, qui s'avère être un de ses admirateurs et qui lui communique les résultats de son enquête. Le soir même, alors qu'il dirige l'ouverture de " Sémiramis " de - Rossini ", Alfred imagine de se venger et conçoit un plan très élaboré : il tue Daphne à coups de rasoir et Anthony est accusé du meurtre. Tout réussit parfaitement, mais ce n'était là qu'une création de l'esprit et Alfred se retrouve à la tête de son orchestre, dirigeant cette fois-ci l'ouverture de " Tannhauser ", qui lui inspire un autre rêve, où il se voit pardonnant à Daphne et la laissant même partir avec son amant. Quant à " Francesca Da Rimini ", de Tchaïkovski, qu'il dirige ensuite, elle lui inspire une séance de roulette russe, qui tourne mal pour lui. A la fin du concert, désormais convaincu de l'infidélité de Daphne, il rentre à l'hôtel et tente de réaliser le plan imaginé au début de la soirée. Mais il échoue lamentablement. Il passe alors à la deuxième alternative, mais il ne peut signer le chèque que, grande âme, il voulait remettre à Daphne pour qu'elle parte avec son amant. En désespoir de cause, il tente d'impliquer son épouse dans une partie de roulette russe. Là encore, il se ridiculise. Et Daphne, comprenant que son mari est assailli par le doute, dissipe en quelques mots tous ses soupçons : elle lui a en effet toujours été entièrement fidèle...
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