duminică, 21 iunie 2020

Garde à vue / film français de Claude Miller, sorti en 1981


Garde à vue est un film français de Claude Miller, sorti en 1981. Il a été nommé à huit reprises lors de la 7e cérémonie des César pour quatre récompenses finalement (dont celui du meilleur acteur pour Michel Serrault et pour le meilleur scénario).
Scénario: Claude Miller, Jean Herman, Michel Audiard (dialogues)
Acteurs principaux: Lino Ventura, Michel Serrault, Romy Schneider, Guy Marchand.

9 avril 2012
GARDE A VUE de CLAUDE MILLER

 

Au cœur d'un huis clos situé quelque part en France dans les bureaux de la PJ une nuit de la Saint-Sylvestre, Jérôme Martineau, notaire, interprété par Michel Serrault, s’escrime contre l’inspecteur Gallien (Lino Ventura). Appelé à témoigner sur le viol et l’assassinat de deux fillettes, le notable cynique et sans histoires se transforme en suspect numéro un. L’enquête en elle-même, dont on peut critiquer le dénouement un peu parachuté des cinq dernières minutes, n’est en fait qu’un formidable alibi pour visiter les arrières cuisines d’une petite bourgeoisie de province dévorée par sa médiocrité, sa mesquinerie et son vide humain. Une société que mai soixante-huit n’a pas changée d’un poil : les mêmes sauteries mondaines ankylosées par les mêmes conventions, la même génération de garces bien élevées paradant aux bras des mêmes bons partis  qui les gavent de fourrures véritables et de séjours à Ibiza.

Cependant, tandis qu’un Claude Chabrol aurait sans doute montré cela avec une acidité cruelle, Miller filme simplement l’humiliation de Jérôme Martineau tandis qu’Audiard le fait parler, sous la lumière blanche de l’investigation policière. Le hiatus langagier et psychologique qui opposent Martineau et Gallien, chacun « poursuivant son histoire », porte le film à un niveau exceptionnel de tension, triple palier qui peint à la fois une affaire criminelle, une société viciée et le cœur d’un homme anéanti par le désenchantement conjugal. Face à face de deux acteurs prodigieux dans un registre à l'opposé l'un de l'autre, ce film est un formidable suspense qui tient en haleine le spectateur par la qualité des dialogues d'Audiard particulièrement ciselés pour l'occasion,  la tension permanente que l'évolution du scénario fait peser sur ce présumé coupable, d'autant que sa femme, interprétée avec sensibilité par Romy Schneider, ne fait que noircir le tableau et conforter l'inspecteur dans la piste de la pédophilie. Tout concoure en effet à accuser cet homme qui, impudent, provocateur et désabusé, ne fait rien pour sauver sa peau. Son couple n'ayant plus d'issue, sa vie étant un immense gâchis, il s'accuse des deux meurtres pour en finir définitivement, suicide programmé en quelque sorte. On ne dira jamais à quel point Michel Serrault, qui recevra pour ce rôle un second César, est admirable et méritait le compliment d'Audiard d'être le meilleur acteur du monde. D'autant qu'il a fort à faire avec Ventura dont la présence puissante ne se relâche à aucun moment. Tous deux tissent une toile inéluctable où la respectabilité s'enlise à tout jamais, où le discernement ait mis à rude épreuve, où les vêtements peuvent être interchangeables selon les méandres d'une actualité que l'on ne maîtrise plus. Discrète et toute de retenue, Romy Schneider fait une apparition qui force l'admiration par sa densité douloureuse, sa désillusion amère et revancharde, par ce quelque chose d'à jamais perdu ou gaspillé, tandis que Guy Marchand méritait bien son César du meilleur second rôle dans celui du scribe un peu trop réactif qui s'immisce de façon brutale et maladroite dans cette garde à vue. Un film que l'on ne peut oublier avec sa musique lancinante, son décor d'une banalité décourageante et la pluie qui ne cesse de faire miroiter les vitres comme si la fin d'un jour, la fin d'un monde s'était tout à coup réfugié entre les murs poussiéreux de cette PJ.

Ion

L'histoire

Nuit de la Saint-Sylvestre : Maître Martinaud est convoqué au commissariat pour répondre aux questions de l'Inspecteur Gallien et de son adjoint Belmont, au sujet du meurtre et du viol de deux fillettes, quelques semaines plus tôt. Très vite, les éléments à charge autant que la mise en lumière des mensonges de Martinaud mènent Gallien à prendre la décision de le placer en garde à vue.

Analyse et critique

Après La Meilleure façon de marcher (1976), premier long-métrage prometteur qui avait enthousiasmé le public comme la critique, Claude Miller avait connu un contre-coup sévère avec l’échec commercial de Dites-lui que je l’aime (1977), et sa cote s’en était trouvée sensiblement amoindrie. Pendant plus d’un an, il travailla sur un ambitieux projet, nommé La Java, l’histoire d’une troupe de music-hall semant le désordre dans un hôtel, qui aurait mis en scène Patrick Dewaere et Miou-Miou, et qui convoquait, selon Claude Miller lui-même, les écrits de Witold Gombrowicz autant que le Luis Buñuel du  Charme discret de la bourgeoisie ou le Bergman du Visage ! Pour plusieurs raisons, notamment financières, le projet ne va pas aboutir pas, et après quelques autres perspectives avortées (dont une commande pour Jean-Paul Belmondo), Miller reçoit un appel de la maison de production indépendante Ariane Films, lui proposant de mettre en scène une adaptation d’un roman de la Série Noire, intitulé Brainwash (A table pour sa version française) et signé de John Wainwright. Miller découvre le livre, qu’il aime beaucoup, et y trouve des échos avec La Meilleure façon de marcher, notamment la question de l’intolérance vis-à-vis des pratiques sexuelles "déviantes"... Seul hic à ses yeux, le scénario doit être écrit par la star des scénaristes de l’époque, Michel Audiard, et Claude Miller n’a que bien peu d’affinités culturelles avec le cinéma estampillé Audiard (que l’on se souvienne ici que Miller a débuté en étant assistant réalisateur de ResnaisGodard ou Truffaut, soit très précisément l’antipode artistique du style Audiard).

 

En réalité, depuis quelques années (depuis qu’il peut se le permettre !), Audiard n’écrit quasiment plus de scénarios : il commande des trames narratives à d’autres auteurs, puis réécrit intégralement les dialogues à sa sauce. Pendant plusieurs mois, Claude Miller (avec Jean Herman, alias Jean Vautrin) va donc se prêter à un exercice ingrat : il envoie des pages de scénario à Audiard, tout en sachant que celui-ci va les remanier. Mais en retour, il ne se laisse pas faire et se permet de refuser certaines tirades, qu’il trouve sur-écrites. La tension va donc monter entre le dialoguiste-star et le cinéaste-débutant, mais Miller tiendra bon - défendu notamment par Lino Ventura - et cette ténacité inspirera, à terme, le respect de Michel Audiard, dont il deviendra un bon ami et avec lequel il retravaillera dans les années qui suivront, par exemple sur Mortelle randonnée.

Un autre protagoniste majeur va alors intervenir pour apposer au scénario de Garde à vue sa propre touche : depuis le milieu des années 70 et L’Ibis rouge notamment, Michel Serrault a en effet entrepris de diversifier ses prestations, et c’est ainsi que l’année précédant Garde à vue, on l’a vu à la fois faire la grande Zaza dans La Cage aux folles 2 et tourner, aux côtés de Philippe Noiret, dans l’admirable Pile ou face de Robert Enrico, où il posait les bases de ces personnages ambigus qu’il interprétera ensuite plus régulièrement (par exemple dès 1982 dans Les Fantômes du chapelier de Claude Chabrol). A la lecture du roman de John Wainwright, Serrault avait eu le sentiment que le personnage accusé, un quidam new-yorkais un peu quelconque, manquait de superbe, et que son face-à-face avec l’inspecteur de police chargé de le cuisiner serait plus marquant s’il avait d’emblée une position à défendre. Ainsi Martinaud devint un notaire arrogant, vêtu d’un élégant smoking, ce qui allait conférer à Garde à vue une perspective sociale singulière - nous y reviendrons.

 

Dernier élément notable de différence entre le roman et son adaptation - et non des moindres : le film a recours à cette spécificité policière française qu’est la garde à vue. Évidemment, des dispositifs similaires existent dans d’autres pays, mais les États-Unis, par exemple, autorisent la présence continue d’un avocat lors des confrontations - à tel point que le suspect y est encouragé à se taire (« You have the right to remain silent... »). Mais la garde à vue française, comme l’écrivent les avocats au Barreau de Paris Daoud et Mercinier (1) « se singularise par la dureté des conditions (durée, inaccessibilité du dossier...) mais encore par des critères de mise en œuvre flous. » De ce fait, si la finalité théorique est de connaître la position du mis en cause, « en pratique, et sans doute à cause de l’obsession de l’aveu, c’est devenu une phase de pressions psychologiques exercées au moment de l’interpellation, dans un processus d’isolement de l’individu et par le fait que le mis en cause ignore tout de l’étendue et de la réalité des charges qui pèsent sur lui. (…) Sous couvert des nécessités de l’enquête, le principe y est d’exercer une pression morale et physique sur un suspect pour le conduite aux aveux. » Le basculement y est, dans la perspective de la fameuse présomption d’innocente, absolument fondamental : d’une certaine manière, le mis en cause n’est plus là pour s’expliquer, mais pour avouer. Lorsque l’Inspecteur Belmont, dans le film de Claude Miller, demande à l’Inspecteur Gallien si, "pour lui", Martinaud est bien le coupable, la réplique est décisive, car il apparaît que c’est finalement moins la culpabilité de Martinaud qui compte que la conviction des policiers à son sujet.

Le dispositif sur lequel repose Garde à vue est donc à première vue extrêmement simple, mais c’est finalement de cette épure que provient sa force : d’excellents acteurs s’opposent, dans un quasi-huis clos, pour un jeu du chat et de la souris où les rapports de force s’inversent et se rééquilibrent constamment. Et si c’est l’inspecteur Gallien qui cuisine Martinaud, c’est bien Michel Audiard qui a concocté des dialogues aux petits oignons ; on peut, en d’autres occasions, trouver que le dialoguiste-star a parfois, durant sa carrière, cédé à la facilité ou à la tentation de l’outrance un peu auto-complaisante, avec son argot de contrebande et ses tirades à l’esbroufe. Dans Garde à vue - est-ce la conséquence de ses oppositions avec Miller ? - sa plume se fait plus sobre (mais non moins percutante) en se mettant totalement au service du film, et chaque réplique contribue à charger les scènes de tension, d’inquiétude voire de perversité. Ce n’est certes pas son travail le plus éclatant, mais c’est pour autant probablement l’un de ses tout meilleurs.

D’ailleurs, si Ventura comme Serrault avaient déjà prouvé en plusieurs occasions leur habileté à manier les mots d’Audiard, ils ne l’avaient jamais fait ensemble, et Garde à vue a aussi acquis presque immédiatement une dimension anthologique par la confrontation qu’il offrait, enfin !, entre deux des acteurs français les plus populaires de leur époque. Michel Serrault a d’ailleurs raconté que ses relations avec Ventura - homme pourtant réputé aussi pour sa chaleur et sa cordialité - étaient tout au long du tournage restées assez froides, comme si la distance maintenue entre eux servait l’opposition entre leurs personnages.

 

Et quels personnages ! D’un côté, donc, Jérôme Martinaud, notaire de province, marié à une femme trop belle pour lui - incarnée comme un fantôme sombre par Romy Schneider, dans son avant-dernier rôle. Sa meilleure défense, pense-t-il d’abord, c’est sa situation, qui le rend presque intouchable. Mais parce que, justement, il se croit inatteignable, et qu’ensuite - pour plusieurs raisons, qui ne se révéleront que très progressivement - il commet très tôt l’erreur de mentir, il attise chez ses interlocuteurs la volonté de le faire choir. Il y a beaucoup de facettes, dans le personnage de Martinaud, et il serait insuffisant de se limiter aux plus évidentes, mais la dimension sociale est indéniablement l’une des plus essentielles. A travers le couple Martinaud, qui existe davantage dans la jalousie qu’il suscite chez les "médiocres" que dans une intimité depuis longtemps révolue, le film dresse le portrait d’une certaine bourgeoisie de province, arrogante et viciée, comme rongée par la pourriture du mépris et du mensonge. S’ils se sont un jour aimés, Chantal et Jérôme Martinaud sont aujourd’hui séparés par un couloir de 15 mètres de haine indicible.

 

Il y a quelque chose d’assez "chabrolien" dans cette description de l’hypocrisie et de la violence qui se terrent dans les coulisses de la bienséance notable. Mais derrière la sévérité d’une satire qui ne cède jamais ni à la méchanceté ni même à l’ironie, Claude Miller concède à son personnage une forme inattendue de bienveillance, voire même de tendresse. Si Martinaud ment, ce n’est pas uniquement par arrogance, c’est avant tout pour se protéger, pour dissimuler son inavouable secret. [ATTENTION : LE PARAGRAPHE SUIVANT RÉVÈLE DES ÉLÉMENTS DÉCISIFS DE L’INTRIGUE] Et c’est peut-être là que le film est le plus étonnant et le plus troublant : s’il repose, au départ, sur l’élucidation d’un crime qu’il est commun de considérer comme le plus atroce qui soit (le viol et l’assassinat d’une fillette), il s’achève dans une forme de concession, presque de reconnaissance de la nature troublée du personnage. Martinaud n’a (probablement - certains éléments irrésolus laissent planer un lointain doute) tué personne, mais il a dû révéler de lui-même ce qu’il sait être une perversion, et il aurait préféré être condamné que de la faire savoir à quiconque. Il a aimé - il aime certainement toujours - une petite fille nommée Camille, d’un amour plus pur que celui qui l’a uni à Chantal, plus véritable que tout ce qu’il a pu déclarer aux inspecteurs durant son interrogatoire. Et aux derniers instants, alors que le spectateur a failli, pendant tout le film, le considérer comme le monstre le plus ignoble qui soit, il apparaîtrait presque comme une victime de sa propre condition. Il fallait bien les nuances du jeu de Michel Serrault pour faire exister toute cette complexité, tout comme la même année - mais dans un tout autre registre - il fallait bien la subtilité de Patrick Dewaere pour ne pas faire tomber le Beau-père de Bertrand Blier dans le scabreux ou le dégueulasse. Et, puisqu’on parle de Dewaere, si l'on repense au traitement du personnage de Patrick Bouchitey à la fin de La Meilleure façon de marcher, on se dit que c’est probablement dans ce regard digne et complexe porté sur un personnage ambigu que Garde à vue est le plus "millerien". [FIN DES RÉVÉLATIONS]

 

Et face à Martinaud, il y l’Inspecteur Gallien, qui n’est pas en reste... Là encore, il faut remercier l’interprète, Lino Ventura, qui apporte sa présence physique inimitable autant que ses doutes, sa rudesse autant que sa douceur... A première vue, Gallien est l’archétype du bon flic. Consciencieux, méthodique, respectueux des procédures, il n’hésite pas à recadrer son collègue (Guy Marchand, génial comme à chaque fois qu’il était dirigé) lorsque celui-ci déborde du cadre, tout en tenant sa hiérarchie informée des événements. Pour autant, derrière ses airs débonnaires, il sait ne pas être dénué de malice quand il faut mener son interrogatoire, parvenant l’air de rien à acculer Martinaud dans le dédale de ses incohérences ou de ses contradictions. Le policier parfait, en somme. Sauf que. [ALERTE AUX RÉVÉLATIONS] Sauf qu’il s’en est fallu d’un rien pour qu’il ne fasse condamner (et peut-être même pire : la peine de mort ne fut abolie en France qu’en cette année 1981, trois des quatre dernières exécutions, les années précédentes, concernant des meurtriers d’enfants) un innocent. Alors on envisage l’autre face de la pièce : obstiné, manipulateur, aveuglé par ses convictions, Gallien a mené sa garde à vue presque indépendamment de celui qu’il interrogeait. Il lui fallait un coupable, il l’a trouvé, et la vérité lui importait assez peu dans cette affaire... Ce dernier constat est probablement sévère, et Lino Ventura confère suffisamment d’humanité au personnage pour ne pas avoir envie d’en faire un monstre, mais il est peut-être temps, ici, d’offrir une interprétation à l’une des libertés de mise en scène les plus manifestes entreprises par Claude Miller dans son adaptation du roman de Wainwright et du scénario de Vautrin / Herman et d’Audiard : régulièrement, pendant l’interrogatoire, surviennent des inserts, le plus souvent muets, d’images en extérieur, qui servent à illustrer le contenu de la discussion entre Gallien et Martinaud : la plage où fut découvert un corps ; le bunker voisin ; le phare...

 

On peut, sommairement, les considérer comme des illustrations froides, servant à donner au spectateur des informations visuelles - mais auquel cas, on peut trouver le procédé cinématographique d’une grande faiblesse, tant il dénie la capacité d’abstraction du spectateur. Ou alors ces inserts ont un autre rôle. A leurs sujets, Claude Miller a avancé une explication rythmique, un effet de montage cherchant à jouer avec la continuité temporelle, quelque chose de l’ordre de la digression musicale. On peut aussi formuler l’hypothèse qu’il s’agit en quelque sorte de projections mentales liées à l’esprit de Gallien. A force de potasser son dossier, il s’est construit des cadres visuels, comme des repères associés aux lieux ou aux événements de l’enquête, ce qui expliquerait la nature frontale et vide de ces images, qui semblent parfois simplement "surgir" de sa démonstration (l’exemple du phare et de la corne de brume est à ce titre révélateur). Son objectif serait alors de "remplir" le vide laissé par l’indécision... et Martinaud ferait alors parfaitement l’affaire. Quoi qu’il en soit, l’une des forces du film se trouve incontestablement dans cette manière, ouverte et complexe, de traiter ses personnages, réfutant les caractérisations ou les interprétations simplistes pour laisser vagabonder l’imagination... [FIN DES RÉVÉLATIONS].

 

En envisageant Garde à vue de loin, on pourrait s’étonner du succès et de la réputation d’un film qui, sommairement, semble ne reposer que sur peu de choses, et qui devrait en conséquent peiner à tenir la comparaison avec des chefs-d’oeuvre de l’histoire du cinéma, plus novateurs, plus ambitieux ou plus spectaculaires. Et pourtant, curieusement, il ne nous en faudrait pas beaucoup pour affirmer, d’une façon péremptoire qui ne nous ressemble guère, que Garde à vue est l’un des plus respectables et des plus admirables classiques de l’histoire du cinéma français. Ceci notamment parce qu’il repose sur la conjonction rare de talents importants, pas forcément immédiatement compatibles a priori, mais qui se sont mis au service de la cohérence globale d’un projet accompli, probablement quelque chose comme le meilleur film qui pouvait être tiré du matériau de base (ce qui, finalement, n’est pas un sentiment si courant que ça). Derrière son apparente modestie, se révèle ainsi surtout une conception particulièrement estimable du cinéma comme art collectif : cela ne suffirait pas de décrire Garde à vue comme un film de Claude Miller... comme un film écrit par Michel Audiard... ou comme un film avec Michel Serrault... Mais parce que, de l’inventif chef-opérateur Bruno Nuytten aux décorateurs ayant relevé le défi du huis clos, des ciseaux habiles du monteur Albert Jurgenson au célesta de Georges Delerue, tout le monde a joué son rôle au diapason, le film parvient à être ce qu’il devrait exactement être. Du bien beau travail.


(1) La garde à vue : la French Touch', article paru dans AJ Pénal, n°6, juin 2008

En savoir plus

La fiche IMDb du film   https://www.dvdclassik.com/


Par Antoine Royer - le 25 octobre 2016
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Garde à Vue, huis-clos policier français de 1981, réalisé par Claude Miller, avec Lino Ventura, Michel Serrault et Guy Bertrand

Si le cinéma français est très largement décrié par les gens aujourd’hui (mais on y reviendra prochainement sur le site), il n’en reste pas moins que de nombreuses perles subsistent dans les « archives » de notre patrimoine cinématographique national. Vous l’aurez compris, pour débuter cette série d’articles sur quelques grands films qui va courir jusque la fin de l’été, nous avons choisi l’une de ces petites perles françaises : Garde à Vue, le film de Claude Miller qui avait fait sensation en France en 1981.

Comme vous l’aurez compris, le suspens est mis de côté ici quand à mon avis dessus. Mais en même temps, pouvait-on véritablement douté de la qualité de ce film aux vues de ses qualités sur le papier ? Servi par une mise en scène « lumetesque » de Claude Miller, qui met en abîme sans fioritures les destins de nos personnages. Intelligent sans être tape-à-l’oeil, Miller ne se contente pas modestement de « faire le job ». Il nous offre un ensemble de très grande qualité, terriblement inventif.

Mais, me direz-vous, une bonne mise en scène ne fait pas tout un film. Et à cela, je vous réponds que vous avez parfaitement raison. Car, non seulement la mise en scène de Miller relève de l’excellence, on se doit d’en dire de même à propos du scénario. Car c’est de l’écriture que relève toute le génie du film : Garde à Vue est pensé, écrit et réalisé comme un huis clos. Rien d’incroyable pour l’instant, si ce n’est qu’un huis clos est dur à mettre en place en question de rythme et parfois d’enjeux. Le film évite ses écueils et procède sans précipitation, tout en finesse. Tel le travail de Tarantino sur Les Huit Salopards (QT se serait-il inspiré de Miller ?), l’histoire joue constamment avec le sort de ses personnages, plongé en pleine Saint-Sylvestre dans une affaire de meurtre. Constamment, les personnages veulent sortir du lieu, sortir de l’histoire, plus (pour Serrault) ou moins (pour Ventura) explicitement. Ce jeu constant qui pousse les personnages à converger bien malgré eux au dénouement final (de la même que Tarantino joue avec cette histoire de porte dans la mercerie). Un scénario de haute voltige donc, magnifié par les répliques toujours aussi saignantes de Michel Audiard, comme lui seul sait les écrire. Et la démonstration même qu’un bon scénario est avant tout une histoire d’intelligence d’écriture, car une bonne histoire ne donnera pas forcément un bon scénario, si on ne sait pas l’écrire correctement. Garde à Vue est à l’opposé de cela, et la qualité évidente de son écrit de base serait presque à montrer dans les écoles pour montrer comment dicter un rythme de manière délicate, sans artifices.

Enfin, avant de conclure, je me devais de parler du casting. Et, là encore, on peut être dithyrambique. Que dire de Michel Serrault, et de ce César si mérité, lui électrise littéralement l’écran par une performance juste et poignante. Face à lui, un Lino Ventura incroyable comme d’habitude,  qui signe son dernier tour de piste majeur, et de quelle manière ! En parlant de dernier tour de piste, comment ne pas évoquer la magnétique Romy Schneider dans son avant-dernier film, envoutante et enivrante dans son rôle de femme de Michel Serrault. Avec un nombre limité de scènes dans le film (2/3 scènes seulement), elle arrive à signer ce qui reste peut-être comme la performance la plus marquante du long-métrage. Enfin, comment ne pas signer la performance de Guy Marchand, explosif à souhait, prêt à tout dynamiter sur ce passage.

Vous l’aurez compris, Garde à Vue n’est pas seulement un très bon film, non. Il se situe plutôt dans la catégorie du dessus, celle qui classe les films qui marque la rétine et l’esprit, ces oeuvres puissantes par leurs différentes qualités. Garde à Vue est de cette race-là, et tout amoureux du cinéma français devrait le visionner au moins une fois. Par ce court avis simpliste, j’espère convaincre que le cinéma français regorge de ces petits chef d’oeuvre qui embellissent le patrimoine cinématographique français, et il semble clair et net que Garde à Vue y tient une place d’honneur.

Garde à vue (1981) de Claude Miller

Garde à vueA Cherbourg, le soir de la Saint-Sylvestre, l’inspecteur Antoine Gallien (Lino Ventura) reçoit au commissariat le notaire Martinaud (Michel Serrault), notable local. Il le soupçonne d’avoir violé et étranglé deux fillettes quelques semaines plus tôt. Face à l’attitude ambigüe de Martinaud, l’inspecteur le place en garde à vue pour continuer de l’interroger…
Garde à vue est un film français de Claude Miller. C’est un film de commande pour le réalisateur qui ne tournait plus que des publicités à la suite du cuisant échec de son précédent film Dites-lui que je l’aime, sorti quatre ans plus tôt. Garde à vue est basé sur un livre de John Wainwright publié dans la collection Série noire, À table ! (Brainwash), livre découvert par Michel Audiard qui a écrit les dialogues de cette adaptation. Hormis quelques plans de coupe, tout le film se déroule au sein d’un commissariat de province sur quelques heures. Plus que l’intrigue policière, ce sont les caractères qui sont exposés dans ce récit, les incertitudes de l’inspecteur et les brusques changements d’humeur de son accusé. Ce dernier se révèle insaisissable avec ses réactions imprévisibles et son anticonformisme. C’est l’occasion de beaux numéros d’acteurs, le plus spectaculaire dans la richesse de son jeu étant Michel Serrault. L’ensemble est assez captivant. Le film a connu un beau succès, avec quatre César à la clef.
Elle
Lui : 4 étoiles

Acteurs: Lino VenturaMichel SerraultRomy SchneiderGuy Marchand
Voir la fiche du film et la filmographie de Claude Miller sur le site IMDB.

Voir les autres films de Claude Miller chroniqués sur ce blog…
Voir les livres sur Claude Miller

Remarques :
* Le succès de Garde à vue a permis à Claude Miller de rebondir. C’était alors son meilleur score au box-office, seul L’Effrontée en 1985 fera mieux.
* Un remake américain a été réalisé en 2000 par Stephen Hopkins : Suspicion (Under Suspicion), avec Gene Hackman, Morgan Freeman et Monica Bellucci, reprenant les rôles respectifs de Michel Serrault, Lino Ventura et Romy Schneider, film généralement considéré comme raté.

Michel Serrault et Lino Ventura dans Garde à vue de Claude Miller.


                          Michel Serrault et Lino Ventura dans Garde à vue de Claude Miller.

Jeudi 1 novembre 2012

Garde à Vue (1981) de Claude Miller

           
            Ancien assistant réalisateur de François Truffaut et de Jean-Luc Godard, Claude Miller passe à la réalisation en 1975 avec La Meilleure façon de marcher. Il transpose ensuite Patricia Highsmith avec Dites-lui que je l'aime (1977) et adapte un auteur britannique de polars, John Wainwright, avec Garde à Vue. Grand succès au box office français lors de sa sortie, le film de Miller frappe par la nervosité de son scénario, le jeu de ses acteurs et son discours engagé pour une la réforme de la procédure pénale.
 
            Garde à Vue est un huis-clos policier: la nuit du réveillon, dans un commissariat de province, un inspecteur de police "cuisine" un notable, placé en garde à vue parce qu'il est suspecté dans une affaire de viol sur mineurs. L'unité de temps et de lieu peut paraître théâtrale mais contribue en fait à renforcer l'impression d'étouffement que ressentent les personnages mais aussi peu  à peu le spectateur.
            La lassitude des protagonistes, leur fatigue apparente, est soutenu par le physique des acteurs, Lino Ventura (le commissaire) et Michel Serrault (le mis en examen), aux yeux pochés et au regard hagard. Servis par les dialogues brillants de Michel Audiard, les deux comédiens fascinent par leurs changements d'émotions et de tons: Ventura paraît tour à tour compréhensif et ferme alors que Serrault alterne le comportement d'une victime avec celui d'un coupable.
 
            L'ambigüité sur la culpabilité du personnage de Serrault persiste jusqu'à la toute fin du film. Garde à Vue se termine en effet par un retournement de situation surprenant qui pourra agacer certains: alors que le notable avoue avoir commis les crimes, on découvre des cadavres de jeunes filles dans le coffre d'une voiture d'un nouveau suspect. Par ce "twist", le scénario de Claude Miller et du romancier Jean Herman dénonce la garde à vue comme une procédure dangereuse, qui mène à bout de nerf les inculpés et les conduit à avouer n'importe quoi.
            Sur le plan politique, Garde à Vue étonne: au lieu d'explorer la saleté de la psyché des policiers à l'instar de The Offence (1973) de Sidney Lumet, il préfère traiter de la procédure. En effet, les policiers sont dans une certaine mesure irréprochables: seul l'adjoint du commissaire, un flic interprété par Guy Marchand, se laisse aller et tabasse le suspect le temps d'un instant, ce qui lui sera fortement reproché. Les méandres de la psychologie n'en sont pas pour autant absentes: le comportement d'une épouse haineuse (jouée par Romy Schneider dans son avant-dernier rôle), perturbe l'objectivité de la situation.
            Depuis, la garde à vue à été de nombreuses fois réformée et la personne mise en examen a le droit d'être d'assisté par un avocat. Mais la garde à vue demeure un drame psychologique, un rapport de force où l'homme se retrouve seul face à l'ordre et à ses incriminations.
 
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