LE CINÉMA FRANÇAIS DE L’APRÈS-GUERRE
Tout de suite après la guerre, le cinéma français sembla revenir à ses thèmes traditionnels. Mais de nouveaux auteurs et de nouveaux ferments laissaient déjà présager le changement décisif qui allait intervenir.
A la veille de la Seconde Guerre mondiale, les réalisateurs français les plus importants sont Jean Renoir, René Clair, Julien Duvivier et Marcel Carné. Les trois premiers vivront les années de guerre aux États-Unis, mais ce sera pour eux un exil fécond sur le plan du travail. Seul le dernier reste en France. Sous l’occupation allemande, il réalise son chef-d’œuvre, Les Enfants du paradis, qui ne sera distribué qu’en mars 1945. Le déclin de Carné commence avec son film suivant, Les Portes de la nuit (1946) – œuvre hybride, à mi-chemin entre le réalisme et le symbolisme. En 1949, Carné réalise avec beaucoup de métier, mais sans son inspiration d’antan, La Marie du port, un essai de naturalisme psychologique, d’après un roman de Georges Simenon. Un contemporain de Carné , Jean Grémillon, consacré par Le Ciel est à vous en 1944, voit presque tous ses projets refusés. Il ne pourra réaliser que Pattes blanches (1948), beau drame sombre écrit par Jean Anouilh et éclairé par la présence sensuelle de Suzy Delair. [La grande histoire illustrée du 7ème art – Editions Atlas (1983)]
LE RETOUR DES VIEUX MAÎTRES
René Clair, de retour des États-Unis, fera sa rentrée avec Le Silence est d’or (1947), œuvre assez réussie et charmante. Le milieu décrit dans ce film était celui des pionniers du cinéma, évoqués avec ironie et affection. C’est un hommage rendu par Clair à ses vieux maîtres. Le point de départ du récit avait été tiré, très librement, de « L’École des femmes » de Molière. La comédie des sentiments mêlait le sourire à une tendresse légère, qui confinait à la mélancolie. Au tournant de la cinquantaine, le réalisateur revenait au style cinématographique de sa meilleure période, mais avec un ton plus émouvant. L’équilibre entre les moments amusants et les moments de réflexion était parfait. L’humour se transformait en leçon de sagesse. Avec La Beauté du diable (1949), tourné à Rome, Clair s’éloigna de son univers habituel pour donner sa version personnelle du mythe de Faust. Le film présentait le spectacle d’une humanité qui, ayant vendu son âme à la science, cherche à éviter la damnation du monde vers laquelle l’entraînent ses propres découvertes.
Mais, en dépit de rares moments prenants, ce film était lourd, ennuyeux et foncièrement étranger à l’esprit de Clair. Aux côtés de Renoir, Carné et Clair, Julien Duvivier avait acquis avant la guerre un prestige certain par Son réalisme pessimiste. Les films qu’il réalisa après la guerre, comme Panique (1946) d’après Simenon, un remake d’Anna Karénine (1948), ou Au royaume des cieux, firent apparaître les limites de sa personnalité, portée vers des sujets trop disparates et faisant trop confiance au seul métier.
En 1946, Jean Cocteau, qui n’avait rien tourné depuis Le Sang d’un poète (1930), revint, après quelques scénarios, à la mise en scène de cinéma et réalisa La Belle et la Bête (1945), une fable somptueusement maniériste. L’adaptation que fit le poète d’une de ses pièces, Les Parents terribles (1948), fut également très intéressante. Cocteau retrouva sa mythologie personnelle, avec son climat chargé de symboles, avec Orphée (1949), sans doute son chef-d’œuvre.
De retour des États-Unis, Max Ophüls termina sa trilogie viennoise de la Belle Époque, entamée avec Liebelei (1932) et poursuivie avec Letter From an Unknown Woman (Lettre d’une inconnue, 1948), par le film La Ronde (1950). Celui-ci s’inspirait de la comédie « Reigen » d’Arthur Schnitzler, et était construit comme une ronde de l’amour sensuel formée de dix couples, représentatifs de différentes classes sociales et de plusieurs tempéraments. A la sensualité viennoise assez âcre de Schnitzler, Ophüls ajouta une dose de cynisme parisien amusant. Le jeu, d’une grande élégance et d’une grande finesse (même si tous les épisodes n’avaient pas la même valeur), était mené sur un rythme de valse par un personnage-chœur, interprété de façon originale et raffinée par Anton Walbrook.
Sacha Guitry, emprisonné quelque temps, après la Libération, pour des raisons qu’il ne voulut jamais admettre, ne put recommencer à tourner qu’en 1947. Il fit d’abord Le Comédien, biographie de son père Lucien Guitry, dans laquelle il jouait le double rôle du père et du fils. En 1948, il réalisa Le Diable boiteux, évocation de la vie de Tayllerand, dont le scénario fut d’abord refusé par la censure, car sous le couvert de l’Histoire, l’auteur y avait multiplié les allusions vengeresses aux événements récents. L’affiche, elle-même, était insolemment ironique; on y voyait une suite d’inscriptions raturées : Vive le Roi ! Vive la République ! Vive l’Empereur ! Seule la dernière était intacte : Vive la France ! Mais l’esprit de Sacha déplut alors à beaucoup, et la critique ne le ménagea pas. Après un ou deux films plus faibles, il revint en force avec Le Trésor de Cantenac (1949), sorte de fable villageoise douce-amère et Tu m’as sauvé la vie (1950), histoire d’une amitié entre un baron et un vagabond (le rôle était écrit pour Fernandel qui l’interpréta avec finesse) qui évoquait lointainement le Boudu de Renoir. Enfin, en 1950, Guitry réalisa un de ses meilleurs films avec Deburau, évocation du fameux mime que Jean-Louis Barrault avait si bien fait revivre dans Les Enfants du paradis. Mais l’antériorité revenait bien à Guitry, qui n’avait fait que filmer une de ses anciennes pièces à succès d’avant-guerre. L’histoire était du reste tout autre : les amours de Deburau avec Marie Duplessis, la dame aux camélias. Avec raison, François Truffaut tient ce film pour une des grandes réussites du cinéaste-dramaturge.
Dans le même temps, Marcel Pagnol fut moins prolifique et moins heureux. Certes Naïs (1945), tiré d’une nouvelle de Zola, quoique signé par R. Leboursier sous la « supervision » de Pagnol, est bien un film de Pagnol, et même un excellent Pagnol ; comme toujours avec lui, Fernandel est même tout à fait extraordinaire, drôle et émouvant, en bossu au grand cœur, et le film fourmille de scènes dignes d’Angèle ou de La Femme du boulanger. Mais La Belle Meunière (1948), évoquant un Franz Schubert incarné par Tino Rossi, était peu défendable, malgré le charme de Jacqueline Pagnol en « belle meunière », Le film ambitionnait d’imposer un procédé français de cinéma en couleurs, le « Rouxcolor », et sur ce plan également, ce fut un échec. En 1950, Pagnol réalisa une troisième version de Topaze, avec Fernandel, qui est peut-être la meilleure, comme il le pensait, mais qui n’est certes pas une de ses grandes œuvres. [La grande histoire illustrée du 7ème art – Editions Atlas (1983)]
QUELQUES AUTEURS ET LEURS CARRIÈRES
Après le gracieux Sylvie et le fantôme (1945), Claude Autant-Lara signa un des plus célèbres films français de l’après-guerre : Le Diable au corps (1947), d’après le roman de Raymond Radiguet, avec Gérard Philipe. Même si l’acteur, alors âgé de vingt-cinq ans, n’avait plus tout à fait l’âge du personnage autobiographique de Radiguet, l’identification avec la figure du jeune étudiant fut totale et servit à créer la légende de Gérard Philipe. Il sut exprimer la passion, la joie, la souffrance avec une sincérité dévorante, brûlante. Quant à Autant-Lara, il sut rendre cet amour fou avec délicatesse. Son film suivant, Occupe-toi d’Amélie ! (1949), d’après le vaudeville de Georges Feydeau, fut une œuvre amusante et soignée. Le jeu, qui reposait sur un équilibre subtil entre fiction scénique et réalité concrète, était mené avec beaucoup de brio.
On doit rappeler aussi Voyage surprise (1947) de Pierre Prévert, film fantaisiste, d’un comique souvent laborieux. Les Casse-pieds (1948) présentait une divertissante galerie de portraits, dont la paternité revient au metteur en scène Jean Dréville et a l’acteur Noël-Noël, qui écrivit le scénario.
Parmi les réalisateurs qui avaient fait leurs début avant la guerre, il, faut mentionner Christian-Jaque, à qui l’on doit plusieurs films, dont Boule-de-Suif (1945) d’après Maupassant et Un revenant (1946), puissant drame d’atmosphère provinciale. On lui doit également une luxueuse mais superficielle adaptation de La Chartreuse de Parme (1948) de Stendhal avec Gérard Philipe, Maurice Cloche signa avec Monsieur Vincent une vie très scrupuleuse de saint Vincent de Paul, remarquablement interprétée par Pierre Fresnay ; Jean-Paul Le Chanois, après Au cœur de l’orage (1945), documentaire sur le maquis du Vercors, raconta dans L’Ecole buissonnière (1949) l’histoire d’un jeune instituteur envoyé dans une petite école de campagne, et qui parvient à imposer de nouvelles méthodes d’éducation malgré l’hostilité plus ou moins déclarée des habitants; de Jean Delannoy, dont on retient surtout La Symphonie pastorale (1946), adaptation froide et conventionnelle du court roman d’André Gide qui évoque la passion malheureuse d’un pasteur protestant, marié et père de famille, pour une jeune aveugle qu’il a élevée, Le film valait surtout par l’interprétation exceptionnelle de Michèle Morgan. Ensuite, sur un scénario original de Jean-Paul Sartre, Delannoy réalisa Les jeux sont faits (1947), qui sortit sous l’étiquette de « premier film existentialiste ». L’histoire était d’un intellectualisme tarabiscoté et le film souffrait du contraste entre le sérieux de sa thèse et l’ambiguïté de ses développements.
Dieu a besoin des hommes (1950) fut une oeuvre d’une grande noblesse. Le film décrivait la situation des habitants misérables d’une île bretonne qui, privés en punition de leurs péchés de la présence et du réconfort de leur curé, choisissent de le remplacer par le sacristain. Mais celui-ci, s’estimant indigne de célébrer les mystères du culte, connaît alors un conflit déchirant. Tourné dans un cadre naturel rude, ce drame d’une étonnante profondeur se nourrissait d’observations pénétrantes et son inspiration religieuse paraissait sincère. Il donna lieu à des interprétations et à des débats très vifs, tant du côté catholique que du côté protestant.
Comme Delannoy, Henri Decoin incarnait une certaine tradition de qualité française, parfois même un peu plus, selon la valeur des scénarios qui lui étaient confiés. En 1945, La Fille du diable marqua le retour de Pierre Fresnay. En 1947, Decoin ne réalisa pas moins de trois films ; plus que Non Coupable et Les Amants du pont Saint-Jean, deux films pour Michel Simon qui forçait un peu sur le pittoresque, on retiendra Les Amoureux sont seuls au monde, qui bénéficiait d’un excellent scénario d’Henri Jeanson, d’une jolie musique d’Henri Sauguet et de l’interprétation d’un Louis Jouvet en grande forme. En 1948 Decoin donna deux films, Entre onze heures et minuit, un policier un peu trop classique, avec de nouveau le concours de Jeanson et Jouvet et, plus intéressant, Au grand balcon, sur un scénario de Joseph Kessel, évoquant l’aviation au temps de l’Aéropostale et des personnages inspirés de Mermoz et des autres pionniers de la ligne. Pierre Fresnay y faisait une composition remarquable. En 1950, deux films encore : Trois Télégrammes était une œuvrette populiste, gentille et assez insignifiante ; par contre Clara de Montargis (dont Decoin fut aussi le scénariste-dialoguiste) était d’une tout autre qualité, sur un thème onirique, au climat étrange, côtoyant sans cesse les frontières du fantastique. C’est sûrement le meilleur Decoin de la période.
Jean Dréville mena une carrière un peu parallèle à celle de Decoin, inégale et diverse, mais toujours d’une bonne tenue. Après La Femme du pendu (1945), drame paysan où débutait Bourvil, ce fut Le Visiteur (1946), excellent drame pseudo-policier, puis Copie conforme (1946), avec un rôle à transformation pour Jouvet et des trucages étonnants, aussi réussis que ceux des Américains. En 1948, Dréville obtint le prix Delluc, pour ses célèbres Casse-pieds, écrits et interprétés par Noël-Noël qui partagea largement son succès. Après deux sketches inégaux, la même année, pour Retour à la vie (les autres étaient de Clouzot et de Cayatte), ce fut en 1949 Le Grand Rendez-vous, film assez intéressant sur les complots d’Alger en 1942. Mais c’est avec un autre épisode de la guerre, La Bataille de l’eau lourde (1947) que, deux ans plus tôt, Dréville avait réalisé son chef-d’œuvre. Cette coproduction franco-norvégienne, tournée sur les lieux de l’action, dans un style documentaire, et interprétée par ceux-là même qui avaient vécu l’histoire, était un modèle de réalisme cinématographique et de vérité historique. [La grande histoire illustrée du 7ème art – Editions Atlas (1983)]
DE GRANDS TALENTS SE CONFIRMENT
De nouveaux réalisateurs s’étaient révélés pendant l’Occupation : Robert Bresson, Henri Georges Clouzot, Jacques Becker. En 1944, Bresson réalisa un chef-d’œuvre, Les Dames du bois de Boulogne, librement inspiré de l’épisode de Madame de la Pommeraye, raconté dans « Jacques le Fataliste » de Diderot. L’œuvre, dont les dialogues étaient dus à Cocteau, fut la confirmation d’un talent noble et austère, qui s’était affirmé en 1943 avec Les Anges du péché. André Bazin a écrit au sujet des Dames du bois de Boulogne : « Dans le style sévère et rigoureux du film, sorte d’adaptation moderne de la tragédie classique, on devine l’intention de Bresson d’universaliser les personnages en limitant leurs rapports et leur réalité psychologique au jeu limpide des passions, en les dépouillant de leur humanité et en les faisant sortir du temps et de l’espace. L’originalité du film réside principalement dans l’équilibre délicat entre l’exactitude concrète, reconnaissable, de certains détails du milieu et la stylisation nue des sentiments. »
Tout à fait différent de Bresson, Henri Georges Clouzot avait donné une première preuve de son « cinéma de la cruauté » en 1943, avec Le Corbeau, Quai des Orfèvres (1947) fut pour sa part un véritable film policier, mais Clouzot était moins intéressé par la solution de l’énigme que par l’étude du milieu et des méthodes de la police judiciaire.
A l’époque de Manon (1949), Clouzot déclara : « Je me suis demandé ce que seraient et ce que feraient de nos jours, et précisément en 1944, au lendemain de la Libération, une Manon, un Des Grieux, un Lescaut ». En d’autres termes, Clouzot suivait lui aussi une certaine tendance du cinéma français, consistant à « actualiser » des histoires classiques, en l’occurrence le roman de l’abbé Prévost, « Histoire du chevalier des Grieux et de Manon Lescaut ». Manon devenait une ancienne « collaboratrice », Des Grieux avait déserté le maquis. Il y avait chez le réalisateur une volonté de provocation, dans le cadre d’un intellectualisme qui se nourrissait, selon certains, d’une sorte de romantisme vériste, d’une part, et d’un cynisme agressif d’autre part. Après cette œuvre puissante et originale, dominée par la présence troublante de Cécile Aubry, Clouzot dirigea un épisode de Retour à la vie (1949), dans lequel un homme sorti de prison retrouve son tortionnaire, qui est à sa merci, et finit par poser et se poser la question : « Comment la cruauté peut-elle s’emparer de l’âme d’un individu, au point d’en faire un être qui n’a plus rien d’humain, un monstre ? « . [La grande histoire illustrée du 7ème art – Editions Atlas (1983)]
Le réalisateur s’offrit ensuite une sorte de congé en adaptant une comédie brillante de Flers et Caillavet, Mais Miquette et sa mère (1950), parodie satirique de l’époque décrite dans la pièce, portait lui aussi la marque de la férocité de Clouzot. Les personnages étaient transformés en pantins grotesques; on remarquait parmi eux le vieux cabotin, dont Jouvet traçait une caricature impitoyable.
De même que Bresson et Clouzot, Becker s’était imposé en 1943 avec Goupi mains rouges. En 1944, il réalisa Falbalas, une œuvre très brillante ayant pour cadre le monde de la haute couture parisienne. Ce film fut suivi d’Antoine et Antoinette (1947), une comédie psychologique élégante bien dialoguée par Françoise Giroud, qui montrait l’existence quotidienne d’un typographe et d’une vendeuse, dont le destin est bouleversé par la perte, d’un billet de loterie gagnant, Celui-ci est finalement retrouvé, mais cela ne suffit pas à matérialiser les châteaux en Espagne. Les deux époux « gagnent » une moto et une cuisinière à gaz, mais la routine quotidienne reprend son cours. Le film suivant de Becker, Rendez-vous de juillet (1949), se voulait le portrait d’une certaine jeunesse parisienne de l’époque: celle de Saint-Germain-des-Prés, des caves, de la passion du jazz, une génération, comme le dit Becker lui-même, « pour laquelle la prospérité bourgeoise est lettre morte, qui veut vivre sa vie et qui a rompu les amarres ». [La grande histoire illustrée du 7ème art – Editions Atlas (1983)]
YVES ALLÉGRET, CAYATTE, DAQUIN, FAUREZ
Parmi les cinéastes qui avaient abordé pour la première fois la réalisation sous l’occupation allemande, il faut rappeler les noms d’Yves Allégret, d’André Cayatte, de Louis Daquin et de Jean Faurez. En 1946, Allégret réalisa un film de guerre, Les Démons de l’aube. Ses films Dédée d’Anvers (1948) et Une si jolie petite plage (1949) se rattachent à la tradition du réalisme populiste d’avant-guerre et sont teintés d’un pessimisme qu’on retrouve dans Manèges (1950), réquisitoire contre l’hypocrisie, l’égoïsme et la cupidité de la bourgeoisie.
Cayatte, après plusieurs films moins intéressants, se fit remarquer par un film dont le scénario était de Jacques Prévert : Les Amants de Vérone (1948), histoire de deux jeunes doublures de cinéma qui revivent l’amour tragique de Roméo et Juliette en participant au tournage d’un film inspiré de l’œuvre de Shakespeare. Avec Justice est faite (1950), le réalisateur entama une série de films polémiques qui tournaient la plupart du temps autour du thème de la justice, auquel Cayatte, ancien avocat de profession, était particulièrement sensible. Justice est faite présentait sept jurés d’un procès d’euthanasie, mettant en lumière leur bonne foi, mais aussi le caractère très discutable de leurs opinions et leurs réactions émotives. Dans le cadre d’un cinéma à thèse, ce film se signala par l’habileté de sa construction.
Parmi les films que réalisa Louis Daquin, citons sa meilleure réussite, Le Point du jour (1949), documentaire romancé sur les mineurs et leurs problèmes sociaux. Ce film un peu trop didactique se distingue par un souci de réalisme alors exceptionnel en France. Quant à Jean Faurez, son nom est resté lié à La Vie en rose (1948), une œuvre pleine de finesse ironique, avec Louis Salou et François Périer, remarquables en pions d’un vieux collège de province. [La grande histoire illustrée du 7ème art – Editions Atlas (1983)]
DES ŒUVRES SANS AUTEUR
Plusieurs œuvres intéressantes apparurent ici ou là, réussites isolées, dues généralement à un heureux concours de circonstances plus qu’à des auteurs habituellement dépourvus de génie. C’est le cas de La Ferme des sept péchés (1948) de Jean Devaivre, consacré à un sujet original et insolite : la vieillesse et l’assassinat de l’écrivain Paul-Louis Courier. Cette paysannerie historique était souvent assez remarquable. Pierre de Hérain n’était pas un grand cinéaste, mais L’Amour autour de la maison (1946), sur un excellent scénario de Roger Leenhardt, tourné dans de beaux extérieurs bretons, proposait une atmosphère de roman angle-saxon, très exceptionnelle dans le cinéma de, ces années, et Maria Casarès y faisait une belle composition de fille sauvage. Sans être complète, la réussite fut aussi intéressante que méconnue.
Serge de Pologny, lui, est déjà presque un auteur, pour deux ou trois films, comme l’étrange Fiancée des ténèbres, présenté en 1945. Avec La Soif des hommes (1949), il fut à peu près le seul cinéaste français à avoir évoqué l’Algérie des premiers temps de la conquête française et il s’agissait d’une œuvre de qualité, qui, malheureusement, n’eut pas de postérité. Plusieurs films commerciaux, dans les genres les plus variés, témoignèrent d’une conscience professionnelle susceptible de produire à l’occasion des résultats inattendus, et de les hausser au-dessus de leur niveau. Ainsi, Le Capiton (1945), de Robert Vernay, fut un excellent film de cape et d’épée, en deux épisodes, plein de mouvement et de verve, animé par de bons acteurs, dont un remarquable cavalier Jean Paqui (le chevalier d’Orgeix), héros de l’histoire. Le Bateau à soupe (1946) ressuscitait les charmes de l’aventure maritime et de la marine à voiles, mais il souffrait un peu d’une mise en scène relâchée de Maurice Gleize.
Parmi d’innombrables policiers, on peut retenir 120, rue de la Gare (1945) de Daniel-Norman, d’après Léo Malet, dont le héros, Nestor Burma, était incarné avec dynamisme par René Dary. Deux ou trois comédies musicales ont laissé un agréable souvenir, notamment celles que conduisait Ray Ventura avec son orchestre, Mademoiselle s’amuse (1947) et Nous irons à Paris (1949), toutes deux de Jean Boyer. Bonne comédie dramatique, d’un populisme sympathique, sans mièvrerie, Le Café du Cadran (1946) devait sans doute moins à son signataire officiel qu’à Henri Decoin, alors frappé d’interdiction et crédité comme « superviseur ». Quant à Pour une nuit d’amour (1946), beau drame très noir inspiré de Zola, c’est aussi une réussite isolée, mais elle est due cette fois-ci à un cinéaste authentique, encore que poursuivi par la malchance, Edmond T. Gréville. [La grande histoire illustrée du 7ème art – Editions Atlas (1983)]
UNE NOUVELLE GÉNÉRATION
Dans la liste de ceux qui débutent après la guerre, on trouve d’abord René Clément, qui signe en 1945 La Bataille du rail, une tentative insolite pour le cinéma français – de néoréalisme intégral, qui ne manque pas d’affinités avec le cinéma de Rossellini. Tourné sur les lieux de l’action réelle avec d’authentiques cheminots, le film reconstituait un attentat contre un convoi allemand durant la Seconde Guerre mondiale. Son style était épique mais dépouillé et, malgré quelques invraisemblances, le spectateur ressent une tension sans artifices. Passé au cinéma de fiction, Clément réalisa ensuite Les Maudits (1946), film d’aventures se déroulant à bord d’un sous-marin, et Au-delà des grilles (1948), film italo-français très ambitieux qui cherchait à concilier le « vieux » réalisme français et le néoréalisme italien, sans y parvenir tout à fait.
Jean-Pierre Melville a été considéré comme un précurseur de la nouvelle vague avant de faire une carrière brillante dans le domaine du « film noir« . Les films de ses débuts, réalisés avec une grande économie de moyens, avaient une origine littéraire ambitieuse. Le Silence de la mer (1947), d’après le récit de Vercors, et Les Enfants terribles (1949), adapté du roman de Cocteau, dénotaient un talent très prometteur. Parmi les autres films de l’époque puisant dans les sources littéraires, signalons L’Idiot (1946), d’après Dostoïevski, réalisé par Georges Lampin, et La Danse de mort (1948), d’après Strindberg, de Marcel Cravenne. Cette dernière œuvre, assez inégale, présente tout de même un certain intérêt, en raison de la contribution d’Erich von Stroheim, qui fournit une interprétation mémorable et participa également au scénario. Les Dernières Vacances (1948) n’était pas une adaptation, mais avait quelque chose de littéraire par le style et le contenu, Son réalisateur, Roger Leenhardt, y raconta avec une grande justesse romanesque ses souvenirs de jeunesse dans les milieux protestants. Défendu par André Bazin, ce « film d’auteur » précédait de dix ans ceux de la nouvelle vague. L’Italien Marcello Pagliero se distingua avec Un homme marche dans la ville (1949), qui a pour cadre les docks du Havre. Les films de Pagliero se ressentaient de multiples influences françaises, cinématographiques et intellectuelles : de l’existentialisme au populisme, en passant par le « réalisme gris », porteur d’un certain contenu social. Mais son œuvre prometteuse tourna court.
En 1949 sortit le premier long métrage de Jacques Tati, Jour de fête, dont le héros était un facteur de campagne particulièrement gaffeur. Sans sujet précis, le film racontait une journée fériée dans un village, où l’arrivée du manège et du cinéma ambulant sème une joyeuse pagaille. Il unissait la description savoureuse d’une province pleine d’individus pittoresques à un humour intellectuel, le goût de la farce traditionnelle et bruyante à un surréalisme souriant digne des frères Prévert. Jour de fête révéla un personnage d’une géniale décontraction, et une personnalité très originale ; Tati n’avait pas oublié les leçons de Chaplin et de Clair, de Sennett et d’autres encore. La fantaisie de mime de Tati acteur et son sens du gag conféraient au film une plénitude visuelle inhabituelle dans l’histoire du cinéma comique parlant.
Farrebique (1946) est un film tout à fait à part. Pour le réaliser, Georges Rouquier vécut un an dans une ferme, observant les travaux et les jours d’un petit monde rural à travers la succession des saisons. Il donna naissance à un véritable poème du travail agricole, tout entier fondé sur la réalité quotidienne.
Dans un autre genre, il faut rappeler Paris 1900 (1948) de Nicole Védrès, un film de montage qui restituait, par l’emploi habile de documents d’époque, tout le « parfum » de la Belle Epoque. La cinéaste eut moins de succès avec La vie commence demain (1949), sorte de bilan du monde moderne auquel participèrent Gide, Sartre, Picasso, Le Corbusier, etc.
Une autre femme, Jacqueline Audry, première femme metteur en scène depuis Germaine Dulac, fit ses débuts au même moment. Si son premier film, Les Malheurs de Sophie (1945), n’avait guère d’intérêt, Gigi (1949) d’après Colette fut l’une agréable réussite qui fit de Danièle Delorme une grande vedette. Minne, l’ingénue libertine (1950) qui reprenait les mêmes recettes fit preuve de délicatesse sur un sujet osé pour l’époque : la frigidité. Enfin Olivia (1950), d’après un petit roman à succès de Dorothy Bussy, abordait avec tact les tentations de l’homosexualité féminine, dans un cadre et une situation qui devaient beaucoup à Jeunes Filles en uniforme (Mädchen in Uniform, de Leontine Sagan, 1932). Malheureusement, la suite de la carrière de Jacqueline Audry fut plus inégale et il faudra attendre la génération suivante pour imposer vraiment des femmes cinéastes. [La grande histoire illustrée du 7ème art – Editions Atlas (1983)]
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