Gregory Peck si Alida Valli in Cazul Paradine (1947)
Louis Jourdan si Alida Valli
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Par Justin Kwedi - le 13 décembre 2017
L'HISTOIRE
L'avocat Anthony Keane est chargé de la défense de Mrs. Paradine, accusée d'avoir assassiné son riche mari aveugle. Fasciné par la beauté de sa cliente, il se laisse aisément persuader de son innocence, d'autant plus qu'il ne tarde pas à s'amouracher d'elle, bien que marié lui-même avec une femme présentant toutes les qualités.
ANALYSE ET CRITIQUE
Le Procès Paradine est le dernier film d’Alfred Hitchcock réalisé pour le compte du producteur David O. Selznick. Ce dernier avait invité et fait faire ses premiers pas à Hollywood à Hitchcock qui passait de la totale liberté de sa période anglaise à l’interventionnisme du nabab hollywoodien. La fantaisie et l’inventivité d’Hitchcock allaient ainsi se confronter à la rigueur de Selznick avec le somptueux mélodrame gothique Rebecca (1940) et l’inventif mais plus mineur La Maison du Docteur Edwardes (1945). Entretemps, Hitchcock aura su appréhender le système hollywoodien et s’épanouir hors du giron de son « parrain » en signant notamment Lifeboat (1944) pour la Fox et surtout Les Enchaînés (1946) dont la pré-production fut financé par Selznick avant d'être contraint de revendre le projet à la RKO pour combler les dépassements de Duel au soleil (1947). Le Procès Paradine est donc leur dernière collaboration commune, Selznick échouant à faire signer un nouveau contrat à Hitchcock désormais émancipé. Les frustrations s’amoncellent donc une nouvelle fois pour le réalisateur avec un sujet imposé et écrit par Selznick dans sa première mouture - adapté d’un roman de Robert Smythe Hichens - avant d’être remanié par Alma Reville, Ben Hecht et James Bridie. Il en va de même pour le casting où celui envisagé par Hitchcock - Laurence Olivier (Anthony Keane), Greta Garbo (Anna Paradine) et Robert Newton (André Latour - est remplacé par des espoirs potentiels sous contrat chez Selznick : Gregory Peck, Alida Valli et Ann Todd. Le film constitue donc un Hitchcock assez mineur et pas particulièrement palpitant dans sa trame judiciaire. Il trouve pourtant un vrai intérêt par les trouvailles formelles et les parallèles intéressants avec d’autres œuvres du Maître du suspense.
Le premier élément frappant est la façon dont Le Procès Paradine semble constituer le pendant inversé de Rebecca. Le personnage-titre de ce film brillait par son absence physique (puisque étant décédé) tout en imprégnant tous les personnages marqués par son souvenir, hantant tous les oppressants décors symboles de son aura maléfique. Sa présence invisible empêchait Joan Fontaine de s’approprier son nouveau foyer et éloignait son époux, le surnaturel sous-jacent contrebalançant avec une obsession plus psychanalytique à travers la gouvernante Mrs Danvers. Dans Le Procès Paradine, l’accusée Mrs. Parradine (Allida Valli) semble être l’incarnation vivante de Rebecca (son allure correspondant au portrait peint vu d’elle dans le film et au semblant de description du livre de Daphné Du Maurier) ; et plutôt que de les laisser deviner, Hitchcock donne à voir son influence et sa séduction néfaste envers ceux qui daignent l’approcher.
La dualité blonde/brune, ténèbres/lumières et vice/vertu s’illustre dans le triangle amoureux formé par l’avocat Kean déchiré entre son épouse Gay (Ann Todd) et Mrs. Paradine. Nous découvrons Mrs. Paradine en ouverture dans les clairs-obscurs de sa demeure où elle joue du piano en robe noire ; la fascination et le mystère qu’elle dégage s’amorcent dans un mouvement de caméra saisissant un visage faussement paisible et troublé par un regard incertain entre bonté et folie. A l’inverse, Gay apparaît dans un décor domestique lumineux au blanc dominant, à l’image de sa blondeur « pure » et de ses tenues classiques. L’érotisme, le désir et la manipulation irriguent les rencontres pourtant chastes entre Keane et Mrs. Paradine en prison, quand la tendresse du couple Keane/Gay paraît bien timorée alors que plus tactile. Hitchcock renoue d’ailleurs avec l’obsession amoureuse purement formelle de Rebecca le temps d’une scène magnifique où Kean visite la maison de campagne des Paradine et se trouve comme hypnotisé dans la chambre de Mrs. Paradine dont la personnalité nimbe les lieux.
Il est dommage que l’interprétation inégale et les péripéties laborieuses gâchent cette approche. La raideur et la distinction anglaise d’un Laurence Olivier auraient rendu la bascule vers un désir fiévreux bien plus significatif qu’avec le trop propre sur lui Gregory Peck, plus intéressant dans la faillite finale de son personnage durant les scènes de procès. De même, Hitchcock ne semble pas manifester un grand intérêt pour Ann Todd, pendant trop tiède à la présence envoutante d’Alida Valli qui suscite toute son attention. Cela casse d’ailleurs l’intéressant parallèle entre le couple Gregory Peck/Ann Todd et son possible futur qu’incarne celui formé par Charles Laughton et Ethel Barrymore, la bienveillance de Barrymore ne pouvant plus rien pour le nihilisme amer de Laughton. La prestation de celui-ci est toutefois l’occasion d’une critique en filigrane de la corruption de cette haute société anglaise bouffie de sa supposée supériorité, notamment lors de la scène où il tentera de séduire Ann Todd. C’est donc des personnages ambigus plutôt que des «gentils » que naîtra l’émotion.
La connexion entre Mrs Paradine et le valet André Latour (Louis Jourdan dans son premier rôle hollywoodien) se ressent ainsi par la seule mise en scène avec ce panoramique où Alida Valli semble comme deviner la présence de Jourdan en arrière-plan lors de son arrivée dans la salle d’audience. C’est là que la tragédie se noue par la réalisation inventive d’Hitchcock avec ses plongées, ses mouvements où alternent l’expression de la présence hiératique de Mrs. Paradine, la peur de Gay en spectatrice discrète voyant son époux perdre pied. Les plans rapprochés servent à saisir les âmes en perdition, que ce soit un Gregory Peck dépassé, Louis Jourdan et ses désirs contradictoires ou l’observateur goguenard de la douleur des autres qu’est Charles Laughton. Mais c’est surtout Alida Valli maudissant de sa haine et de son mépris Gregory Peck qui marque durablement, la photo de Lee Garmes jouant parfaitement du contraste de sa robe noire et de la pâleur de son visage, le tourment et la passion dans une même image ambiguë. C’est réellement là que se situe la vraie conclusion du film plutôt que dans le double épilogue final avec des figures qui n’auront jamais su réellement nous intéresser.
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