joi, 1 octombrie 2020

2. TO HAVE AND HAVE NOT (le Port de l’angoisse) – Howard Hawks (1944)

 


TO HAVE AND HAVE NOT (le Port de l’angoisse) – Howard Hawks (1944)

« Est-ce que tu crois qu’on pourrait créer un personnage féminin qui soit insolent, aussi insolent que Bogart, qui insulte les gens, qui le fasse en riant, et arriver à ce que le public aime ça ? » demanda Howard Hawks au scénariste Jules Furthman. Ainsi naquit le personnage de Marie Browning, la fille qui apprend à siffler à Bogart. Et ce n’est rien de dire que le public aima. Bogart, aussi, mais c’est une autre histoire.
Au départ, le film est un défi viril entre deux amis : Hawks achète les droits d’En avoir ou pas, d’Ernest Hemingway, parce que l’écrivain parie avec lui qu’il ne réussira jamais à l’adapter au cinéma ! Le cinéaste simplifie l’action, la déplace de l’Amérique latine à la Martinique, et se concentre sur les rapports entre une fille qui se comporte comme un mec et Harry Morgan, dont il fait un propriétaire de yacht individualiste, coincé dans la lutte entre Vichy et la France libre. Comme dans Casablanca ? Et alors ? Hawks est sûr de faire mieux ! Il fait différent, moins stylisé que Michael Curtiz, avec des scènes ­d’action sèches et tendues — comme lorsque Bogart abat le capitaine Renard à travers le tiroir de son bureau. Surtout, il laisse le champ libre à Lauren et à Humphrey, avec des dialogues improvisés et répétés quelques minutes avant les prises — une méthode louée par le coscénariste, William Faulkner.
Hawks lui-même se félicitait que l’intrigue ne soit qu’un « prétexte à certaines scènes » où Bogart, beau joueur et déjà amoureux, « regardait tranquillement une fille lui voler la vedette ». Coup de foudre en direct. Film mythique. [Guillemette Odicino / Télérama]

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TO HAVE AND HAVE NOT (le Port de l’angoisse) – Howard Hawks (1944) – Humphrey Bogart, Lauren Bacall

Fort de France sous la tutelle du Gouvernement de Vichy durant l’été 1940. Harry Morgan est un aventurier américain qui gagne sa vie en louant son bateau pour des parties de pêche à l’espadon. Bien que la cause des résistants français de Martinique lui soit sympathique, Morgan refuse d’être mêlé de quelque façon à leur lutte clandestine. Aussi leur refuse-t-il de mettre son si précieux bateau à leur disposition. Mais lorsque son dernier client, Johnson, est abattu dans une rafle avant d’avoir pu payer sa dette, Morgan, désormais sans le sou, se trouve contraint de déroger à ses principes…

Fils d’un riche entrepreneur du papier de l’Indiana, Howard Hawks, parfois surnommé « le Renard gris », écrivait et réalisait depuis son arrivée à Hollywood dans les années 20.
Dans les années 40, il était un des talents les plus respectés du milieu. Pendant des années, Hawks avait voulu adapter à l’écran un roman d’Hemingway. Il se vantait de pouvoir tirer un film de la pire chose qu’Hemingway ait écrite. «Laquelle est-ce ?» a demandé Hemingway. Le Renard gris a répondu : «Ce ramassis de bêtises : To Have and Have Not ». Hawks a passé le roman à Jules Furthman, scénariste du studio et associé de longue date. Ses différentes versions ressemblaient beaucoup au roman qui se révélait problématique : Un contrebandier de rhum à Cuba se lie à des braqueurs de banque révolutionnaires et se fait tuer à la fin. L’idée d’une adaptation à l’écran déplaisait à l’administration Roosevelt, celle-ci a tenté de forcer le studio à annuler le film en bloquant le permis d’exploitation car il décrivait la corruption et la violence de Cuba. Alors Hawks a eu une autre idée. Des repérages ont montré une île isolée des Caraïbes hors d’atteinte du gouvernement américain : la Martinique de Vichy, la solution était simple : changer l’emplacement. Hawks a passé la version de Furthman à son scénariste préféré, William Faulkner, c’était un rêve devenu réalité pour Faulkner qui était ravi de collaborer avec Hemingway, qui avait plus de succès. En une semaine, Faulkner a déplacé l’histoire en Martinique, éliminé des épisodes, en a créé de nouveaux, a changé les personnages et les a tous situés sous le même toit d’un hôtel. Le scénario, cependant, était le cadet des soucis de Hawks, il s’attachait plus à faire une star d’une totale inconnue.

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TO HAVE AND HAVE NOT (le Port de l’angoisse) – Howard Hawks (1944) – Humphrey Bogart, Lauren Bacall, Walter Brennan

En 1944, Humphrey Bogart a enfin atteint la célébrité qui lui avait si longtemps fait défaut. Il lui avait fallu 20 années difficiles pour rencontrer le succès et il était déterminer à la préserver. Sa vie privée, cependant, était une autre histoire. Ses problèmes domestiques s’amplifiaient car sa femme, Mayot Methot, devenait de plus en plus instable physiquement et mentalement. A l’autre bout du pays, un jeune mannequin, Betty Perske, entamait le même voyage de New York à Hollywood que Bogart avait entrepris 10 ans plus tôt. L’écrivain Hemingway et le réalisateur Hawks formeront le duo improbable qui réunira Bogart et Perske, donnant naissance à l’une des romances les plus légendaires d’Hollywood.

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TO HAVE AND HAVE NOT (le Port de l’angoisse) – Howard Hawks (1944) – Humphrey Bogart, Lauren Bacall, Marcel Dalio, Dolores Moran, Walter Surovy

Contrairement à Bogart, Betty Perske n’était pas riche quand elle est venue au monde en 1924, fille d’une pauvre famille juive du Bronx, ses parents avaient divorcé quand elle est était petite et elle voyait rarement son père. Elevée par sa grand-mère, dont le nom était Bacall, elle fréquentait l’Académie d’arts dramatiques et adulte, elle obtint quelques rôles à Broadway. Elle était aussi mannequin et sa photo en couverture d’Harper’s Bazaar en 1943 a attiré l’œil de Nancy « Slim » Gross, la femme d’Howard Hawks, elle lui a montré la couverture et il a tout de suite été captivé par le regard oppressant qui le fixait.

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Hawks a amené le mannequin à Hollywood, signant avec elle un contrat exclusif de sept ans qui démarrait à 100 dollars par semaine. Hawks a commencé à transformer Betty Perske en Lauren Bacall, mais le studio n’était pas sûr qu’elle corresponde au personnage de Marie, une femme endurcie par la vie. Pour gagner du soutien, Hawks lui a présenté Bogart sur le tournage de Passage to Marseille, mais il n’y a pas eu d’entente immédiate, comme elle l’a dit. Pour l’essai de Bacall pour To Have and Have Not , on dit que Hawks a écrit la célèbre « scène du sifflet », même si on n’est pas sûr qu’il fut le véritable auteur. Pendant le tournage, Faulkner a trouvé le moyen d’insérer cette scène qui n’était pas dans le scénario original. L’essai a gommé les derniers doutes que le studio pouvait avoir et Hawks a organisé une seconde rencontre avec Bogart.

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TO HAVE AND HAVE NOT (le Port de l’angoisse) – Howard Hawks (1944) – Humphrey Bogart, Dolores Moran, Walter Surovy

Comme le remarque Jacques Lourcelles, To Have and Have Not est une sorte de remake de Casablanca où Humphrey Bogart s’engage dans une action qu’au départ il dédaignait ou traitait à la légère. Mais dit-il « à l’inverse de Casablanca, les personnages ne songent guère au passé, et l’avenir les tourmente peu. Ils vivent au présent et y évoluent à l’aise. Hawks est dans son classicisme, le cinéaste du présent et, par extension, le cinéaste du bonheur (…) Les personnages coulent, sans se prendre au sérieux, leur envie d’action et leur goût du bonheur. Pas plus qu’ils ne songent à composer sur le plan moral, à accepter tel ou tel compromis, les acteurs qui les incarnent n’ont à se soucier de la composition. Hawks est à la recherche de la dimension minimale entre ses personnages et ses interprètes, au moins en ce qui concerne leur caractère, et il l’a trouvée ici au-delà de toutes ses espérances. L’ironie l’insolence tranquille de Lauren Bacall faisaient d’elle dès l’origine un personnage « hawksien » à part entière et Hawks a rassemblé autour d’elle, comme dans tant de ses films, un groupe de personnages qui se comprennent, s’estiment, se ressemblent et font de cette communauté de vues et de caractères la base de leur action.»

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TO HAVE AND HAVE NOT (le Port de l’angoisse) – Howard Hawks (1944) – Humphrey Bogart, Lauren Bacall, Marcel Dalio, Sheldon Leonard

Jacques Lourcelles rappelle que le film et né d’une blague et d’un défi. Hawks avait assuré à Hemingway qu’il pourrait tirer un bon film même de sa plus mauvaise histoire. Hemingway proposa son roman « To have and have not ». Le film fut refait deux fois, la première par Michael Curtiz avec The Breaking Point (Trafic en haute mer) en 1950 puis par don Siegel avec The gun runners en 1958.

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TO HAVE AND HAVE NOT (le Port de l’angoisse) – Howard Hawks (1944) – Humphrey Bogart, Lauren Bacall

La distribution du film se fit rapidement. Comme le rôle de Sylvia / Hélène devait être aussi important, ou plus, que celui de Marie, on avait envisagé Ann Sheridan, que Hawks avait recommandée à Warner après son essai pour The Road to Glory (Les Chemins de la gloire,1936) des années plus tôt. Mais l’idée fut abandonnée, le rôle ayant perdu de l’importance (de plus, Sheridan était « suspendue » par le studio à l’époque). N’ayant plus besoin d’un grand nom, Hawks s’intéressa, de plus d’une façon, à Dolores Moran, et décida que son apparence plus charnelle et voluptueuse contrasterait efficacement avec la sveltesse de Bacall. Walter Brennan, seul choix possible pour Eddie l’ivrogne, fut emprunté, non sans les difficultés d’usage, à Goldwyn. Dan Seymour, un ancien artiste de night-club qui venait de jouer le rôle du portier du Perroquet Bleu, la boîte de nuit de Sydney Greenstreet dans Casablanca, fit d’abord un essai pour le rôle d’un des révolutionnaires cubains, qu’il trouva absurde. Un peu plus tard, dit-il, « je reçus un scénario, et ça n’avait rien à voir avec la scène que j’avais tournée. La couverture disait « Dan Seymour, capitaine Renard ». Je l’ai lu et ai découvert qu’il s’agissait du policier de Vichy ». Hawks le coiffa lui-même d’un béret, demanda qu’on le rembourre pour accentuer encore ses cent soixante kilos, et lui dit de n’utiliser qu’un très léger accent français. Marcel Dalio, le génial acteur français qui lui aussi avait un rôle dans Casablanca, s’imposait pour jouer Gérard, ou « Frenchy ». [Hawks – Todd McCarthy – Institut Lumière / Actes Sud (1999)]

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TO HAVE AND HAVE NOT (le Port de l’angoisse) – Howard Hawks (1944) – Lauren Bacall, Hoagy Carmichael

Quant à Hoagy Carmichael, ce sympathique compositeur de chansons à succès avait écrit des airs pour de nombreux films et avait tenu un petit rôle dans l’un d’eux, mais n’avait jamais eu la moindre ambition d’être acteur. Slim et la femme de Carmichael, Ruth, étaient presque voisines, et se lièrent d’amitié. Bientôt les Carmichael furent de fréquents invités à Hog Canyon. « J’étais assez fasciné par Hawks parce qu’il avait ce qu’on appelle de la classe, il était compréhensif et intelligent, a dit Carmichael. J’étais enchanté que nous soyons amis. Soudain, alors que j’étais à New York, je reçois un télégramme de lui me demandant si j’aimerais être dans le film.» Quand Carmichael revint en Californie, Hawks le mit à l’aise en lui faisant jouer « How Little We Know » au piano pour son essai. Carmichael était chez lui devant un clavier, et nul n’aurait pu être plus naturel dans le rôle d’un sympathique musicien de saloon qu’un pianiste véritable. [Hawks – Todd McCarthy – Institut Lumière / Actes Sud (1999)]

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TO HAVE AND HAVE NOT (le Port de l’angoisse) – Howard Hawks (1944) – Humphrey Bogart, Lauren Bacall

Le scénario inachevé, le tournage a démarré le 29 février 1944,  avec Lauren Bacall qui demande : « Quelqu’un a une allumette ? » Elle était si nerveuse qu’elle tremblait de frayeur, Bogart essayait de l’aider à se détendre, mais elle comprit que la seule façon de cacher son tremblement était de rester tête basse, de baisser le menton et de lever le regard, c’était la naissance du « regard » qui l’a rendue célèbre. Avec Bogart, Bacall a pris confiance et a commencé à s’imposer dans le film, Hawks a réduit les scènes de Dolorès Moran et a consolidé le rôle de Bacall.

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TO HAVE AND HAVE NOT (le Port de l’angoisse) – Howard Hawks (1944) – Humphrey Bogart, Lauren Bacall

Trois semaines de tournage et la célèbre romance de Bogey et Bacall a commencé, il est allé lui dire bonne nuit dans sa loge, s’est penché impulsivement lui a mis la main sous le menton et l’a embrassé sur les lèvres. Il lui a fait écrire son numéro sur une boîte d’allumettes, elle l’a fait avec joie. C’était un comportement inhabituel pour Bogart qui était connu pour sa fidélité quand il s’agissait de mariage.

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TO HAVE AND HAVE NOT (le Port de l’angoisse) – Howard Hawks (1944) – Humphrey Bogart, Marcel Dalio, Dolores Moran, Walter Surovy

Leur romance a eu un effet positif sur le tournage qui est devenu irrévérencieux et détendu, Hawks était le seul à ne pas être content, il était furieux et jaloux de leur relation, vexé que Bacall n’est pas craqué pour lui… Il avait une histoire avec Dolores Moran et une figurante, Dorothy Davenport. Si Hawks n’était pas content, la femme de Bogart l’était encore moins, elle a commencé à venir au studio , l’équipe avertissait Bogart et Bacall et disait à Mayo que Bogart était sorti avec les acteurs pour l’éloigner. Mais une fois le film dans la boîte après 62 jours de tournage, Bacall est allée chez les Hawks et Bogart retourna auprès de Mayo. Moins d’un an auparavant, Betty Perske n’était qu’une aspirante actrice et mannequin, mais durant les semaines précédant la première de To Have and Have Not, Hawks et la Warner l’ont mise sous le feu des projecteurs, réinventant son passé pour la remodeler en Lauren Bacall, star.

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TO HAVE AND HAVE NOT (le Port de l’angoisse) – Howard Hawks (1944) – Humphrey Bogart, Lauren Bacall, Marcel Dalio

Pendant tout le tournage, Hawks limita les contacts de Bacall avec la presse, préparant soigneusement un lent crescendo publicitaire qui atteindrait son point culminant avec la sortie du film. L’énorme succès des deux avant-premières convainquit le studio que Le Port de l’angoisse n’était pas un film ordinaire. Le chef de la publicité, Charles Einfeld, s’enthousiasma quand il vit le film avec le public : « On n’a rien vu de semblable à Bacall au cinéma depuis Garbo et Dietrich. C’est une des plus formidables attractions que nous ayons jamais eues ». Pendant des mois, journaux et magazines stimulèrent l’intérêt du public pour « The Girl with The Look », Au même moment, à Hollywood, Bacall dut endurer un été pendant lequel elle ne put passer que quelques brefs et furtifs moments avec Bogart, qui était avec sa femme sur son yacht à Newport. Hawks était convaincu d’avoir eu raison de faire en sorte que Bogart ne quitte pas sa femme pour Bacall. Et il était si satisfait de l’interprétation de Bacall dans le film qu’il décida de lui pardonner ses frasques et d’accepter l’offre de Jack Warner de préparer immédiatement un autre film pour Bogart et Bacall, certain qu’elle continuerait à subir sa judicieuse influence. [Hawks – Todd McCarthy – Institut Lumière / Actes Sud (1999)]

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ON SET – TO HAVE AND HAVE NOT (le Port de l’angoisse) – Howard Hawks (1944)

«C’est le meilleur et le seul véritable metteur en scène de cinéma avec qui j’ai jamais travaillé, a dit Bacall .. Je pense qu’il était totalement en avance avec cette façon pleine d’esprit de montrer les hommes et les femmes. Ses films n’ont pas vieilli ils sont complètement modernes. Il trouvait que les femmes devaient se comporter comme les hommes. Avec lui, on se sentait en sécurité. Et on s’amusait ». Les farces étaient à l’ordre du jour. Hoagy Carmichael joua tout le film avec un cure-dent à la bouche, ce qui ajouta un aspect mémorable à son personnage. « C’était un truc, comme George Raft et sa pièce de monnaie. C’était mon idée et Howard n’a pas dit que ça lui plaisait, mais il n’a pas dit le contraire ». Bien que n’étant pas le bienvenu sur le plateau, Jack Warner annonça un jour qu’il amenait l’échotière Louella Parsons. Dan Seymour se souvient que le premier assistant, Jack Sullivan, « informa Hawks, qui prit la porte, monta dans sa voiture et quitta le studio. Sullivan nous renvoya tous chez nous. Quand Warner arriva avec Louella, Hawks, Bogie et Bacall étaient partis. Jack Sullivan dit à Warner qu’on avait fini pour la journée. Michael Curtiz en entendit parler et essaya de faire la même chose, mais en vain. Warner et les autres avaient peur de Hawks parce qu’il était tellement froid ». [Hawks – Todd McCarthy – Institut Lumière / Actes Sud (1999)]

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TO HAVE AND HAVE NOT (le Port de l’angoisse) – Howard Hawks (1944) – Lauren Bacall, Hoagy Carmichael

Bacall était surprise que Hawks veuille qu’elle chante dans le film. Elle prenait des leçons, mais personne ne savait si elle pourrait chanter elle-même et Hawks chercha une chanteuse qui pourrait éventuellement la doubler ce qui n’était pas facile étant donné la voix de Bacall. Il en essaya plusieurs, dont Lillian Randolph, une chanteuse noire à la voix grave, Dolores Hope, et le jeune adolescent Andy Williams. C’est ce dernier que Hawks choisit, et ce fut sa voix, qui sortit du play-back le 1er mai quand il filma finalement How Little We Know. Bacall chantait en même temps, tandis que Carmichael pianotait silencieusement. Hawks aima ce qu’elle faisait et lui dit de continuer. Finalement, il décida de la réenregistrer chantant la chanson, et c’est ainsi qu’en dépit de la légende selon laquelle Andy Williams double Bacall (légende si généralement acceptée qu’elle est devenue la réponse juste au jeu télévisé Jeopardy), la vérité est que Bacall chante bel et bien ses chansons dans Le Port de l’angoisse. [Hawks – Todd McCarthy – Institut Lumière / Actes Sud (1999)]

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TO HAVE AND HAVE NOT (le Port de l’angoisse) – Howard Hawks (1944) – Humphrey Bogart, Lauren Bacall

Quand le film est enfin sur les écrans, le public a adoré le couple Bacall-Bogart. Avec l’agitation suscitée par To Have and Have Not,  Bogart a fait face à une crise, il voulait divorcer de Mayo mais elle sombrait de plus en plus dans l’alcoolisme. A l’automne 1944, commençait le tournage du projet suivant de Hawks : The Big Sleep (Le Grand sommeil).  Les choses avaient changé, on ne s’amusait plus autant sur le plateau. La vie privée et agitée de Bogart le rendait lunatique, réputé professionnel, il commençait à arriver mal préparé, Bacall était son seul rayon de soleil. A Noël, il est venu avec un sifflet en or avec l’inscription : « Si tu as bseoin, siffle », trois jours après la fin du tournage, on annonçait leurs fiançailles.

LES EXTRAITS
  

Fiche technique du film

TO HAVE AND TO HAVE NOT / HAWKS / 1944

 

L'HISTOIRE

Fort de France sous la tutelle du Gouvernement de Vichy durant l’été 1940. Harry Morgan est un aventurier américain qui gagne sa vie en louant son bateau pour des parties de pêche à l’espadon. Bien que la cause des résistants français de Martinique lui soit sympathique, Morgan refuse d’être mêlé de quelque façon à leur lutte clandestine. Aussi leur refuse-t-il de mettre son si précieux bateau à leur disposition. Mais lorsque son dernier client, Johnson, est abattu dans une rafle avant d’avoir pu payer sa dette, Morgan, désormais sans le sou, se trouve contraint de déroger à ses principes...

ANALYSE ET CRITIQUE

 

Même si Only angels have wings reste probablement le plus brillant de tous les Hawks majeurs, il n’est pas interdit de penser que To have and have not est, quant à lui, le titre le plus représentatif des obsessions du grand cinéaste, et partant, le plus parfait. Cette perfection est celle de l’épure. A y regarder de plus près, To have and have not n’offre en effet ni plus ni moins que le squelette (c’est d’ailleurs en terme de durée l’un des plus brefs et des plus denses de ses films essentiels) des œuvres emblématiques passées (Only angels have wings, donc) ou à venir (Red River, The Big Sky, Rio Bravo, Hatari ! etc.). En quelque sorte, To have and have not, c’est un peu Only angels have wings dépouillé de toute aspiration au climax purement dramatique. C’est aussi une matrice à partir de laquelle les autres "films de groupe" ne tisseront plus que de subtiles variations, quels que soient l’environnement et le contexte de leurs intrigues. Enfin, c’est peut-être à cette occasion que Hawks s’est le plus rapproché de ce vers quoi il a toujours tendu, à savoir établir une distance minimale entre l’image et la personnalité de ses interprètes et celles des personnages qu’ils doivent incarner à l’écran. La création par le cinéaste du "mythe" Bacall participe, et nous y reviendrons, de cette approche. Pour toutes ces raisons, nous pourrions presque dire que pour juger du degré d’affinité d’un spectateur pour le cinéma du "Renard Argenté" il suffirait de lui projeter To have and have not.

 

Pourtant la genèse du film ne le prédisposait d’aucune façon à atteindre ce statut filmographique si particulier. Dans les entretiens livrés à Joseph Mc Bride (in Hawks par Hawks) le cinéaste revient sur les conditions rocambolesques dans lesquelles il aurait obtenu de son ami Ernest Hemingway les droits d’adaptation de son roman En avoir... ou pas. Hawks souhaitait convaincre le romancier d’écrire pour le cinéma, mais ce dernier s’y refusait obstinément. A défaut de pouvoir s’attacher ses talents de scénariste, Hawks se serait donc résigné à acquérir les droits cinématographiques d’un de ses romans. Il aurait obtenu ceux d’En avoir... ou pas après avoir prétendu pouvoir tirer un bon film du plus mauvais des écrits d’Hemingway à cette date. Il est probable que ces propos relèvent plus de la légende que de la réalité des faits, puisque selon d’autres sources ce serait Hemingway lui-même qui aurait défié son compère de chasse et de pêche de pouvoir transformer celui qu’il jugeait le plus mauvais de ses romans en succès du grand écran. Quoi qu’il en soit, il ne reste rien du roman d’aventures d’Hemingway après le traitement que lui font subir Hawks et ses deux scénaristes successifs, Jules Furthman et William Faulkner. Et les admirateurs intégristes de l’œuvre du "bûcheron" de l’Illinois feront mieux de s’orienter vers la version ultérieure de Michael Curtiz (The Breaking Point), bien qu’encore très infidèle, voire peut-être vers celle de Don Siegel (The Gun Runners) quand bien même jugée exécrable par la plupart de ceux qui ont pu la découvrir.

 

C’est Furthman, le mythique scénariste de Josef von Sternberg et collaborateur de Hawks, déjà, sur Come and get it et Only angels have wings, qui s’attelle aux premières ébauches du scénario, à partir de l’orientation imaginée conjointement par les deux compères. Ces premiers drafts restent encore très proches du canevas de l’original littéraire, bien que d’emblée Harry Morgan perde son handicap de manchot ("Je ne sais pas comment mettre en scène un manchot" expliquera le cinéaste qui s’était déjà confronté au problème sur Tiger Shark avec Edward G. Robinson) : celui d’un trafiquant de rhum entre Cuba et la Floride, entraîné presque à son corps défendant dans une action menée par des révolutionnaires cubains pilleurs de banque, et qui connaîtra un sort funeste. Mais la description, entre actes de corruption et violences, du régime cubain alors allié des Etats-Unis, n’a pas le loisir de plaire à l’administration nationale qui menace de refuser de délivrer un visa d’exploitation. Jack Warner enjoint donc Hawks à revoir sa copie.

Le cinéaste a alors l’idée de délocaliser l’intrigue en 1940 sur l’île voisine de Martinique, à l’époque bien évidemment placée sous le joug du gouvernement vichyssois : l’occasion de renouer avec la mythologie fraîchement établie de Bogey, celle de l’Américain neutre et quelque peu désabusé s’engageant pourtant peu à peu dans le combat des forces vives pour un monde libre et meilleur ; son emploi d’Across the Pacific de John Huston (1942), de Passage to Marseilles de Michael Curtiz (1944) et bien entendu un succédané du déjà mythique Richard Blaine de l’éternel Casablanca (Curtiz – 1942). C’est le grand romancier William Faulkner, encore relativement méconnu à cette date sur son sol natal, et ce même si Hawks avait déjà fortement contribué à le pousser un peu plus sous la lumière des spotlights en lui permettant, presque dix ans plus tôt, d’adapter pour lui sa nouvelle Chacun son tour (Today we live avec Joan Crawford et Gary Cooper), qui est chargé de jouer les script doctors. Il avait déjà tenu le même rôle sur le film précédent de Hawks, Airforce, mais sans être crédité à l’écran.

 

Sous sa plume, ce travail d’écriture se poursuit alors même que le tournage des prises de vues réelles est amorcé. Là encore l’analogie avec Casablanca est frappante, si ce n'est que dans le cas présent les grandes lignes du scénario sont quant à elles clairement couchées sur le papier et restent immuables. Les variations apportées ne nourrissent que les digressions typiquement hawksiennes. Mais, avouons-le, bien malin qui pourrait, face à un générique muet, identifier l’origine littéraire de cette œuvre si composite, à tel point d’ailleurs, que s’il avouait mépriser quelque peu son roman, qu’il n’aurait écrit "que pour l’argent", Hemingway reniera dans l’ensemble cette adaptation et lui préférera ses remakes officieux. L’œuvre est composite, oui, car elle se nourrit sans cesse des influences les plus diverses, à commencer par celle de Hawks bien entendu : sous son empreinte, le récit abandonne le ton âpre et fataliste du roman centré sur un aventurier individualiste et quelque peu névrosé pour favoriser l’évocation solaire et détendue des liens unissant quelques amis aux backgrounds très disparates mais partageant malgré tout la même conception de la vie.

 

Cette conception ne repose sur aucun dogme, aucune règle ostensiblement affichée. Tout semble à priori opposer le "mercenaire" Morgan et le patriote impliqué Frenchy (Dalio). Pourtant, et malgré les refus réitérés de ce mauvais client de son établissement (son ardoise y est considérable) de prendre part à sa cause, l’hôtelier français manifestera toujours plus de respect à l’Américain qu’à ses collègues résistants, sentencieux et pusillanimes : de beaux parleurs aux intentions louables, des idéalistes, mais de piètres combattants. En quelques mots, ce ne sont pas des professionnels et ils n’ont pas droit de ce fait au respect absolu du cinéaste, pas plus qu’à celui de ces personnages qu’il affectionne tant : ceux qui s’expriment – et se définissent - dans l’action quand bien même ils pourraient afficher un nihilisme apparent ; ceux, surtout, chez qui les notions de fidélité, de loyauté et de transparence sont comme chevillées au corps. A certains égards d’ailleurs, le personnage du policier collaborateur Renard (inoubliable prestation toute en suavité retorse du volumineux Dan Seymour dans le rôle de sa vie) témoigne d’un sens de la dérision et d’un détachement de façade face à la gravité des événements qui le rendraient - presque - plus attachant que ses adversaires du courant de la France libre, Beauclerc et consorts. Presque, bien sûr, car il est toutefois du mauvais côté de la barrière et, lorsque viendra l’heure de tomber les masques, le portrait qu’en dressera le cinéaste sera sans concession : celui d’un oppresseur qui n’hésite pas à s’attaquer aux plus faibles (il fait gifler les jeunes femmes et "torturer" les vieillards ivrognes) pour faire triompher ses desseins. Ce ne sont pas là les méthodes d’un combattant digne de respect et son comportement amènera Morgan à se départir de sa neutralité. En quelque sorte, le personnage de Bogart fait ici écho aux Etats-Unis qui se décident à plonger dans le conflit lorsque les forces de l’Axe s’en prennent à l’intégrité des leurs (Pearl Harbour).

 

C’est au nom de ce même amateurisme - et de son incapacité à appréhender et accepter les liens indéfectibles qui unissent Morgan et son vieux protégé Eddie ("he thinks HE’s looking after me") - qu’est d’ailleurs d’emblée condamné Johnson, le client de Morgan interprété par Walter Sande ; plus en tout cas que pour ses velléités d’escroquerie percées à jour par le petit délit que commet à son encontre la nouvelle venue Marie (Lauren Bacall). Son amateurisme et sa maladresse semblent s’appliquer à une activité bien dérisoire, puisque la pêche à l’espadon n’est en définitive pour lui qu’un passe-temps de touriste. Mais c’est oublier que, dans l’esprit du cinéaste, la pêche comme la chasse relèvent d’un véritable art de vivre. En cela Hawks est le proche cousin d’Hemingway. Et l’arrogance comme le manque d’humour du personnage ne lui laissent donc aucune circonstances atténuantes : ce sera un tricheur et un lâche qui n’aura pas le courage de défendre ses opinions anti-vichyssoises face à un délateur empressé. Et de fait, lorsque le personnage tombera hors champs sous les balles perdues d’une rafale de mitraillette, sa mort sera constatée avec un détachement qui confine au dédain, voire au mépris. Le cinéaste et son scénariste Furthman, par le biais de leur alter ego Bogart, témoigneront même d’une pointe de cynisme lorsque le malicieux pianiste Cricket (Hoagy Carmichael et son immuable allumette au bec), qui se laissait aller à un tant soi peu de compassion en soulignant l’incident tragique d’une petite mélodie aux relents funéraires, se verra immédiatement rappelé à plus de modération par un Morgan soucieux de faire les poches du défunt afin de récupérer un pourcentage dérisoire de la créance qu’il détenait auprès de lui.

 

Même s’il y a d’autres morts violentes dans Le port de l’angoisse, elles restent particulièrement peu nombreuses pour un film de ce type. Elles sont au nombre de quatre si mes décomptes sont exacts, et deux d’entre elles interviennent intégralement hors champs. Il y a d’ailleurs tout simplement très peu d’action aussi : une fugace séquence de rafle qui permet à Hawks de revisiter quelques instants le style de caméra heurté de son célèbre Scarface et une séquence de sortie en mer qui marque la seule incursion du film dans une quelconque quête du suspense. L’une et l’autre de ces deux séquences sont forcément nocturnes, la nuit permettant à l’action, selon Hawks, de revêtir un supplément d’expressivité dramatique. Pour l’essentiel, le récit organise ses méandres en allées et venues, en confrontations à deux ou trois personnages, entre la chambre de l’un des protagonistes, le bar et la cave de l’hôtel ; aventures oui, mais aventures en chambre. Amateurs de grandes envolées exaltées, passez votre chemin !

Autant dire que peu de titres français se sont avérés plus mensongers que celui-ci ; Hawks et ses scénaristes semblent se moquer comme d’une guigne de tous les éléments constitutifs du cinéma de genre : le danger y est non pas ignoré mais méprisé du seul fait que chacun des personnages principaux n’est intéressé que par la jouissance du moment présent. Dans Only angels have wings, Hawks et Furthman se permettaient encore de faire ressurgir les fantômes du passé pour les confronter aux actes et décisions du présent : le poids du passé dans l’antagonisme entre le Kid et McPherson, le retour de l’ancienne passion amoureuse (Rita Hayworth), etc. Rien de tel dans To Have and Have not. Mary interrogera Morgan exactement de la même façon que Bonnie (Jean Arthur) questionnait Geoff (Cary Grant) afin de comprendre quelle désillusion amoureuse avait bien pu le rendre aussi méfiant à l’encontre des femmes, et pour tout dire, aussi misogyne. Mais ici son interrogation n’appellera aucune réponse, aucune justification. Ce n’est qu’une interpellation qui ne tend à participer que de la fronde du personnage et de son insolence.

 

S’il fallait qualifier To have and have not, ce serait sans doute "d’éloge triomphant de la décontraction". Cette décontraction heureuse est partout, à commencer par l’ambiance, véhiculée avec un bonheur rare par les lyrics veloutés concoctés par l’ineffable Hoagy. Dans Casablanca, les mélodies de Dooley Wilson contribuaient surtout à magnifier l’émotion romantique et nostalgique, voire à titiller la fibre patriotique. Foin d’une telle recherche, ici. Au contraire, lorsque Carmichael se charge lui-même de l’expression vocale de ses compositions, c’est pour transcender une certaine conception du dépaysement salvateur et un élan vers le partage complice du bonheur, rejoignant en cela l’esprit des intermèdes musicaux de Only angels have wings (Chiquita ! par Maciste et The Peanuts Vendor par Jean Arthur et Cary Grant) ou plus tard de Rio Bravo (My pony, my rifle and me par Dean Martin, Ricky Nelson et Walter Brennan). Et lorsqu’il laisse l’avant scène au timbre plus rauque de Miss Bacall pour le divin How little we know, c’est pour permettre à cette dernière de clamer son épanouissement de femme amoureuse ; et la joie de vivre, alors, d’éclairer à son tour, comme par magie, le regard habituellement si ténébreux d’un Bogey sur un nuage.

 

Les rapports entre les personnages - entre ceux qui s’estiment s’entend - sont empreints de cette même décontraction, caractéristique d’une sérénité, d’une paix intérieure absolue ; celle des êtres qui n’ont rien à cacher et, transparents à l’endroit de leurs défauts tout autant que de leurs qualités, se livrent tout entier à la première rencontre. Cette décontraction ne caractérise pas le comportement du couple de résistants Bursac (Dolores Moran et Walter Molnar), trop soucieux du jugement porté par le partenaire. Elle caractérise par contre le personnage de Lauren Bacall comme jamais elle n’a caractérisé aucun personnage féminin de l’univers hawksien.

"Anybody got a match ?"

C’est sur ces quatre mots que Lauren Bacall fait son entrée dans le Gotha cinématographique hollywoodien. Adossée à l’encadrement de la porte de chambre de Bogart, le menton baissé mais le regard, frondeur et aguicheur, levé vers son futur époux, elle fait craquer son allumette. Immédiatement, Bacall devient "The Look". Une preuve de plus que les mythes tiennent à peu de chose, car la jeune femme, alors à son premier jour de tournage, n’a adopté cette attitude que parce que c’était la seule qui lui permette de masquer son incontrôlable émotion et de maîtriser ses tremblements.

 

Betty Bacall est la création de Hawks, qui l’avait remarquée en couverture d’Harper’s Bazar, et attirée de New York, où elle n’avait tenu que quelques petits emplois on et off Broadway, vers la capitale du cinéma. Hawks restait sur une désillusion avec la prestation offerte par Jean Arthur (il est le seul !), plus colorée et ouvertement romantique, dans Only angels have wings. Il s’est donc mis en tête de créer de toute pièce une star féminine qui corresponde au plus près à son idéal féminin, quelque part entre Frances Farmer (la vedette au destin tragique immortalisée à l’écran par Jessica Lange) et la belle Slim, épousée en 1941 : une femme de tête, intelligente et déterminée, dotée de répondant face à n’importe quel homme et pourtant parée de tous les atours de la féminité. C’est ainsi qu’il la dirige dans son test screen après de longs mois de modelage attentionné : la scène écrite par Furthman fonctionne si bien qu’elle sera intégrée au métrage pour s’imposer comme l’un des moments les plus significatifs de toute l’histoire du cinéma : Slim conquiert Steve (réminiscences du couple Hawks qui aimait à s’interpeller ainsi) et l’embrasse. Elle réitère, comme toujours chez Hawks, pour se faire une idée plus précise. La séquence se clôt sur une réplique mythique, d’une essence purement hawksienne.

 

"You know you don’t have to act with me.
You don’t have to say anything and you don’t have to do anything.
Not a thing...
Or maybe just whistle.
You know how to whistle, don’t you Steve ?
You just put your lips together and blow."


Répétée face à Charles Drake pour le bout d’essai, la séquence était forcément hawksienne. Mais à l’écran, face à Bogart, elle s’enrichit d’une autre dimension. C’est bien de la naissance d’un couple d’une alchimie prodigieuse dont nous sommes les témoins. Petit à petit Galatée échappe à son Pygmalion. Les dialogues et les relations entre les deux personnages à l’écran ne se nourrissent plus exclusivement des perles imaginées par les auteurs mais aussi de la complicité naissante entre le géant d’Hollywood et la petite nouvelle de 19 ans. Ainsi de ce geste attentionné de Bogey soulevant délicatement le menton de la troublante Betty, en amont de la séquence précédemment décrite, et qui fait écho aux circonstances dans lesquelles le couple venait de s’unir.

 

L’alchimie est telle que bientôt le spectateur ne sait plus si le couple joue la comédie ou s’il ne fait qu’apparaître à l’écran. D’autres variations seront tissées ultérieurement par des cinéastes tels que Delmer Daves ou John Huston qui apporteront un début de réponse. Mais peu importe, c’est aussi là que s’inscrit le mythe merveilleux de To Have and have not. Le bonheur du couple est si palpable qu’il rejaillit à l’écran et contamine le spectateur. Et lorsque à la fin la belle Betty, roulant des hanches, et sa conquête de Bogey s’éloignent à l’écran vers de dangereuses aventures, suivis comme leur ombre par un Walter Brennan plus "hors d’usage" que jamais mais claudiquant et sautillant de joie de vivre, c’est une véritable parenthèse enchantée qui se referme.

- Hey Slim, are you still happy ?
- What do you think ?

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Le port de l'angoisse

 
  
 
1944

Genre : Film noir

(To have and have not). D'après le roman d'Ernest Hemingway. Avec : Humphrey Bogart (Harry Morgan) Lauren Bacall (Marie Browning) Walter Brennan (Eddie) Dolores Moran (Hélène de Bursac) Hoagy Carmichael (Cricket) Walter Molnar (Paul de Bursac) Sheldon Leonard (Lieutenant Coyo). 1h40.
 

 

Fort-de-France (la Martinique) été 1940. Harry Morgan, propriétaire d'un yacht, gagne sa vie en emmenant à la pêche de riches touristes. Alors qu'il raccompagne à son hôtel un " gros " client, un Américain, Johnson, Morgan est contacté par Gérard, patron de l'hôtel où il loge et gaulliste de cœur, Gérard lui demande de l'aider à faire entrer clandestinement dans l'île un chef de la Résistance. Morgan, qui regarde avec une certaine indifférence la lutte entre la sÛreté nationale de Vichy et les partisans de la France libre, refuse.

 Il fait la connaissance de Marie, une jeune Américaine. Alors que Johnson s'apprête à lui signer son chèque, il est tué par une balle perdue, destinée à un résistant. Morgan n'a plus d'argent. Pour payer son billet d'avion à Marie (ils sont aussitôt tombés amoureux l'un de l'autre) Harry accepte la proposition de Gérard. Avec Eddie, son second, il part pour l'île du Diable où l'attendent Paul et Hélène de Brusac. Une vedette de la police survient et Brusac est blessé. Alors qu'il regagne l'hôtel de Gérard, Harry aperçoit Marie qui chante au bar : elle l'a attendu ! Dans la cave de l'hôtel, Harry extrait la balle de l'épaule de Brusac. La police vichyssoise enquête : l'inspecteur Renard soupçonne Harry. Mais celui-ci parviendra à quitter Fort-de-France avec Marie et Eddie !

 

Comme le remarque Jacques Lourcelles, Le port de l'angoisse est une sorte de remake de Casablanca où Humphrey Bogart s'engage dans une action qu'au départ il dédaignait ou traitait à la légère. Mais dit-il "à l'inverse de Casablanca, les personnages ne songent guère au passé, et l'avenir les tourmente peu. Ils vivent au présent et y évoluent à l'aise. Hawks est dans son classicisme, le cinéaste du présent et, par extension, le cinéaste du bonheur (...) Les personnages coulent, sans se prendre au sérieux, leur envie d'action et leur goût du bonheur. Pas plus qu'ils ne songent à composer sur le plan moral, à accepter tel ou tel compromis, les acteurs qui les incarnent n'ont à se soucier de la composition. Hawks est à la recherche de la dimension minimale entre ses personnages et ses interprètes, au moins en ce qui concerne leur caractère, et il l'a trouvée ici au-delà de toutes ses espérances. L'ironie l'insolence tranquille de Laureen Bacall faisaient d'elle dès l'origine un personnage hawksien à part entière et Hawks a rassemblé autour d'elle, comme dans tant de ses films, un groupe de personnages qui se comprennent, s'estiment, se ressemblent et font de cette communauté de vues et de caractères la base de leur action."

Jacques Lourcelles rappelle que le film et né d'une blague et d'un défi. Hawks avait assuré à Hemingway qu'il pourrait tirer un bon film même de sa plus mauvaise histoire. Hemingway proposa son roman To have and have not.

Le film fut refait deux fois, la première par Michael Curtiz avec Trafic en haute mer (1950) puis par don Siegel avec The gun runners (1958).

Source : Jacques Lourcelles, Dictionnaire du cinéma

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Le Port de l'angoisse

Le Port de l'angoisse
Description de cette image, également commentée ci-après

Titre originalTo Have and Have Not
RéalisationHoward Hawks
ScénarioJules Furthman
William Faulkner
Ernest Hemingway (roman)
Acteurs principaux

Humphrey Bogart
Lauren Bacall
Walter Brennan

Sociétés de productionWarner Bros. Pictures
Pays d’origineDrapeau des États-Unis États-Unis
GenreFilm noir
Durée100 minutes
Sortie1944


 Pour plus de détails, voir Fiche technique et Distribution

Le Port de l'angoisse (To Have and Have Not) est un film américain réalisé par Howard Hawks en 1944. Il s'agit d'une adaptation du roman d'Ernest Hemingway En avoir ou pas (To Have and Have Not).

C'est le premier film tourné avec Lauren Bacall.

Synopsis

En 1940 à Fort-de-France en Martinique, durant l'administration vichyste, le patron-pêcheur Harry loue son bateau à de riches touristes américains pour des parties de pêche en haute mer. Un jour, Harry est confronté à un client mauvais payeur, Johnson, grâce à qui il va faire la connaissance d'une charmante américaine, Marie. Avec elle, il va être entraîné dans des affaires politiques aux côtés de la résistance française et face à la police de Vichy.

Fiche technique

Distribution

Et, parmi les acteurs non crédités :

Production

Ce film serait né d'une partie de pêche entre Hawks et Hemingway, durant laquelle le réalisateur essayait de convaincre son ami de venir à Hollywood, pour se lancer dans le cinéma. Ce dernier étant récalcitrant, Hawks lui proposa de porter à l'écran son plus mauvais livre, ce à quoi Hemingway aurait répondu : « Quel est mon pire roman ? [...] cette chose informe qui s'appelle To Have or Have Not ».

Lauren Bacall fait sa première apparition au cinéma dans ce film. Ce tournage permet à Bogart et Bacall de se rencontrer pour la première fois. Ils deviendront ensuite un des couples les plus célèbres de Hollywood.

Musique

Dans le film, Bacall chante How Little We Know de Hoagy Carmichael et Johnny Mercer.

La bande originale comprend aussi une autre chanson de Carmichael intitulée Hong Kong Blues, coécrite par Stanley Adams, ainsi que Am I Blue?, écrite par Harry Akst et Grant ClarkeHong Kong Blues fut également reprise par le groupe québécois Les Colocs, parue sur l'album Atrocetomique en 1995.

Postérité

La réplique « Si vous avez besoin de moi, vous n'avez qu'à siffler. Vous savez siffler, Steve ? Vous rapprochez vos lèvres comme ça et vous soufflez ! », prononcée par Lauren Bacall, a été classée 34e dans la liste des 100 répliques les plus connues du cinéma américain établie par l'American Film Institute en 2005.

"If you want me, just whistle. You know how to whistle, don't you, Steve? You just put your lips together and blow".

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