Hitchcock / Maison du docteur Edwardes),
Spellbound / 1945
mon cinéma à moi
[le blog où le cinéma d'hier
restera toujours à l'affiche]
INGRID BERGMAN
Lorsque Ingrid Bergman arriva à Hollywood, elle avait déjà montré dans les films de Gustaf Molander que sous la glace de son éblouissante beauté couvait le feu d’une bouillonnante révolte intérieure. En Amérique, elle secoua les habitudes, s’imposant à contre-emploi, jouant des rôles de résistante, faisant de Bogart un séducteur qu’il n’était guère auparavant et dénonçant le racisme envers les Noirs. Elle fut célébrée et acclamée, mais lorsqu’elle connut ses premières déconvenues, elle chercha refuge en Italie, où sa collaboration avec Rossellini se transforma vite en histoire d’amour jugée scandaleuse par toute l’Amérique. Dès la lettre qu’elle adresse au fondateur du néoréalisme alors qu’elle ne l’a encore jamais rencontré, il est évident qu’elle va déposer sa vie aux pieds de cet homme, par amour du cinéma. Capable de jouer en cinq langues, elle avait les moyens de son indépendance vis-à-vis d’Hollywood. Elle y revint pourtant après sa période italienne, par le chemin de l’Angleterre, mais les regards s’étaient tournés vers de nouvelles vedettes. Reste l’œuvre exceptionnelle d’une femme splendide, intelligente, engagée et décidée quel qu’en soit le prix à s’offrir un grand destin : on n’incarne pas deux fois Jeanne d’Arc par hasard ! [Ingrid Bergman, celle qui fut deux fois Jeanne d’Arc -Hollywood, la cité des femmes – Antoine Sire (Ed. Actes Sud – Beaux-Arts – Institut Lumière) 2016]
Découverte en Suède par Gustaf Molander au début des années 1930, Ingrid Bergman fut appelée, dans les années 1940, à Hollywood, où elle entreprit une longue et brillante carrière qui résista au déclin des mythes et des modes.
Née le 29 août 1915 à Stockholm, Ingrid Bergman fut élevée par un vieil oncle après la mort de ses parents ; à dix-sept ans, elle s’inscrivit à l’Ecole d’art dramatique de l’Académie royale de Stockholm. En 1933, elle fut engagée sous contrat par la Svenskfilmindustri et fit ses débuts à l’écran dans Munkbrogreven (1934). Dès son sixième film, På Solsidan (1936), elle était déjà considérée comme une grande vedette par le public suédois. Dans ce film, comme dans beaucoup d’autres, elle était dirigée par Gustaf Molander, un cinéaste qui contribua à révéler son talent.
De Stockholm à Hollywood
En 1939, David O. Selznick, qui avait suivi son ascension, l’appela à Hollywood pour lui confier le rôle principal dans Intermezzo : a Love Story (La Rançon du bonheur), remake du film dont elle avait été la protagoniste dans la version originale suédoise, Intermezzo (1936). Découvreur avisé et Pygmalion de nombreuses actrices, Selznick était conscient des risques que comportait le lancement de stars étrangères sur le marché américain et il décida, fort judicieusement, de miser sur la fraîcheur et la spontanéité de l’actrice et sur une histoire que le public ne pourrait qu’apprécier. Selznick avait vu juste et, du jour au lendemain, Ingrid Bergman se trouva projetée au firmament hollywoodien. Après avoir continué avec quelques rôles semblables de femme aussi pure que fidèle, Ingrid Bergman se rebella. Consciente de ses propres capacités, elle refusait de se laisser enfermer dans ce dangereux stéréotype et batailla pour obtenir le rôle d’Ivy, la barmaid de mœurs légères, dans le film que préparait Victor Fleming, Dr. Jekyll and Mr. Hyde (1941).
Ce renversement total, éloigné de son personnage habituel, donna un tour nouveau à sa carrière. A partir de ce moment, elle se vit proposer des rôles psychologiquement beaucoup plus riches, dont elle put rendre toute l’ambiguïté. Elle fut ainsi, de fascinante manière, l’aventurière aux origines incertaines dans L’Intrigante de Saratoga (Saratoga Trunk, 1943), l’épouse malheureuse d’un agent nazi qui finit par travailler pour la C.I.A. dans Les Enchaînés (Notorious, 1946) et la femme tourmentée noyant son remords dans l’alcool dans Les Amants du Capricorne (Under Capricorn, 1949). Ces héroïnes, projetées dans un monde de cauchemar, subissant une dégradation physique et morale, étaient d’autant plus fortes qu’elles étaient incarnées par une actrice au visage et au jeu purs et limpides. Cet apparent contre-emploi d’Ingrid Bergman dans le registre « noir » est une des plus belles trouvailles du star system. Hollywood sut également, et avec le même bonheur, exploiter son côté « positif ». Elle campa des femmes énergiques, idéalistes, sincères et généreuses dans nombre de films : Pour qui sonne le glas (For Whom the Bell Tolls, 1943), La, Maison du Dr Edwards (Spellbound, 1945), Les Cloches de Sainte-Marie (The Bells of St Mary’s, 1945) et Jeanne d’Arc (Joan of Arc, 1948).
Mais sans doute est-ce dans Casablanca (1942) qu’Ingrid Bergman, femme déchirée entre le devoir et son attirance pour un ancien amour, atteint des sommets d’émotion. Bien qu’elle ait travaillé pour des maisons de production très diverses et interprété toutes sortes de personnage, Ingrid Bergman sut conserver, tout au long de sa carrière américaine, une certaine unité de style, grâce, sans doute, à l’influence de l’omniprésent Selznick. Bergman perdit d’ailleurs beaucoup en rompant avec son producteur, en 1946. A l’origine de cette rupture, on trouve un certain Peter Lindstrom, un dentiste suédois qu’Ingrid avait épousé au début de sa carrière. S’il avait su la conseiller très intelligemment en Suède, il fut beaucoup moins heureux à Hollywood : Arc de triomphe (Arch of Triumph, 1948) fut un fiasco. C’est à cette époque que l’actrice découvrit Roberto Rossellini en allant voir Rome, ville ouverte (Roma città aperta, 1945). Elle en fut si bouleversée qu’elle écrivit sur le champ au réalisateur pour lui proposer d’être son interprète.
La période italienne
Stromboli (Stromboli, terra di Dio, 1950) marqua le dé but de la collaboration entre Ingrid Bergman et Rossellini, une nouvelle orientation dans sa carrière et dans sa façon de jouer. On peut pourtant remarquer une certaine coïncidence entre ses films américains et ses films italiens : l’intense spiritualité d’Europa 51 (1951) rejoint le mysticisme des Cloches de Sainte-Marie et de Jeanne d’Arc, tandis que l’enfer conjugal de Stromboli rappelle les tourments de la femme amoureuse d’un aventurier, de Hantise (Gaslight, 1944), le film de George Cukor avec lequel l’actrice remporta son premier Oscar. Mais ces comparaisons faciles ne doivent pas faire oublier que Rossellini révéla une Bergman insoupçonnée, capable de composer des portraits féminins très subtils.
En 1950, Ingrid Bergman divorça d’avec Lindstrom pour épouser Rossellini, légalisant ainsi une relation qui l’avait desservie auprès du public bien-pensant et avait gravement compromis sa carrière hollywoodienne. En 1957, après une série de films mal accueillis et un autre divorce, la « période rossellinienne » d’Ingrid Bergman prit fin.
Certains journalistes considèrent que ces cinq années italiennes marquèrent une régression dans la carrière de l’actrice. Pour eux, privée des protections du star system, Ingrid Bergman n’était plus, sous la direction de Rossellini, qu’un « personnage » et avait cessé d’être une actrice. Pourtant aujourd’hui, avec le recul, on peut affirmer que ces films sont, avec ceux qu’elle tourna sous la direction d’Hitchcock, les plus intéressants de sa carrière.
Relance internationale
En 1956, la 20th Century-Fox lui offrit la possibilité de revenir sur la scène internationale avec Anastasia, l’histoire romancée de la fuite présumée du tsar en 1918. Le film obtint un très grand succès et valut un deuxième oscar à Ingrid Bergman. Elle interpréta par la suite quantité de rôles soigneusement étudiés pour conforter son image de star internationale. C’est ainsi qu’elle retrouva Cary Grant dans Indiscret (Insdiscreet, 1958) et qu’elle s’imposa en missionnaire dans L’Auberge du sixième bonheur (The Inn of the Sixth Hapiness, 1958).
En 1974, elle remporta un nouvel oscar (comme meilleure actrice de complément) avec Le Crime de l’Orient-Express (Murder on the Orient Express) de Sidney Lumet. En 1978, dans Sonate d’automne (Herbstsonate), elle interpréta le rôle d’une mère égocentrique et obsédée par sa propre carrière de pianiste, le meilleur rôle qu’on lui ait confié depuis sa rupture avec Selznick. L’actrice s’offrit courageusement au regard impitoyable du cinéaste Ingmar Bergman et, avec sa complicité, elle composa un personnage très humain, tout en nuances.
Tout en menant sa carrière au cinéma, elle ne négligea jamais le théâtre et, entre 1940 et 1967, elle interpréta une dizaine de pièces dont « Joan of Lorraine » (1946) pour laquelle on lui décerna le Tony Award, « Tea and Sympathy » (1956), « Hedda Gabler » (1962) et « A Month in the country » (1965) sous la direction de Sir Michael Redgrave. C’est sans aucun doute grâce à son professionnalisme sévère et à sa force de caractère qu’Ingrid Bergman parvint à surmonter la chute du star system et l’échec personnel de sa « période rossellinienne. » Elle décéda le 29 août 1982, le jour de son 67e anniversaire des suites d’un cancer qu’elle combattait depuis sept ans.
CASABLANCA
Malgré le succès de ce film, Ingrid Bergman reste sous-employée et se sent mal à Hollywood. Le rôle qui lui est proposé par la Warner dans Casablanca ne l’enthousiasme pas. L’actrice suédoise n’était pas le premier choix de Jack Warner ni de son producteur Hal Wallis, qui avaient vainement tenté d’obtenir le « prêt » d’Hedy Lamarr par la MGM et celui de Michèle Morgan par la RKO. Finalement, ils songent à Ingrid Bergman, que Selznick accepte de libérer en contrepartie du droit à un film avec Olivia De Havilland, actrice Warner.
L’action de Casablanca est contemporaine de son tournage (1942). Bogart incarne un Américain cynique et désabusé, devenu patron d’un café dans le port marocain pour oublier la femme (Ingrid Bergman) qui l’a quitté. Celle-ci revient dans sa vie en compagnie de son mari (Paul Henreid), un chef de la résistance tchèque poursuivi par les nazis, y compris dans la ville marocaine, administrée par le régime de Vichy. l’Américain est en possession de sauf-conduits qui devraient permettre aux époux de quitter le Maroc. Ingrid Bergman lui demande ces documents, puis, devant son refus, le menace avec un revolver avant de fondre en larmes et de lui avouer qu’elle l’aime encore. Cette scène offre un nouvel exemple de son talent, de sa capacité à passer d’une émotion violente à une autre sans forcer sa nature réservée. Pendant le tournage, le réalisateur, Michael Curtiz, lui conseille d’ailleurs de rester elle-même et d’éviter d’en rajouter dans la composition, ce que sa formation suédoise la pousserait à faire : « Tu vas ruiner ta carrière à essayer de jouer des personnages différents (…). Il faut que tu travailles à développer uniquement ce qui plait le plus au public dans ton personnage. » Dans Casablanca, ce personnage est tiraillé entre deux hommes. Lorsqu’elle demande à Curtiz lequel elle doit regarder d’un air amoureux, celui-ci répond : « Jouez… entre les deux. » Bien que les relations de Bogart avec l’actrice soient relativement distantes sur le plateau, la synergie qu’ils dégagent à l’écran fonctionne parfaitement. Non seulement Ingrid Bergman entre dans la légende d’Hollywood, mais c’est son regard qui, après tant de rôles de losers tourmentés, fait de Bogie le séducteur qu’il sera à nouveau, dans ses films avec Lauren Bacall. Casablanca est un immense succès, couvrant quatre fois ses frais dès sa première année d’exploitation.